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Communiqué

L’appel de la résistance démocratique au peuple tunisien

Pour le boycott actif des élections du 24 octobre.

dimanche 30 mai 2004

Le 28-5-2004

Un groupe d’hommes et de femmes politiques, ainsi que des militants de la vie associative, de toutes générations et de tout le spectre politique (démocrates, de gauche et islamistes) viennent de lancer un appel au peuple tunisien pour le boycott actif et déterminé des pseudo- élections organisées le 24 octobre par le régime et entérinant le putsch constitutionnel de Mai 2002 par lequel Ben Ali s’est offert l’impunité et la présidence à vie. Ils appellent à impulser une large mobilisation et à organiser la résistance démocratique sur la base d’un programme articulé autour du départ de Ben Ali, de l’amnistie générale et de l’élection libre d’une assemblée constituante chargée d’élaborer une nouvelle constitution pour un Etat démocratique et une vraie République.

Les premiers signataires de cet appel sont

Raouf Ayadi , Ali Ben Salem, Mohamed Ben Salem, Mohamed Chakroun, Fathi Chamkhi, Hussein Jaziri, Hachemi Jgham, Nagib Hosni, Chokri Hamrouni, Sadri Khiari, Olfa lamloum, Abdelwahab Maatar, Moncef Marzouki, Taïeb Moalla, Nezéiha Rejiba (Oum Ziad), Ahmed Smii, Mohamed Talbi, Zouheir yahyaoui.

1- Depuis la proclamation de l’Indépendance en 1956, le peuple tunisien n’a jamais connu de véritable démocratie. La situation s’est, cependant, considérablement aggravée depuis le début des années 90. Les droits de l’homme, constamment proclamés par le régime, ne sont qu’une chimère. La torture est généralisée, des centaines de prisonniers politiques croupissent dans des prisons surpeuplées, les opposants politiques, mêmes les plus conciliants, sont l’objet de multiples persécutions, les libertés d’opinion, de presse, d’organisation et de manifestation, n’existent pas. Le droit de grève est verrouillé, les libertés syndicales sont à peine tolérées voire inexistantes, notamment dans le secteur privé. Les classes populaires, et en particulier les jeunes, sont l’objet d’une répression policière constante : quadrillage étroit des quartiers et des villes, surveillance, arrestations arbitraires, rafles dans les rues, les cafés. Brutalité et autoritarisme dans les administrations... tous les moyens sont bons pour soumettre la population à l’ordre de Ben Ali et la convaincre que le système est immuable, quasiment naturel, sans autre issue que la collaboration, dans la sujétion, avec une police omniprésente et omnipotente. La servitude est la règle. Agir, penser, même, de manière indépendante devient un exercice des plus périlleux. Le sens civique disparaît ; la citoyenneté paraît n’être qu’un mirage inaccessible.

2- Au-delà des ambitions autocratiques de Ben Ali, le premier enjeu du coup d’Etat annoncé est la reproduction de ce système qui permet, à travers l’oppression politique, l’exploitation redoublée des classes populaires par une minorité privilégiée. Contrairement à ce que prétendent Ben Ali et ses ministres, la situation des classes populaires s’est considérablement dégradée depuis le 7 novembre : le chômage va en s’amplifiant, notamment pour les jeunes et les femmes L’emploi est de plus en plus précaire. Le pouvoir d’achat chute. Les conditions de travail se détériorent constamment. L’accès de tous aux soins et à l’enseignement est battu en brèche par les restriction budgétaire et la privatisation progressive de ces secteurs. La crise du système scolaire et universitaire s’approfondit d’année en année, produisant un nombre toujours plus grand de diplômés chômeurs. De manière générale, la privatisation du secteur public se traduit par des licenciements, la perte de nombreux acquis sociaux et des augmentations de prix pour les consommateurs et usagers. Convaincus à juste titre de bénéficier de la protection du pouvoir, les patrons, étrangers ou tunisiens, traitent leur personnel comme de la main d’oeuvre corvéable et exploitable à merci ne respectant ni le droit du travail ni les libertés syndicales.

Depuis quelques années, malgré leurs limites, ont lieu des mouvements de protestation populaire, des luttes lycéennes et étudiantes, des grèves dans différents secteurs du monde du travail. Les actions de nombreux syndicalistes pour le respect des libertés syndicale et pour faire de l’UGTT une organisation autonome et combative, ont exprimé le mécontentement croissant de la population. Ces mouvements ont montré le chemin d’une opposition véritable à la dictature. Le régime y a répondu par la répression soulignant, une fois de plus, le lien étroit entre sa politique anti-sociale et sa politique anti-démocratique. Notre combat pour la république démocratique se confond avec la lutte contre toutes les formes d’oppression, pour que le peuple puisse défendre et élargir ses droits sociaux.

