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Bilan d’un cheminement, les organisations marxistes-révolutionnaires au Québec depuis le début des années 70

dimanche 30 mars 2008, par Bernard Rioux

Groupe Marxiste Révolutionnaire (1972-1977), Ligue Ouvrière Révolutionnaire (1977-1980), Organisation Combat Socialiste (1980-1982), Mouvement socialiste (1982-1983), Gauche socialiste (1983-...), un itinéraire politique dans la gauche anti-capitaliste au Québec. Cet itinéraire politique eut comme fil à plomb la défense du programme de la IVe Internationale tel qu’on le comprenait.

Pour comprendre le cheminement d’un courant politique marxiste-révolutionnaire, il faut scruter son histoire, son héritage, son évolution. Il ne s’agit pas de faire la liste des erreurs et des échecs. Il s’agit plutôt de fouiller son expérience, pour voir ce qu’il faut valoriser, ce sur quoi il faut s’appuyer, ce que l’on doit transformer et ce que l’on doit déraciner réellement... pour pouvoir poursuivre un travail de construction d’une organisation marxiste-révolutionnaire au Québec. C’est dans ce sens qu’un travail de bilan devient une démarche militante.

I. Le début des années 70, une période de dégagement d’une nouvelle extrême-gauche au Québec

Mai 68. Le mouvement étudiant occupe la rue. C’est la grève générale en France. C’est le printemps de Prague. C’est le développement des guérillas en Amérique latine. La résistance héroïque du peuple vietnamien faire reculer l’impérialisme américain. Autant d’indicateurs du début d’un temps nouveau.

Octobre 68. C’est l’occupation des cégeps et des universités au Québec. Puis bientôt en 69, ce sont les grandes mobilisations nationalistes : McGill français, la mobilisation contre le bill 63 qui conduit 60 000 personnes devant l’Assemblée nationale. Les explosions des bombes du FLQ... "Du vieux monde, faisons table rase." On n’en est pas au "no future", on en est encore au "tout est possible". C’est l’esprit du temps.

La crise d’octobre 70. Le pouvoir frappe. L’armée canadienne occupe le Québec. Une armée contre un esprit. Un esprit qui rejette le Canada et ses institutions oppressives. Un esprit qui rejette le pouvoir en place.

Mais la crise d’octobre marque la fin d’une époque. A la fin des années 60, les organisations de la gauche nationaliste radicale s’effondrent. C’est la fin des grandes mobilisations nationalistes extra-parlementaires d’abord portées par la jeunesse étudiante.

La nouvelle période sera d’abord marquée par l’hégémonisation du PQ sur l’ensemble des forces nationalistes, sur le mouvement ouvrier et par la montée des luttes dans les rangs de ce dernier. Les luttes sont dures. La grève au journal "La Presse" en 71 débouche sur une immense manifestation syndicale dans les rues de Montréal. Cette manifestation est sauvagement réprimée par la police anti-émeute.

Le front commun du secteur public débouche sur une vague de grèves et d’occupations de villes. Sept-Iles est littéralement occupé par les travailleurs et les travailleuses. De nombreuses stations de radios sont envahies. On prend le micro sur la scène publique. Le mouvement syndical devient le centre d’attraction pour les militant-e-s qui cherchent des forces sociales pour porter leurs espérances.

Le Parti Québécois, lui, prétend apporter, et beaucoup vont le croire, une solution réaliste à la lutte nationale : la souveraineté-association. Une grande partie de la gauche de la fin des années 60 se décompose. On théorise rapidement le ralliement. L’indépendance d’abord ; le socialisme, on verra plus tard. C’est la première version de la théorie des étapes. Les étapes vont se multiplier. Chaque étape aura sa théorie propre. C’est le PQ qui recueille les fruits de la radicalisation nationaliste.

Des militant-e-s refusent cette entrée au PQ, cette démission. Ils et elles n’ont pas confiance à un ex-ministre libéral pour mener une lutte de libération nationale. Nous le savons et nous le disons. Le PQ va nous conduire au cul de sac. Il ne défend pas les intérêts des classes ouvrière et populaires mais ceux des capitalistes québécois.

Soutien ou non au PQ, c’est par là que passe la démarcation entre la gauche révolutionnaire et les réformismes de tout genre. Au PQ, il faut opposer un projet de classe. Un projet socialiste.

L’adoption par les centrales syndicales des manifestes d’inspiration socialiste laisse espérer que le mouvement syndical va se démarquer du PQ. Mais ces manifestes ont une carence fondamentale. Oui, ils parlent de socialisme. Mais ils ne disent pas un mot sur comment se battre pour ce projet de société socialiste. Ils ne disent pas un mot sur l’organisation politique ouvrière. D’ailleurs, la perspective du parti des travailleurs va être rejetée au début des années 70. La majorité des directions du mouvement syndical s’oppose à la création d’un parti des travailleurs et des travailleuses. Elles préfèrent un appui dit ou non-dit au PQ. Elles préfèrent la constitution d’un bloc du mouvement syndical et du PQ.

Tout est en place pour que la radicalisation ouvrière et populaire ne s’exprime pas directement sur le terrain politique de classe. La volonté de lutter contre l’oppression sociale et nationale, va se traduire sur le plan politique par un appui de plus en plus considérable au PQ... La radicalisation des travailleurs et des travailleuses portent le PQ au pouvoir. C’est paradoxal, mais c’est la vérité.

Début des années 70, la gauche révolutionnaire est éparpillée. Mais des comités d’action politique travaillent dans les quartiers, dans les universités et les cégeps. Sous l’impact de la révolution culturelle chinoise et du courant dominant dans le marxisme universitaire français, ces couches militantes sont devenues vaguement maoïsantes (mao-spontanéistes, disions-nous alors).

Les organisations liés à des courants internationaux (pro-chinois : Parti Communiste Canadien marxiste-léniniste, Mouvement Révolutionnaire des Etudiants Québécois) et la Ligue Socialiste Ouvrière (IVième Internationale) restent peu articulées aux couches militantes anti-capitalistes issues des luttes récentes.

