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Carnage à Gaza : l’heure des comptes

lundi 26 janvier 2009, par Michel Warscharski

Plus de 1 300 morts, des milliers de blessés, des centaines de destructions : le carnage israélien à Gaza signe un désastre politique pour l’État hébreu.


Paru dans Rouge n° 2283, 22/01/2009.
WARSCHAWSKI Michel, Jérusalem


Depuis le lundi 19 janvier au matin, les soldats israéliens ont commencé à se retirer de la ville de Gaza. Ils laissent derrière eux un charnier et des champs de ruines. Et des tonnes de haine, à la mesure des tonnes de bombes déversées sur un espace plus petit qu’un arrondissement de Paris, où sont entassés près de 100 000 femmes, hommes, enfants et vieillards. La mission « civilisatrice » de l’État hébreu s’achève ainsi, jusqu’à la prochaine fois. Après le décompte des morts (plus de 1 300 à l’heure actuelle, mais on en découvre encore sous les décombres), va maintenant commencer le moment des comptes politiques.

Les comptes avec Mahmoud Abbas : il s’est révélé, aux yeux de la population palestinienne, comme un vulgaire collabo, et non comme le président de l’ensemble du peuple palestinien. S’il n’a pas ouvertement applaudi à l’écrasement de Gaza, c’est parce qu’il savait que cela lui aurait vraisemblablement coûté la vie. Si, comme le suggèrent certains dirigeants israéliens, il devait revenir à Gaza porté par les chars israéliens, ces mêmes chars qui y ont semé la mort et la destruction, c’en serait fini de l’Autorité palestinienne, y compris en Cisjordanie.

Les comptes avec les États arabes, qui se sont divisés entre ceux qui ont ouvertement soutenu l’agression israélienne, comme l’Égypte, et ceux qui se sont tus, tout en promettant une aide humanitaire, comme de vulgaires Kouchner. Les comptes avec la « communauté internationale », qui a déploré les victimes innocentes, tout en laissant sciemment à Israël le temps nécessaire pour finir son opération. La prestation de Nicolas Sarkozy a été, sans doute, la plus hypocrite de toutes. Cette démission de la communauté internationale aura des effets à long terme sur l’ensemble de l’Asie occidentale avec, entre autres, le renforcement de l’intégrisme qui est toujours la réponse à la démission du droit. Seule une inculpation rapide des dirigeants israéliens devant une juridiction internationale pour crimes de guerre, voire crimes contre l’humanité, pourrait redorer un peu le blason taché de sang de la communauté des nations.

En ce qui concerne l’État d’Israël, les comptes seront beaucoup plus compliqués et, à terme, catastrophiques. À court terme, il se sait consacré comme État voyou numéro un de la planète, ainsi que l’avoue la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni : « On a montré qu’on est prêt à péter les plombs, s’il le faut. » À court terme encore, la réprobation de la société humaine tout entière qui, par millions, a manifesté sa révolte face à la barbarie israélienne. Les amis d’Israël devront travailler dur pour convaincre que l’État hébreu a encore sa place au sein des nations civilisées.

Mais, à long terme, le prix à payer est littéralement catastrophique : le martyr de Gaza ferme définitivement la porte de ce que les diplomates américains ont appelé la fenêtre d’opportunité, quand les Palestiniens avaient ouvert à Israël, au début des années 1990, une légitimité dans le monde arabe. La rupture des relations diplomatiques, de la part de plusieurs États arabes, indique l’état d’esprit de leurs opinions publiques : Israël n’est pas fréquentable et n’a pas sa place au cœur du monde arabe. Pour 200 millions d’Arabes, pour plus d’un milliard de musulmans, les crimes de ces dernières semaines ont définitivement confirmé, envers et contre tous les discours de « réconciliation historique » et de « paix des braves », qu’on ne peut faire la paix avec une entité qui traite son environnement proche et lointain comme des barbares qu’il faut éradiquer. Après Gaza, les dirigeants iraniens, par exemple, ne peuvent plus prendre à la légère l’éventualité d’une frappe nucléaire israélienne. Comme Tzipi Livni l’a dit : « On a montré qu’on est prêt à péter les plombs. »

En déshumanisant le million et demi de Palestiniens de Gaza, Israël a perdu, aux yeux des populations du monde arabe, son droit d’exister au sein de ce même monde arabe. Les quelques milliers d’Israéliens qui manifestent contre la guerre et l’unique soldat qui a refusé de rejoindre son unité ne font, malheureusement, pas le poids pour infléchir la balance dans l’autre sens, d’autant que les « intellectuels de gauche » les plus médiatisés se sont honteusement ralliés au discours gouvernemental, faisant même, comme Abraham B. Yehoshua, de la surenchère dans la justification des crimes de guerre. La « victoire militaire » israélienne risque bien d’être sa plus grande défaite politique.

WARSCHAWSKI Michel
* Paru dans Rouge n° 2283, 22/01/2009.