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Gangsters de l’effet de serre contre Justice climatique

Par Kenny Bruno, Joshua Karliner et China Brotsky

dimanche 27 novembre 2005

Les changements climatiques ont des conséquences sur chaque personne et chaque chose.

La sagesse populaire dit que le consommateur moderne est fautif. L’usage excessif de la voiture, les maisons bourrées d’appareils ménagers, le chauffage central, la climatisation et le fait d’oublier d’éteindre les lumières quand on quitte sa maison sont ce qui nous frappe le plus. Mais la possibilité qu’a le consommateur individuel d’influencer le climat est faible étant donné l’impact des entreprises géantes qui prospectent, extraient, transportent, raffinent et distribuent le pétrole, source principale des émissions de dioxyde de carbone - qui est de loin le premier gaz à effet de serre. À elles seules, 122 entreprises produisent 80% de toutes les émissions de dioxyde de carbone, et seulement 5 compagnies pétrolières privées mondiales - Exxon Mobil, BP Amoco, Shell, Chevron et Texaco - produisent du pétrole qui contribue pour quelque 10% aux émissions de carbone mondiales.

Pendant que ces 5 compagnies et leurs alliés au Congrès blâment le consommateur américain pour sa consommation massive d’énergie, ou le "monde en voie de développement" qui ne prend pas les mesures adéquates pour freiner le réchauffement de la planète, les émissions des carburants qu’ils produisent dépassent le total de tous les gaz à effet de serre en provenance de l’Amérique centrale, de l’Amérique du Sud et de l’Afrique réunies !

En plus de produire le pétrole qui conduit au réchauffement de la planète, ces Gangsters de l’effet de serre contribuent à la dynamique du changement climatique et la perpétuent, de plusieurs autres manières importantes : - Ils sont raffineurs et marchands de pétrole et de gaz. - Ils se servent de leur puissance politique pour empêcher la transformation technologique et maintenir leurs affaires en l’état. - Ils achètent l’opinion publique et scientifique.

Qu’est-ce que la Justice climatique ?

"Justice climatique" signifie, tout d’abord, supprimer les causes du réchauffement de la planète et permettre à la Terre de continuer à nourrir nos vies et celles de tous les êtres vivants. Cela conduit à réduire radicalement les émissions de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre.

"Justice climatique" signifie s’opposer à la destruction causée par les Gangsters de l’effet de serre à chaque étape de la production et du processus de distribution - depuis un moratoire sur la nouvelle prospection pétrolière jusqu’à l’arrêt de l’empoisonnement de collectivités par les émissions des raffineries ; depuis des réductions nationales radicales des émissions automobiles jusqu’à la promotion de transports publics efficaces et effectifs.

"Justice climatique" signifie qu’alors que tous les pays devraient participer à la réduction radicale des émissions de gaz à effet de serre, les nations industrialisées, qui historiquement et actuellement sont les plus responsables du réchauffement de la planète, devraient mener cette transformation. Les États-Unis, qui émettent environ 25% des gaz à effet de serre, devraient en particulier être à l’avant-garde de cette transformation.

Enfin, "Justice climatique" signifie rendre les exploitants d’énergie fossile redevables en raison du rôle central qu’ils jouent dans le réchauffement de la planète. Cela signifie lutter contre ces compagnies à chaque niveau - depuis la production et la commercialisation des énergies fossiles elles-mêmes, jusqu’à leur influence politique occulte, leurs prouesses en matière de relations publiques, jusqu’aux "solutions" injustes qu’elles proposent, jusqu’à la mondialisation basée sur les énergies fossiles qu’elles défendent. "Justice climatique" signifie retirer aux entreprises multinationales la formidable puissance qu’elles exercent sur nos vies et, à leur place, construire la démocratie au niveau local, national et international.

La mondialisation sert les intérêts des compagnies pétrolières multinationales d’au moins quatre manières importantes :

 La FUSIONMANIA, qui est en train d’envahir l’industrie, en est une. Cette expansion se produit lorsque les grosses entreprises tentent d’accroître leur compétitivité à l’échelle mondiale.