II. Le Groupe marxiste révolutionnaire (1972-1977), des acquis programmatiques...

a. Des acquis programmatiques réels

Le GMR est lancé en août 1972 par une minorité de La Ligue socialiste ouvrière et de son organisation de jeunesse (La Ligue des Jeunes Socialistes). La minorité fondatrice du GMR reprochait à la majorité de la LSO une incompréhension de la question nationale du Québec et une orientation droitière dans les différents mouvements sociaux.

Le GMR défendait une série d’acquis liés en grande partie à son appartenance à la Quatrième internationale. Le GMR soutenait l’indépendance du Québec. Il se rangeait d’emblée dans le courant indépendantiste et socialiste. Seule la classe ouvrière était capable de mener la lutte pour l’indépendance jusqu’au bout et de lui donner une dimension clairement anti-impérialiste. L’indépendance serait socialiste ou elle ne serait pas.

Le GMR partageait avec la majorité de la gauche, avant l’hégémonisation "marxiste-léniniste", une vision strictement québécoise et voyait la lutte de libération nationale dans un cadre strictement québécois un peu sur le monde de la lutte de peuple irlandais. Le GMR empruntait d’ailleurs la formulation de sa perspective stratégique, "Pour le république des travailleurs du Québec" au grand révolutionnaire irlandais James Connolly. C’est à partir d’une telle compréhension que le GMR défendait une section québécoise de la IVième Internationale.

Cette compréhension de la question nationale, toute limitée qu’elle fut, permettait au GMR de se démarquer du Parti Québécois. Elle lui a permis d’éviter la démarcation maoïste du PQ qui a conduit ce courant à rejeter aussi bien le PQ que l’indépendance du Québec...

Un autre acquis programmatique précieux du GMR était est lié à sa compréhension de la question démocratique dans la révolution et dans la construction des organisations. Cette compréhension reposait sur une réflexion profonde de la Quatrième internationale sur la réalité, la variété et l’ampleur des processus de bureaucratisation.

Le GMR partageait également avec la Quatrième Internationale, une conception démocratique du socialisme et s’opposait à ses caricatures bureaucratiques. Nous luttions pour un socialisme des conseils ouvriers, un socialisme où ce n’était pas le parti qui dirigeait en tout. Nous luttions pour un socialisme où le multipartisme serait possible et nous nous opposions à la conception du parti unique. Le GMR n’a jamais cédé à la conception du parti monolithique, qui est une idée post-léniniste, stalinienne... qui a marqué l’ensemble de gauche révolutionnaire au Québec, particulièrement le courant "marxiste-léniniste" (nous le décrivions plus justement comme mao-stalinien).

Le GMR avait une sensibilité réelle face à la radicalisation des femmes. Il comprenait la nécessité pour la gauche de défendre le mouvement autonome des femmes. Jamais le GMR n’a dénoncé le féminisme comme facteur de division des forces ouvrières et populaires comme le firent les organisations mao-staliniennes jusqu’à la fin des années 70. Au contraire, il a toujours insisté que c’était l’oppression qui divisait et non l’organisation autonome des femmes visant à s’opposer à cette oppression. Il a toujours souligné les liens entre la lutte des femmes et la lutte pour le socialisme. Sa perspective centrale était : "Pas de libération des femmes sans révolution socialiste, pas de socialisme sans libération des femmes".

Le GMR a toujours été préoccupé d’un rapport démocratique aux mouvements de lutte dans lesquels il a été impliqué. Sa perspective "construire le mouvement pour construire le parti" illustre bien cette préoccupation qui est allé, malheureusement, jusqu’à négliger les tâches de construction de l’organisation au profit d’un activisme dans les mouvements de lutte. Cette attitude reposait sur la compréhension, unilatérale il est vrai, que la conscience anticapitaliste progresse davantage par les expériences concrètes que par la propagande écrite ou autre.

Le GMR plaçait la construction de l’organisation nationale dans le cadre de la construction d’une internationale. Cette préoccupation internationaliste s’est vérifiée dans la permanence du travail de solidarité internationale dans lequel le GMR a été impliqué. Rappelons simplement la construction des comités étudiants Québec-Chili en 1973 et 1974 où il a joué un rôle moteur.

b. ...limités par une compréhension gauchiste de la réalité et des tâches.

Le GMR partageait avec l’ensemble de l’extrême-gauche une analyse catastrophiste de la période politique. Des pan-entiers de la population allaient bientôt se dégager de l’influence péquiste et s’orienter vers la recherche de solutions socialistes. Le mouvement gréviste allait déborder les directions bureaucratiques. Des couches anticapitalistes entières allaient mettre à l’ordre du jour le renversement de la société capitaliste. En 1975, le GMR allait jusqu’à écrire qu’une situation pré-révolutionnaire au Québec était prévisible dans les 3 ou 4 prochaines années. Cette caractérisation de la situation, le GMR allait la converser jusqu’en mars 1976.

b.1 Le périphérisme ou la "théorie" de notre extériorité du mouvement ouvrier et populaire

Le GMR était une organisation essentiellement étudiante. Il croyait pouvoir se construire dans les révoltes de la jeunesse étudiante qui ne tarderaient pas à se produire. L’intervention dans les mouvements de révolte de la jeunesse étudiante donnerait à l’organisation la crédibilité suffisante pour lui permettre de s’enraciner dans le mouvement syndical. C’est la tactique qui a été appelé la tactique de la "périphérie (jeunesse étudiante) vers le centre" (mouvement ouvrier). Notre tâche essentielle était d’impulser et d’appuyer les luttes.

Sous l’impact des débats dans la section française de la Quatrième Internationale, le GMR élabore alors une deuxième tactique de construction. Elle est dite de "l’hégémonisation de l’avant-garde large". L’avant-garde large, c’est l’ensemble des militant-e-s anticapitalistes ou potentiellement anticapitalistes que l’on retrouvait dans les différents secteurs sociaux et d’abord bien sûr, selon le GMR, dans le mouvement étudiant. Il s’agissait d’aider à articuler des fronts anticapitalistes de masse pour permettre à ces couches militantes de développer leurs capacités d’initiatives dans l’action. En aidant l’articulation de ces couches militantes et le développement des mouvements de lutte, l’organisation gagnerait de la crédibilité et se construirait.

