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Discrimination et violence contre les femmes autochtones

AMNESTY INTERNATIONAL

dimanche 17 octobre 2004

Une famille, trois décennies, deux meurtres

Helen Betty Osborne avait dix-neuf ans. Étudiante cri du nord du Manitoba, elle rêvait de devenir enseignante. Le 12 novembre 1971, elle a été enlevée dans la ville de The Pas par quatre hommes blancs qui lui ont infligé des violences sexuelles avant de la tuer sauvagement. Une commission d’enquête provinciale a conclu par la suite que les autorités canadiennes avaient manqué à leur devoir envers Helen Betty Osborne. Elle a critiqué les négligences et les préjugés raciaux qui ont caractérisé l’enquête de la police, qui a mis plus de quinze ans à traduire l’un des quatre hommes en justice. Fait le plus troublant, cette commission d’enquête a conclu que la police savait depuis longtemps que des hommes blancs commettaient des agressions sexuelles contre des femmes et des jeunes filles autochtones à The Pas mais "n’avait pas jugé que cette pratique nécessitait une vigilance particulière(1)."

Trois décennies plus tard, le 25 mars 2003, à Winnipeg, dans le Manitoba, une cousine de Helen Betty Osborne, Felicia Solomon, âgée de seize ans, n’est pas rentrée chez elle après l’école. Sa famille affirme que la police de Winnipeg n’a pas pris l’affaire au sérieux quand elle a signalé la disparition de Felicia. Un porte-parole de la police de Winnipeg a expliqué à Amnesty International que les forces de l’ordre s’appuyaient sur une évaluation des risques encourus par la personne disparue pour décider de la conduite à tenir et que, contrairement à ce que pensait le grand public, elles n’avaient pas pour règle d’attendre quarante-huit heures pour voir si la personne réapparaissait. Or, selon la famille de Felicia, le policier qui a pris la déposition a affirmé ne rien pouvoir faire avant quarante-huit heures. Les premiers avis de recherche ont été distribués par la famille, et non par la police. Un proche déplore : "Quand il arrive quelque chose à un autre enfant, qu’il soit blanc ou d’une autre race ou culture, la police fait tout ce qui est en son pouvoir. C’est totalement différent quand la personne disparue est indienne." En juin 2003, des morceaux de corps ont été découverts et identifiés comme appartenant à Felicia Solomon. Son meurtrier n’a pas été retrouvé.

Les meurtres de Helen Betty Osborne et de Felicia Solomon sont deux des affaires présentées dans le nouveau rapport d’Amnesty International(2).

Ces disparitions et assassinats de femmes et de jeunes filles autochtones se sont produits dans trois provinces de l’ouest du Canada sur une période de trois décennies. Les auteurs de ces crimes, quand ils sont connus, sont parfois des proches de la victime, parfois des inconnus. Un certain nombre d’entre eux n’ont pas été identifiés. Dans tous les cas, les autorités canadiennes auraient pu et dû en faire plus pour assurer la sécurité de ces femmes et jeunes filles ou pour s’attaquer aux facteurs sociaux et économiques qui ont contribué à les mettre en danger.

L’étendue de la violence

Des statistiques consternantes réalisées en 1996 par le gouvernement canadien révèlent que les femmes autochtones âgées de vingt-cinq à quarante-quatre ans inscrites aux termes de la Loi sur les Indiens ont cinq fois plus de risques de mourir d’une mort violente que les autres femmes du même âge(3). Toutefois, il est très difficile d’évaluer l’étendue et la nature véritables de la violence contre les femmes autochtones en raison du manque récurrent d’études et d’analyses statistiques exhaustives.

Les enquêtes sur les affaires de meurtres, d’agressions ou de disparitions peuvent être menées par les forces de police municipales, provinciales ou nationales (la Gendarmerie royale du Canada). Les policiers affirment ne pas systématiquement enregistrer l’origine ethnique des victimes de crimes ou des personnes disparues quand ils entrent ces affaires dans la base de données du Centre d’information de la police canadienne, qui est le principal mécanisme de partage des informations entre les différentes forces de police du Canada(4). Selon le Centre canadien de la statistique juridique, en 2000, dans 11 p. cent des cas d’homicides, la police canadienne n’a pas précisé dans ses registres si la victime était ou non une personne autochtone(5).

Les organisations de femmes autochtones dénoncent depuis longtemps ce que certaines décrivent comme une épidémie de violence contre les femmes et les mineurs dans les milieux autochtones(6). Plus récemment, un certain nombre d’organisations militantes, telles que l’Association des femmes autochtones du Canada, ont mis l’accent sur les actes de violence commis contre des femmes autochtones dans des milieux majoritairement non autochtones. La médiatisation d’un certain nombre d’affaires d’agressions, de disparitions ou de meurtres de femmes et de jeunes filles autochtones a aussi contribué à attirer l’attention du public - parfois avec beaucoup de retard - sur la violence contre les femmes autochtones dans certaines villes. En voici quelques exemples :

* Une équipe spéciale composée de membres de la Gendarmerie royale du Canada et de la police municipale de Vancouver enquête sur la disparition de 60 femmes et d’une personne transgenre à Vancouver, en Colombie-Britannique, ces dix dernières années. Parmi les disparues, 16 sont des femmes autochtones, soit une proportion beaucoup plus importante que dans la population de Vancouver. Un homme de Colombie-Britannique, Robert Pickton, est actuellement en instance de jugement pour 22 meurtres en lien avec cette enquête. Les responsables policiers et municipaux avaient longtemps nié l’existence d’un lien entre ces disparitions ou d’un quelconque danger particulier pour les femmes.

* En 1994, dans deux affaires séparées, deux jeunes filles autochtones âgées de quinze ans, Roxanna Thiara et Alishia Germaine, ont été retrouvées assassinées à Prince George, dans l’est de la Colombie-Britannique. Le corps d’une troisième jeune fille autochtone de quinze ans, Ramona Wilson, qui avait disparu la même année, a été retrouvé à Smithers, dans le centre de la Colombie-Britannique, en avril 1995. Ce n’est qu’en 2002, après la disparition d’une femme non autochtone de vingt-six ans, Nicola Hoar, qui faisait du stop sur la route reliant Prince George à Smithers, que les médias se sont intéressés aux meurtres et aux disparitions non élucidés survenus le long de cet axe qui a été surnommé "la route des larmes".

