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Colombie

72 syndicalistes assassinés

Carlos Cruz*

dimanche 8 février 2004

Alors que le gouvernement d’Alvarez Uribe - battu sur le plan électoral à Bogota - fait face à des "difficultés" économiques, sociales, politiques, les descriptions portant sur les "progrès de la stabilisation de la Colombie" sortent, avec régularité, dans la presse. Les grandes agences de désinformation, américaines avant tout, servent leur "vérité", un peu comme les Arme de destruction massive ont été servies pour justifier la guerre contre l’Irak.

Le compte rendu du dernier bilan effectué par la direction de la CUT (Centrale unitaire des travailleurs) de Colombie mérite toute l’attention des lecteurs et lectrices. Le Plan Colombie, bras militaire, de la restauration coloniale des Etats-Unis est à l’oeuvre, plus que jamais, dans ce pays, et dans les pays voisins. Il se combine aussi avec les tentatives de renversement du gouvernement Chavez au Venezuela. réd

En 2003, ce sont 72 syndicalistes affiliés à la principale centrale ouvrière colombienne, CUT (Centrale unitaire de travailleurs), qui ont été assassinés. Dans le seul département de Bolivar, on a enregistré 350 détentions illégales par les forces de sécurité de l’Etat en 2003.

Selon le rapport élaboré par le directeur du Département des Droits Humains de la centrale ouvrière CUT, Domingo Tovar, la situation des droits humains s’aggrave jour après jour en Colombie.

Le rapport syndical mentionne notamment les détentions massives durant lesquelles le gouvernement ne respecte pas les règles fixées dans les Codes et Traités internationaux, des violations de domicile illégales et l’assassinat de 72 syndicalistes au cours de l’année écoulée.

Le dirigeant syndical explique que leur préoccupation majeure en ce moment est l’entrée en vigueur de la loi antiterroriste qui a été approuvée cette semaine.

"Nous avons la certitude qu’à aucun moment cette loi ne sera appliquée à des terroristes. Par contre, toute cette politique vise à frapper et à casser les processus organisationnels du mouvement social qui génèrent de l’opposition aux politiques de l’impérialisme nord-américain et au gouvernement de Alvaro Uribe Vélez", explique encore Tovar.

Et il a ajouté : "Il est clair qu’en Colombie il n’existe aucun respect de la liberté d’expression, celle-ci est muselée avec des actes qui violent les Droits Humains".

Domingo Tovar a également présenté une liste des violations les plus récentes des droits syndicaux dans le pays.

Assassinats

Le 17 janvier 2004, Ricardo Barragan Ortega, activiste affilié au Syndicat des Travailleurs des Entreprises Municipales de Cali - SINTRAEMCALI-CUT - a été assassiné alors qu’il sortait de son domicile. Le camarade se dirigeait vers le Centro Operativo Bodegas Navarropour jouer une partie de football avec ses collègues de l’entreprise lorsqu’il a été intercepté par des motocyclistes montés sur deux motos, ils lui ont tiré cinq balles dans la tête. Un des sicaires (tueurs à gages) qui a participé à l’assassinat du camarade Ricardo a été appréhendé par la police lorsqu’il s’enfuyait le lieu du crime. Il a été amené au poste de police du Barrio el Guabal.

Le camarade s’était distingué par sa participation aux aspects techniques de l’élaboration du projet de sauvetage de EMCALI1, où il avait fait des propositions ingénieuses pour réduire les coûts, augmenter les revenus et optimiser les ressources humaines. Il s’était également fait connaître par sa participation active aux journées de protestation organisées par les travailleurs pour défendre EMCALI EICE ESP de la privatisation.

Menaces

Le 13 janvier 2004, une enveloppe a été laissée dans les bureaux de ANTHOC (Association des travailleurs/euses hospitaliers)2, section Atlantique. Elle contenait une liste d’élu·e·s à l’intention de la Junte Directrice de cette organisation, dans lequel figuraient les noms de Gilberto Martinez, membre de la Junte Directrice Nationale, Carmen Torres, membre de la Junte Départementale, Alvaro Marquez, membre de la Junte Départementale, José Meriño, membre de la Junte Départementale, et Angel Salas, membre de la Junte directrice National. Ce document était signé par les AUC (Autodéfenses Unies de Colombie : organisation paramilitaire d’extrême droite, en processus de démilitarisation de concert avec le gouvernement d’Uribe, afin d’être recyclé en partie dans l’armée, en partie dans des "agences de sécurité", donc de polices privées, tout en maintenant un secteur actif), et portait en guise de signature le nom de Antonio Uparela Castro [soit les initiales des AUC].

Le 16 janvier 2004, la Centrale Unitaire des Travailleurs de Colombie (CUT) a reçu un message électronique de menace signée "Commandant Rigoberto Zarate Ospina, Cellule 18" du Bloque Calarca des AUC", en provenance de l’adresse électronique bloquecalarcapara@hotmail.com. Ce message réitère les menaces de mort contre les dirigeants syndicaux de Risaralda [au centre de la Colombie, dans le dit "Triangle d’or" formé par les trois principales villes de Colombie : Bogota, Medellin et Cali]3, qui ont dû être évacués du pays suite aux agressions et la condamnation à mort de la part de ce groupe de paramilitaires en octobre 2003.