L’impact de la montée du mouvement gréviste et particulièrement des grèves de mai 72 avaient amené les couches militantes les plus radicalisées à se définir en fonction du mouvement ouvrier et populaire. C’est par l’hégémonisation de ces couches que ce sont construites les organisations mao-staliniennes.

Inspiré par la nostalgie de mai 68 et des mobilisations étudiantes et nationalistes extra-parlementaires de la fin des années 60, le GMR s’est heurté frontalement au mode spontané de radicalisation des couches militantes au Québec à ce moment-là. Pour le moins sa pensée retardait sur le réel.

Et ce retard s’est révélé à plusieurs niveau. Le GMR, des premières années (1972-1976) s’est opposé à la lutte pour un parti des travailleurs et des travailleuses, alors que les militant-e-s syndicaux de gauche dans le mouvement syndical menaient des combats importants pour la mise sur pied d’un tel parti. Le GMR condamnait ce combat, un peu à l’image des mao-staliniens plus tard, au nom du parti révolutionnaire. On ne comprenait pas que le dégagement du mouvement syndical de l’emprise de l’idéologie dominante sera un processus complexe s’étendant sur des périodes de temps prolongées et pouvant prendre toute une série de formes.

Même dans le milieu où il retrouvait l’ensemble de sa base sociale, le milieu étudiant, le GMR s’est avéré incapable de comprendre l’importance des combats menés par la couche militante. L’ANEQ fut, dans un premier temps, perçu comme une organisation étudiante corporatiste. Comment le GMR a-t-il pu faire une telle erreur ? L’explication est relativement simple. L’expérience avait montré (le Mai français, la fin des années 60 au Québec) qu’en période de radicalisation du mouvement étudiant, les organisations syndicales étudiantes ont tendance à éclater. Ce qu’il fallait construire, avançait alors le GMR, pour pouvoir organiser la révolte de la jeunesse, c’étaient des cadres de masse anti-capitalistes... C’est alors que nous avons proposé de construire la Tendance Anti-Capitaliste (la TAC). Le GMR a dû se rendre compte assez rapidement que la TAC n’était que lui et sa périphérie immédiate.

III Les facteurs qui ont favorisé l’hégémonisation de la gauche révolutionnaire par le courant mao-stalinien

Nous étions pris dans un cercle vicieux. Nous étions de bon-ne-s militant-e-s dans l’intervention mais nous étions incapables de récupérer des initiatives que nous prenions.

En plus de s’appuyer sur une sensibilité maoïsante d’une large couche de militant-e-s, le courant mao-stalinien répondait à deux nécessités perçues par les militant-e-s qui avaient traversées trois, quatre, cinq ans de travail artisanal, localiste ou sectoriel. D’une part, les militant-e-s comprenaient la nécessité de s’organiser de façon unitaire et centralisée sur une base programmatique homogène et d’en finir avec des efforts se faisant en ordre dispersé. D’autre part, ils-elles ressentaient la nécessité de renforcer leurs liens avec la classe ouvrière. Les organisations staliniennes répondaient à cette double aspiration.

Et c’est à partir des attitudes de la direction chinoise vis-à-vis du stalinisme que des couches entières de militant-e-s passèrent du mao-populisme au stalinisme et que les mythes sur le caractère révolutionnaire de la politique stalinienne firent leur chemin. Et si ceci fut possible, c’est que le stalinisme avait été, jusqu’à ce moment-là au Québec, un phénomène assez marginal et qu’il était dans sa pratique concrète un phénomène inconnu. C’est cette profonde méconnaissance qui a permis l’acceptation d’emblée de ce marxisme dégénéré.

Le GMR porte aussi sa responsabilité dans l’hégémonisation des couches militantes anticapitalistes par le mao-stalinisme. Le GMR a compris tardivement (en 1977 en fait) la nécessité de placer le travail de construction de l’organisation d’avant-garde au centre de ses préoccupations. Il a mis, de façon unilatérale, l’accent sur le développement et l’auto-organisation du mouvement de masse gommant ainsi le rôle spécifique de l’organisation révolutionnaire. Son analyse de la situation laissait place à des surestimations outrancières qui l’amenaient à se fixer des tâches impossibles à réaliser. Son projet stratégique était suspendu à une seule formule "Pour la république des travailleurs du Québec". La lutte politique et idéologique pour défendre les thèses marxistes révolutionnaires n’était pas une priorité. Le tournant vers le mouvement syndical ne fut pris en charge que très tardivement. Tout ceci a aidé les organisations mao-staliniennes à occuper la majeure partie du champ de l’extrême-gauche dans les années 70.

Nous avions là l’ensemble des recettes pour faciliter notre marginalisation et l’hégémonisation de la gauche révolutionnaire par le courant mao-stalinien (1974-1977).

IV. Le mûrissement politique du GMR, un phénomène tardif qui ne peut empêcher sa marginalisation à l’intérieur de la gauche révolutionnaire...

A partir de 1976, s’opèrent une série de débats importants au sein du GMR qui débouchent sur une analyse plus poussée et plus objective de la situation de la bourgeoisie, du mouvement ouvrier et des autres mouvements sociaux et des couches militantes. Ces débats mènent à une rupture radicale avec le catastrophisme en matière d’analyse de la période. La période est justement définie comme celle d’une montée de l’influence péquiste dans la population et d’un dégagement très minoritaire et très lent des couches militantes anticapitalistes. Le GMR rejette l’idée qu’il existe des couches militantes anticapitalistes pouvant agir de façon indépendante des organisations d’extrême-gauche. Il rompt avec son liquidationnisme passé. Il critique sa vie de comité de lutte polyvalent ballotté par les flux et les reflux des différents mouvements où il intervient.

En 1976 également, GMR abandonnait ses "théories" gauchistes sur le mouvement étudiant et il sait apporter une contribution réelle au mouvement étudiant en participant à la lutte pour la démocratisation de l’ANEQ.

En 1977, le GMR prépare son deuxième congrès. Une série d’orientations nouvelles sont proposées.

