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L’impérialisme en Irak

Deuxième partie

dimanche 27 avril 2003, par Claudio Katz

Une hégémonie incertaine

La domination d’un groupe hyperréactionnaire dans l’Administration Bush constitue un fait évident et alarmant. Rumsfeld, Kagan, Wolfowitz sont des faucons formés durant les gouvernements de Reagan et Bush père qui ont gagné un niveau inédit de cohérence et d’influence. Ils sont parvenus à unifier autour d’une même stratégie des groupes droitiers qui sont des fronts des lobbys pétroliers et israéliens. Ils ont aussi imposé une direction unilatérale quand l’ONU a résisté à l’attaque et ils ont utilisé des actions hostiles (espionnage) et de la provocation (déclarations condescendantes) peu habituelles dans la diplomatie occidentale. Ils ont converti, en outre, une grande partie de la presse en un cloaque de patriotisme vulgaire et ont restauré un climat de chasse aux sorcières méconnu aux États-Unis depuis le maccarthysme. Mais ce groupe s’est-il construit une base d’appui suffisante pour aller jusqu’à un cours fascisant ?

Quelques auteurs qui suivent cette évolution estiment, paradoxalement, que la décadence nord-américaine se poursuit de façon continue depuis plusieurs décennies. Ils ne voient pas que ces caractérisations sont peu compatibles et que la réaffirmation militariste des États-Unis n’est pas concevable sans un soutien économique, technologique et politique. L’invasion de l’Irak a été un effet de la récupération de l’hégémonie qu’a réalisée les États-Unis durant les années quatre-vingt dix sur tous les plans et non simplement au niveau de sa domination militaire. La guerre couronne une certaine reprise de l’accumulation qui oblige à étendre les marchés y à chercher pour sortir de la crise de surinvestissement par des coups de force. Mais ce renforcement ne signifie pas que les États-Unis sont devenus un « superimpérialisme » parce qu’aucun rival de première grandeur n’a été réduit au statut de pays dépendant ni ne s’est résigné à la primauté définitive du dollar.

Le point critique

Le point le plus critique de l’offensive impérialiste se situe dans la monde arabe parce qu’il est improbable qu’une opération coloniale puisse s’imposer sans résistance dans une région marquée par des luttes mémorables d’émancipation nationale. Un signe avant-coureur de cette perspective a déjà été signalé dans la première semaine de la conquête.

Au lieu d’un accueil populaire enthousiaste, les troupes nord-américaines ont du faire face à une résistance inattendue. La croyance que l’énorme hostilité à la dictature de Saddam Hussein se traduirait par un accueil chaleureux des marines a été dans l’ensemble démentie. Une importante partie du peuple irakien comprend que l’oppression nord-américaine ne sera pas meilleure que la tyrannie de Hussein et c’est pour cela que dans certaines régions des marines ont été reçus par le cri : « Ni Saddam ni Bush ».

Il est évident que les occupants n’ont pas à leur disposition un gouvernement de marionnettes de remplacement et que cette absence - provoquée, il y a dix ans par Bush père afin d’éviter la chute de Saddam - peut saper l’occupation nord-américaine. Le régime vice-royal fait face à la possibilité de résistance populaire à long terme qui pourrait convertir l’Irak en une nouvelle Palestine plaçant les marines dans la même situation que celle qu’a affrontée l’armée israélienne dans le sud Liban ou dans celle qui a étouffé les troupes françaises en Algérie. C’est pourquoi un expert a averti les États-Unis que les Irakiens n’étaient pas un « peuple primitif mais une des sociétés les plus sophistiquées du Moyen-Orient. » (8)

