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Crise de l’automobile : Mettons nos propres alternatives sur la table

mercredi 22 avril 2009, par Sam Gindin

Voilà maintenant cent ans qu’Henry Ford a introduit la chaîne de montage dans les usines d’assemblage d’automobiles. Depuis ce temps, seule la « grande dépression » a eu des impacts comparables à celle que nous traversons, sur les industries américaines de ce secteur, sur leurs fournisseurs, sur les travailleurs et les communautés qui leur sont liées. À l’époque, les travailleurs ont répondu en s’engageant massivement dans leurs syndicats. Est-ce que les travailleurs de l’auto d’aujourd’hui peuvent trouver une réponse aussi « créative » ?


Tiré de PTAG
mardi 14 avril 2009, par Sam Gindin
Publié par The Bullet, produit par The Socialist Project.
Traduction : Alexandra Cyr.


Les profondes crises économiques interrompent le rythme de nos vies et nous obligent à introduire des réponses radicales dans le débat public. Dans le cas de l’industrie automobile américaine toutefois, le radicalisme a été plutôt univoque.

Sans leurs propres alternatives, les travailleurs se sont retrouvés piégés dans le développement de « leurs compagnies ». Ils sont toujours pris dans ce piège. D’une part, les compagnies et les gouvernements les ont agressivement attaqués et réussi à mettre fin à leur rôle de pionniers dans les luttes pour des conditions de travail qui ont bénéficié à toute la classe ouvrière. D’autre part, cela s’est fait quasi sans arrêt de travail ni de réponse politique de la part des syndicats du secteur.

Une route sans issue

Lors de sa première conférence de presse, le nouveau pdg de GM, Fritz Hendersen, a paru donner un peu de soulagement aux travailleurs canadiens de l’automobile. Il a déclaré que leur nouvelle convention collective les rendait concurrentiels en Amérique du Nord. [1]. Bien sûr ça ne disait pas tout. Peu après, M. Hendersen prévenait : « Nous devons aller plus loin ; nous ne pouvons pas nous permettre de restreindre les points de négociation » [2]

Le renvoi de Richard Wagoner, le précédent pdg de GM, a été organisé pour, entre autre, augmenter la pression sur le syndicat américain des travailleurs de l’automobile (UAW), afin qu’il rouvre leur convention collective et fasse encore plus de concessions. Et tel que ça se présente, GM va sûrement revenir à la charge et formuler de nouvelles demandes.

Il fut un temps dit-on, où les compagnies offraient des emplois en échange des reculs consentis par les travailleurs. Bien sûr cette analyse de passé tient du mythe. Les reculs dans les conditions de travail n’ont jamais préservé d’emplois. Dans l’économie capitaliste, les compagnies, dont le but est le profit, dans un environnement sans grande compétition et dépendantes, bien sûr de la demande des consommateurs, ne peuvent pas ou ne veulent pas donner de garanties quant aux emplois. Aujourd’hui elles demandent toujours plus de concessions avec toujours moins d’emplois.

À la fin des années soixante-dix, lors de la première négociation où les syndicats américains ont accepté des reculs, le Syndicat des travailleurs américains de l’auto (UAW) comptait 450,000 membres chez GM. Aujourd’hui, après de nombreuses signatures de conventions collectives où de multiples concessions ont été consenties aux titres des salaires, des bénéfices marginaux et des emplois contre de « prétendues » garanties de sécurité d’emploi, les syndiqués de GM ne sont plus que 64,000. Et si la compagnie réussit sa restructuration 40,000 autres seront licenciés. Trente ans de concessions aboutissent à 90% de pertes d’emplois.

Donc les concessions, non seulement ne préservent pas les emplois, elles pavent le chemin des pertes. Quelle compagnie ne voudrait pas profiter d’une telle ouverture ? Laquelle ne voudrait pas, au moment d’engager de nouveaux investissements, d’abord demander des « sacrifices » à ses employés ?