Sous l’impact de la grève générale pan-canadienne de 1976, des débats avec les camarades du RMG, des débats avec la LSA-LSO, de la perspective pan-canadienne véhiculée par les organisations mao-staliniennes, le GMR redéfinit sa stratégie où il n’est plus simplement question de la lutte de libération du Québec dans une perspective socialiste, mais également d’alliance ouvrière pan-canadienne et de lutte contre l’Etat fédéral. Cette élaboration débouche sur la proposition de reformer une organisation à l’échelle de l’Etat canadien.

Dépassant, l’analyse unilatérale du développement de la conscience de classe, le GMR comprend l’importance cruciale de la lutte pour un parti des travailleurs et des travailleuses. La lutte pour la rupture des travailleurs et des travailleuses avec les partis bourgeois ne peuvent pas uniquement se concevoir comme un ralliement aux organisations révolutionnaires... ce qui est et va rester le choix d’une toute petite minorité des masses. Les organisations syndicales, qui sont les seules organisations de masse de la classe ouvrière, doivent jouer un rôle pour favoriser cette progression de l’autonomie politique.

C’est une rupture essentielle qui permet au GMR d’articuler sa lutte à une partie de la gauche syndicale qui fait de cette perspective un axe de ce combat. C’est position lèvera un obstacle dans l’établissement de meilleurs rapports de collaboration avec les autres composantes de la gauche qui se situent sur le terrain du trotskysme.

Le GMR commence alors à dépasser son périphérisme tant au niveau de sa composition sociale (exclusivement étudiante) que de ses secteurs d’intervention. Des militant-e-s deviennent actifs-ves dans des syndicats hospitaliers, aux postes, dans l’automobile... Le GMR commence à placer sa propre construction et la diffusion de ses conceptions stratégiques au centre de ses préoccupations.

Tout cela constituait un rupture notable avec ce qu’était le GMR.

V. La fusion, la fondation de la LOR ou "on ne rattrape pas si facilement le temps perdu"

En aoû1977, le Groupe Marxiste Révolutionnaire, le Revolutionary Marxist Group (groupe sympathisant de la IVième Internationale au Canada-anglais avec lequel le GMR entretenait des liens étroits), et la League for Socialist Action-Ligue Socialiste Ouvrière (section de la IV Internationale) fusionnaient pour former une nouvelle organisation trotskyste dans l’Etat canadien.

La grève générale pan-canadienne du 14 octobre 1976 marquait alors le point culminant du mouvement gréviste dans l’Etat canadien, beaucoup plus que l’annonce d’une nouvelle montée ouvrière, comme nous le pensions encore. Le PQ prenait le pouvoir en 1976 introduisant une crise politique d’ampleur dans l’Etat canadien. Des débats importants se développaient dans le mouvement ouvrier : pour ou contre le tripartisme ; pour ou contre la participation aux sommets économiques ; pour ou contre l’indépendance du Québec ; quelle place faire aux revendications des femmes...

Le renversement de tendance n’était pas encore clair. Le rejet du mouvement syndical sur la défensive à partir du milieu des années 70 n’était pas apprécié encore correctement. Les mouvements de femmes élargissait sa lutte pour l’avortement libre en 1977 et 1978. La radicalisation féministe s’enracinait dans les syndicats. Le cours de la situation offrait encore de bonnes possibilités de construire une organisation révolutionnaire, du moins d’assurer une première accumulation de militant-e-s. Les organisations mao-staliniennes en faisaient d’ailleurs la preuve. Il était possible de construire une organisation capable de devenir un véritable pôle d’attraction parmi les couches militantes les plus radicalisées.

Sur l’ensemble des grandes questions, il y avait une convergence politique avec la LSO : l’analyse de la situation politique, la nécessité de la lutte pour le parti des travailleurs et des travailleuses ; l’importance à accorder à la lutte pour l’avortement libre ; le travail à faire dans le mouvement étudiant ; la nécessité de s’attaquer à construire une organisation pan-canadienne...

Le désir de rattraper le courant mao-stalinien ou plus simplement de se placer dans une meilleure position dans la course a eu un impact important pour motiver cette fusion. Cette fusion permettait d’emblée de se retrouver avec deux bi-mensuels (un en français et un en anglais) ; de compter sur environ 400 militant-e-s à l’échelle pan-canadienne et d’espérer des développements plus importants ; la présence de 500 délégué-e-s et observateurs au congrès fusion en aoû1977 devait confirmer les militant-e-s du GMR dans cet espoir. Nous comptions d’ailleurs que la dynamique de la fusion favoriserait également des rapprochements avec le Groupe Socialiste des Travailleurs du Québec (GSTQ, groupe trotskyste lambertiste ayant une implantation syndicale réelle) et éventuellement une fusion avec cette organisation.

Le processus de rapprochement entre le GMR et la LSO fut amorcé en 1977. Le processus de rapprochement s’accéléra. En juin 1977 il fut décidé de fusionner en sept semaines.

Le fusion fut précipitée par les instances dirigeantes des organisations fondatrices respectives sans se donner le temps de d’éclairer les divergences qui existaient encore ; sans un débat plein et entier favorisant la participation de l’ensemble des militant-e-s. Toute une série d’accords temporaires allant des questions stratégiques aux modalités de fonctionnement de l’organisation furent bricolés rapidement. Des militantes de l’organisation furent particulièrement outrées par ce manque de démocratie dans la démarche.

L’organisation fusionnée vit son recrutement augmenté. Ses meetings attirèrent plus de militantes du mouvement syndical et des autres mouvements sociaux que jamais. La première année de la LOR-RWL (1977-1978) fut une année marquée par des succès certains dans la construction d’une organisation trotskyste dans l’Etat canadien.

Mais bientôt, dans l’intervention, dans l’écriture des articles, dans les contenus de formation des militant-e-s, les divergences politiques importantes resurgirent. Fallait-il avancer le mot d’ordre "Pour un gouvernement NPD ?", mot d’ordre traditionnel de la LSA-LSO ou devions-nous prôner l’abstention aux élections, position traditionnelle du GMR ? Avancions l’appel au vote NPD ou Canada-anglais tout en le rejetant au Québec ? Comment expliquer donner à notre soutien à l’indépendance ? Des réponses divergentes ne faisaient que se multiplier.