 Les PROGRAMMES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL, imposés par la Banque mondiale et FMI, sont une deuxième aide pour les multinationales pétrolières. Les compagnies pétrolières étatisées ont formé des partenariats avec les compagnies du secteur privé. Le partenariat de Mobil avec PDVSA pour la prospection dans le delta de l’Orénoque au Venezuela en est un exemple.

 Les ACCORDS et institutions de LIBRE ÉCHANGE et d’INVESTISSEMENT, comme l’Accord de Libre Échange de l’Amérique du Nord (ALENA) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sont le troisième volet de la mondialisation qui soutient l’industrie du pétrole. Par exemple, l’ALENA encourage l’industrie du pétrole au détriment de la durabilité écologique de deux façons importantes. Premièrement, il encourage explicitement les gouvernements à subventionner le pétrole et les méga-projets de gaz en exemptant ces subventions du reproche d’"entraves déloyales au commerce". Soit dit en passant, l’ALENA n’accorde pas une telle protection aux aides gouvernementales visant à rendre l’énergie plus efficace, plus respectueuse de l’environnement ou à développer des alternatives énergétiques - laissant l’énergie propre soumise aux caprices des commissions de règlement des litiges de ALENA, secrètes et non démocratiques. Sous le masque du "libre" échange, l’ALENA élimine quasiment aussi la possibilité pour les pays de diriger le développement de leurs ressources énergétiques pour les marchés d’exportation - essentiellement en menaçant de faire du Canada et du Mexique des "colonies de ressources" virtuelles pour les exigences en énergie presque insatiables des États-Unis.

Dans le même temps, l’OMC abaisse les barrières aux échanges et aux investissements dans le monde, et encourage l’augmentation de la dépendance croissante des pays envers l’énergie fossile pour le transport, le développement agricole et énergétique. Cela crée des marchés toujours en expansion pour l’industrie pétrolière. Bien sûr, ce n’est pas une coïncidence si les associations et les entreprises de l’industrie d’énergie fossile, incluant le Gangster de l’effet de serre Texaco, dominent le Comité consultatif officiel du commerce du gouvernement américain pour les problèmes énergétiques. Il n’y a pas de groupes des droits de l’homme, du travail ou de l’environnement dans ce comité, et seulement une association des industries de l’énergie renouvelable. En revanche il y a 14 compagnies pétrolières, gazières, électriques et minières et associations d’industries dans ce comité.

L’OMC peut aussi servir à étouffer les efforts des pays pour se conformer au traité sur le climat de Kyoto. Par exemple, les États-Unis et l’Union européenne menacent de poursuivre le Japon pour ses nouvelles normes d’efficacité énergétique - règlements qui sont conçus pour abaisser les émissions de dioxyde de carbone - en tant qu’entraves déloyales au commerce. Les subventions gouvernementales pour l’efficacité énergétique, les programmes "verts" d’achats gouvernementaux et le marquage par le gouvernement des produits dont la production contribue au changement climatique courent tous le risque d’être mis à mal par l’OMC.

 De NOUVELLES FRONTIÈRES, incluant les zones écologiquement fragiles, sont ouvertes à la prospection pétrolière par la mondialisation. Comme les accords de libre échange et d’investissement font tomber les barrières économiques internationales, les multinationales se précipitent dans beaucoup de nouvelles régions. Les Gangsters de l’effet de serre sont en train d’amasser de l’argent pour étendre leur emprise aux pays en développement du Sud, aux forêts humides lointaines, aux fonds marins, à l’Arctique interdit, à proprement parler "aux confins de la Terre".

La prospection pétrolière est terriblement chère, même avec des records de bas prix pour le pétrole. En 1998, l’industrie a dépensé 88 milliards de dollars dans la prospection. Même Shell et BP reconnaissent, sur le papier, que les énergies renouvelables représentent l’avenir. Cependant, la stratégie à long terme des grands pétroliers est encore dictée par l’incitation à prospecter. Pourquoi ?

