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Italie : Après les élections d’avril

vendredi 10 octobre 2008, par Salvatore Cannavo

Salvatore Cannavò, ancien député du PRC et ex-directeur adjoint du quotidien du PRC Liberazione, est membre de la direction du mouvement Sinistra critica (Gauche critique).

Après les élections d’avril
Salvatore Cannavò

Salvatore Cannavò, ancien député du PRC et ex-directeur adjoint du quotidien du PRC Liberazione, est membre de la direction du mouvement Sinistra critica (Gauche critique).

Selon de nombreux commentateurs, c’est un véritable tremblement de terre politique que l’Italie a connu à l’occasion des élections des 13 et 14 avril 2008. Mais plus que d’un tremblement de terre, il s’agit d’une stabilisation conservatrice. Celle-ci clôt un cycle politique commencé en 1991, une période de grands bouleversements politiques marquée par la disparition du Parti communiste italien (PCI), par la fin de l’hégémonie gouvernementale de la Démocratie chrétienne (DC) et du Parti socialiste italien (PSI) à la suite d’une vague d’enquêtes concernant la corruption connue sous le nom de « Mani Pullite » (« Mains propres »), par le repositionnement du capitalisme italien sur la scène mondiale sous l’hégémonie du néo-impérialisme des États-Unis après la fin de l’URSS, et finalement par la naissance du Parti de la refondation communiste (PRC, appelé aussi Rifondazione). Ce cycle se termine alors qu’on assiste au renforcement significatif de la droite conservatrice et raciste, à l’affaiblissement du projet politique issu de la disparition du PCI et de la politique suivie par la majorité de ses successeurs (les Démocrates de gauche (DS) et dans un second temps le Parti démocrate), ainsi qu’à la division de la gauche de classe et anticapitaliste, sa sortie du parlement et sa profonde confusion.

Stabilisation conservatrice

Berlusconi revient au pouvoir après une campagne électorale à profil bas, centrée sur l’infidélité et la faillite du gouvernement Prodi et de son alliance. Sa victoire est pour une grande part due à la misère politique de l’Union, à la pauvreté du groupe dirigeant « démocratique » et aux erreurs de Bertinotti et de la direction de Rifondazione, ainsi qu’aux limites du mouvement de masse.

Mais Berlusconi a gagné aussi du fait de ses propres mérites, de la conscience de la droite qu’il représente et qui lui permet d’annoncer une longue phase de gouvernements de droite, une stabilisation politique qu’on n’avait plus connue depuis le temps de la vieille démocratie chrétienne. La nouvelle attitude du premier ministre, modéré et disponible pour l’opposition — immédiatement après le vote de confiance au Parlement, Berlusconi a pris l’initiative de rencontrer Veltroni, le leader du Parti démocrate — est une preuve de la force dont il dispose ce dont témoigne son renforcement électoral : dans son ensemble la droite a obtenu un million de voix de plus qu’en 2006. Une force qui lui permet de réduire au silence une opposition parlementaire affaiblie et par ailleurs toute disposée à collaborer avec lui. Ainsi, le chef du gouvernement peut tenter de se présenter non seulement comme le représentant politique de son camp, mais comme un homme d’État, capable de laisser une trace dans l’histoire du pays.

La force et le mérite de Berlusconi se fondent sur la formule politique, nouvelle et dense, du centre-droit — le Popolo della Libertà (Peuple de la Liberté, PdL), un nouveau parti se situant entre Forza Italia (Force de l’Italie) et l’Alliance nationale (les ex-fascistes), allié au nord avec la Ligue de Bossi (qui a obtenu 8,3 % des suffrages dans ces élections) et au sud avec le Mouvement pour l’autonomie, une formation méridionale qui gouverne déjà la Sicile — qu’il a construit et qu’il veut cimenter avec un bloc social de référence. Il s’agit d’une alliance d’intérêts diffus, en partie populaires et présents dans le monde du travail, qu’il amalgame avec un ornement culturel réactionnaire et en partie xénophobe.