* En 1996, John Martin Crawford a été reconnu coupable du meurtre de trois femmes autochtones, Eva Taysup, Shelley Napope et Calinda Waterhen, à Saskatoon, dans le Saskatchewan. Warren Goulding, l’un des rares journalistes à avoir suivi le procès, a déclaré : "Je n’ai pas l’impression que le grand public s’intéresse beaucoup aux femmes autochtones disparues ou assassinées. Ce manque d’intérêt s’inscrit dans une indifférence générale à l’égard de la vie des personnes autochtones. C’est comme si celles-ci comptaient moins que les blancs(7)."

* En mai 2004, un ancien juge du tribunal provincial de Colombie-Britannique, David William Ramsey, a plaidé coupable de menaces contre quatre jeunes filles autochtones âgées de douze, quatorze, quinze et seize ans qui avaient comparu devant lui et qu’il avait payées pour avoir des relations sexuelles avec elles. Ces crimes ont été commis entre 1992 et 2001. En juin, l’ancien juge a été condamné à sept ans d’emprisonnement.

* À Edmonton, en Alberta, la police enquête sur 18 meurtres de femmes non élucidés ces vingt dernières années. Les organisations de femmes de la ville estiment qu’un nombre disproportionné de victimes étaient autochtones.

* Selon l’Association des femmes autochtones du Canada, les affaires qui ont été médiatisées ne donnent qu’une vision incomplète de la réalité. L’organisation estime que, au cours de ces vingt dernières années, plus de 500 femmes autochtones pourraient avoir été assassinées ou avoir disparu dans des circonstances apparemment violentes.

Étant donné le manque flagrant d’informations disponibles, il est impossible de confirmer cette estimation. Tant que la police ne notera pas systématiquement si les personnes disparues et les victimes de violence sont autochtones ou non et que ces statistiques ne feront pas l’objet d’une analyse exhaustive, il sera impossible d’estimer avec précision l’étendue ou les caractéristiques réelles de la violence contre les femmes autochtones au Canada. Toutefois, quel que soit le nombre exact de femmes assassinées ou portées disparues, leur sort n’a de toute façon pas fait l’objet d’une attention suffisante de la part des autorités canadienne. Confrontées à une indifférence manifeste à l’égard du bien-être et de la sécurité des femmes autochtones, les familles et les organisations non gouvernementales qui les soutiennent ont été obligées de lancer leurs propres campagnes pour attirer l’attention de la police, des médias et des responsables gouvernementaux.

Les recherches menées par Amnesty International ne sont pas exhaustives. Les affaires relatées dans notre rapport ont été choisies parce qu’elles illustrent les différentes préoccupations et situations qui ont été portées à notre attention. Nous avons limité nos recherches à un nombre restreint de villes de l’ouest du Canada, où le nombre d’Autochtones est important et en progression, et où le public s’est déjà un peu intéressé à la question(8). De nombreuses régions du pays, telles que le nord du Canada, n’ont pas pu être intégrées à ces recherches. En outre, le rapport ne présente que des affaires que les familles des victimes étaient disposées à rendre publiques.

Quoi qu’il en soit, ces affaires, ainsi que les données précieuses fournies par plusieurs organisations de premier plan, le travail réalisé par des commissions gouvernementales reconnues telles que la Commission d’enquête du Manitoba sur l’administration de la justice et les Autochtones, et les autres informations dont nous avons pris connaissance dans le cadre de nos recherches, montrent à quel point il est urgent que les autorités canadiennes apprennent à mieux connaître et à mieux combattre la violence contre les femmes autochtones dans les milieux majoritairement non autochtones. Amnesty International est convaincue que la discrimination, qui alimente la violence, prive les femmes autochtones de la protection à laquelle elles ont droit ou permet aux auteurs de cette violence d’échapper à la justice, est un ingrédient déterminant dans la menace à laquelle ces femmes sont confrontées.

Les femmes autochtones en péril

La Commission d’enquête du Manitoba sur l’administration de la justice et les Autochtones a conclu au sujet du meurtre de Helen Betty Osborne : "Il existe une certitude fondamentale : ce meurtre était un acte raciste et sexiste. Betty Osborne serait encore vivante à ce jour si elle n’avait pas été une femme autochtone(9)."

Ces mots concernent un acte de violence atroce commis par quatre hommes il y a plus de trente ans. Malheureusement, les recherches menées par Amnesty International montrent que, trois décennies plus tard, la vie des femmes autochtones reste menacée au Canada précisément parce qu’elles sont des femmes autochtones. Ces recherches, ainsi que les témoignages des organisations qui se battent en première ligne et les conclusions des commissions et enquêtes gouvernementales mises en place par le passé, mettent en avant un certain nombre de facteurs qui permettent d’établir un lien entre la violence contre les femmes dans les centres urbains du Canada et le racisme et la discrimination. Ces facteurs sont les suivants :

* Bien qu’elle affirme le contraire, la police canadienne offre souvent une protection insuffisante aux femmes autochtones.

* La marginalisation sociale et économique des femmes autochtones, ajoutée à la mise en œuvre, par le passé, de politiques gouvernementales qui ont désagrégé les familles et les communautés autochtones, font qu’un nombre disproportionné de ces femmes se retrouvent dans des situations dangereuses, telles que l’extrême pauvreté, l’absence de domicile fixe et la prostitution.

* Des hommes autochtones et non autochtones profitent de cette vulnérabilité pour commettre des actes d’une extrême violence contre ces femmes.

* Les auteurs de ces actes agissent par racisme ou parce qu’ils pensent que l’indifférence de la société à l’égard du bien-être et de la sécurité des femmes autochtones leur permettra d’échapper à la justice.