Cette politique de pression pour des reculs de la part des travailleurs, combinée aux mises à pieds effectuées par les compagnies en train de se restructurer afin de redevenir profitables, diminue les chances que l’argent introduit par les gouvernements « stimule » effectivement la demande et la création d’emplois. Ils participent à la contradiction en l’aggravant, en réclamant eux aussi encore plus de concessions avant de consentir des prêts à ces compagnies.

Toute cette logique ne se révèle que si une alternative solide est mise de l’avant. Les dirigeants syndicaux peuvent publiquement proclamer que les travailleurs ne sont pas responsables de cette crise. Mais aussi longtemps qu’ils acceptent passivement les concessions, ils finissent par valider l’idée qu’ils sont bien « le problème ». Le débat public finit par se concentrer sur « combien » de compensations devrait leur être consenties.

Le pire pour les travailleurs, c’est que cet engagement dans les concessions n’est pas un recul temporaire ; c’est une défaite à long terme ; dans la mesure où les reculs influencent les attentes, minent les « bonnes raisons » de se syndiquer et évidemment la confiance dans l’action collective. Avec leurs organisations, ils s’affaiblissent et s’acheminent vers un avenir incertain.

Pour toutes ces raisons, et parce que le débat est centré sur les travailleurs qui seraient « le problème », les solutions qui pourraient préserver des emplois ne sont ni élaborées ni mises de l’avant. Les concessions syndicales sont donc une route sans issue.

Une alternative

Plutôt que d’attendre que les compagnies mettent de nouvelles demandes sur la table de négociation, les travailleurs doivent développer leurs propres alternatives et les déposer. Ce qui suit est une de ces alternatives possibles.

Alors que toute l’attention se porte sur GM et Chrysler, des centaines de leurs fournisseurs et équipementiers ont déjà fermé boutique ou sont sur le point de le faire. [3] Les « marchés » ou les propriétaires de ces usines les ont jugées non rentables.

Mais d’un point de vue social, elles représentent le genre de potentiel productif auquel tout pays se préoccupant de sa base industrielle doit s’accrocher. On ne doit pas permettre qu’elles ferment, qu’elles se vident et que les équipements et machines soient transférés ailleurs. Spécialement alors que nous sommes au beau milieu d’une profonde crise économique. Toute usine qui ferme, ou qui est en passe d’être fermée, devrait être expropriée dans l’intérêt social et mise sous la responsabilité d’une nouvelle corporation publique. (Un travailleur a proposé que cette entité soit appelée Canada at Work, mais l’acronyme CAW est déjà pris !)

Bien sûr, on ne sait pas ce qu’on pourrait y produire compte tenu de la faible demande et des surplus existants dans l’industrie de l’auto. Mais le projet devrait évidemment viser à produire pour le futur, non pas ce qu’on y a fait jusqu’à maintenant. Lions ces usines à ce qu’exigera la conversion industrielle vers la production environnementale durable au cours du 21ième siècle.

Si nous sommes sérieux quant à la nécessité de mettre les exigences environnementales au cœur de notre économie, cela veut dire changer toutes nos manières de produire et de consommer, jusqu’à comment nous nous déplaçons et vivons. Le potentiel de travail à faire à cet égard est infini. Les usines de pièces et d’équipements peuvent être converties pour y fabriquer autre chose que ce qu’on y a fait jusqu’à maintenant et les travailleurs veulent produire des choses utiles.

Les équipements et la main d’œuvre spécialisée peuvent servir à autre chose qu’à construire de nouvelles autos ou de nouvelles composantes d’autos. On peut aussi bien augmenter le transport public et développer de nouveaux systèmes de transport. Cette main d’œuvre peut travailler à transformer la machinerie et les moteurs qui la font fonctionner dans chaque installation afin de répondre à la nouvelle demande liée au respect de l’environnement. On peut aussi les affecter au recyclage du matériel jusqu’aux voitures elles-mêmes. On va devoir équiper les maisons avec de nouveaux appareils ménagers. L’utilisation des panneaux solaires et la production d’énergie éolienne vont se répandre. On va devoir développer la fabrication de nouveaux équipements électriques. Nous allons devoir modifier nos infrastructures urbaines et les réinventer pour les adapter aux nouvelles exigences en matière de transport et d’énergie.