Contre la mondialisation

La droite italienne a ainsi défini un profil précis que nous avons caractérisé — avec un jeu de mot qui est en soi inquiétant — comme « national-social ». Il s’agit en premier lieu d’un programme économique, élaboré par le nouveau ministre des Finances, Giulio Tremonti — son livre « La paura e la speranza » (La peur et l’espoir) a eu un grand succès —, dont l’axe central est la critique du « mercantilisme », c’est-à-dire du rôle incontrôlé et intolérant du marché comme valeur absolue au nom d’une intervention publique en vue de défendre l’économie nationale et de préserver le niveau de vie des plus faibles. La formule de Tremonti c’est « que vive le marché, mais si le marché ne le fait pas alors l’État intervient ». Elle délimite un nouveau rôle des États nationaux à l’époque de la mondialisation dominante. Il s’agit d’une politique, qualifiée par certains de néo-colbertisme (1), qui prend appui sur la peur engendrée par la concurrence internationale chez les travailleurs des petites entreprises, effrayés par la vague des importations chinoises à bas prix et qui commencent à penser que l’Europe unifiée est une escroquerie.

Ce n’est pas par hasard que la manière de présenter au public cette orientation économique a été concentrée, au cours de la campagne électorale, sur la crise autour de la vente de la compagnie aérienne Alitalia. Alors que le gouvernement Prodi, voulant respecter toutes les directives de l’Union européenne, s’apprêtait à la vendre à Air France, Berlusconi au contraire, désireux de contourner les règles européennes, mettait l’accent sur la réaffirmation de l’appartenance « italienne » de la compagnie (2). En somme, il s’agit d’un néo-nationalisme tempéré, devant tenir compte du rôle de l’UE — personne au sein du centre-droite ne veut casser l’Union — mais ferme sur la préservation du rôle national et, de ce fait, perçu par beaucoup de travailleurs comme plus « protecteur ». Les premières mesures du gouvernement Berlusconi sont l’abolition de l’impôt sur le premier logement, la suppression des taxes sur le travail supplémentaire — qui aggravera les conditions des travailleurs, mais qui est perçu aujourd’hui encore comme permettant d’augmenter le pouvoir d’achat — et en même temps l’annonce de l’augmentation de l’imposition des très hauts traitements « dorés » des grands managers, des banques et des entreprises pétrolières. Il s’agit là d’un populisme bien trouvé qui s’accorde parfaitement avec l’autre cheval de bataille, le plus important, que la droite a choisi de monter : la lutte contre l’immigration clandestine et la centralité sécuritaire.

Ces derniers jours nous avons vu des images que nous pensions ne pouvoir plus se reproduire : des citoyens italiens prenant d’assaut les camps des Roms, mettant le feu aux baraques et chassant les femmes et les enfants. Cela s’est produit à Naples, largement à l’initiative de la Camorra mais avec le consentement citoyen et, surtout, sans un mot de condamnation véritable de la part du gouvernement, ni même de l’opposition « démocratique » (pas plus d’ailleurs que de l’Église du pape Ratzinger). Un signe évident du climat général, qui s’enracine sur la peur de la crise économique, sur le repli identitaire et sur la faiblesse interne du mouvement ouvrier qui, une fois encore, se laisse envahir par l’instinct de la « guerre entre les pauvres ».

La droite parvient ainsi à agréger autour d’elle un vaste front qui va du monde du travail aux petits entrepreneurs, des retraités aux employés effrayés par l’immigration ou la criminalité (qui est pourtant en constante diminution en Italie, avec un taux de sûreté des villes, en premier lieu de Rome, très élevé en comparaison avec les villes européennes), aux importants secteurs de la jeunesse, qui en ont assez de la gauche et de ses diverses articulations.

Défaite de la gauche

C’est le second facteur qui explique le résultat électoral, un facteur aussi important que la capacité de Berlusconi de comprendre la dynamique sociale italienne. La gauche italienne (par commodité nous y incluons aussi la partie de l’ex-PCI qui forme aujourd’hui la Parti démocrate, bien qu’elle n’ait plus rien de commun avec la gauche) s’est pour l’essentiel suicidée. Quinze ans après la liquidation du PCI et après avoir été par deux fois au gouvernement, elle n’a pas réussi à valider sa stratégie, s’est politiquement isolée mais surtout, elle s’est coupée des secteurs significatifs du mouvement ouvrier, constamment attaqués et trahis au cours des décennies de choix faits pour soutenir l’entreprise italienne et le capitalisme dominant.

