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Accord Canada-Union européenne - De sérieuses raisons de s’inquiéter

jeudi 14 mai 2009, par Claude Vaillancourt

Accord Canada-Union européenne - De sérieuses raisons de s’inquiéter


Tiré du site d’Attac Québec
Claude Vaillancourt, Écrivain et secrétaire général d’ATTAC-Québec


Réunis à Prague, Stephen Harper et le premier ministre tchèque Mirek Topolanek, qui assure la présidence de l’Union européenne, se sont donnés comme mission de lancer les négociations d’un accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. En apparence, cette nouvelle a tout pour nous réjouir. Mais il ne faut pas oublier que les accords de ce type sont d’abord et avant tout de puissants outils de déréglementation. En temps de crise, c’est bien la dernière chose dont nous avons besoin.

Dans un texte publié dans Le Devoir du 6 mai, Denis Saint-Martin soutient que cet accord peut être différent des autres parce que le Canada et l’Union européenne « partagent des valeurs de solidarité, de redistribution et d’égalité des chances globalement différentes de celles des États-Unis ». Cette entente serait donc nouvelle et n’entraînerait pas une « "course vers le bas" conduisant inévitablement à une érosion des protections sociales et environnementales ».

Certes, il serait possible d’envisager un nouveau type d’accord commercial qui favoriserait la coopération plutôt que la concurrence, qui proposerait l’adoption de normes de travail équitables et qui assurerait une protection rigoureuse de l’environnement. Mais rien ne laisse entendre que la nouvelle entente entre le Canada et l’Union européenne sera de ce type.

Une Europe à deux visages

Il existe bien une Europe sociale qui a mis en place d’excellents services publics, qui se préoccupe de lutter contre les inégalités, qui défend une culture riche et variée. Mais cette Europe est menacée par une tendance adverse qui apparaît dans les politiques de la Commission européenne, non élue, mais possédant d’énormes pouvoirs.

Le Traité constitutionnel européen, rejeté par des référendums en France, aux Pays-Bas et en Irlande, mais toujours défendu par la majorité des pays européens, nous donne un bon aperçu de cette autre Europe prête à détruire son modèle social-démocrate. Ce traité propose de mettre en place une grande zone ouverte à la concurrence, où circuleraient encore plus librement les capitaux et dans laquelle on améliorerait progressivement les capacités militaires (art. 27.3 TUE).

Il est difficile de savoir maintenant quelle teneur aura l’accord entre le Canada et l’Union européenne, s’il sera négocié dans la transparence (ce qui serait un précédent), s’il proposera vraiment un nouveau modèle. Rien de ce qui est parvenu jusqu’à nous ne permet cependant d’envisager un tel virage. Selon un sondage de Strategic Communications, réalisé en octobre dernier, 77 % des Canadiens voulaient que le texte de l’ébauche de cet accord et l’étude interne qu’a réalisée le gouvernement le concernant soient rendus publics avant l’élection fédérale du 14 octobre 2008. Ils n’ont pas été entendus, et seuls les lobbys d’affaires semblent être consultés.

Énoncé inquiétant

De fait, cet accord est nettement soutenu par le Conseil canadien des chefs d’entreprises, qui prétend avoir joué « un rôle de premier plan dans la promotion de l’initiative transatlantique en collaborant étroitement avec des dirigeants d’entreprise européens ainsi qu’avec les membres du Forum sur le commerce Canada-Europe ». Dans un document rendu public le 16 octobre 2008, le CCCE présente, entre autres, parmi les objectifs de l’entente « l’ouverture des marchés financiers et autres services à tous les niveaux ».

Cet énoncé est doublement inquiétant : non seulement on y parle d’ouverture des marchés financiers alors que la déréglementation est justement à l’origine de la crise financière actuelle, mais le flou concertant les « autres services » ne doit pas nous leurrer. C’est la marchandisation des services publics qui est sur la table. Le Rapport conjoint Canada-Union européenne : vers un accord économique approfondi ne laisse pas de doute : « Aucun mode de fourniture ou secteur des services ne devrait être exclu a priori. » Et cela concerne l’ensemble des ordres de gouvernements.

La Presse rapportait que l’entente Canada-UE « devrait permettre d’établir et d’adopter des réglementations semblables dans plusieurs domaines, notamment les droits d’auteur et l’alimentation, ainsi que la sécurité animale ». Sachant que les accords commerciaux entraînent systématiquement les divers partenaires dans une « course vers le bas » concernant la réglementation, et que des pressions très fortes s’exercent systématiquement pour que l’Europe s’ouvre aux OGM et au boeuf aux hormones, on peut aisément en déduire que la nouvelle entente ne favorisera pas une réglementation plus sévère dans ces domaines, mais qu’elle renforcera la position de compagnies transnationales comme Monsanto, qui souhaitent depuis longtemps une ouverture du marché européen.

Des antécédents douteux

À l’inverse, le Canada ne sera pas dans une position idéale pour négocier un accord à son avantage devant un marché de 495 millions de personnes et devant la plus grande puissance commerciale au monde. Dans un monde ouvert à la concurrence, il n’est pas sûr que les compagnies canadiennes sauront s’imposer, sinon les plus importantes qui ont déjà de profondes ramifications avec des entreprises transnationales européennes. L’Europe peut se montrer une rude négociatrice et son attitude à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et dans les Accords de partenariat économique avec l’Afrique, le Pacifique et les Caraïbes a été maintes fois dénoncée.

L’exemple sud-américain montre bien à quel point les compagnies européennes se sont implantées dans toutes les sphères de la société, beaucoup plus que les entreprises étatsuniennes, et y ont offert, aux dépens des compagnies nationales, des services dont la qualité laisse souvent à désirer. De plus, à cause de l’imbrication des accords commerciaux entre eux et de la clause de « la nation la plus favorisée », le Canada devra probablement offrir à ses partenaires de l’ALENA — les États-Unis et le Mexique — les mêmes avantages que ceux négociés avec l’Europe.

Il ne faut donc pas voir cet accord à travers des lunettes roses. Selon Emmanuel Todd, « maintenir le libre-échange, c’est maintenir la machine à accroître les inégalités socioéconomiques et la machine à accentuer la dépression de la demande ». Chose certaine, il ne semble pas pour l’instant que l’accord Canada-UE ouvrira la voie à un monde de solidarité et de coopération. Pour cette raison, la plus grande vigilance s’impose.