Accueil > Nos dossiers > Contre la mondialisation capitaliste > AU DISCOURS INAUGURAL DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC

RÉPONSE DU RÉSEAU DU FORUM SOCIAL DE QUÉBEC ET CHAUDIÈRE-APPALACHES

AU DISCOURS INAUGURAL DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC

COMMISSION DÉMOCRATIE ET RÔLE DE L’ÉTAT RÉACTION

dimanche 22 juin 2003

Le Premier ministre du Québec, élu le 14 avril 2003, a présenté les orientations de son gouvernement à l’occasion de l’ouverture de la 1ère session de la 37e législature du Québec, mercredi, 4 juin 2003.

Comme le laissaient prévoir les déclarations du Premier ministre lui-même et de plusieurs des ministres du nouveau gouvernement depuis l’élection, le Discours inaugural a révélé l’orientation clairement à droite de ce gouvernement. Nous avons assisté à un véritable plaidoyer en faveur du néolibéralisme qui veut réduire le rôle de l’État à un nombre limité de fonctions afin de laisser la voie libre à l’entreprise privée et au marché. D’ailleurs, le monde des affaires ne s’y est pas trompé et a trouvé « cette musique bien douce à leur oreille ».

Le gouvernement libéral, dans une certaine mesure, poursuivra l’œuvre du gouvernement précédent qui avait imposé à la société un exercice fort éprouvant en éliminant le déficit en quelques années seulement. Des compressions très importantes avaient accompagné l’exercice, créant une énorme pression sur les conditions de vie et de travail de centaines de milliers de Québécoises et de Québécois. Le gouvernement péquiste avait introduit la déréglementation en instituant un Secrétariat à la déréglementation ; dans le secteur de l’environnement , une logique libérale était également à l’œuvre. L’ancien gouvernement n’avait pas hésité à utiliser systématiquement les lois spéciales de retour au travail contre les syndiqués en grève, il avait créé les conditions d’une privatisation rampante tant dans le secteur de la santé que dans celui de l’éducation.

La société québécoise sera donc à nouveau confrontée à une série de politiques qui favoriseront l’enrichissement des plus riches et invitera les plus pauvres à se soumettre encore davantage au chacun pour soi pour survivre. Cette politique mènera le Québec au bord de la faillite, tout comme l’application des politiques néolibérales par le gouvernement Campbell en Colombie-Britannique ont eu pour effet la réapparition d’importants déficits et l’appauvrissement global de la province de l’Ouest. Au fond, on nous invite à la résignation puisque, selon le Premier ministre, nous devons nous soumettre à l’ouverture des marchés et créer les meilleures conditions de mise en valeur des capitaux des entrepreneurs du Québec et pour amener les investisseurs étrangers à venir au Québec. « Nous devons être pleinement concurrentiels, dit-il. Ça, ce n’est pas pour nous une question de choix, c’est une question de survie. » Monsieur Charest confond l’adhésion de la majorité du milieu des affaires et des partis politiques néolibéraux (PQ, PLQ, ADQ) au libre-échange avec une adhésion collective de la population du Québec. Le libre-échange a connu une imposition militante des milieux syndicaux et populaires qui se sont mobilisés contre l’ALENA. Le soutien au gouvernement Mulroney s’est fait dans un contexte où toute une série d’enjeux étaient sur la table.

Pour monsieur Charest, il faut donc déréglementer davantage, privatiser et réduire encore plus la contribution des entreprises aux finances publiques en diminuant les impôts qu’elles ont à payer, alors que leur contribution n’a cessé de diminuer au cours des dernières décennies. Ce discours nous l’avons entendu souvent au cours du dernier quart de siècle. Ce sont ces entreprises qui, en créant de la richesse, permettraient comme par magie aux individus de s’enrichir. Ceux qui n’y parviennent pas n’auront qu’à s’en prendre à eux-mêmes.