La stratégie d’occuper le « centre » de la scène politique, le tournant libéral — que les démocrates de gauche ont accompli en sautant par-dessus la social-démocratie et en s’inscrivant directement dans la « troisième voie » de Blair et Clinton — ont finalement conduit son parti, le Parti démocrate, héritier de la majorité du PCI et de la Démocratie chrétienne, à « seulement » 33 % des suffrages. Toutes les études montrent que l’électorat du centre s’est déplacé encore plus à droite, directement vers le PdL de Berlusconi ou vers l’Udc de Casini (issue d’une minorité droitière de la vieille DC), anciennement alliée à Berlusconi et aujourd’hui seconde force de l’opposition parlementaire avec 5,5 % des suffrages. Seulement 2 % à 3 % des électeurs de gauche ont suivi le Parti démocrate. Le choix de défendre et de représenter directement le capitalisme italien en crise — l’industrie italienne se base surtout sur les petites entreprises qui pour une large partie votent à droite — a favorisé la droite qui est en fin de compte plus fiable et plus à l’écoute des humeurs de la bourgeoisie italienne. Le PD s’est ainsi retrouvé sans alliés crédibles pour reconquérir le gouvernement. Les héritiers du PCI sont contraints à une nouvelle « traversée du désert », malgré leur franc déplacement sur les positions de la bourgeoisie italienne.

La stratégie libérale du PD a ainsi favorisé surtout la droite, lui laissant le terrain de la représentation des humeurs et des intérêts populaires les plus régressifs, alors qu’il gouvernait les yeux fixés sur la politique bancaire (il n’y a pas un seul dirigeant d’une grande banque italienne qui ne se soit lié d’une manière ou d’une autre au PD), favorisant la Fiat ou la Confindustria (organisation patronale italienne) et démantelant les services publics locaux. Avec une telle politique et une gauche si liée au pouvoir des grandes entreprises italiennes, il est logique qu’une partie importante du vote populaire se soit déplacée à droite, comme en témoigne le succès de la Ligue du nord. Qui plus est, étant au gouvernement, le centre-gauche a commis toutes les erreurs tactiques possibles. Aucune mesure, aucun décret symboliquement innovant ou rompant avec une situation sociale gangrenée ; le soutien apporté par Veltroni à Berlusconi, lorsque ce leader de la droite était en difficultés politiques ; une bataille interne où tout les coups étaient permis ; aucune prise en compte de ce qui apparaît aujourd’hui comme le thème privilégié de l’opinion publique : les privilèges des parlementaires, les hauts traitements, les gaspillages de l’administration publique.

Le centre-gauche a pu tenir debout seulement grâce à une sorte de « néofrontisme », une union sacrée contre la droite, sans contenu social qui a fini par favoriser… la droite elle-même.

Dans ce contexte le choix de la gauche de classe, et en particulier celui du PRC, s’est avéré être désastreux. Les résultats de ces élections obligent de constater la fin de la Refondation communiste. Une fin que nous avons annoncée en tant que Sinistra critica l’an dernier, en déclarant notre sortie du PRC et la naissance de notre mouvement politique. Une fin marquée par divers facteurs : l’incapacité de mener à son terme la mission historique du PRC, c’est à dire la refondation d’un Parti communiste de classe et alternatif face au PD ; une caste politique interne incrustée dans la perspective institutionnelle, avec la prolifération du carriérisme et de la lutte pour les places ; l’arrogance et le narcissisme d’un groupe dirigeant, Bertinotti en tête, croyant pouvoir tout se permettre. Mais, en fin de compte, ce qui a pesé le plus dans ce cas également ce fut une erreur stratégique : l’idée qu’il était possible de construire une force communiste et de classe en alliance avec le capital italien. Bertinotti nomma cette possibilité « le compromis dynamique », une variante pittoresque du « compromis historique » qui, à la longue, comme son prédécesseur, s’est consommé dans la désagrégation du parti qui devait le défendre.