La vie des femmes autochtones reste menacée en partie parce que les autorités canadiennes ne prennent pas les mesures nécessaires pour réduire la marginalisation de ces femmes dans la société canadienne et pour établir de meilleures relations entre les populations autochtones et le système judiciaire. Ces mesures ont été réclamées à maintes reprises par diverses commissions, telles que la Commission d’enquête du Manitoba sur l’administration de la justice et les Autochtones et la Commission royale sur les peuples autochtones, ainsi que par des organes des Nations unies(10). En ne réagissant pas rapidement et de manière appropriée aux dangers qui menacent la vie des femmes autochtones, les autorités canadiennes ont manqué à leur obligation d’empêcher les violations des droits fondamentaux de ces femmes(11).

Les séquelles du passé

Il est largement admis que la violence contre les femmes et les enfants dans les familles et les milieux autochtones s’inscrit dans un contexte plus large de contraintes sociales et de bouleversements provoqués par des politiques gouvernementales imposées aux populations autochtones contre leur gré(12).

Pendant plus d’un siècle, des années 1870 au milieu des années 1980, le gouvernement canadien a retiré aux femmes autochtones qui se mariaient avec un homme non autochtone ou issu d’une autre communauté le statut de personnes autochtones tel qu’il est reconnu par la Loi sur les Indiens, les privant du même coup du droit de vivre dans leur communauté d’origine. Cette politique a abouti au déracinement de dizaines de milliers de femmes autochtones, altérant leurs liens avec leurs familles et augmentant leur dépendance vis-à-vis de leurs époux.

Pendant à peu près la même période, le gouvernement a également obligé les enfants autochtones à être scolarisés dans des pensionnats situés en dehors des réserves, dans lesquels, outre le fait qu’ils étaient punis s’ils parlaient leur langue ou pratiquaient leur culture, beaucoup ont vécu dans des conditions inhumaines et ont subi des violences physiques et sexuelles(13).

Même quand le système des pensionnats a commencé à être progressivement supprimé, dans les années 60, des enfants autochtones ont continué d’être retirés à leurs familles par les services de protection de l’enfance, dont les programmes privilégiaient la solution de confier les enfants à l’assistance publique plutôt que de s’attaquer aux situations de pauvreté et de violence familiale qui mettaient ces enfants en danger - problème qui reste d’actualité aujourd’hui(14).

Parallèlement, les terres et les ressources essentielles au maintien des économies et des moyens de subsistance autochtones ont été considérablement érodées par l’absence de reconnaissance et de protection pleines et entières des droits de propriété des populations autochtones par les gouvernements(15).

Toutes ces politiques ont eu pour conséquences une érosion de la culture autochtone, le déracinement de générations de femmes autochtones, la séparation des enfants de leurs parents et un engrenage de pauvreté, de désespoir et de manque de respect de soi qui continue de frapper de nombreuses familles autochtones. En 1996, la Commission royale du gouvernement fédéral sur les Peuples autochtones a conclu : "Les assauts répétés qui ont été lancés contre la culture et l’identité collective des autochtones [...] ont sapé les bases de la société autochtone et contribué au sentiment d’aliénation qui est souvent à l’origine des comportements autodestructeurs et antisociaux. Chez les Autochtones, les problèmes sociaux sont dans une grande mesure l’héritage de l’histoire(16)".

Les recherches d’Amnesty International montrent que cet héritage a aussi contribué à accroître les risques de violence contre les femmes autochtones dans les centres urbains du Canada. Des générations de femmes et de jeunes filles autochtones ont été exclues par les politiques gouvernementales. Beaucoup vivent désormais dans les villes canadiennes dans des situations désespérées, qui sont encore aggravées par les préjugés sexistes et les comportements racistes à leur égard et par l’indifférence générale que suscitent leur bien-être et leur sécurité. En conséquence, un nombre bien trop élevé de ces femmes et de ces jeunes filles se retrouvent en danger, privées d’une protection suffisante de la loi et marginalisées à point tel que des hommes peuvent commettre contre elles des crimes violents sans être inquiétés.

Dépossédés de leurs propres terres

Les conflits sociaux, plusieurs décennies de déracinement forcé des femmes et des enfants et le manque de perspectives économiques et scolaires dans de nombreuses communautés autochtones ont poussé un nombre sans cesse croissant de personnes autochtones à s’installer dans des villes majoritairement non autochtones.

Pourtant, la plupart des femmes autochtones qui vivent dans les centres urbains canadiens ne parviennent pas à gagner suffisamment d’argent pour subvenir à leurs besoins, et encore moins à ceux d’une famille. Le recensement de 1996 a montré que le revenu annuel moyen des femmes autochtones inscrites hors réserves était inférieur de 5500 dollars canadiens (environ 3500 euros) à celui des femmes non autochtones(17) et beaucoup moins élevé que le revenu estimé nécessaire par Statistique Canada pour se nourrir, se loger et s’habiller dans une grande ville canadienne(18). Le problème de l’absence de domicile fixe ou de logement satisfaisant se poserait pour de nombreuses familles autochtones dans tout le pays(19).

Cette lutte quotidienne pour s’en sortir est encore compliquée par les préjugés sexistes et les comportements racistes à l’égard des femmes et des jeunes filles autochtones et par l’indifférence générale que suscitent leur bien-être et leur sécurité. Comme l’a écrit en 1993 le Comité canadien sur la violence faite aux femmes : "... la plupart des Autochtones ont été confrontés directement au racisme - la plupart ont été traités de "sales Indiens" à l’école, dans des foyers, par des policiers ou par des gardiens de prison. Tous les Autochtones ont aussi souffert de différences subtiles de traitement dont ils savaient qu’elles n’étaient pas accidentelles(20)." [traduction non officielle]

Dans une étude, des familles autochtones confrontées à la pauvreté ont décrit leur situation en employant des termes tels que "mauvaise opinion de soi, dépression, colère, manque de confiance en soi, intimidation, frustration, honte et désespoir(21)".