Voilà ce que le nouveau gouvernement nous propose. Il s’agit d’un enfoncement encore plus grand dans cette mondialisation néolibérale qui asservie les populations et les soumet aux intérêts des entreprises et des financiers.

La démocratie

Le Premier ministre libéral prétend que les Québécoises et les Québécois, en votant le 14 avril, ont donné un mandat clair pour mettre en application le programme libéral. C’est une vision tronquée de la réalité puisque le Parti libéral du Québec, même s’il a obtenu le plus grand nombre de voix, est loin de représenter la majorité de la population. Il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de personnes se sont abstenues de se présenter aux urnes. Le PLQ, s’il a obtenu 46% des voix exprimées, n’a en revanche obtenu que l’aval de 32,0 % des électeurs inscrits. Si les libéraux veulent réellement renforcer la démocratie, ils devront prendre le temps d’écouter et de respecter les points de vue de la population. Il serait tout à fait anti-démocratique de sabrer dans les responsabilités de l’État comme on l’annonce sans tenir, au préalable, un véritable débat, large et ouvert, au sein de la société.

Par ailleurs, les réformes promises et attendues des institutions démocratiques du Québec ainsi que celles concernant le mode de scrutin ne doivent pas être ramenées à un exercice partisan garantissant la pérennité du pouvoir libéral. Nous serons vigilants lorsque le gouvernement présentera ses projets à ce chapitre. Notamment, l’élection à la proportionnelle devra assurer la représentation de tous les courants politiques présents au sein de la population et non pas se limiter à assurer un partage plus équitable des sièges entre les partis déjà représentés à l’Assemblée nationale, comme le suggérait la semi-proportionnelle de feu le Comité Béland. Il s’agit d’une condition essentielle au renforcement de notre démocratie. Le nouveau mode de scrutin devra aussi garantir une juste représentation des régions et la meilleure représentativité sociale possible des élus.

Les inquiétudes justifiées des femmes

Le Discours inaugural aborde plusieurs questions chères aux femmes. Toutefois, les engagements sont loin d’être significatifs. Ce que l’on nous annonce demeure vague ou inquiétant. On parle bien de s’attaquer à la violence conjugale, mais quelles seront les ressources véritables pour éliminer cette triste réalité ?

Pour ce qui est de la conciliation travail-famille il faudra s’en remettre à la bonne volonté des entreprises qui, si elles perdent des subventions d’un côté, pourraient en retrouver pour favoriser cette conciliation travail-famille ! Il faudra voir quelles seront les mesures concrètes qui seront mises de l’avant. Mais en s’attaquant aux garderies à 5$, le gouvernement Charest s’attaque au principe de l’universalité des services. En fait, sur ce terrain aussi, il prépare à faire une place au secteur privé, et ainsi limiter l’accès au service de garde.

Une nouvelle remise en question du rôle de l’État

Le gouvernement Charest veut « recentrer l’État sur ses missions essentielles : santé, savoir, prospérité et sécurité. » Cette idée n’est pas nouvelle et implique un abandon des responsabilités collectives que nous avons en matière de protection des droits, notamment au travail, de redistribution de la richesse produite collectivement, dans le domaine de l’environnement, pour assurer l’égalité de tous et toutes au sein de la société, etc. On nous propose donc une désorganisation des services publics en entreprenant une autre « réingénierie » de l’État québécois. Cela se traduira par la réalisation de six « Grands travaux » qui ont comme caractéristique de construire une société faite sur mesure pour les entreprises, les investisseurs, les nantis. Une nouvelle révision des structures de l’État mettra, une fois de plus, à rude épreuve la fonction publique et les grands réseaux de la santé, des services sociaux et de l’éducation.

Les orientations gouvernementales nous annoncent clairement une intensification de la déréglementation, une augmentation importante de la sous-traitance, la mise en place de partenariats avec le secteur privé qui aboutiront à des privatisations des activités qui offrent des perspectives de profits. Ce sera sans doute le cas, par exemple, dans les transports où des investissements considérables sont nécessaires. Reverrons-nous apparaître les projets de privatisation de certaines routes ?