Au gouvernement le PRC s’est trompé sur tout : il a voté pour la guerre ; il a organisé une grande manifestation contre la précarité pour ensuite voter la mesure du gouvernement contre laquelle il venait de manifester ; il a expulsé Turigliatto (3) démontrant ainsi qu’il était plus royaliste que le roi ; il a pris la présidence de la Chambre des députés « se faisant État » et prenant de ce fait la responsabilité de la politique de la majorité, ce qu’un électorat de gauche et sincèrement attaché aux valeurs et aux intérêts de classe ne pouvait pas lui pardonner. Mais il a surtout commis l’erreur de penser que soutenir le gouvernement était une stratégie possible, que le centre-gauche italien était « perméable » aux mouvements sociaux et que sa nature rendait envisageable un projet de « Grande réforme » du pays. Toutes ces erreurs ont été signalées en leur temps par ceux qui, comme nous, avaient une lecture correcte des rapports de forces entre les classes, comprenaient la stagnation des luttes dans les grandes usines et sur les lieux de travail — il suffisait de suivre les renouvellements des principaux contrats collectifs — et l’expliquaient de manière exhaustive.

Rifondazione a clos son cycle dans l’illusion d’associer les deux opposés, le gouvernement et l’opposition sociale, dans l’illusion ou dans la démagogie de réaliser un compromis irréaliste et de faire passer la refondation communiste par les mailles d’une social-démocratie imaginaire. Le PRC a clos son cycle en croyant que la rente électorale serait suffisante pour remplacer un enracinement social inexistant, que personne au sein du groupe dirigeant n’avait tenté de réaliser au cours des quinze années passées, trop occupés qu’ils étaient à s’assurer une place d’honneur électorale.

Nous nous trouvons ainsi aujourd’hui face à une situation de grande régression, surtout sur le plan militant du fait d’une démoralisation diffuse. Les réponses immédiates apportées par les principaux responsables de la catastrophe confirment cette analyse. Le PRC prépare son congrès dans une crispation interne, les uns — fidèles à Bertinotti — proposant son dépassement pour fonder une gauche « arc-en-ciel » qui reprendrait à son compte l’alliance organique avec le Parti démocrate et d’autres — l’ex Démocratie prolétarienne (4) et les ex-cossutiens (5) — s’accrochant à la défense organisationnelle du PRC sans pour autant avancer un autre projet stratégique. C’est donc un règlement de comptes d’appareil, dont l’enjeu sont le logo et… la caisse du parti.

En même temps, le PdCI — le parti fondé par Cossutta lorsque Bertinotti avait rompu avec le premier gouvernement Prodi, dirigé aujourd’hui par Diliberto — propose un projet identitaire, « l’unité de tous les communistes », sans stratégie ni projet politique autre que le déploiement des drapeaux rouges et l’agitation des faucilles et des marteaux. Et tous veulent remettre en selle les même dirigeants qui ont marqué la chronique des dernières quinze années et qui sont responsables de l’effondrement actuel. Même la nouvelle opposition interne au PRC est conduite par l’unique ministre de Rifondazione au sein du dernier gouvernement Prodi, qui s’érige aujourd’hui en adversaire de… Bertinotti.

Cette situation de recul est alimentée par un marasme des luttes sociales (à l’exception des foyers de révolte sur le terrain environnemental et de la bataille contre la dévastation écologique) et un réalignement rapide des grands syndicats — CGIL, CISL et UIL (7) — sur la ligne collaborationniste du Parti démocrate. Les syndicats confédérés ont intégré la « concertation sociale », qu’ils ont immédiatement reproposée au nouveau gouvernement de droite, écartant toute variante conflictuelle d’emblée. C’est donc un nouvel accord Gouvernement-Syndicat-Confindustria qui se profile. Il doit limiter les prérogatives des conventions collectives nationales — c’est-à-dire la négociation centralisée au niveau des branches — au profit des conventions d’entreprises. Il doit également lier toutes les augmentations de salaires aux augmentations de la productivité. Le gouvernement Berlusconi a besoin de cette concertation pour asseoir définitivement sa légitimité, car jusque-là les syndicats ne pratiquaient la « concertation sociale » qu’avec les gouvernements de centre-gauche et le précédent gouvernement Berlusconi avait été confronté à des grandes luttes ouvrières.