Les divergences s’articulaient autour de trois problématiques : quelle était l’importance de la question nationale québécoise dans la révolution canadienne ; quelle forme et quel rythme devait prendre l’implantation dans le mouvement ouvrier ; enfin quelle importance accordée aux nouvelles radicalisations : la place de la lutte des femmes et des gays et lesbiennes.

La place de la question nationale québécoise devait pour des militant-e-s, en provenance des diverses organisations fondatrices d’ailleurs, mais principalement du GMR et du RMG, déboucher sur un processus d’élaboration nouveau. L’existence d’un cadre canadien d’élaboration permettait d’élargir la question nationale à la prise en compte des autres nationalités opprimées. Le forme de l’Etat canadien, défini comme un Etat, bâtie sur l’oppression du nationale du Québec et des autres nationalités opprimées définissait également ses lignes de fracture possible sur lequel, il fallait frapper. La crise politique induite par la prise du pouvoir par le PQ et la montée du mouvement nationaliste au Québec qui ne recherchait même pas un affrontement direct avec l’impérialisme canadien nous renforçait dans cette perspective... Il fallait voir que l’alliance ouvrière pan-canadienne des classes ouvrière et nationalités opprimées devait tenir compte radicalement de ce mode de construction de l’Etat canadien. La recherche de l’autonomie politique des classes dans chaque nation par rapport au parti bourgeois devait s’articuler, au Québec, à la lutte pour arracher aux nationalistes bourgeois la direction du mouvement national et, au Canada-anglais, à la lutte pour faire rompre le mouvement ouvrier d’avec son soutien au fédéralisme centralisateur et qu’il reconnaisse le droit du Québec à l’autodétermination. A tout cette conception, le courant en provenance, pour sa majeure partie, de la LSA-LSO opposait, comme toute stratégie, l’appel au vote pour un gouvernement NPD et des organisations du mouvement ouvrier québécois.

Mais ce fut autour du débat sur le tournant ouvrier qui engagea une dynamique fractionnelle dans la LOR-RWL. L’enracinement de l’organisation dans le mouvement syndical était une priorité reconnue de tous et toutes les camarades. Mais pour les camarades en provenance de la LSO-LSA, il fallait amener l’ensemble des camarades à se chercher un emploi dans l’industrie. Tous et toutes les camarades, y compris les camarades ayant une longue expérience syndicale dans des syndicats du secteur public, devait abandonner leur emploi pour s’orienter vers les syndicats industriels. Tous les problèmes politiques devaient trouver leur solution dans l’embauche des camarades dans des emplois industriels. Ceux et celles qui refusaient de s’engager dans ce tournant industriel étaient caractérisés de petits-bourgeois s’opposant à la "ligne prolétarienne" que ce courant prétendait défendre. Les militant-e-s du Québec, qui refusaient de sacrifier l’implantation syndicale dans le secteur public, cédaient aux pressions du nationalisme petit-bourgeois.

Ce courant ouvriériste a commencé à identifier des divergences tactiques ou conjoncturelles avec des divergences programmatiques ; des divergences politiques avec des intérêts de classes différents. La dynamique de la lutte fractionnelle a fait le reste pour rendre le climat irrespirable et provoquer la fuite de nombreux militant-e-s.

La compréhension économiste et ouvriériste dans l’implantation dans la classe ouvrière provoqua des régressions politiques dans la compréhension de l’organisation du mouvement des femmes. L’intervention dans le mouvement des femmes fut réduite à la lutte pour l’embauche des militantes dans les ghettos d’emplois masculins, lutte importante mais à laquelle on ne peut réduire l’apport considérable de la radicalisation des femmes et du mouvement des femmes à la critique de la domination capitaliste.

La logique du courant ouvriériste l’amenait à négliger l’intervention dans une échéance politique aussi centrale que le référendum. C’est envers et contre ce courant qu’une approche prônant l’annulation au nom de la défense de l’indépendance du Québec et de l’autonomie du mouvement syndical fut élaborée. De facto, les militant-e-s de ce courant refusèrent de faire campagne autour de cette échéance importante.

Le profil économiste, ouvriériste que prenait l’organisation amenèrent d’autres militant-e-s à fuir la LOR/RWL. Et ces départs se firent bientôt par tendances entières... En moins d’un an (avril 1979-avril 1980), la LOR-RWL connut une véritable processus d’autodestruction.

Ce qui restait du courant marxiste-révolutionnaire plutôt que de s’épuiser dans une lutte interne stérile et démobilisante pour le redressement de la LOR-RWL décida pour protéger les acquis politiques de la fusion de recommencer à bâtir un nouveau cadre organisationnel, ce sera l’Organisation Combat socialiste-Socialist Challenge Organization.

VI. Combat socialiste, la défense des acquis politiques dans une période de recul et de décomposition de l’extrême-gauche

C’est dans un contexte très difficile qu’est apparu Combat socialiste à l’automne 80. Le mouvement syndic+al traverse une période de crise. Il ne parvient que difficilement à résister à l’offensive patronale. Les mouvements de masse piétinent. Au niveau national, après la défaite du référendum, le gouvernement fédéral avait poursuivi son offensive en lançant le rapatriement de la constitution canadienne.

Les couches militantes anticapitalistes se décomposent...La gauche maoïste rentrait dans une période de disparition rapide. Penser la lutte pour le socialisme dans le cadre du stalinisme ne fut pas sans causer des difficultés importantes : incompréhension de la question nationale, incompréhension de la radicalisation des femmes, mise en place de rapports autoritaires avec le mouvement de masse, régime intérieur des organisations marqué par le centralisme bureaucratique.

A un autre niveau, l’allongement des rythmes de la révolution mondiale avait débouché pour toute une génération militante sur la crise du militantisme lui-même. A l’été 82, En lutte se dissout. Quelques mois plus tard, le Parti Communiste Ouvrier se fait harakiri. Pour sa part, la LOR-RWL continue à dépérir.

Il fallait nous aussi repenser les échéances de la lutte révolutionnaire dans les pays capitalistes avancés. La construction d’une organisation révolutionnaire serait un processus très long et très complexe passant pour toute une série d’expériences particulières.

