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Gauche socialiste et la voie parlementaire

dimanche 7 décembre 2008, par David Mandel

Le 30 novembre dernier avait lieu une réunion publique avec différents représentants de la gauche radicale au Québec. Le titre de la rencontre : « La voie parlementaire est-elle le terrain de lutte de la classe ouvrière ? ».

Vous trouverez ci-dessous la transcription de l’intervention de David Mandel qui était sur le pannel pour Gauche Socialiste.

« La voie parlementaire est-elle le terrain de lutte de la classe ouvrière ? »

Pour donner une réponse cohérente à la question, il faut d’abord la reformuler pour préciser davantage ce qu’on demande. Est-ce qu’on demande si, dans le cadre de la démocratie capitaliste, un parti ouvrier devrait participer à la lutte électorale et parlementaire ? Ou bien est-ce qu’on demande si la voie parlementaire peut amener au socialisme ?

A la première question – si, dans une démocratie capitaliste, un parti ouvrier devrait participer aux luttes électorales et parlementaires – la réponse du courant marxiste auquel j’appartiens est affirmative : il faut y participer, à moins que la société se trouve déjà dans une situation révolutionnaire, ce qui n’est évidemment pas le cas aujourd’hui. Mais cela ne règle pas la question, parce qu’il faut encore préciser de quelle manière participer et dans quels buts. J’y retournerai tantôt.

A la deuxième question – si la voie parlementaire peut amener au socialisme – la réponse est également sans équivoque : la voie parlementaire ne peut pas amener au socialisme. Et cela avant tout pour la simple raison que la bourgeoisie ne le permettrait jamais. Dès qu’elle se rendra compte que ce système politique ne lui permet plus de défendre ses intérêts vitaux, elle y renoncera en faveur du sabotage, de la répression, de la dictature. Il faut aussi reconnaître que les gains que la classe ouvrière et ses alliés peuvent faire dans le cadre de la démocratie capitaliste, quoique réels et souvent significatifs, resteront toujours partiels et précaires.

Mais malgré cela, et malgré que la lutte parlementaire ne puisse libérer les travailleurs et les travailleuses de l’exploitation ni renverser la tendance à la dégradation sociale et à la destruction de l’environnement, nous soutenons qu’il faut y participer, si nous voulons que la classe ouvrière et ses alliés soient un jour en mesure de réaliser la transformation socialiste souhaitée. Une classe qui est incapable de se poser des buts même limités et de les réaliser dans des conditions de liberté relative pourrait à peine se poser un but de l’envergure de la transformation révolutionnaire de la société.

Tant que les libertés politiques sont plus ou moins respectées, et à moins que la société ne soit déjà dans une situation révolutionnaire, un parti ouvrier ne peut pas refuser la participation à la lutte parlementaire et électorale. Cela pour la simple raison que si ce parti est incapable de convaincre les travailleurs et les travailleuses de voter pour lui afin de gagner des réformes, mêmes partielles, ce parti ne pourrait certainement pas les mobiliser en faveur d’une révolution et du socialisme… A moins que nous ayons affaire à un groupe conspirateur qui cherche à prendre le pouvoir au nom de la classe ouvrière afin de éclairer celle-ci par la suite – une stratégie néfaste que Marx lui-même a mis pas mal d’effort à combattre.

La vraie question est donc : comment devrait-on participer à la lutte parlementaire et quelle place elle devrait-elle occuper dans une stratégie globale qui vise le socialisme. L’un des concepts politiques centraux du marxisme est « le rapport de forces entre les classes ». Ce rapport est une chose complexe, à laquelle contribuent bien des facteurs variés, tant matériels qu’idéologiques, tant subjectives qu’objectives. Mais c’est le rapport de force entre les classes qui détermine en dernière analyse la situation de la classe ouvrière : l’état de ses droits sociaux et politiques, le niveau d’exploitation dans la société, la force de l’emprise de l’idéologie dominante sur la conscience populaire, et bien d’autres choses.

Nous ne nous faisons pas d’illusions : la bourgeoisie jouit d’énormes avantages dans le cadre de la démocratie capitaliste. Pour n’en mentionner que les plus importants : elle contrôle l’économie ; elle contrôle également les médias de masses ; elle jouit de la sympathie des hautes sphères des appareils étatiques, y inclus des appareils de répression, la police et l’armée ; elle a l’appui d’alliés internationaux très puissants. Ces avantages rendent des victoires électorales d’une gauche anticapitaliste extrêmement difficiles. Et même quand cette gauche remporte des victoires électorales, celles-ci — à elles seules — ne peuvent changer de manière significative le rapport de force dans la société. Quelqu’un l’a bien exprimé : « les élections donnent le droit de gouverner, mais non pas nécessairement le pouvoir de gouverner ». Ce pouvoir dépend du rapport de forces global, et avant tout au sein de la société elle-même.

Bref, les victoires électorales, même si elles contribuent au rapport de force entre les classes, ne peuvent pas en elles-mêmes le modifier radicalement.

La vraie question est donc : comment participer à la lutte électorale et dans quels buts ? Il devrait être évident que la lutte électorale ne doit pas constituer un but en soi. Les luttes électorales et la participation au parlement doivent être subordonnées à une stratégie qui vise à changer le rapport des forces au sein de la société en faveur de la classe ouvrière, de sorte que celle-ci puisse se donner des buts toujours plus ambitieux, jusqu’au moment où elle pourra poser réellement la question de la transformation socialiste de la société.

La participation aux élections doit donc servir en premier lieu à renforcer la capacité de mobilisation des forces populaires, à élargir leurs perspectives et leurs ambitions, à renforcer leur confiance en elles-mêmes, à les réunir derrière des revendications qui vont à l’encontre de la logique du capital et qui remettent en cause son pouvoir. Cela devrait également le rôle prioritaire des députés de gauche élus au parlement.

Il s’agit donc d’un parti qui cherche à devenir un véritable mouvement politique, enraciné dans les mouvements sociaux, tout en respectant leur autonomie ; un parti qui participent aux luttes électorales et parlementaires dans le but de renforcer ces mouvements et de les rassembler derrière une vision commune de transformation radicale de la société.

La construction d’un tel parti et l’élaboration d’une telle stratégie est une chose extrêmement complexe et difficile, et d’autant plus dans une période de démobilisation populaire relative, comme celle que nous vivons depuis un quart de siècle. Le capitalisme est un système en mutation constante : Marx et Engels ont écrit que le capitalisme révolutionne constamment les rapports de production. Cela signifie que même si nous devons tirer des leçons des expériences du passé, nous nous ne pouvons pas répéter ces expériences. Il faut constamment rénover les stratégies, même si les principes de base de notre action restent constants.

En même temps, il faut reconnaître sur la base de l’expérience historique que la démocratie libérale à une très grande capacité de récupération des forces contestataires. Contre cela il n’existe pas d’immunité certaine. La participation de révolutionnaires aux institutions de l’Etat bourgeoisie est une démarche par sa nature même contradictoire. A ce sujet, les anarchistes ont le mérite de souligner les dangers. Le problème est que leur solution – l’abstention – n’est pas une solution. Il n’y a que le fonctionnement démocratique des organisations ; la formation d’une base de militants et de militantes arméEs d’une analyse réaliste de la société et de l’État capitalistes ; et la résistance consciente à la tentation, toujours forte, de se transformer en machine électorale et de subordonner le parti à son aile parlementaire.

L’histoire montre que le risque de récupération est toujours réel. Mais l’alternative est une gauche anticapitaliste qui traîne une existence politique marginale sans influence significative dans la société.