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Campagne dette : Mise en perspective

Eric Toussaint - Arnaud Zacharie (CADTM)

2002

La campagne internationale en faveur de l’annulation de la dette du Tiers Monde est aujourd’hui centrale au sein du mouvement altermondialiste. Forte de la plus grande pétition de l’histoire de l’humanité (24 millions de signatures collectées entre 1998 et 2000), elle rassemble des mouvements hétéroclites éparpillés sur tous les continents. Si la problématique de la dette du Tiers Monde n’est pas neuve (la crise de la dette actuelle prend son origine dans le défaut de paiement décrété par le Mexique en août 1982), il aura fallu plusieurs années pour former un réseau international d’une telle envergure. Dans le Tiers Monde, la campagne pour le non-paiement de la dette extérieure a pris, entre 1982 et 1990, un caractère populaire et massif en Amérique latine, continent le plus touché par la crise. De nombreuses organisations syndicales et paysannes latino-américaines ont tenté de promouvoir une solidarité continentale appuyée par Fidel Castro . En 1985, le président du Pérou, Alan Garcia, décide de limiter à 10% des revenus d’exportation le remboursement de la dette. Les Etats-Unis réussissent à l’isoler et à le déstabiliser. Finalement, les gouvernements latino-américains n’eurent pas la volonté de constituer un front latino-américain pour le non-paiement. Dans la deuxième moitié des années ’80, en Afrique subsaharienne, des voix de plus en plus nombreuses se sont fait entendre pour exiger l’arrêt des remboursements. Thomas Sankara, le jeune président du Burkina Faso, proposa lors d’une réunion de l’OUA à Addis-Abeba de constituer un front africain pour l’annulation de la dette. Après son assassinat, on ne trouvera pas un seul chef d’Etat africain pour faire avancer ce combat.

Au Nord, certaines organisations ont fait office de pionnières, telle l’AITEC à Paris, qui a abordé le sujet dès 1983, ou le CADTM en Belgique, qui a poursuivi à partir de 1990 la campagne "Ca suffat comme ci" lancée lors du G7 de 1989 à Paris. Plusieurs livres écrits par Susan George ont eu une influence non négligeable pour renforcer le mouvement dans sa phase initiale. La campagne internationale a pris un nouvel élan à la fin des années 90, avec le lancement de la campagne Jubilé 2000 (avec le soutien de l’Eglise catholique et des Eglises réformées). En mai 1998, lors du G8, à Birmingham, 70.000 Britanniques manifestent pour l’annulation de la dette des pays pauvres à l’appel de Jubilé 2000 Grande Bretagne.

En 1999, à Johannesburg, la campagne Jubilé Sud est officiellement fondée. Son siège est aux Philippines et elle regroupe des organisations de tous les continents du Sud (Asie, Afrique, Amérique latine), coordonnées par pays et par continents. D’autres réseaux se créent dans plusieurs pays du Nord, notamment en France avec la campagne "Dette et Développement", qui regroupe des ONG, des syndicats et des associations comme ATTAC . En Espagne, s’est constitué en 1999 le Réseau Citoyen pour l’Abolition de la Dette Extérieure (RCADE) qui a organisé un referendum pour l’annulation de la dette avec la participation de plus d’un million de votants le 12 mars 2000. Le réseau CADTM s’est également développé à la fois au Nord (Belgique, France, Suisse) et au Sud (notamment en Afrique de l’Ouest et Centrale ainsi qu’au Maghreb). Ces réseaux se rencontrent lors de séminaires communs (comme à Amsterdam en avril 2000 ou à Bruxelles en décembre 2001), de conférences internationales (comme à Bangkok et à Genève en 2000, à Dakar en décembre 2000, à Gênes en juillet 2001, à Liège en septembre 2001 ou à Porto Alegre notamment à l’occasion du Tribunal des Peuples contre la Dette en février 2002), ou de manifestations (notamment lors des sommets du G7 et des Assemblées générales des IFI). Plusieurs réseaux ont accompli un effort de convergence systématique. Des débats traversent le mouvement : l’annulation doit-elle être inconditionnelle ou non ? Jubilé Sud, le CADTM et la RCADE pensent que oui ; tandis que plusieurs campagnes Jubilé 2000 de pays du Nord (Grande-Bretagne et Allemagne, e.a.) et certaines dans le Sud (Pérou par exemple) défendent les conditionnalités. Autres sujets de débats : faut-il accompagner de manière critique la nouvelle stratégie du FMI et de la Banque mondiale ou faut-il s’y opposer ? Faut-il annuler la dette externe publique de l’ensemble du Tiers Monde ou seulement d’une partie d’entre eux (les plus "pauvres") ?

A partir de 1999, le poids des mouvements du Sud a progressivement augmenté. De grandes mobilisations se sont déroulées au Pérou (1999), en Equateur (1999-2001), au Brésil (septembre 2000), en Afrique du Sud (1999-2000) … Mais la campagne ne se limite pas à des réseaux tournés spécifiquement sur la question de la dette. La synergie est permanente, vu les passerelles évidentes existant entre les différents thèmes, avec des réseaux actifs sur les questions des marchés financiers, des IFI ou de l’OMC. Ainsi, l’annulation de la dette du Tiers Monde est une revendication centrale de la plate-forme internationale du mouvement ATTAC ; les organisations comme 50 years is enough (USA), Bretton Woods Project (GB) ou Agir Ici (France) sont logiquement en faveur de l’annulation de la dette, vu qu’elle est responsable des plans d’ajustement du FMI et de la Banque mondiale contre lesquels elles luttent ; le mouvement paysan international Via Campesina (70 millions de paysans membres, dont le siège est au Honduras) combat également la dette ; la Marche Mondiale des Femmes a repris la revendication ; les grandes confédérations syndicales internationales CISL et CMT apportent leur soutien ; enfin, des réseaux actifs sur le commerce international, tel Focus on the Global South, défendent l’annulation de la dette, dans la mesure où celle-ci est utilisée comme moyen de chantage par les créanciers pour imposer aux débiteurs l’ouverture maximale de leur économie.