Cependant la catégorie salariale la plus importante, celle des métallurgistes, continue à s’opposer à ce schéma. La FIOM-CGIL pourrait de ce fait passer dans l’opposition, alors que, par ailleurs, pour la première fois dans son histoire le syndicalisme de base (7) à mis à son ordre du jour une plate-forme unitaire et un plan d’action commun.

Gauches alternatives

Il s’agit là de signaux d’une contre-tendance qui constituent un point d’appui pour une gauche réellement de classe proposant une stratégie clairement anticapitaliste.

Bien qu’elle ne comptait que trois mois d’existence autonome, la Sinistra critica a été présente lors de ces élections. La sortie du PRC avait concentré son énergie durant près d’un an, ce qui était nécessaire pour permettre à tous de prendre part à une discussion de fond fort riche. La décision de se présenter aux élections n’a été prise que le 17 février, seulement 50 jours avant le scrutin. Le symbole de la campagne a été présenté le 19 février : il s’est donc agi d’une opération très rapide que seule la grande unité du groupe dirigeant et la détermination de toutes les militantes et de tous les militants de cette organisation nouvelle rendaient possible. L’objectif déclaré et explicite n’était pas de représenter immédiatement une alternative à la crise de Rifondazione — qui pour nous était déjà apparente avant les élections — ni à la Gauche « arc-en-ciel », mais seulement d’affirmer l’existence et la vitalité d’un projet alternatif, d’un pôle d’idées fondamentales, d’un groupe dirigeant large et d’un collectif militant présent dans différentes villes et dans les principaux lieux de conflits. De faire connaître, en d’autres termes, la plus jeune des organisations de l’extrême gauche italienne. Cet objectif a été atteint. C’est pour cette raison que nous pouvons nous déclarer satisfaits d’avoir obtenu 0,5 %, soit quelque 170 000 voix, qui ne suffisent bien évidemment pas pour représenter une alternative à la crise du PRC, mais qui permettent à la Sinistra critica d’exister, de se renforcer et de contribuer à la construction d’une nouvelle gauche de classe et anticapitaliste (9). Au cours de la campagne électorale Sinistra critica a pratiquement doublé le nombre de villes où elle intervient. Les analyses des résultats électoraux indiquent que partout où le collectif militant de Sinistra critica avait une présence et une activité organisées nos résultats dépassent 1 %, avec des pointes de 2 % et même 3 % des suffrages.

Le résultat global de la gauche anticapitaliste et de classe est de plus renforcé par celui obtenu par le Parti communiste des travailleurs (PCL), dirigé par Marco Ferrando. Ce parti, issu également de l’opposition interne du PRC, s’est constitué un an avant la Sinistra critica et s’est efforcé depuis à peaufiner sa propagande politique, surtout télévisée, ce qui a eu un impact sur son résultat électoral (0,6 %, soit environ 200 000 suffrages). Le PCL avait mis en avant un langage et une attitude politique très marqués par la tradition « communiste ». Cela a représenté à la fois sa force et ses limites, du fait d’une position très « fermée », autoproclamatoire et, de ce fait, séparée des lieux des conflits sociaux. Ce n’est pas par hasard que le PCL a refusé la proposition d’un accord électoral de Sinistra critica, car il préférait utiliser ces élections pour sa propre construction indépendante en visant un électorat « même, ouvrier et adulte », déçu des partis historiques de la gauche et désirant manifester, même seulement dans la solitude de l’isoloir en tant que geste symbolique, une forme de protestation. Le type de voix que le PCL a recueillies dans les anciens bastions ouvriers du PCI, ceux-là mêmes où le PRC et le PdCI obtenaient des résultats importants dans le passé, témoigne de la réussite de cette tentative.

Une analyse publiée par le quotidien Repubblica aide à comprendre les différences « qualitatives » des votes recueillis par Sinistra critica et par le PCL. Les votes de ce dernier proviennent en effet en grande partie du PdCI (le parti fondé par Cossutta) et seulement un pourcentage infime vient du PRC ou des Verdi (Verts). Les votes de Sinistra critica par contre viennent surtout du PRC, mais aussi de manière significative du PdCI et des Verdi, mais ce sont surtout des votes féminins et jeunes. Il s’agit également dans une large mesure de votes « militants », provenant d’une partie de l’avant-garde engagée dans les syndicats et les mouvements sociaux, les votes de ceux qui ont voulu ainsi lancer le signal d’un engagement à gauche, de leur volonté de ne pas se résigner et de protester ainsi contre la dérive des deux partis communistes du gouvernement Prodi.

