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Chine : crise économique et mobilisations sociales

lundi 26 janvier 2009

La crise économique mondiale frappant la Chine va entraîner un chômage massif que le plan de relance gouvernemental, fondé sur des investissements publics sans augmentation du pouvoir d’achat, ne suffira pas à enrayer.


SANUK Jean
Paru dans Rouge n° 2283, 22/01/2009 (Pleins feux).


« L’année du bœuf » s’annonce bien mal pour la population chinoise. Bien avant l’éclatement de la crise économique mondiale, la Chine devait faire face à des problèmes internes redoutables, causés par une croissance économique explosive, très dépendante des exportations. Cette croissance a entraîné des désastres écologiques et a creusé les inégalités sociales. Elle s’est accompagnée d’un surinvestissement dans de nombreux secteurs industriels, d’une bulle spéculative dans l’immobilier due à la construction effrénée de logements pour les classes moyennes et les nouveaux riches, d’une bulle spéculative à la Bourse de Shanghai, alors même que de nombreux besoins fondamentaux de la population restent insatisfaits. Aujourd’hui, la crise économique mondiale, qui se traduit, depuis novembre 2008, par un important recul des exportations, vient aggraver cette situation interne déjà tendue.

Dans ce contexte, le gouvernement chinois redoute par-dessus tout le « scénario catastrophe » d’un ralentissement trop marqué de l’économie chinoise qui conduirait à une explosion du chômage et pourrait entraîner une révolte sociale débouchant sur une contestation politique ouverte et organisée du pouvoir. On n’en est pas encore là, mais plusieurs éléments rendent ce scénario possible.

Avalanche de fermetures

Sur le plan économique, les calculs les plus récents et les plus avisés estiment qu’une croissance minimale de 9 %, en 2009, serait nécessaire pour stabiliser le chômage. Or, les estimations les plus raisonnables tablent sur une croissance de 4 % à 5 %. Cela peut paraître beaucoup, vu de France où la récession (croissance négative) est déjà là avec ses cohortes de licenciements. Mais en Chine, cette division par deux de la croissance se traduira par des licenciements d’une ampleur gigantesque compte tenu de la taille de la population chinoise (1,3 milliard d’habitants).

Dans un récent rapport, tranchant par sa franchise (« Analyse et prévisions pour la société chinoise en 2009 »), l’Académie chinoise des sciences sociales estime que le chômage pourrait atteindre 9,5 % en 2009, soit le double des prévisions gouvernementales. Ces licenciements sont particulièrement nombreux au sud, dans la région qui va de Shanghai à Hongkong, où se concentre la majeure partie des entreprises tournées vers l’exportation. À Dongguan, centre industriel du delta de la Rivière des Perles, à deux heures de route au nord de Hongkong, on estime qu’entre un quart et un tiers des usines fabriquant des produits avec du travail peu qualifié et intensif (comme les jouets ou les souris d’ordinateur) ont fermé. Comme il n’existe pas de loi sur les faillites, et encore moins de plans sociaux, les propriétaires siphonnent clandestinement ce qui reste de l’argent de l’entreprise, fuient à Taiwan ou Hongkong et, quand les créanciers et les travailleurs le découvrent, c’est la ruée pour essayer de récupérer ce qui peut rester.

Dans la seule ville de Dongguan, 800 000 travailleurs ont ainsi perdu leur emploi. Certains se sont rendus célèbres en parcourant 3 000 kilomètres pour rentrer dans leur province d’origine avec des cyclomoteurs saisis dans leur ancienne entreprise, rappelant l’exode vers la Californie des deux millions et demi de fermiers américains lors de la Grande Crise des années 1930. Parvenus dans leur province d’origine, ces travailleurs migrants sont confrontés à la pauvreté rurale qu’ils avaient tenté de fuir. Il n’y a pas assez d’emplois dans les zones rurales et on estime qu’une population flottante d’environ 120 à 150 millions de travailleurs migrants a quitté les campagnes pour rejoindre illégalement les villes et travailler en se déplaçant de chantier en chantier.

Avec un taux de croissance divisé par deux, un grand nombre de ces travailleurs migrants, mais aussi de travailleurs légaux des villes, perdent ou vont perdre leur emploi. Autant de manifestants en puissance que le gouvernement ne peut tolérer. Les conflits sociaux sont déjà nombreux en Chine, avec des soulèvements de villages ou de villes moyennes entières, lorsque des paysans sont expulsés de leurs terres pour la construction d’usines, de barrages, de projets immobiliers ou de chantiers liés aux Jeux olympiques. Il y a aussi des manifestations d’ouvriers que les patrons oublient de payer, des protestations devant les scandales révélés par les tremblements de terre ou par les produits alimentaires empoisonnés. Jusqu’à présent, la répression brutale de la police et de l’armée s’est abattue sans merci et est parvenue à contenir ces conflits. Mais le gouvernement sait bien que la répression ne peut être la seule réponse. D’autant que le chômage n’est pas le seul motif de mécontentement.

Protestations croissantes

Toujours selon le même rapport, 47 % des Chinois interrogés déclarent vivre dans des logements trop petits, de mauvaise qualité ou insalubres, et ils ne peuvent pas acheter de logements car le gouvernement a fait construire des logements beaucoup trop chers pour la majorité des travailleurs. La bulle immobilière a contraint ceux qui achètent un logement à réduire fortement leurs dépenses dans d’autres domaines. La protection sociale, notamment le système de retraite, est inexistante ou très insuffisante et oblige les ménages à épargner encore plus. Sans compter les dépenses d’éducation pour envoyer son enfant dans la meilleure école possible.