La prostitution est l’un des moyens utilisés par certaines femmes autochtones pour tenter de survivre et de faire vivre leur famille dans les villes canadiennes(22). Dans une enquête menée auprès de 183 travailleuses du sexe de Vancouver par la PACE Society (Prostitution Alternatives Counselling and Education, Alternatives, conseils et éducation en matière de prostitution), 40 p. cent de ces femmes ont dit être entrées dans le commerce du sexe parce qu’elles avaient besoin d’argent(23) et 25 p. cent ont cité la toxicomanie comme l’une des raisons qui les avait poussées à se lancer dans ce type d’activité. Presque 60 p. cent d’entre elles ont dit qu’elles avaient continué à travailler dans le commerce du sexe pour pouvoir continuer de se droguer(24). Dans cette étude, plus de 30 p. cent des travailleuses sexuelles interrogées étaient des femmes autochtones, alors que les Autochtones représentent moins de deux p. cent de la population de la ville(25). Une surreprésentation similaire des femmes autochtones parmi les travailleuses sexuelles semble exister dans d’autres villes du Canada.

Une autre organisation non gouvernementale, Aide à l’enfance Canada, a interrogé plus de 150 jeunes et enfants autochtones exploités dans le cadre du commerce sexuel. Presque tous ces jeunes et enfants ont parlé de "la présence accablante des ruptures et de la discorde dans leur vie, accompagnée d’une mauvaise image de soi(26)" [traduction non officielle]. Les autres facteurs communs à la vie de beaucoup de ces jeunes étaient, entre autres, un passé marqué par des violences physiques ou sexuelles, des fugues à répétition de différentes familles et foyers d’accueil, l’absence de liens familiaux et communautaires forts, l’absence de domicile fixe ou l’errance, le manque de perspectives d’avenir et la pauvreté. Le rapport d’Aide à l’enfance précise :

"Tous les traumatismes qui coupent les enfants de leur famille, de leur communauté et de leur culture accroissent les risques de les voir entraînés dans une exploitation sexuelle à des fins commerciales. Quand un enfant ou un jeune perd ses repères de base tels que la sécurité, le logement et les moyens de subsistance, sa vulnérabilité l’amène dans des situations où le commerce du sexe peut devenir la seule solution de survie possible(27)." [traduction non officielle]

La violence contre les femmes dans le cadre du commerce du sexe

Que la prostitution soit ou non un acte criminel, les travailleuses du sexe ont droit à la protection de leurs droits humains. Des mesures concrètes et efficaces doivent être prises pour assurer leur sécurité et pour traduire en justice ceux qui se rendent coupables de violence à leur encontre ou en tirent profit.

Travailler dans le commerce du sexe au Canada peut être extrêmement dangereux pour les femmes, qu’elles soient autochtones ou non. C’est particulièrement vrai pour celles qui racolent dans la rue. Dans l’étude du groupe PACE, un tiers des femmes ont affirmé avoir déjà subi une agression alors qu’elles travaillaient dans la rue(28).

Les travailleuses sexuelles sont d’autant plus menacées de violence qu’elles sont souvent suffisamment désespérées pour prendre des risques, par exemple en montant dans une voiture avec un homme connu comme violent ; en outre, l’opprobre jetée sur ces femmes par la société offre une justification commode aux hommes qui cherchent des cibles pour commettre des actes de violence misogyne(29). Par ailleurs, par peur d’être arrêtées, de nombreuses travailleuses sexuelles hésitent à dénoncer à la police les agressions dont elles sont victimes ou à coopérer avec les enquêteurs. En conséquence, les auteurs de ces violences peuvent être encouragés par le sentiment qu’ils vont pouvoir s’en tirer sans être inquiétés.

L’isolement et la marginalisation sociale, qui accroissent les risques de violence pour les femmes qui travaillent dans le commerce du sexe, sont des problèmes qui se posent avec une acuité particulière pour les femmes autochtones. Ainsi, le rôle joué par le racisme et le sexisme dans l’exacerbation des menaces qui pèsent sur les femmes autochtones dans le cadre du commerce du sexe a été clairement souligné par le juge David Wright lors du procès, en 1996, de John Martin Crawford pour le meurtre de trois femmes autochtones dans le Saskatchewan : "Il semble que quatre facteurs motivaient le choix des victimes de M. Crawford : en premier lieu, elles étaient jeunes ; en deuxième lieu, il s’agissait de femmes ; en troisième lieu, elles étaient autochtones ; enfin, elles étaient des prostituées. Elles vivaient éloignées de leur communauté et de leur famille. L’accusé les traitait avec mépris et les brutalisait ; il les terrorisait et finissait par les tuer. Il semblait déterminé à détruire en elles jusqu’à la toute dernière parcelle d’humanité(30)."

Les femmes autochtones et la violence raciste

Parmi les femmes portées disparues ou assassinées dont le rapport d’Amnesty International présente l’histoire, certaines avaient travaillé de manière occasionnelle ou régulière dans le commerce du sexe pour gagner leur vie. Par contre, d’autres n’avaient aucun lien avec ce milieu. Amnesty International pense que certains des facteurs qui favorisent la violence contre les travailleuses du sexe, tels que le fait qu’elles soient mises au ban de la société et privées de toute protection familiale et sociale, s’appliquent aussi aux femmes autochtones en dehors du commerce du sexe.

La Commission d’enquête du Manitoba sur l’administration de la justice et les Autochtones a affirmé au sujet du meurtre de Helen Betty Osborne : "Ses agresseurs semblaient partir du principe que les femmes autochtones étaient de mœurs légères et faciles à entraîner par le biais de l’alcool ou de la violence. Il est évident que les hommes qui ont enlevé Osborne considéraient les jeunes femmes autochtones comme des objets sans autre valeur humaine que la satisfaction de leurs désirs sexuels(31)."

Des organisations de premier plan contactées par Amnesty International ont confirmé que les comportements racistes et sexistes à l’égard des femmes autochtones continuaient de jouer un rôle important dans les agressions contre ces femmes dans les villes canadiennes. De son côté, la police tient des propos contradictoires quand il s’agit de reconnaître cette menace. Certains policiers ont dit à Amnesty International que les plus grands facteurs de risque étaient des facteurs liés au "style de vie", tels que l’implication dans le commerce du sexe ou la toxicomanie, et que les autres facteurs, tels que la race ou le genre, ne jouaient pas un rôle suffisamment significatif pour être pris en compte dans leur travail. D’autres, au contraire, ont déclaré à Amnesty International qu’ils avaient constaté le rôle important du racisme et du sexisme dans les agressions contre les femmes autochtones et qu’ils considéraient l’ensemble de ces femmes comme menacées.