La compréhension politique de la crise du mouvement ouvrier et de la transformation du rapport de force entre classes, la compréhension de l’emprise réformiste sur les masses, l’absence d’illusions sur la bureaucratie chinoise et son cours ; la compréhension apportée de l’Internationale des conflits armés interbureaucratiques, comme ceux qui se développaient alors entre les régimes khmers rouges et vietnamiens et entre ce dernier et le régime chinois, l’attachement au programme historique de la Quatrième Internationale permettent aux militant-e-s de l’OCS d’éviter la dérive qui a mené d’autres organisations de la gauche révolutionnaire à se saborder.

Durant ces seize mois d’existence, l’OCS avait n’avait pas chômé. Une presse régulière est mise sur pied ; l’organisation s’est impliqué dans le travail de syndicalisation des caisses populaires, dans le travail de solidarité internationale avec la lutte révolutionnaire du peuple du Salvador ; elle a aussi mené un travail de solidarité avec la lutte de Solidarnosc en Pologne et avec les féministes soviétiques. Elle a également apporté une contribution sur le débat qui traverse alors le groupe En lutte !...

A l’interne, les camarades femmes tiraient des leçons essentielles de l’expérience vécue dans la LOR-RWL et dégageaient ce qui est nécessaire pour donner toute leur place aux femmes dans l’organisation révolutionnaire : l’importance du caucus non-mixtes, des assemblées générales de femmes, des listes alternatives pour les tours de parole et du climat général à créer dans les débats... Tout ces développements seront des acquis précieux pour Combat socialiste et notre courant.

Mais les militant-e-s de l’OCS comprennent vite qu’aucune organisation ne pourra se construire par un simple recrutement de militant-e-s à l’organisation. Seules les organisations qui sauront s’insérer dans la recomposition des couches militantes encore agissantes pourront faire des progrès importants en étant partie prenante de la progression politique de ces couches.

Sous la pression des conditions objectives, la tactique de construction qu’élabore l’OCS pourrait se résumer ainsi : l’OCS ne saura se construire que si elle devient un instrument de la construction d’un mouvement socialiste unitaire pour l’indépendance, une force agissante dans le regroupement des couches indépendantistes et socialistes et le renforcement de leurs capacités d’action. En fait ce n’est pas une tactique de construction de l’OCS, c’est une tactique de construction du courant indépendantiste et socialiste. C’était une approche mouvementiste. Cette analyse devait nous conduire quelques mois plus tard à entrer dans le Mouvement Socialiste.

VII. le passage au Mouvement socialiste, participer a la recomposition de la gauche

Combat socialiste décide donc de se dissoudre et d’entrer au Mouvement socialiste (MS)... lancé depuis peu par le Groupe des 100.

a. Notre objectif dans le Mouvement socialiste

Notre objectif en rentrant au MS était de contribuer à sa construction sans renier notre programme comme nous l’avions fait savoir à la direction du Mouvement Socialiste. Nous pensions que le MS aurait un fort pouvoir d’attraction et qu’il deviendrait le cadre politique organisateur de tout le courant socialiste, féministe et indépendantiste, regroupant toutes les sensibilités politiques de l’extrême-gauche à la social-démocratie. Les débats politiques menées avec un esprit unitaire permettraient une maturation de la conscience politique de ses membres.

b. Les conditions d’une telle perspective

Trois conditions rendaient possible une telle perspective : un développement rapide du Mouvement socialiste ; la définition du Mouvement comme front uni de la gauche socialiste, féministe et indépendantiste et pour ce faire l’institution de modalités de coexistence des courants différents politiques, le refus, donc, de la reconversion du MS en parti politique et enfin, une intervention visant à regrouper dans l’action la gauche des mouvement sociaux.

Mais aucune de ces conditions ne furent remplies. Essentiellement parce que la condition qui aurait débloqué toutes les autres, la croissance rapide du MS, ne se produit pas. Les milliers de personnes qui avaient acheté le Manifeste ne rejoignirent pas le MS. Les obstacles dressés par les conditions objectives sur la route de la construction du MS, nous les comprirent trop tard ?

b.1. La situation des couches militantes, l’obstacle décisif à la croissance du MS

Le Mouvement socialiste est apparu dans le contexte d’une rupture de masse avec le Parti québécois, d’un recul du mouvement syndical et de la décomposition de l’extrême-gauche des années 70.

La rupture avec le Parti québécois se faisait suite au cours néo-fédéraliste que le PQ et à cause de l’orientation profondément anti-syndicale adoptée vis-à-vis des travailleuses du secteur public. Cette rupture n’était pas une rupture sur la gauche avec le projet nationaliste, populiste et moderniste jadis véhiculé par le PQ. Il s’agissait d’une rupture avec un parti qui avait trahi son projet initial. Cette rupture a le plus souvent débouché sur un rejet de toute politique. Les formes de conscience qui en découlaient restaient au mieux dans le cadre d’un réformisme interclassiste. Elle n’impliquait pas la volonté de s’engager de façon militante.

Pourquoi les couches militantes qui se définissaient d’abord par rapport aux organisations syndicales et populaires ont-elles adhéré en nombre si réduit au MS ? Le recul et démobilisation du mouvement syndical sous le poids de la crise et de la cuisante défaite imposé par le PQ au mouvement syndical dans le secteur public avaient amené ces militant-e-s syndicaux à un repli sur les organisations qui leur apparaissaient comme les seuls acquis organisationnels concrets. Toute croyance en la possibilité d’un transfert facile et automatique des loyautés du PQ au Mouvement socialiste ou d’une transcroissance d’une conscience syndicale en une conscience socialiste méconnaissait l’ensemble des réalités mentionnées.

b.2 Le refus de la définition du Mouvement comme front uni de la gauche socialiste, féministe et indépendantiste...