Ce mécontentement, provoqué par l’accroissement des inégalités sociales, est exacerbé par la consommation ostentatoire des nouveaux riches et de la nomenklatura, choyés par le Parti communiste chinois dont c’est la base sociale essentielle. La Chine regorge ainsi de centres commerciaux ultramodernes où l’on vend le dernier cri des produits de luxe les plus tape-à-l’œil. 68,8 % des Chinois interrogés estiment que, durant les dix dernières années, les officiels ont trop profité de la croissance, tandis que les travailleurs, les paysans et les migrants ont trop peu gagné. C’est pourquoi la corruption est particulièrement mal ressentie par la population, qui sait pourtant qu’elle est au cœur du pouvoir. Ainsi, on ne peut faire des affaires, notamment créer une entreprise privée, sans le patronage officieux de tel ou tel haut responsable. Zang Peili, l’épouse du Premier ministre, Wen Jiabao, géologue de profession, dirige une grande entreprise de bijouterie spécialisée dans les pierres précieuses et basée à Hongkong. Le Parti communiste chinois et l’armée sont en eux-mêmes de vastes conglomérats industriels aux ramifications nombreuses. Sans de solides appuis en leur sein, il est difficile de faire des affaires.

C’est dans ce contexte que le gouvernement chinois a annoncé, le 9 novembre 2008, un plan de relance d’environ 600 milliards de dollars (4 000 milliards de yuans), soit un montant proche de celui du plan Paulson, aux États-Unis. À la différence des États-Unis, il ne s’agit pas de renflouer les banques mais d’agir directement pour soutenir la croissance, par des dépenses publiques massives pour la construction de routes, de voies de chemin de fer, d’aéroports, de réseaux électriques, d’accélération de la reconstruction des villes affectées par les tremblements de terre de mai 2008, de logements sociaux, de dépenses d’éducation et de santé. On peut notamment citer, dans le domaine social, l’annonce d’un appui aux secteurs de la santé (réseau des cliniques de proximité) et la réhabilitation des écoles dans les provinces de l’intérieur. Dans le domaine environnemental, il est prévu des investissements pour le traitement des déchets, l’assainissement de l’eau et des économies d’énergie. Il n’y a pas un seul jour sans que le gouvernement annonce des mesures de soutien dans tel ou tel domaine, notamment aux agriculteurs.

Plan de relance

Il est vrai que la Chine a besoin d’un très grand nombre d’infrastructures et d’un effort particulièrement important en construction de logements sociaux, d’écoles et d’hôpitaux. Mais le succès d’un tel plan repose en fin de compte sur la relance de la consommation interne pour compenser le ralentissement des exportations. Or, c’est le talon d’Achille du plan de relance. Même si les annonces sont suivies d’effets, ce qui reste à démontrer, on ne crée pas un système de protection sociale digne de ce nom en quelques mois et on ne peut stimuler la consommation qu’en organisant une hausse significative et généralisée des salaires, ce que le gouvernement s’est bien gardé de faire.

C’est pourquoi il est probable que le plan de relance aura un effet non négligeable mais limité : on estime à un point de pourcentage son impact sur le taux de croissance. Une croissance de 8 voire 9 % semble inatteignable en 2009 et une forte montée du chômage est donc inévitable

La crise économique débouchera-t-elle sur une crise politique ? Rien n’est moins sûr. Le gouvernement fait tout pour empêcher une jonction des luttes qui restent pour l’instant éclatées. Depuis le massacre de la place Tienanmen, dont la commémoration des 20 ans, le 4 juin 2009, sera soigneusement réprimée par le gouvernement, le mouvement populaire n’est pas parvenu à renaître et à se réorganiser, sur une base nationale. Un appel de 300 intellectuels, « la Charte 08 », appelant à une démocratisation politique et à des réformes sociales, a été publié en décembre 2008. Mais la jonction entre les intellectuels et la population laborieuse n’a pour l’instant pas eu lieu. Soyons attentifs aux luttes sociales en Chine cette année, et tenons-nous prêts à les soutenir.

Jean Sanuk


FAITS ET CHIFFRES SUR LA CHINE

Selon la Banque mondiale, l’économie de la Chine, mesurée par le produit intérieur brut (PIB), se classe, en 2007, au troisième rang mondial, à égalité avec l’Allemagne et derrière le Japon et les États-Unis. Ce résultat s’explique par le rythme exceptionnel de la croissance depuis les années 1980. En conséquence, le revenu moyen des Chinois a sextuplé en 25 ans. Mais, compte tenu des 1,3 milliards d’habitants et du très faible niveau de départ, le revenu moyen des Chinois atteint, en 2008, un niveau, comparable à celui du Maroc.

Prise dans sa globalité, la Chine est un géant économique mais, du point de vue social, elle s’apparente à un pays du tiers monde. La pauvreté absolue a bien reculé : en 1990, environ 28 % de la population vivait avec un dollar par jour et 65 % avec deux dollars. En 2000, ils étaient respectivement 11 % et 38 %. Mais les inégalités sociales se sont fortement aggravées. Par bien des aspects, la Chine est l’un des pays les plus inégalitaires d’Asie. Entre 1990 et 2000, les dépenses des 20 % des ménages les plus pauvres ont augmenté de 3,4 %, contre 7,1 % pour les 20 % les plus riches. C’est l’écart le plus élevé d’Asie, Inde compris.

Cette croissance inégalitaire s’explique en partie par les fortes inégalités entre les zones rurales et les zones urbaines. L’écart global de revenus entre zones rurales et zones urbaines va de un à six, provoquant l’exode vers les villes d’environ 20 millions de paysans par an, fournissant un travail non qualifié, mal payé et surexploité.

SANUK Jean
Paru dans Rouge n° 2283, 22/01/2009 (Pleins feux).