3- La politique économique anti-sociale dans laquelle s’est engagé le pouvoir de Ben Ali ne répond pas aux seules attentes des classes possédantes tunisiennes et aux intérêts des " familles " responsables d’une corruption scandaleuse et qui confondent la richesse nationale et leur propriété privée. Elle obéit également aux diktats des institutions financières internationales dominées par les grandes puissances (USA et Union européenne) et les entreprises multinationales. Un nouveau colonialisme économique s’est mis en place dont les classes populaires payent quotidiennement la facture. Cette domination économique est en voie d’être complétée par un dispositif politique et militaire dont la guerre en Afghanistan, l’occupation de l’Irak, la politique criminelle de Sharon en Palestine sont les expressions les plus spectaculaires. Mais d’autres manoeuvres sont en cours. Ainsi, du projet de " Grand Moyen Orient " avancé par le président Bush. Ces manoeuvres ont pour objectifs d’empêcher que les peuples ne se révoltent à la fois contre leurs propres dictateurs et contre la domination des Etats Unis. Elles ont pour but de consolider leur hégémonie politico-militaire, de faire accepter les politiques économiques libérales, aux conséquences dramatiques pour les classes populaires, et de stabiliser leurs Etats- clients dans la région en échange de vagues promesses démocratiques et de la cooptation des oppositions nationales et démocratiques aux systèmes en place.

L’opposition tunisienne doit se garder de toute illusion concernant les avantages d’un " arbitrage " américain et/ou européen ; elle doit rejeter sans hésitation les fausses mains tendues qui viseraient à lui faire cautionner, fût-ce par son silence, un pouvoir illégitime.

4- Le 24 octobre prochain, les Tunisiens seront, une fois de plus, appelés à participer à une mascarade électorale. Censé désigner les représentants du peuple à l’assemblée législative et le président de la république, ce double scrutin ne sera guère différent des scrutins antérieurs : la mauvaise mise en scène d’un mauvais scénario, la dépossession politique du peuple. A l’instar des précédentes élections, nous aurons droit à une pseudo -compétition entre pseudo candidats. Les différents organes de presse, officiels ou officieux, nous joueront le spectacle d’une campagne électorale avec faux débats et faux concurrents qui mimeront les postures et emprunteront le ton des polémiques qui opposent les candidats dans les Etats démocratiques .Les éventuels candidats indépendants ne tarderont pas à mesurer l’étendue de l’erreur consistant à parier sur la possibilité de faire entendre leurs voix à travers ces élections. Dans ce décor en carton-pâte, des journalistes compassés feindront d’entretenir le suspens pour finir par nous apprendre ce que tout le monde savait : Ben Ali est triomphalement élu à la tête de l’Etat et la liste des députés, concoctée au Palais de Carthage, aura bien la charge d’applaudir aux décisions de son maître. Candidats du RCD, opposants de circonstance, journalistes et autres experts en science politique nous diront, pour conclure, que ces élections auront constitué pour le peuple une école de citoyenneté et de démocratie.

La vérité est tout autre : ces élections vont discréditer, une fois de plus, le principe électoral ; loin de permettre une avancée démocratique, elles consacreront le pouvoir autocratique de Ben Ali. La compétition électorale ne sera que le masque destiné à camoufler un coup d’Etat dont la première séquence s’est déroulée en mai 2002 avec le " référendum " portant sur la " réforme constitutionnelle ", le coup de grâce au principe constitutionnel, l’assassinat des maigres acquis institutionnel d’un Etat qui n’a plus de républicain que le nom. La nouvelle " loi fondamentale" ne comporte que deux articles : 1) le président a tous les pouvoirs, 2) Ben Ali a le droit de se présenter en 2004 et en 2009. Le reste n’est que poudre aux yeux pour dissimuler le cadavre de la constitution.

Ce diagnostic n’est pas nouveau. Il a fait l’unanimité au sein de l’opposition tunisienne, toutes tendances confondues. Dans de multiples déclarations, l’ensemble de l’opposition a, en effet, contesté la légitimité du référendum, de la réforme constitutionnelles et des institutions qu’elle met en place. Elle a contesté, notamment, l’amendement de l’article 39 dans laquelle elle a vu, à juste titre, la volonté de rétablir le principe anti-démocratique de la présidence à vie.

Restés fidèle quant à nous à ces principes, nous ne reconnaissons pas la légitimité des élections qui viennent. Nous considérons que toute forme de participation au processus électoral n’aurait d’autre signification que de légitimer la révision constitutionnelle et d’entériner le coup d’Etat annoncé. Nous refusons que la souveraineté populaire soit une fois de plus bafouée et appelons le peuple tunisien à manifester cette souveraineté en s’opposant, par le boycott, à la farce électorale du 24 octobre prochain.

5) Les signataires de ce texte lancent un Appel solennel aux différentes composantes de la résistance à la dictature au sein de la société civile indépendante, du mouvement syndical et des classes populaires (ouvriers, fonctionnaires, chômeurs, paysans, jeunesse lycéenne et étudiante), pour l’organisation commune d’une campagne de mobilisation populaire autour des exigences et des principes suivants :

 le départ de Ben Ali et le boycott actif des élections d’octobre 2004,

 l’instauration des libertés démocratiques et des droits de l’homme et, en premier lieu, l’amnistie générale de tous les prisonniers politiques,

 le rejet des politiques d’austérité, des plans de libéralisations économiques et de privatisation du secteur public ; la solidarité avec les luttes des jeunes, des travailleuses et des travailleurs, des fonctionnaires, des chômeurs et des classes défavorisées contre l’exploitation et l’oppression,

 la défense et la promotion de la culture arabe et musulmane fécondée et enrichie par les principes et les valeurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme,

 le refus d’un " arbitrage " organisé par les grandes puissances,

 l’élection démocratique d’une Assemblée constituante souveraine.

Cet Appel a vocation à constituer la base politique d’un large regroupement pour l’élaboration et la mise en oeuvre d’un plan d’action et de mobilisation pour le boycott des " élections " du 24 octobre prochain.

Rejoignez-nous pour organiser la résistance démocratique.

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