Il n’y pas meilleur moment pour lancer des projets qui agiront à la fois sur la crise économique et celle de l’environnement. Et il n’y a pas meilleure opportunité pour garder toutes nos installations et équipements, ne pas gaspiller notre créativité, les connaissances de nos ingénieurs et les habiletés de nos travailleurs de la production.

Qu’en est-il de GM, Chrysler et même Ford ?

Cette proposition n’a des chances d’être adoptée que si les travailleurs affectés par les fermetures et compressions l’adoptent, se mobilisent et la défendent vigoureusement. Car, la résistance contre la formation d’une société d’État avec un tel mandat, va être extrêmement forte.

Cette mobilisation devrait être possible chez les travailleurs déjà licenciés ou sur le point de l’être. D’une certaine façon, elle devrait être aussi possible chez les travailleurs des « 3 Grands » de Détroit, compte tenu des échecs qu’ils ont connus, face aux coûts engendrés par une compétition excessive, les pertes venant de la duplication des modèles, la lenteur à répondre aux impératifs environnementaux et finalement le mépris dont ils ont été l’objet chez ces constructeurs. Mais en ce moment, les insécurités face, non seulement aux emplois mais, aussi aux retraites et aux assurances maladie, renforcent les travailleurs encore employés, notamment chez GM, Chrysler et Ford.

La proposition présentée ici, attache une grande importance aux travailleurs qui ne seraient pas immédiatement intégrés à la nouvelle structure. Le développement d’une nouvelle structure de production de produits environnementaux pourrait contribuer et même accélérer la nécessaire transformation de la construction d’automobiles vers de nouveaux types de véhicules. Elle offrirait aussi des sécurités aux travailleurs. Les fermetures d’usines vont se poursuivre chez les « 3 Grand » Avec un tel projet les travailleurs ne seraient pas laissés à leur désolation face à la perte de leur mode de vie ; ils pourraient se mobiliser pour que leurs usines soient intégrées au nouveau projet.

En plus, les compagnies auraient la part moins belle pour menacer de fermer toutes leurs installations si les gouvernements ne leur accordent pas autant d’argent qu’elles le veulent, soit, plus que ce que GM a reçu jusqu’à maintenant. Les pressions seraient moins faciles s’il existe déjà une alternative. Et, si jamais elles font faillite, maintenant ou plus tard, la possibilité de regrouper toutes ces compagnies dans une société publique gagnera des appuis.

Mais est-ce réaliste ?

Techniquement, oui ! En 1942, la production automobile a été arrêtée à cause des priorités de guerre. Au lieu du scepticisme sur les capacités de changement de l’industrie, les nouvelles priorités ont été acceptées et le changement a remarquablement réussi. En 1944, GM était le plus grand producteur d’avions pour la marine au monde. Au lieu de licencier parce que la production automobile cessait, la compagnie a fait face à une pénurie de main d’œuvre. Après la guerre le retour à la production automobile s’est effectué de façon aussi spectaculaire, rapide et efficace. [4]

Nous sommes à un moment historique qui nous oblige à voir grand ou à accepter d’essuyer de plus importantes défaites. Face à leurs besoins immédiats, les travailleurs et leurs syndicats deviennent timides et hésitent à élargir leur vision vers les changements sociaux qui leur paraissent trop abstraits, éloignés ou intimidants. Pourtant nous savons que si nous ne nous intéressons qu’à l’immédiateté, les options sont toujours limitées. Nous payons tous, en ce moment, pour cette lacune : avoir peur de voir grand.