La raison en est que nous avons trop de pétrole. C’est vrai dans le court terme, comme l’ont montré la surproduction de 1998 et la décision de l’OPEP de réduire la production début 1999. Mais c’est vrai aussi dans le long terme. Les scientifiques du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estiment que pour stabiliser les concentrations de CO2 au niveau actuel, nous aurions besoin de réduire les émissions de carbone d’environ 60%. Il n’y a tout simplement aucun moyen de le faire sans des restrictions massives de la consommation d’énergie fossile et le développement d’énergies alternatives. Les réserves mondiales prouvées de pétrole et de gaz, si elles étaient complètement exploitées, dépasseraient de loin la capacité de la planète à absorber les émissions de carbone. En d’autres termes, il est impossible de brûler sans dommage même les combustibles fossiles que nous avons déjà, sans compter ceux qui ne sont pas encore découverts. Cependant les géants du pétrole continuent leur recherche coûteuse et destructrice de nouveaux champs de pétrole et de gaz, même dans certains des lieux les plus lointains de la planète.

La realpolitik du commerce de la pollution >

On ne peut empêcher le climat de changer sans réduire l’usage de l’énergie fossile. Cependant le gouvernement et l’industrie des États-Unis ont tout fait pour éviter ou différer de faire précisément cela tout en obtenant des crédits pour des réductions d’émissions de carbone. Ces plans sont basés sur le principe de l’échange des droits d’émissions.

Au sens le plus large, l’échange prend plusieurs formes, connues sous le nom de Mécanismes flexibles dans le protocole de Kyoto. Elles incluent une Mise en ouvre conjointe et un Mécanisme de développement propre. La Mise en ouvre conjointe permet d’acheter des crédits pour les réductions d’un autre pays plutôt que d’avoir à réduire les émissions à la source. Le Mécanisme de développement propre permet aux pays industrialisés d’éviter des réductions nationales en échange d’une participation dans des projets de pays en développement qui devraient produire des émissions plus faibles. Par exemple, les États-Unis pourraient acheter du "crédit" pour le carbone absorbé par des "puits de carbone" comme les forêts, dans le Sud, ou pour des réductions globales de gaz à effet de serre dans l’ancienne Union Soviétique, où l’effondrement économique est cause de réductions de toute façon.

L’expérience de l’échange des droits d’émission de pollution atmosphérique a montré que le commerce de la pollution peut créer l’apparition de réductions fantômes, récompenser les pires pollueurs de l’histoire, promouvoir la fraude et miner l’innovation technologique. Les plans d’échange des droits d’émission ne s’appliquent pas aux effets de pollution locale des usines émettant du carbone, comme les raffineries, et le système d’échange désavantage les pays du Sud quand ils commencent à réduire leurs émissions, puisque les réductions les plus faciles ont déjà été achetées et mises au crédit des pays du Nord.

Les Gangsters de l’effet de serre ne sont pas les seuls à proposer l’échange des droits d’émission comme solution au changement climatique. Il est soutenu par quelques groupes environnementaux comme le Fonds de défense environnemental et le Syndicat des scientifiques responsables. Mais jusqu’à un certain point, ce soutien reflète la realpolitik du changement climatique. Il présuppose que nous ne pouvons pas faire accepter à l’industrie de l’énergie fossile de changer si nous ne pouvons pas rendre cela rentable, et ce postulat est fondé sur la connaissance de la formidable puissance de l’industrie. Les questions de justice et de loyauté deviennent secondaires dans le calcul realpolitik. Les plans de commerce, comme le souligne un éditorialiste, fournissent un "semblant d’action pour le grand public tout en faisant un clin d’oil à l’industrie pour lui dire que le statu quo n’est pas perturbé".

Le recours à l’échange des droits d’émission comme solution reflète la fuite en avant désespérée à laquelle le gouvernement des États-Unis pense qu’il faut avoir recours pour éviter et différer la réduction effective de notre dépendance envers les énergies fossiles et de nos émissions de carbone. Le système d’échange des droits d’émission permet un minimum de lutte contre la puissance des Gangsters de l’effet de serre et de leurs alliés, mais sabote la création de vraies solutions au changement climatique.