Trop surveillées mais pas assez protégées

De nombreuses études sur le maintien de l’ordre au Canada montrent que les personnes autochtones dans leur ensemble ne reçoivent pas la protection à laquelle elles ont droit(32). Les témoignages de beaucoup des familles interrogées par Amnesty International confirment cette constatation. En effet, seul un petit nombre d’entre elles ont décrit des policiers polis et efficaces qui, dans quelques cas, ont même déployé des efforts exceptionnels pour tenter de retrouver leurs proches disparues. Les autres ont raconté la lenteur de réaction des policiers lors de la disparition de leur sœur ou de leur fille, le manque de respect avec lequel elles avaient été traitées ou l’absence totale d’informations sur le déroulement de l’enquête - quand il y avait une enquête.

Un certain nombre de policiers interrogés par Amnesty International ont insisté sur le fait qu’ils géraient toutes les affaires de la même manière et ne traitaient pas les gens différemment selon qu’ils étaient autochtones ou non. Toutefois, si la police offre un même niveau de protection aux personnes autochtones qu’aux autres groupes de la société, elle doit aussi comprendre les besoins spécifiques des populations autochtones, être capable de communiquer avec elles sans peur ni méfiance, et enfin avoir à répondre de ses actes devant les communautés autochtones. Or, comme l’ont reconnu certains policiers interrogés par Amnesty International, ce n’est clairement pas le cas aujourd’hui.

Dans tout le pays, le nombre de personnes autochtones arrêtées ou faisant l’objet de poursuites judiciaires est très disproportionné par rapport à la taille de la population autochtone. La Commission d’enquête du Manitoba sur l’administration de la justice et les Autochtones a laissé entendre que cette surreprésentation des personnes autochtones dans le système judiciaire pourrait découler du fait que la police a davantage tendance à inculper et à incarcérer des personnes autochtones alors que "dans les mêmes circonstances, une personne blanche n’aurait peut-être même pas été arrêtée, ou n’aurait pas été maintenue en détention(33)". La Commission d’enquête a précisé que de nombreux policiers en étaient arrivés à considérer les personnes autochtones non pas comme un groupe à protéger, mais comme un groupe contre lequel le reste de la société devait être protégé. Il en résulte une situation dans laquelle, comme cela est souvent dit, les personnes autochtones sont à la fois trop surveillées et insuffisamment protégées(34).

De nombreuses personnes autochtones estiment avoir peu de raisons de faire confiance à la police et, par conséquent, hésitent à se tourner vers elle pour obtenir une protection. Les forces de police ont été utilisées pour faire appliquer des politiques telles que celle qui imposait le retrait des enfants de leur famille pour les emmener dans des pensionnats, politique qui a déchiré les communautés autochtones. Aujourd’hui, de nombreuses personnes autochtones considèrent que la police a autant de chances de leur faire du mal que de les protéger.

La Saskatchewan Justice Reform Commission (Commission de réforme de la justice du Saskatchewan) a fait remarquer que les "mères de jeunes autochtones ont exprimé leur appréhension à voir sortir leurs enfants le soir. Parmi leurs craintes figure la peur qu’ils ne soient victimes de violences policières(35)." Une femme autochtone, professeur dans une université canadienne, a dit à Amnesty International qu’elle avait ordonné à son fils adolescent de ne jamais parler à un policier en son absence.

Protestant contre l’absence d’une force de police permanente dans de nombreuses communautés du Nord du Canada, l’Association des femmes inuit a déclaré : "Pour pouvoir servir toutes les composantes de nos sociétés, les policiers doivent nous connaître et faire partie de nos communautés(36)." De nombreuses forces de police canadiennes exigent maintenant de leurs membres qu’ils suivent une formation sur la sensibilité à la culture, la communication interculturelle ou l’histoire des peuples autochtones afin de mieux comprendre les communautés autochtones. Toutefois, malgré cette exigence, la Commission de réforme de la justice du Saskatchewan a conclu : "Des policiers continuent d’être affectés auprès des Premières nations et des métis avec une connaissance minimale de la culture et de l’histoire des populations qu’ils sont sensés servir(37)."

Malgré les efforts réalisés par de nombreuses forces de police pour engager davantage de policiers autochtones, ces populations restent sous-représentées dans les forces de police de l’ensemble du Canada(38). Les efforts en ce sens doivent donc être renforcés, en particulier en ce qui concerne le recrutement de femmes autochtones. Il convient également de veiller à intégrer davantage la connaissance des populations autochtones dans les apprentissages fondamentaux de tous les policiers. Par exemple, les préoccupations, les points de vue et les besoins des populations autochtones devraient transparaître dans les scénarios opérationnels utilisés dans la formation des policiers. Ces derniers devraient aussi avoir le temps et la possibilité, dans le cadre de leur travail quotidien, de tisser les relations nécessaires de compréhension et de confiance mutuelles avec les populations autochtones. Malheureusement, beaucoup ont dit à Amnesty International que la charge de travail et les changements fréquents, et souvent obligatoires, d’affectation constituaient des obstacles réels à une bonne compréhension des communautés autochtones et à l’établissement de relations de confiance.

Les forces de police devraient travailler avec des organisations autochtones pour établir des pratiques et des lignes de conduite qui pourraient non seulement aider à la formation individuelle des policiers, mais aussi améliorer les relations entre les communautés autochtones et la police dans son ensemble. La Commission de réforme de la justice du Saskatchewan a mis en avant un certain nombre de pratiques positives au sein de la police de Saskatoon, qui mériteraient d’être reproduites ailleurs. Ainsi, elle a, entre autres, salué la création d’un poste de responsable des relations avec les populations autochtones et l’instauration d’une coopération régulière avec les anciens de chaque communauté, ceux-ci accompagnant notamment les policiers lors de certaines patrouilles menées dans des quartiers à population majoritairement autochtone(39).