Aujourd’hui, toute l’élite, depuis les financiers jusqu’aux dirigeants de l’industrie automobile, qui n’était motivée que par l’appât du gain et la cupidité, a perdu toute crédibilité. Or, c’est le mouvement ouvrier qui est sur la défensive et qui encaisse les coups. Dans ce contexte, ce qui devient tout à fait irréaliste, ce ne sont pas les nouvelles propositions mais c’est de penser que de s’obstiner dans les même recettes perdantes va préserver de quelque façon les droits acquis ou faire gagner une nouvelle sécurité de travail.

Être réaliste ne rime pas avec le sauvetage des entreprises. Ça ne résoudra pas la crise. Ce qu’il faut, c’est sauver les capacités de production et les bases économiques de nos communautés. Et parler d’abord, ou exclusivement des travailleurs encore employés n’est pas suffisant ; il faut inclure tous ceux et celles qui sont au chômage et cherchent de l’emploi ou qui sont sur le point d’entrer dans ces rangs.

Être réaliste veut aussi dire, entreprendre une nouvelle lutte absolument nécessaire en apportant quelque chose de nouveau dans les discussions. Celle faite ici nous ferait sortir de la dépendance face aux marchés, à la compétition, aux entreprises privées et aux valeurs qu’ils représentent. Elle renforce les valeurs syndicales : s’organiser sur ses propres bases et avoir sa propre définition « du progrès », Ça veut dire revitaliser le meilleur du leadership ouvrier capable de donner de la crédibilité à l’action syndicale et qui ne se préoccupe pas seulement de négocier pour ses membres, mais plutôt tient compte de la société comme un tout.

Être réaliste veut dire moins de discours sur l’espoir et plus de place faite à l’action des travailleurs en ce sens. Courageusement, des travailleurs ont occupé leurs usines, mais les emplois ont été néanmoins abolis et ils sont restés avec « une portion importante des difficultés, les payes de séparation et leurs arriérés de vacances ne leur ont pas été versés. » [5] On devrait les soutenir et les inspirer pour qu’ils exigent le maintien des opérations et la poursuite du travail productif. En même temps il faudrait en finir avec la négociation des emplois contre des conditions de travail toujours inférieures. En fait, la lutte pour du contrôle social sur la production serait probablement un premier pas pour en finir avec les propositions défensives et débuter la réflexion sur à quoi pourraient ressembler des milieux de travail vraiment démocratiques.

L’alternative présentée ici soulèvera, comme tout changement important le fait, de nouveaux problèmes quant à la démocratie, aux responsabilités et à l’arbitrage entre des choix difficiles. Il faut aussi insister sur le fait que cette proposition est d’abord politique et non « technique ». Elle est politique en ce qu’elle bouscule le statut quo du droit de propriété au nom de la démocratie et des droits sociaux et qu’elle oblige à un changement de culture, de comment nous pensons l’économie et ce qui est possible. Tout ça ne peut réussir, voire même débuter, que si nous élargissons les discussions et le débat, mobilisons à l’intérieur de nos rangs aussi bien qu’à l’extérieur, que si nous identifions bien nos alliés et élaborons nos stratégies pour rejoindre de nouveaux travailleurs, d’autres syndicats et nos communautés.

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Sam Gidin, professeur d’économie politique à l’Université York de Toronto,

Notes
[1] ‘fully competitive with the UAW’, Globe and Mail, 21 mars 2009

[2] ‘We need to go further, you can’t really afford to take anything off the table’ CNN-The State of the Union,

[3] Bancruptcy Looms Larger Across Sector, Globe and Mail, 2 avril 2009, About 500 Auto Suppliers at Risk of Failure, Reuters, 12 mars 2009,

[4] From Auto to Aircraft. General Motors’WW11 Conversion, Naval Aviation News, juillet-août 1995,

[5] CAW Publication Contact, 27 mars 2009,