La santé

On nous a promis d’en faire une priorité. On nous annonce de nouvelles sommes d’argent et des mesures pour augmenter le nombre de médecins et d’infirmières. En même temps, on nous dit que l’État n’a plus d’argent. Nous comprenons le message, nous nous dirigeons vers un système de santé de plus en plus ouvert aux privatisations avec les augmentations de coûts que cela représente pour les individus.

L’éducation

Il y aura « recentrage du réseau de l’éducation » pour que celui-ci prépare mieux les jeunes au marché du travail et répondre aux besoins des entreprises. Le gouvernement péquiste avait bien amorcé un virage néolibéral dans l’éducation. Les écoles privées à recrutement sélectif a connu une avancée importante. La diversification de l’offre de formation (place accrue du secteur privé) et la présence de plus en plus importante des entreprises dans les institutions scolaires marquaient des pas importants vers la marchandisation de l’éducation. L’éducation est réduite à sa dimension purement économique. « La connaissance est le germe de notre croissance ». Loin d’une conception humaniste de l’éducation, les jeunes se voient réduits à un facteur de production afin d’offrir une main-d’œuvre formée aux entreprises.

Par ailleurs, comme dans la santé, toutes sortes de mesures sont annoncées qui devraient nécessiter plus de budgets. Comment seront financées les améliorations proposées ? Le plan libéral de légitimer une hausse des droits de scolarité en passant par un Comité sur la qualité, l’accessibilité et le financement des universités doit être vigoureusement dénoncé. Dans ce monde libéral, l’éducation sera de moins en moins accessible au-delà du secondaire.

La fiscalité

Le gouvernement libéral a fait de grandes promesses de réductions d’impôts. Nous serions les plus taxés en Amérique du Nord. Mais à qui vont servir de telles réductions d’impôts si par la suite la « classe moyenne », doit payer directement pour des services qui auront été privatisés ?

En fait, l’objectif est de favoriser les riches qui, voyant leur fortune s’accroître encore plus, auront la grande générosité d’investir au Québec pour permettre aux Québécoises et aux Québécois de s’enrichir à leur tour par leur travail. C’est cette recette que l’on applique ou que l’on a appliquée dans plusieurs coins de la planète sans que cela n’ait permis autre chose qu’un accroissement des inégalités. Le gouvernement Charest prétend qu’il pourra accroître les services tout en réduisant ses revenus. Cette prétention n’est que la poudre aux yeux qui vise a dissimuler le passage d’une privatisation rampante à une privatisation galopante. La privatisation de services conduira à diminuer l’accès au service que ne pourrons se payer que les plus fortunés de la société.

Ce ne sont pas de baisses d’impôt dont nous avons besoin mais d’une véritable fiscalité fondée sur le principe de partage de la richesse collective pour financer les outils collectifs que nous voulons nous donner et qui se retrouvent dans les services publics et la fonction publique.

La pauvreté est là pour rester

Rien n’est prévu pour éliminer la pauvreté et permettre à ces milliers de nos concitoyennes et de concitoyens en difficulté d’entrevoir la possibilité de vivre dans la dignité. Au contraire, les personnes assistées sociales n’ont qu’à bien se tenir. Le gouvernement libéral annonce que le soutien aux revenus sera lié aux efforts d’intégration au travail. Cela ouvre la porte à l’arbitraire, au chantage aux coupures et à la création d’une main-d’œuvre précaire, sans droit et sans protection. Il faut s’attendre à de nouvelles mesures contraignantes qui apporteront de nouvelles tracasseries à des hommes et des femmes qui ont déjà suffisamment de soucis.

Quant aux bas salariés, cette partie de la population n’aura qu’à attendre encore plus longtemps avant d’entrevoir l’espoir d’améliorer ses conditions de vie. L’augmentation du salaire minimum à un niveau décent sera moins au rendez-vous que jamais. Les possibilités d’améliorer les conditions de travail deviendront de plus en plus lointaines d’autant plus que l’accès à une syndicalisation plus facile ne fait aucunement partie des préoccupations du nouveau gouvernement.