Le forum de l’opposition sociale

Comment pourrait-on relancer une gauche de classe ? Par où recommencer ? Dans l’immédiat il n’y a pas de formules organisationnelles ni de regroupements qui permettent de métaboliser la défaite. Une nouvelle gauche de classe ne peut se construire par en haut, en se débarrassant simplement des anciens groupes dirigeants qui ont failli, bien que cela soit nécessaire. Il faut surtout une pratique collective et réelle d’opposition sociale, qui ne peut être seulement de façade ni seulement propagandiste, mais qui doit avoir le souffle long et la capacité de travailler en profondeur. Les manifestations de protestation en réaction à l’esprit obscurantiste et xénophobe qui se répand en Italie en sont certainement un élément. Mais nous avons surtout besoin d’un projet d’enracinement social et d’un programme politique à la hauteur de la crise globale des sociétés capitalistes occidentales.

Cela ne peut être résolu par une formule ou un schéma politique, pas plus que par des alliances improvisées. En tant que Sinistra critica nous proposons de travailler sur deux axes, sur deux coordonnées.

Premièrement, nous allons continuer la construction de notre projet politique et donc de notre organisation, sans pour autant autoproclamer un parti et en poursuivant encore le projet constituant. Nous voulons nous doter d’un local national, construire un bureau central constitué de fonctionnaires qui ne seront pas des professionnels, mais qui travailleront selon le principe de la rotation et à temps partiel, et pour commencer nous organiserons début juillet notre première fête nationale à Rome. En même temps nous voulons ouvrir une phase d’élaboration pour réaliser notre véritable premier congrès national début 2009, qui servira également pour le lancement formel de la campagne électorale des européennes. Dans ce sens l’engagement de la Sinistra critica au sein du projet de la Gauche anticapitaliste européenne est décisif et vise son renforcement organisationnel.

Mais la seconde coordonnée est aussi importante que la première, sinon plus importante. Il s’agit de construire un « front unitaire » capable de résister à la multitude des attaques de la droite, autour d’un programme d’opposition sociale et d’un projet d’enracinement social, avant tout sur les lieux de travail, pour reconstruire les « bastions » de la résistance sociale. Pour cela l’importance d’un nouveau syndicat de classe sera déterminante.

Nous pensons que cela nécessite de relancer la coopération entre les forces qui n’ont pas abandonné l’opposition même lorsque le gouvernement était de centre-gauche — le cartel du 9 juin 2007 qui a permis la grande mobilisation contre la venue de Bush — et qui ont maintenu un ancrage rigoureux dans les aspirations du prolétariat moderne. Les thèmes sont ceux imposés par l’offensive capitaliste en Europe : la résistance ouvrière, la défense des services publics, la lutte contre la xénophobie, la défense écologique de l’environnement. Sur tous ces terrains il faut une dimension européenne et alors que la situation italienne semble si obscure et dangereuse il faut espérer que beaucoup d’eurosceptiques vont comprendre combien un mouvement ouvrier capable de transcender les frontières nationales est vital.

Dans ce but nous proposons la constitution d’un Forum d’opposition sociale au sein du- quel on puisse reconstruire un débat stratégique sur l’identité d’une gauche anticapitaliste en commençant par son principal caractère : l’indisponibilité pour gouverner le capitalisme et la disponibilité pour le renverser.

En somme, nous avons devant nous un long travail, qui doit être constant et déterminé. La Sinistra critica est née au milieu d’une défaite historique et elle a le mérite d’avoir été capable de sauvegarder les énergies de quelques milliers de militant(e)s. Ces énergies seront précieuses dans la nouvelle phase. Nous n’avions pas escompté de nous trouver dans un tel contexte. Nous y sommes et nous allons y jouer avec conviction la partie qui ne fait que commencer.

Notes

1. De Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), entré au service de Louis XIV à la mort de son protecteur Mazarin. En dénonçant ses pratiques aux finances, il contribue à la disgrâce de Fouquet et prend sa place, puis développe le commerce et l’industrie par d’importantes interventions de l’État. Son nom reste attaché à une telle politique : le colbertisme.