La Justice climatique devrait, pour résoudre le problème du réchauffement de la planète, développer des solutions qui renforcent la justice économique et environnementale entre communautés et entre nations. Ce qui est central dans cette approche, c’est le principe de la Transition juste, qui devrait réserver des fonds pour financer la transition auprès des travailleurs et des communautés dépendant de l’industrie d’énergie fossile. Une telle transition devrait encourager l’investissement, la formation des travailleurs et un développement des communautés basé sur la durabilité et la justice. Une transition semblable doit être encouragée au niveau international, en aidant les nations du Sud à désengager leurs économies des énergies fossiles. Par exemple, les technologies qui rendent plus écologique le développement de l’énergie devraient être mises à la disposition des pays les plus pauvres à un coût faible ou nul, plutôt que d’être maintenues en otages par les systèmes de propriété intellectuelle et de brevets imposés par les entreprises.

La Justice climatique exige aussi de fournir une aide correcte aux victimes du réchauffement de la planète - notamment aux réfugiés environnementaux qui ont perdu l’accès à leur terre, à leurs maisons, à la nourriture, à la santé et au travail suite au réchauffement de la planète.

La prévention du changement climatique pourrait frapper le plus durement les travailleurs des industries voraces en énergie fossile et les communautés voisines si parallèlement il n’y a pas d’effort pour encourager une Transition juste. Aussi, comme nous l’avons vu, certaines des "solutions" proposées telles que le commerce de la pollution, non seulement n’ont pas d’efficacité prouvée, mais encore sont inéquitables, car elles laissent les communautés locales devenir des zones de sacrifice toxiques pour le reste de la planète, tout en permettant aux pays comme les États-Unis de différer les vraies réductions d’émissions. Des solutions qui forcent les pays du Sud à supporter un fardeau injustifié sont tout aussi déloyales.

Inversons la dynamique de la mondialisation, basée sur l’énergie fossile, menée par les entreprises

Actuellement, la mondialisation menée par les entreprises est en train de créer des opportunités d’investissements et de nouveaux marchés pour l’industrie de l’énergie fossile. Le commerce international et les accords d’investissement comme l’ALENA et l’OMC, ainsi que des institutions multilatérales de prêts comme la Banque mondiale et le FMI ont créé les structures économiques mondiales qui font progresser à la fois les profits de l’entreprise et le réchauffement de la planète.

La Justice climatique demande que l’économie mondiale serve les intérêts des droits de l’homme et de l’environnement, pas ceux de l’entreprise. En tant qu’initiateurs, les standards internationaux du travail de l’OIT, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les accords internationaux sur l’environnement sous l’égide de l’ONU comme le protocole de Kyoto doivent supplanter les institutions de la mondialisation telles que l’OMC. La Banque mondiale et autres institutions de prêt devraient inverser leurs politiques, qui subventionnent la mondialisation basée sur l’énergie fossile.

Une vraie Justice climatique exige que le protocole de Kyoto mette spécialement l’accent sur le fond du problème - les 122 entreprises qui produisent 80% de l’énergie fossile finissant en dioxyde de carbone dans l’atmosphère de la Terre. La Justice climatique impose aussi que la contribution centrale de l’entreprise au réchauffement de la planète soit publiquement identifiée à l’échelle mondiale. Il y a beaucoup de moyens créatifs pour cela. Par exemple, en 1998, des membres du Parlement européen ont proposé que les ouragans soient renommés pour refléter ce rôle de l’entreprise. Ainsi l’ouragan Mitch aurait pu être appelé ouragan Shell, cependant que l’ouragan Floyd aurait pu être appelé à la place ouragan Exxon-Mobil.

2002


Contact pour cet article et un rapport complet : http://www.corpwatch.org Le Courriel d’information a été mis au point par l’équipe de bénévoles du Grain de sable. <journal@attac.org> <http://attac.org> Reproduction autorisée sous couvert de la mention Courriel d’information ATTAC - http://attac.org/