Le mouvement syndical sérieusement menacé

Le passage le plus précis et le plus cru du Discours inaugural est celui qui concerne le travail. Le Premier ministre a annoncé la volonté ferme du gouvernement de modifier l’article 45 du Code du travail pour permettre plus facilement aux entreprises, et certainement au gouvernement lui-même, de recourir à la sous-traitance. La sous-traitance est un instrument de division entre les travailleurs et les travailleuses, au service de la désyndicalisation et de l’affaiblissement des organisations syndicales. Le Parti libéral reprend ouvertement à son compte les revendications des organisations patronales et va complètement dans le sens opposé à ce que revendiquaient les organisations syndicales, soit une amélioration des conditions de syndicalisation. Pour le gouvernement Charest, l’avenir du Québec, c’est la libre entreprise et le rétrécissement des droits des travailleurs et des travailleuses.

Nous comprenons fort bien que le gouvernement libéral a l’intention d’affaiblir le plus possible le mouvement syndical puisque, dans sa logique, celui-ci pourrait constituer un obstacle à la venue des investisseurs. Ce que le gouvernement envisage, c’est de rassurer ces investisseurs en s’attaquant aux droits des travailleurs et des travailleuses. Après l’article 45, il faudra s’attendre à ce que ce gouvernement s’en prenne à d’autres dispositions et réglementations du travail qui sont vues comme des « irritants » par le patronat et les investisseurs.

L’environnement

Le gouvernement péquiste avait déjà pris le virage de la déréglementaton de l’environnement. Lucien Bouchard a souvent exprimé son intention de faire de la province un lieu moins réglementé. Dans ce contexte de déréglementation que veut amplifier le gouvernement libéral l’environnement ne semble pas être une grande préoccupation. On nous rappelle bien qu’il y aura un Plan Vert et l’on évoque au passage que le gouvernement agira dans le respect du principe du développement durable, mais il n’y a pas lieu d’être optimistes.

Il y a plutôt lieu d’être sur nos gardes lorsque le Premier ministre annonce qu’il reverra la décision de mettre fin à la construction de petits barrages du gouvernement précédent ainsi que l’accélération de « la mise en œuvre de projets hydroélectriques actuellement à l’étude ». Des inquiétudes et des interrogations sont aussi de mise avec le projet d’exploitation de ressources gazières du golfe Saint-Laurent alors que les conséquences écologiques d’un tel projet sont plus qu’inquiétantes.

La culture, « une bien belle chose », n’est-ce pas !

Le Discours inaugural du premier ministre Charest fait brièvement l’éloge de la culture et des artistes. Pourtant, la culture c’est l’âme d’un peuple, d’une collectivité. Bien sûr, les grands projets, les grands spectacles continueront d’être soutenus. Mais ceux et celles qui sortent des sentiers battus, qui cherchent de nouvelles voies d’expression et de création peuvent aller se rhabiller, les jours meilleurs se feront encore attendre.

Finalement, le projet de société que nous propose le nouveau gouvernement québécois est fondé sur la « réussite individuelle », la « concurrence et la compétition », le chacun pour soi, dans tous les aspects de la vie en société.

NOUS REFUSONS CE DISCOURS ! NOUS REJETONS UN TEL PROJET DE SOCIÉTÉ QUI AUGMENTE SANS CESSE L’ÉCART ENTRE LES RICHES ET LES PAUVRES ET QUI TOURNE LE DOS À L’INTÉRET GÉNÉRAL ET AU BIEN COMMUN.

Pour faire face à la situation, nous invitons les organisations et les personnes progressistes de la société à unir leurs forces, à donner une réponse solidaire aux orientations individualistes du gouvernement et à adopter une stratégie commune pour le combattre.