L’indéfinition programmatique du MS à son origine rendait possible sa définition comme front uni de la gauche socialiste, féministe et indépendantiste. Le Manifeste parlait de socialisme mais de quel socialisme s’agissait-il ? Il ne le disait pas. Le manifeste parlait de démocratie. Mais, il n’en précisait pas le contenu. Il ne soufflait pas un mot non plus sur le féminisme dont il se faisait le porteur. Comment parvenir à ces objectifs ? Il n’abordait pas les questions de stratégie. En toute logique, un débat large et ouvert devait s’ouvrir dans le MS sur les questions les plus fondamentales.

D’emblée la direction du MS va refuser de reconnaître cette réalité du Mouvement socialiste comme carrefour de courants, comme une gauche unie où toutes les sensibilités politiques du mouvement indépendance et socialiste au Québec pourraient se retrouver...

b.3 ... Le refus de l’institution de modalités de coexistence des courants différents politiques

Et pourtant différents courants politiques existaient dans le MS.Il y avait un courant social-démocrate, lui-même hétérogène, dont une bonne partie rejoignit plus tard le NPD-Québec, un courant nationaliste de gauche, un courant basiste, un courant marxiste, dont les ex-militant-e-s de Combat socialiste constituaient l’épine dorsale mais qui était plus large que les militant-e-s en provenance de cette organisation.

Mais le courant social-démocrate à la direction ne voyait dans la première accumulation de militant-e-s qu’un premier moment pour le lancement d’un parti politique oeuvrant sur la scène électorale. Elle imposera enfin cette perspective en poussant dehors la gauche marxiste par l’interdiction du droit de tendance.

Le débat sur le droit de tendance a été imposé à la gauche marxiste dans le mouvement, pour éviter que cette dernière puisse participer aux débats de fond sur la stratégie du mouvement. Malgré l’apport militant de la gauche marxiste à la construction du MS, on trouvait inacceptable qu’il puisse défendre ses idées dans le MS. Pourtant, nous avons beaucoup apporté au MS. Le programme sur l’emploi du MS a été fortement marqué par nos conceptions. Les structures organisationnelles facilitant l’intégration des femmes dans une organisation mixte est pour beaucoup redevables des élaborations que les femmes de l’OCS avaient faites et de la collaboration qu’elles avaient sue établir avec d’autres féministes dans le MS.

b.4 Le refus de l’intervention visant à regrouper dans l’action la gauche des mouvement sociaux.

D’emblée, la direction du MS se définit en opposition à l’intervention dans les mouvements de masse et particulièrement dans le mouvement syndical. C’est le refus de ce qui fut nommé "l’entrisme" dans les mouvements sociaux. Il y avait plusieurs motivations à ce refus de l’intervention organisée de militant-e-s politiques dans les mouvements sociaux. D’une part, il y avait le refus de se faire identifier et de répéter l’expérience des mao-staliniens qui étaient intervenus, sans respecter souvent, la démocratie interne aux organisations au nom de la défense de l’orientation correcte. D’autre part, il y avait l’espoir que les directions syndicales, du moins certains secteurs de ces dernières, puissent donner leur aval à la construction MS si on leur assurait que le MS respecterait la séparation entre le syndical et le politique si cher à ces directions. Mais cet aval ne vint pas.

Ce refus d’intervenir dans les mouvements sociaux laissait un choix au MS, soit devenir une machine électorale, soit se contenter d’une propagande abstraite sur la nécessité du socialisme.

En rejetant l’intervention du MS dans les mouvements sociaux et dans le mouvement syndical en particulier, le MS dressait un autre obstacle à sa construction.

La direction a refusé traduire sa lutte pour le socialisme en termes de revendications, de moyens d’actions et d’orientations stratégiques pour les luttes concrètes des organisations de masse. Cela a voulu dire concrètement l’impossibilité d’amorcer une concertation nationale du travail syndical, l’impossibilité de prendre des positions internationalistes militantes et d’engager le mouvement dans les campagnes existantes de soutien aux nations opprimées en Amérique centrale, Pologne), l’impossibilité finalement d’appliquer les acquis des structures non-mixtes de femmes et de se tourner vers l’intervention dans le mouvement autonome des femmes... pour y développer des perspectives féministes et socialistes. En fait, rien pour prouver que le Mouvement socialiste soit un instrument important à construire.

c. Une occasion perdue

Nous n’avons pu faire comprendre la nécessité d’un mouvement socialiste unitaire et pluraliste ; nous n’avons pu amener la direction du MS à faire un débat programmatique et stratégique franc et ouvert en acceptant toutes les contributions militantes qu’elles que soient l’orientation proposée pourvu qu’elle se fasse dans le cadre de la défense de l’indépendance, du socialisme, de la démocratie et de l’égalité des hommes et des femmes.

Durant ce temps, comme noyau militant, nous avions pris des risques importants pour pouvoir participer à la construction du MS : dissoudre notre cadre organisationnel, interrompre la publication de la presse, liquider notre appareil, fermer nos librairies, cesser la formation à nos conceptions politiques, cesser de discuter collectivement comme marxiste-révolutionnaire de notre intervention dans les mouvements sociaux... Des acquis et des traditions organisationnelles furent perdues...

La tendance Gauche socialiste, formée pour la défense de la démocratie et une orientation lutte de classe dans le MS, a dû quitter après son interdiction formelle en juin 83.

VIII. CONSTRUIRE GAUCHE SOCIALISTE ET PRENDRE EN COMPTE LES ÉCHÉANCES RÉELLES

A. Une conjoncture de recul"

1982-83, c’est la crise. Le chômage est très massif. Et cela pèse lourd sur les capacités de mobilisation du mouvement syndical. La lutte pour l’emploi est à l’ordre du jour mais ce sont les projets de concertation sociale qui tendent à dominer. Le gouvernement péquiste vient d’affliger une défaite majeure aux travailleuses et aux travailleurs du secteur public. Les caucus de gauche se décomposent. Il y a pas de dégagement de couches militantes anti-capitalistes sur une base le moindrement importante.

B. Les grandes étapes de la définition du profil politique de Gauche socialiste

Gauche socialiste est formé à la deuxième réunion nationale de la tendance les 10 et 11 septembre 83. Mais pour un bon nombre de militant-e-s de la tendance, la défaite subie dans le MS, devaient les conduire à se replier sur la vie privée.