Dans cette sentence, les paramilitaires condamnent le travail social non seulement de la "Pastorale Social de Colombie" mais également l’Etat Chilien, pour avoir accueilli ces dirigeants syndicaux de la CUT Risaralda, qualifiés de délinquants de petite envergure. Ils ajoutent que leurs unités armées se trouvent déjà au Chili et attendent les ordres pour se lancer dans la recherche, la localisation et l’exécution de ceux qu’ils appellent des "subversifs en civil".

Le 21 janvier 2004, les dirigeants syndicaux de ANTHOC NACIONAL et de ses sections reçoivent à nouveau des menaces de mort de la part des Groupes d’Autodéfense Paysanne du Magdalena Medio [organisés par les grands propriétaires fonciers, dans cette région la mobilisation paysanne est forte]. Ces derniers profèrent des menaces contre les dirigeants Jesus Alfonso Naranjo et Mario Nel Mora Patiño, représentants respectivement du Département des Droits Humains et de la Mission Médicale ; et cela à cause de leurs actions de dénonciation visant la corruption de l’administration les campagnes de dénonciation nationales et internationales des menaces à contre les abus et la répression des activités syndicales, sociales. Ces campagnes avaient été menées suite aux menaces constantes et répétées des forces organisées par les latifundistes, et aux déplacements forcés de la population, ainsi qu’aux assassinats de fonctionnaires de la santé et en particulier de leurs affiliés à une mutuelle de santé [les médecins sont visés car ils soigneraient des membres de guérilla, des militants syndicalistes, des paysans...].

Dans ce même message, les Groupes d’autodéfense affirment que les personnes mentionnées ne sont pas des défenseurs des droits humains, mais plutôt des guérilleros infiltrés dans le mouvement syndical, et que pour cette raison ils seraient éliminés n’importe où dans le pays.

Dans le Département du Cauca, au sud-ouest du pays, le gouvernement a l’intention d’appliquer les mêmes mesures que celles appliquées au Département de Arauca, où la direction du mouvement social a été persécutée, harcelée et emprisonnée.

Dans le Cauca, au cours de cette dernière année, il y a eu des détentions de masse. Certaines municipalités sont encerclées, les unes par l’Armée Nationale et les autres par les groupes paramilitaires, qui violent les droits les plus élémentaires, y compris des traités internationaux.

Par exemple, ils contrôlent l’entrée des aliments. Et ils ne permettent pas aux paysans de sortir leurs produits, ce qui entraîne, bien entendu, une dégradation des conditions de vie de la population. Dernièrement, des menaces ont obligé plusieurs camarades, hommes et femmes, membres du mouvement syndical, du Comité Exécutif, de la direction régionale de la CUT de Cauca et la Junte Directive des syndicats, à quitter la région, où la violation du droit d’association et des libertés syndicales est palpable.

Des détentions

Dans la capitale du Département de Bolivar, Cartagena, le gouvernement présente cette région comme le paradis en Amérique. C’est dans ce paradis que le mouvement social a déploré l’année passée autour de 350 détentions illégales.

* Journaliste auprès de ANNCOL (Agencia de Noticias alternativas de Colombia, prensa alternativa, Colombia)


Notes

1. EMPRESAS MUNICIPALES DE CALI (EMCALI) est l’entreprise de services publics de la seconde ville en nombre d’habitants de Colombie, après Bogota. En 2002, cette entreprise connaissait un déficit, organisé, de plus de 260 millions de dollars. Emcali est chargé de la distribution de l’eau, de l’énergie (électricité, gaz, etc.) et des télécommunications ; tous des secteurs qui sont privatisés sous le gouvernement Uribe, et aussi avant. L’eau et l’électricité ne parviendront qu’à ceux qui peuvent payer, déjà un secteur de la population en est privé. réd

2. L’Associación de Trabajadores Hospitalarios (ANTHOC) s’est engagée dans une lutte très importante en novembre 2003. Elle a fait la démonstration aux yeux du peuple colombien qu’il était possible de lutter contre le gouvernement Urribe, son arrogance, ses méthodes répressives, présentées comme une "conquête de la démocratie" par tant des médias occidentaux. L’ANTHOCV a organisé une occupation durant sept jours devant le Minsitère de la santé publique. Les travailleuses et travailleurs de la santé ont été violemment attaquées par la police. Mais leur lutte, qui avait un soutien populaire, a abouti à ce que le Ministère des finances et celui des Affaires sociales fassent quelques concessions. réd

3. Cette région riche connaît, selon la déclaration du Gouverneur Carlos Alberto Botero, début 2004 : "une dénutrition infantile qui atteint le 40% des enfants jusqu’à 12 ans, ce qui est une des causes principales de la désertion de l’école".réd

(tiré du site À l’encontre)