L’un des domaines dans lesquels les recherches d’Amnesty International ont fait apparaître la nécessité d’une réforme institutionnelle est la manière dont la police réagit aux signalements de disparitions. De nombreuses familles autochtones ont en effet raconté à l’organisation que les policiers n’avaient pas fait grand-chose quand elles avaient signalé la disparition d’une sœur ou d’une fille, et qu’ils semblaient se contenter d’attendre que la personne soit retrouvée. La police fait remarquer que la grande majorité des personnes dont la disparition est signalée ont simplement fait une fugue ou décidé de couper les liens avec leur famille ou leurs amis. La plupart de ceux qui "disparaissent" ainsi volontairement reviennent d’eux-mêmes très rapidement.

Toutefois, cela n’excuse pas un certain nombre d’attitudes dont Amnesty International a eu connaissance : il est ainsi arrivé que, malgré les graves préoccupations des proches qui étaient convaincus que leur sœur ou leur fille disparue courait un grand danger, la police n’ait pas pris les mesures de base consistant, par exemple, à interroger dans les plus brefs délais la famille et les amis ou à lancer des appels au public pour recueillir des informations.

Ces mesures sont particulièrement urgentes quand la personne disparue est une jeune fille car l’État a l’obligation particulière de retrouver et de protéger les mineurs menacés. Tout signalement de disparition doit être soigneusement examiné afin d’évaluer les risques encourus par la personne disparue. Malheureusement, même dans les grandes villes, de nombreuses forces de police canadiennes ne disposent pas de personnel spécialisé dans les affaires de disparitions. La tâche d’évaluer les risques et la crédibilité des craintes de la famille peut donc revenir à de simples policiers peu ou pas formés ni expérimentés dans ce domaine.

À la connaissance d’Amnesty International, peu de forces de police disposent de protocoles spécifiques sur les mesures à prendre lorsqu’on leur signale la disparition d’une femme ou d’une jeune fille autochtone. Seule la force de police nationale - la Gendarmerie royale du Canada - exige l’intervention d’un agent de liaison spécialisé pour toutes les affaires dans lesquelles la personne disparue est autochtone. Il faudrait que toutes les forces de police travaillent avec les communautés autochtones pour élaborer et mettre en place des protocoles plus spécifiques tenant compte des préoccupations et des circonstances particulières relatives aux disparitions de femmes autochtones.

Amnesty International a aussi d’autres préoccupations concernant la manière dont la police traite les travailleuses du sexe, qu’elles soient autochtones ou non.

En vertu du droit canadien, l’acte de se prostituer n’est pas illégal, mais les faits de communiquer publiquement dans le but de vendre ou d’acheter des services sexuels, d’acheter ou de tenter d’acheter les services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans, d’être trouvé dans un lieu réservé à la prostitution, et de vivre entièrement ou en partie de la prostitution d’une autre personne, constituent des actes criminels(40). Bien que ces lois visent autant ceux qui achètent des services sexuels ou qui vivent de la prostitution que les femmes et les hommes qui vendent ces services, les prostituées sont souvent les premières touchées par les arrestations. Dans le milieu du commerce du sexe, nombreux sont ceux qui affirment que la menace de la mise en application de ces lois est utilisée pour chasser les travailleuses du sexe des quartiers riches, dont les habitants risqueraient de porter plainte, vers des zones moins en vue, et donc plus dangereuses(41).

La peur des arrestations amène les travailleuses du sexe à entretenir des "relations conflictuelles" avec la police(42). En effet, elles hésitent à lui demander protection par crainte d’être arrêtées. De leur côté, les policiers regardent les prostituées avec suspicion et méfiance, et peuvent leur reprocher de se mettre elles-mêmes dans des situations dangereuses. L’administrateur du Regina’s Sex Workers’ Advocacy Project (Projet de défense des travailleurs du sexe de Regina), Barb Lawrence, a rapporté à Amnesty International les propos d’un policier : un jour, une travailleuse du sexe ne s’est pas présentée au rendez-vous qu’elle avait avec le procureur de la Couronne, qui souhaitait entendre son témoignage dans l’affaire du meurtre d’une femme autochtone à Regina. Barb Lawrence, qui avait fixé le rendez-vous, a fini par recevoir un appel téléphonique de la prostituée en question. Il s’est avéré que cette femme était détenue par la police municipale, qui voulait l’interroger sur une autre affaire. Les policiers avaient refusé de croire qu’elle avait rendez-vous au bureau du procureur. Quand Lawrence et les procureurs se sont rendus au poste de police pour y rencontrer cette femme, le policier qui l’avait arrêtée aurait dit qu’il n’avait aucune raison de la croire puisqu’elle n’était "qu’une putain de la rue".

Conclusion et recommandations

Les femmes et les jeunes filles autochtones ont le droit à la protection des autorités et de la société canadiennes. Les carences qui existent dans cette protection se sont traduites par des tragédies individuelles pour les familles qui ont perdu des sœurs, des filles et des mères à cause de la violence raciste et sexiste. Elles se traduisent également par une véritable tragédie en matière de droits humains.

Le concept des droits humains repose sur la reconnaissance de la dignité et de la valeur inhérentes à tous les êtres humains, sans aucune exception. En ratifiant des traités internationaux contraignants relatifs à ces droits et en adoptant des déclarations importantes dans le cadre d’organismes tels que les Nations unies, les gouvernements se sont engagés à veiller à ce que toute personne jouisse de ses droits et de ses libertés universels. Les gouvernements ont l’obligation de protéger tous les individus de la discrimination et de veiller à ce que chacun bénéficie de soins médicaux, d’une éducation et d’un logement appropriés. Ils doivent aussi prendre toutes les précautions raisonnables pour empêcher les crimes tels que les meurtres, les enlèvements et la torture.