2. Au moment d’écrire cet article nous ne savons pas encore comment cela va se terminer, mais ce n’est pas par hasard que le nouveau commissaire européen nommé par Berlusconi, Antonio Tajani, a été déplacé de la Justice aux Transports.

3. Sénateur, membre de la tendance Sinistra critica du PRC et militant de la IVe Internationale, Franco Turigliatto a été expulsé du parti pour avoir refusé de voter le financement de l’armée d’occupation italienne en Afghanistan. Cf. Inprecor n° 526/527 d’avril-mai 2007, n° 528/529 de juin-juillet 2007 et n° 534/535 de janvier-février 2008.

5. Démocratie prolétarienne (DP) est apparue en 1975 en tant que cartel électoral constitué par le Parti d’unité prolétarienne pour le communisme (PdUP), l’Avanguardia operaria (AO), le Mouvement des travailleurs pour le socialisme (MLS) et d’autres groupes plus petits, dont la section italienne de la IVe Internationale. En 1976 l’autre grande organisation de l’extrême gauche, Lotta continua (LC) a rejoint la coalition, qui s’est transformée en parti en 1978 (sans la participation de la section italienne de la IVe Internationale, qui ne la rejoindra qu’en 1989). En 1991 la DP a contribué à fonder le Mouvement pour la refondation communiste, qui deviendra le Parti de la refondation communiste (PRC). Au sein de ce dernier les dirigeants historiques de la DP ont rejoint durablement la direction majoritaire, dont ils restent membres tout en continuant à être perçus comme représentant « la tradition de la DP », alors que ceux qui étaient issus de la tradition trotskiste ont formé pour les uns — Marco Ferrando, Franco Grisolia et d’autres — une minorité programmatique (d’abord “Proposta”, puis “Progetto comunista”) et pour les autres — membres de la IVe Internationale — des regroupements en fonction des débats qui traversaient le parti (entrant au sein de la majorité de la direction lors du tournant à gauche du PRC en 1998) puis ils prirent part à la fondation du courant Sinistra critica lorsque la direction conduite par Fausto Bertinotti a fait le choix d’intégrer le PRC dans le projet gouvernemental de centre-gauche.

6. Du nom d’Armando Cossutta, dirigeant historique du PCI, un des dirigeants fondateurs du PRC. En 1998, lorsque le PRC décida de ne plus soutenir le premier gouvernement de centre-gauche dirigé par Prodi, Cossutta fonda avec la majorité des députés du PRC de l’époque le Parti des communistes italiens (PdCI), qui fit son entrée dans le gouvernement de centre-gauche. Mis en minorité par Diliberto, il a démissionné du PdCI en 2007.

7. La CGIL (Confédération générale italienne du travail, historiquement liée au PCI, 2,5 millions de membres actifs), la CISL (Confédération italienne des syndicats des travailleurs, historiquement liée à la démocratie chrétienne, 1,9 million de membres actifs) et l’UIL (Union italienne du travail, historiquement liée au parti socialiste, 1,1 million de membres actifs) sont les trois principales centrales syndicales italiennes.

8. Sous la dénomination des CoBas (Comité de base), on trouve de nombreuses organisations syndicales issues des luttes sectorielles de la fin des années 1980 ainsi que des ruptures au sein de la CGIL lorsque cette confédération a accepté la remise en cause de l’échelle mobile des salaires. Plusieurs regroupements font partie de ce « syndicalisme de base » combatif, dont le Syndicat intercatégoriel des travailleurs (SDL, issu de la fusion en janvier 2007 du Syndicat intercatégoriel des comités de base — SinCobas, du Syndicat autonome des travailleurs des soins — SALC et du Syndicat unitaire des travailleurs des transports — SULT), la Confédération CoBas, l’UniCobas, la Confédération unitaire de base (CUB)… Très divisé, ce syndicalisme de base représente pourtant au moins plusieurs dizaines de milliers de militants combatifs et parvient dans certains secteurs et dans certaines régions à arriver en tête aux élections syndicales.

9. On lira sur ce site la traduction des 11 Thèses soumises par Sinistra critica à la discussion de la gauche de classe italienne dans le but de contribuer à sa construction.