Gauche socialiste va se former comme une organisation transitoire. Elle se définit comme une organisation socialiste, féministe, indépendantiste, favorisant la démocratie socialiste. Au niveau de son orientation, elle favorise l’intervention dans les luttes sociales concrètes afin de favoriser l’élaboration de perspectives anticapitalistes dans l’action.

La première plate-forme de Gauche socialiste ne fait aucune référence au trotskysme et à la Quatrième Internationale. Nous comprenions qu’il fallait une bonne période de débats avec les camarades qui avaient rejoint la tendance dont les bases n’étaient pas trotskystes.

Après un an de pratiques et plusieurs mois de discussion, le IIè congrès de Gauche socialiste, en 1984, acceptait une nouvelle base d’unité et une résolution expliquant pourquoi nous adhérions à la Quatrième Internationale (Quelle internationalisme, quelle Internationale).

Enfin, un troisième moment dans la détermination de notre profil politique fut accompli par le congrès de fusion avec les forces trotskystes de l’Alliance for Socialist Action du Canada-anglais.

Il faut rappeler que Combat socialiste était déjà une organisation pan-canadienne... Ce choix découlait du maintien de l’essentiel de l’élaboration de notre courant au sein de la LOR-RWL en 1978-79-80 sur les questions stratégiques.

L’entrée des militant-e-s de l’OCS dans le MS avait fait disparaître l’organisation de notre courant à l’échelle pan-canadienne. Avec l’apparition de Gauche socialiste comme organisation québécoise, de fait, les bases politiques de la nécessité de construire une organisation au niveau de l’ensemble de l’Etat canadien devaient être rediscutées.. Un processus de clarification sur les questions stratégiques devait de nouveau irriguer l’organisation. Ces débats devaient déboucher sur le congrès de fusion de mai 1988. L’Unification de Gauche socialiste et de l’Alliance for Socialist Action a constitué un pas important vers le dépassement de la fragmentation des forces de la IVième Internationale dans l’Etat canadien. En fait, il faut remontrer en 1979 pour trouver une organisation de la IVième Internationale présente dans autant de villes au Canada et au Québec. Dès sa fondation Gauche socialiste-Socialist Challenge peut compter sur l’apport de camarades qui militent dans le mouvement ouvrier du Québec et du Canada, dans le mouvement des femmes, des jeunes, dans le mouvement gai, dans le travail de solidarité avec les peuples d’Amérique centrale... de Vancouver à Québec. C’est encore peu, mais c’est déjà quelque chose en regard de la période recul que nous venions de traverser.

C. Se construire dans les luttes

Gauche socialiste s’est d’abord donnée pour tâche de construire le mouvement pour l’autonomie politique de la classe ouvrière. Elle a articulé ce travail autour de la lutte pour une coalition ouvrière, populaire féministe et jeune. Elle a cherché à d’être partie prenante de l’ensemble des nouveaux sociaux : mouvement féministe, mouvement pacifiste, mouvement des jeunes contre la réforme de l’aide sociale. Gauche socialiste a participé la la création du RAJ, à celle de la Coalition québécoise pour le désarmement et la paix, à celle de SCRAP-Paradis, à celle de la Coalition québécoise pour l’avortement libre et gratuit... Et ces années-ci, elle a recommencé à militer dans le mouvement étudiant...

IX. Garder le cap sur la construction de l’organisation révolutionnaire

Oui, il faut repenser les échéances de la perspective révolutionnaire. Le combat sera plus long, plus complexe... que nous l’avions d’abord pensé. Mais en dépit des pleurs et des rires des sceptiques et des àquoibonnistes de tout genre, notre travail patient dans les luttes concrètes nous prouvent l’importance de notre combat et de garder le cap sur la construction d’un pôle révolutionnaire.

C’est la nécessité de rassembler ceux et celle qui s’identifient au combat pour une société socialiste autogestionnaire, féministe et antibureaucratique qui fonde la nécessité de la lutte pour la construction d’une organisation révolutionnaire socialiste qui saura tisser des liens profonds dans la classe ouvrière et les couches populaires, nouer des rapports de confiance avec les travailleurs et les travailleuses les plus actifs et actives et tracer la continuité d’un projet social à travers les luttes quotidiennes.

Au Québec, toute une génération de la gauche révolutionnaire a laissé tomber parce qu’elle avait surestimé le rythme des échéances et qu’elle n’avait pas su mener les analyses nécessaires avec rigueur, qu’elle n’avait pas su se fixer les tâches à la mesure de ses moyens, qu’elle n’avait pas su comprendre les besoins politiques des militant-e-s dans les mouvements sociaux, parce qu’elle n’avait pas su placer la démocratie socialiste et le respect des dynamiques des organisations de masse au centre de son combat.

Mais les leçons du cheminement de la gauche révolutionnaire et des marxistes-révolutionnaires en particulier parlent aussi de ce qui est nécessaire pour construire une organisation révolutionnaire : des analyses sérieuses de la situation politique et des rapports de force entre les classes, des conditions permettant un débat démocratique enrichissant, des politiques d’intégration des femmes et des autres secteurs opprimées de la population, des tâches qui sont fixées à la hauteur de ses moyens...

Des couches entières de militant-e-s sont en recherche. La radicalisation actuelle est encore diffuse, instable. Mais les combats à mener comme les combats qui se mènent présentement, posent encore une fois la nécessité d’une organisation révolutionnaire qui s’efforce de s’opposer à la tendance à la fragmentation et à la dispersion des forces et qui place au centre de son combat la nécessaire unité dans la lutte.

La bataille pour une organisation révolutionnaire, c’est n’est pas la recherche d’un repliement sur les principes purs et durs pour mieux attendre le grand soir, c’est la conséquence logique du refus de ce système et de la nécessité de rassembler les forces qui partagent cette perspective... au delà de leur identité partielle comme militant-e d’un mouvement social particulier.

Nous pensons que la meilleure façon de peser sur le développement de la situation actuelle, c’est de construire une organisation révolutionnaire capable de s’attaquer dès maintenant à la dispersion et à la division et de lutter pour l’unité autour d’un projet de société socialiste, féministe et démocratique.

Bernard Rioux

1989