Mais aussi critique que la situation en Irak est le choc créé dans le monde arabe par les humiliations perpétrées par les marines. Le fait d’hisser le drapeau nord-américain à Bagdad a déchaîné un sentiment de haine généralisée. Le discrédit de la CNN et l’audience croissante de la chaîne All Jazira est un autre symptôme de ce rejet. L’opposition affrontée par les États-Unis dans toute la région est clairement différente de la passivité et de la résignation qui avaient dominé à la fin de la première guerre du Golfe. C’est pour cela qu’il existe une crainte d’une multiplication incontrôlée de Ben Laden et de déstabilisation croissante des régimes pro-nord-américains d’Arabie Saoudite et du Pakistan. La révolte anti-impérialiste est à l’ordre du jour dans toute la région et son avenir dépendra des formes que prendront les échecs des expériences nationalistes et des expériences fondamentalistes réactionnaires.

La résistance globale

Comme cela s’est produit durant la guerre du Vietnam, la bataille contre l’invasion est soutenue par un réseau mondial de mobilisations. Mais la différence des années 70, la réaction populaire a débuté avant le conflit et se manifeste de manière simultanée et coordonnée dans une centaine de pays.

Les marches massives n’ont pas cessé depuis la chute de Saddam parce que les manifestantEs sont conscientEs que l’offensive ne se terminera pas à Bagdad. Il y a un manque total de légitimité pouvant soutenir politiquement l’invasion et c’est pourquoi les gouvernements occidentaux qui ont appuyé ce massacre ont été sérieusement discrédités devant l’opinion populaire.

Les mobilisations ont pris une ampleur inédite dans des milliers de villes. En Angleterre, on a enregistré par exemple la plus grande manifestation de rue de l’histoire alors que de nombreux militantEs ont participé à des gestes héroïques qui rappellent les grands moments du combat antifasciste. D’autre part, les manifestations pour l’Irak constituent un nouveau sommet dans les protestations globales qui ont commencé avec Seattle, Gênes et Porto Alegre. Il existe déjà un forum qui articule et organise la campagne contre l’agression et qui pourra se renforcer avec la nouvelle perspective antimilitariste du mouvement contre la globalisation capitaliste.

D’autre part, un nouvel agenda anti-impérialiste a été adopté par des millions de gens, de travailleurs et de travailleuses et de personnes sans-emploi dans le monde entier. Certains intellectuels ont remarqué que ce tournant était lié à des attentes naïves de nombreux manifestantEs en ce qui concerne le comportement des gouvernements européens, qui, en réalité, se comportent comme des complices de l’invasion. Mais ces illusions n’effacent pas le caractère progressiste des protestations car la lutte est le principal terrain d’apprentissage populaire. Aucune illusion ne peut se dissiper si elles ne sont pas soumises à l’épreuve du combat contre la guerre.

Cela vaut également pour les attentes envers les Nations unies. Ce qui s’est produit en Irak démontre qu’actuellement le droit international se réduit au pouvoir du pays le plus fort. Pour transformer cette réalité. il n’y a pas d’autre chemin que la résistance à l’impérialisme, parce que seulement de cette action pourra surgir un nouvel ordre juridique basé sur les principes de la solution négociée des conflits nationaux et sur l’autodétermination des peuples.

L’impact en Amérique latine

L’impact de invasion de l’Irak sur l’Amérique latine est très significatif pour une simple raison : les États-Unis traite la région selon les mêmes paramètres oppressifs que ceux utilisés au Moyen-Orient. L’impérialisme considère que le pétrole des pays arabes et les ressources naturelles de son arrière cours sont des parties de son patrimoine. C’est pourquoi la trajectoire de Saddam à certains égards est très semblable à celui de Noriega et que les attaques de l’Irak ressemblent à l’occupation de Panama.

Mais il faut se rappeler aussi que la scène irakienne aurait pu être le destin de l’Argentine si en 1979 une guerre eut éclaté avec le Chili et si le conflit se fût terminé par des souffrances semblables à celles qui se sont produites en Irak et en Iran. De même l’aventure de Galtieri dans les îles Malouines aurait pu se conclure comme celle de Saddam au Koweït. Ces similitudes expliquent pourquoi le Pentagone impose à l’Argentine un désarmement semblable à celui imposé à l’Irak ce qui inclut la désactivation des missiles Condor et l’arrêt du développement nucléaire autonome.