Amnesty International est préoccupée par le fait que les autorités canadiennes ne respectent pas leurs obligations à l’égard des femmes autochtones. Les agressions contre des femmes autochtones dans les villes canadiennes ont été, pendant trop longtemps, considérées comme des incidents isolés. Les affaires similaires ne font pas l’objet d’enquêtes suffisamment approfondies, et de nombreuses mesures de prévention identifiées par des commissions et des enquêtes gouvernementales par le passé n’ont pas été mises en œuvre. Pendant ce temps, les phénomènes d’inégalités sociales et économiques, qui existent de longue date et contre lesquels rien n’est fait, continuent d’entraîner les femmes et les jeunes filles autochtones dans des situations où leur vie est beaucoup plus menacée, par exemple dans le commerce du sexe.

Il est temps d’agir !

Les autorités canadiennes devraient, à tous les niveaux, travailler en collaboration étroite et de toute urgence avec des organisations de personnes autochtones, et en particulier avec des femmes autochtones, pour instaurer des plans d’action destinés à mettre fin à la violence contre ces femmes. Les recommandations d’action suivantes s’appuient sur les demandes formulées par des familles de femmes disparues, des organisations de premier plan qui travaillent pour le bien-être et la sécurité des femmes autochtones, et des enquêtes et commissions gouvernementales officielles. Certaines de ces recommandations sont spécifiques à la situation et aux besoins des femmes autochtones. D’autres sont valables aussi pour les femmes non autochtones.

Les autorités canadiennes devraient :

1. déterminer et mettre en œuvre des protocoles d’action appropriés et efficaces sur les disparitions en tenant compte des risques spécifiques encourus par les femmes et les jeunes filles autochtones ;

2. octroyer des financements suffisants et durables, sur plusieurs années, aux services appropriés sur le plan culturel, tels que les foyers d’accueil et de conseils pour les femmes et les jeunes filles autochtones, qui sont nécessaires pour prévenir la violence à l’encontre de ces femmes ; la conception et la mise en œuvre de ces programmes devra répondre aux besoins spécifiques des femmes autochtones ;

3. étendre les programmes qui proposent des avocats aux personnes autochtones pour les aider dans leurs relations avec la police et les tribunaux ;

4. veiller à ce que toutes les forces de police canadiennes soient soumises à l’autorité d’organismes civils indépendants habilités à enquêter sur les allégations d’actes illicites de la part de la police ;

5. recruter davantage de policiers autochtones, et en particulier de femmes, et veiller à ce que tous les policiers, procureurs et juges soient suffisamment formés aux questions concernant la violence contre les femmes autochtones dans toute une série de contextes, tels que la violence familiale, l’exploitation sexuelle des enfants et le commerce du sexe ;

6. dans le cadre du réexamen en cours et de l’application des lois sur le commerce du sexe au Canada, donner aux policiers des instructions claires afin que les droits fondamentaux des femmes impliquées dans ce commerce soient protégés dans toutes les activités de maintien de l’ordre ;

7. financer des travaux de recherche nationaux exhaustifs sur la violence contre les femmes autochtones, avec notamment la création d’un registre national pour recueillir et analyser les informations statistiques en provenance de toutes les juridictions ;8. demander au rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones et à la rapporteuse spéciale des Nations unies chargée de la question de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, de mener une étude conjointe sur les formes de violence contre les femmes autochtones, notamment au Canada ; mettre clairement en avant les mesures prises pour combattre le problème de la violence contre les femmes autochtones dans les rapports présentés par le Canada aux organes des Nations unies concernés, tels que le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et le Comité des droits de l’homme ;

9. appliquer les recommandations restées en suspens de la Commission royale sur les peuples autochtones concernant la pauvreté et la marginalisation des personnes autochtones au Canada, comme l’ont demandé instamment et à maintes reprises les organes des Nations unies chargés de veiller à l’application des traités relatifs aux droits humains ;

10. renforcer et étendre les programmes d’éducation du public, y compris ceux du système scolaire officiel, afin qu’ils reconnaissent et abordent pleinement l’histoire de la dépossession et de la marginalisation des populations autochtones et la réalité actuelle du racisme dans la société canadienne ;

11. prendre des mesures pour qu’il devienne obligatoire de consulter de façon constructive les femmes autochtones lors de la formulation et de la mise en œuvre de toutes les politiques concernant leur bien-être ;

12. ratifier et appliquer les instruments internationaux relatifs aux droits humains qui se rapportent à la prévention de la violence contre les femmes, tels que la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (Convention de Belém do Pará).

D’autres recommandations figurent dans la version intégrale de notre rapport : Stolen Sisters : A human rights response to violence against women in Canada.

Passez à l’action !

Joignez votre voix à celle d’Amnesty International pour exiger des autorités canadiennes qu’elles prennent de toute urgence des mesures destinées à mettre fin à la violence contre les femmes autochtones au Canada.

Écrivez à :

Madame Anne McLellan
Vice-Premier ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile
House of Commons
Parliament Buildings
Ottawa, Ontario
Canada
K1A0A6

Exprimez votre profonde préoccupation au sujet de la violence contre les femmes autochtones au Canada. Demandez au gouvernement fédéral de prendre de toute urgence et en priorité les mesures suivantes :

* encourager fortement toutes les forces de police du Canada à travailler avec des organisations de femmes autochtones pour déterminer et mettre en œuvre des protocoles d’action appropriés et efficaces sur les disparitions, qui tiennent compte des risques spécifiques encourus par les femmes et les jeunes filles autochtones ;

* octroyer des financements suffisants et durables, sur plusieurs années, aux services appropriés sur le plan culturel, tels que les foyers d’accueil et de conseils pour les femmes et les jeunes filles autochtones, qui sont nécessaires pour prévenir la violence à l’encontre de ces femmes ;

* financer des travaux de recherche nationaux exhaustifs sur la violence contre les femmes autochtones, avec notamment la création d’un registre national pour recueillir et analyser les informations statistiques en provenance de toutes les juridictions ;

* veiller à ce que soient appliquées les recommandations restées en suspens de la Commission royale sur les peuples autochtones concernant la pauvreté et la marginalisation des personnes autochtones au Canada, comme l’ont demandé instamment et à maintes reprises les organes des Nations unies chargés de veiller à l’application des traités relatifs aux droits humains.