Avec de l’occupation de Bagdad, la pression impérialiste sur l’Amérique latine s’accentuera sur les mêmes bases d’oppression que celles vécues par les peuples du Moyen-Orient. C’est en cours en premier lieu d’un processus de remilitarisation générale de la région désignée par le Commandement du sud à Miami. La priorité de cette campagne, c’est la Colombie, mais aussi la création de nouvelles bases et le déploiement de troupes, tout cela combiné à des provocations sur la triple frontière de l’Argentine, du Paraguay et du Brésil.

Au niveau politique, un processus de recolonisation et de rapetissement de la souveraineté des États latino-américaine s’accélère. Durant les négociations du Conseil de sécurité, les exigences nord-américaines pour arracher le vote favorable du Mexique et du Chili furent claires : achat des votes de nombreux conseillers. Dans la majorité des nations de la région, les ambassades américaines ne sont pas des lieux de consultation mais les principaux centres de décision. Cette ingérence grotesque est acceptée comme un destin naturel par la majorité des gouvernements latino-américains, alors que le département d’état prépare de nouvelles actions contre Cuba et peut-être une autre tentative de coup d’état au Venezuela.

D’autre part, l’accaparement du pétrole irakien poussera les fonctionnaires nord-américains à exiger l’accélération des négociations de la ZLÉA et à intensifier le paiement de la dette extérieure. « Nous avons besoin de la ZLÉA pour défendre nos intérêts » a déclaré, sans gêne, le principal négociateur commercial américain. (9) Pour cela, sous les apparences d’un certain immobilisme, le traité destiné à améliorer les exportations nord-américaines continue à gagner du terrain et à réduire les tarifs douaniers latino-américains. La plus importante détérioration des termes de l’échange que prépare à ZLÉA exige aussi une domination financière plus importante du FMI. Pour cette raison, il n’est pas possible de résister aux objectifs commerciaux sans freiner la dévastation financière imposée par le paiement de la dette.

La commotion en Argentine

Certains économistes du gouvernement et de l’opposition (R. Lavgna, M. Lscano) ont affirmé initialement que « la guerre convient à l’Argentine » car elles conduira à « l’augmentation des prix de nos exportations » (10). Mais ils oublient que la gestion monopoliste de l’exportation du pétrole conduit à la cherté interne du combustible chaque fois qu’augmente le prix international du pétrole. Avec les céréales ce sera pire, parce que toute reprise de ventes sur le marché extérieur se traduira par un élargissement de la carte de la famine dans le pays qui occupe le cinquième rang des grands pays exportateurs d’aliments dans le monde. En outre, les États-Unis vont certainement enlever à l’Argentine les marchés de céréales du Moyen-Orient comme cela s’est produit à plusieurs reprises dans le passé.

D’autres économistes (E. Conesa, A.Ferrer) soutiennent « qu’étant donné la gravité de nos problèmes » le cours de la guerre n’influencera pas le pays ». Mais regardez un arbre sans voir la forêt c’est ignorer que le financement de l’occupation nord-américaine de l’Irak implique une offensive impérialiste majeure sur le terrain de la dette et de la ZLÉA.

En Argentine, le rejet de l’invasion a dépassé tous les indices d’Amérique latine. Ce rejet a empêché Duhalde d’envoyer des troupes dans le Golfe ce que Menen avait ordonné avec son appui il y a une dizaine d’années. Néanmoins, le gouvernement a soutenu diplomatiquement l’agression, en entravant les projets de son rejet inspirés par le Brésil. En outre, suivant la norme des dernières années, le président Duhalde a permis aux marines de s’entraîner dans plusieurs provinces sans aucune autorisation du congrès et maintenant il promeut une immunité pénale pour les troupes qui s’installent en Argentine.