Notes :
(1) Voir le rapport rédigé par les deux membres de la Commission d’enquête du Manitoba sur l’administration de la justice et les Autochtones : Hamilton, A.C. et Sinclair, C.M., Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba : The Deaths of Helen Betty Osborne and John Joseph Harper, 1991.
(2) Ces affaires sont décrites dans la version intégrale du présent rapport, intitulée Stolen Sisters : A human rights response to discrimination and violence against Indigenous women in Canada.
(3) Les femmes autochtones : un portrait démographique, social et économique, Affaires indiennes et du Nord canadien, été 1996.
(4) "Missing aboriginal women inspire national campaign", The Canadian Press, 22 mars 2004.
(5) Juristat, vol 21, n°9, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada, 2001.
(6) Voir par exemple les documents suivants : Dumont-Smith, Claudette et Sioui-Labelle, Pauline, National Family Violence Abuse Study, Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada, 1991 ; No more secrets, Pauktuutit (Association des femmes inuit), 1991.
(7) "Serial killer who roamed Saskatoon met with indifference by police, media : Journalist-author accepts award for book about slain aboriginal women.", in Edmonton Journal, 29 November 2003.
(8) Vancouver, Prince Albert, Saskatoon, Regina et Winnipeg.
(9) Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, op. cit. (voir note 1).
(10) Voir, par exemple, les documents suivants : Rapport de la Commission royale sur les Peuples autochtones, 1996, http://www.ainc-inac.gc.ca/ch/rcap/sg/sgmm_f.html ; Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Canada, 10 décembre 1998 ; E/C.12/1/Add.31.
(11) Les obligations du Canada en matière de protection des femmes autochtones face à la violence découlent d’un certain nombre de traités internationaux relatifs aux droits humains, tels que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (art. 2), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 2) et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 2).
(12) Voir par exemple : Maracle, Sylvia et Craig, Barbara (coprésidentes du Comité directeur du Service de guérison des familles autochtones), For Generations to Come : The Time is Now : A Strategy for Aboriginal Family Healing, The Aboriginal Family Healing Unit Steering Committee, 1993.
(13) Rapport de la Commission royale sur les Peuples autochtones, op. cit. (voir note 11).
(14) First Nations Child and Family Services Joint National Policy Review, Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et Assemblée des Premières nations, Ottawa, 2000 ; Blackstock, Cindy, Clarke, Sarah, Cullen, James, D’Hondt, Jeffrey et Formsma, Jocelyn, Keeping the Promise. The Convention on the Rights of the Child and the Lived Experiences of First Nations Children and Youth, Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières nations du Canada, Ottawa, 2004.
(15) Rapport de la Commission royale sur les Peuples autochtones, op. cit. (voir note 11).
(16) Rapport de la Commission royale sur les Peuples autochtones, op. cit. (voir note 11).
(17) Les femmes autochtones : un portrait d’après le recensement de 1996, Affaires indiennes et du Nord canadien, Ottawa, 2001.
(18) Les seuils de faible revenu de 1994 à 2003 et les mesures de faible revenu de 1992 à 2001, Statistique Canada, Ottawa, 2003.
(19) Beavis, Mary Ann, Klos, Nancy, Carter, Tom et Douchant, Christian, Analyses documentaires. Les Autochtones sans abri, Institut d’études urbaines, Université de Winnipeg, janvier 1997.
(20) Marshall Freeman, Pat et Asselin Vaillancourt, Marthe, Un nouvel horizon : Éliminer la violence - Atteindre l’égalité : Rapport final du Comité canadien sur la violence faite aux femmes, Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1993.
(21) Urban Aboriginal Child Poverty : A Status Report on Aboriginal Children & Their Families in Ontario, Ontario Federation of Indian Friendship Centres, Toronto, Ontario, Octobre 2000.
(22) De nombreux autres facteurs amènent les femmes à entrer dans le commerce du sexe. Ceux-ci ne sont pas traités dans le présent rapport, qui se concentre sur les femmes autochtones.
(23) Violence against Women in Vancouver’s Street Level Sex Trade and the Police Response, PACE Society, Vancouver, 2000, p. 82.
(24) Ibid., pp. 32-33.
(25) Ibid., p. 6.
(26) Vies sacrées : les enfants et les jeunes aborigènes canadiens dénoncent l’exploitation sexuelle, Projet national de consultation des Autochtones, Aide à l’enfance Canada, Ottawa, 2000.
(27) Ibid.
(28) PACE Society, ibid. (voir note 24), p. 6.
(29) Lowman, John, "Violence and the Outlaw Status of (Street) Prostitution in Canada", in Violence Against Women, volume 6, n°9, septembre 2000, pp. 987-1011.
(30) Goulding, Warren, Just another Indian : A Serial Killer and Canada’s Indifference, Heritage House Publishing Company, Calgary, 2001, p. 188.
(31) Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, op. cit. (voir note 1).
(32) Voir par exemple : Final Report, Saskatchewan Commission on First Nations and Métis Peoples and Justice Reform (Saskatchewan Justice Reform Commission), Regina, 2004 ; Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, op. cit. (voir note 1).
(33) Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, op. cit. (voir note 1), p. 595.
(34) Final report, The Aboriginal Justice Implementation Commission, Manitoba, 2001.
(35) Saskatchewan Justice Reform Commission, ibid. (voir note 33), pp. 5-3, 5-4.
(36) Pauktuutit Inuit Women’s Association of Canada, Inuit Women and justice : Progress Report n°1, Annexe : Violences contre les femmes et les enfants, les préoccupations des femmes du Labrador (p. 5-6)
(37) Saskatchewan Justice Reform Commission, ibid. (voir note 33), pp. 5-8.
(38) Saskatchewan Justice Reform Commission, ibid., pp. 5-10, 5-11 ; The Aboriginal Justice Implementation Commission, ibid. (voir note 34).
(39) Saskatchewan Justice Reform Commission, ibid., p. A-34.
(40) Code criminel du Canada, articles 212 et 213.
(41) Voices for Dignity : A Call to End the Harms Caused by Canada’s Sex Trade Laws, Pivot Legal Society, Vancouver, 2004.
(42) Lowman, John, ibid. (voir note 30), p. 1008.

4 Octobre 2004

(tiré du site de Cybersolidaires)