Face à l’invasion, la droite s’exprime avec une grande sincérité et évite le double langage. Ses porte-paroles ont déclaré « qu’il convient que l’Argentine se situe du côté des vainqueurs » (11) sans expliquer toutefois pourquoi le pays est descendu dans l’enfer actuel de la pauvreté après une décennie de relations chaleureuses avec la principale puissance. Ils affirment qu’ils sont « émerveillés par les résultats de la guerre des États-Unis et de son autofinancement pétrolier » (12). Mais plus ils s’agenouillent plus ils seront méprisés par leurs mandataires, car les impérialistes ne récompensent jamais la soumission.

Mais ce qui frappe le plus de ce groupe de serviteurs, c’est leur tournant dans le discours. Il n’utilise pas le langage éthique ni les valeurs de la démocratie et de la civilisation mais ils font preuve d’un réalisme cynique celui de la résignation devant un monde unipolaire ne pouvant être transformé. Mais ce manque d’arguments est provisoire parce que la classe dominante ne peu se passer d’une masse de mystifications qui fondent son contrôle de la société. Son attitude défensive illustre également la forte avancée enregistrée par la conscience antiimpérialiste dans tout le pays.

Socialisme ou barbarie

Le crime de l’Irak illustre la nature du capitalisme contemporain. L’image d’un néolibéralisme qui appauvrit, l’image souriante et aimable de l’ère Clinton a été brusquement remplacé par le visage brutal et génocidaire de Bush. Plusieurs vétérans de la lutte sociale ont déjà vu de tels revirements et ils n’ont jamais espéré une autre évolution de l’impérialisme. Mais pour la génération qui est venu au monde politiquement durant la dernière décennie, ces changements sont très significatifs et ce processus peut ouvrir de nouveaux horizons politiques.

Cela ouvre un cours qui pourra montrer que le combat pour un « autre monde possible » exige de construire une alternative socialiste. Le fantasme de l’effondrement de l’Union soviétique ne bloque plus cette réflexion dans la jeunesse qui est moins exposée à la vague de pessimisme intellectuel qui a accompagné cet effondrement. Redécouvrir que le socialisme est le chemin pour rapprocher de peuples et pour surmonter l’actuel cauchemar de sang et de douleur.

15 avril 2003
claudik@arnet.com.ar
www.eltabloid.com/claudiokatz

NOTAS

[1]Economista, Investigador del Conicet y profesor de la UBA. Miembro del EDI (Economistas de Izquierda).
[2]Este artículo desarrolla ideas esbozadas en "El debut del nuevo imperialismo" (Revista La Maza, n 4, abril 2003, Buenos Aires) y aplica conceptos expuestos en "L’imperialism du XXI siècle". Imprecor ,n 474, septembre 2002, Paris. Otros fundamentos pueden consultarse en : www.eltabloid.com/claudiokatz
[3]Robert Cooper citado por Juan Gelman, en "¿Posmoderna ?". Página 12, 21-3-03.
[4]Esta es la errónea tesis de Sebrelli Juan José. "La guerra y el sistema internacional". La Nación, 28-3-03
[5]Ver : Hardt Michel. "No al antiamericanismo". Página 12, 21-2-03
[6]Ver su advertencia en : Kissinger Henry. "EEUU no estará solo en Irak", Clarín, 11-4-03.
[7]Por ejemplo : Todd Emmanuel. "Esto es una muestra de debilidad" Página 12, 30-03-03.
[8]Declaraciones del ex canciller israelí Shlomo Ben Amí. Página 12, 3-4-03
[9]Bob Zoellick en "América Latina : las marcas de la guerra" Clarín, 23-03-03
[10]Ver "Economistas analizan las consecuencias posibles para Argentina" , en "Con mucho menos optimismo que Lavagna", Página 12, 3-4-03.
[11]Grondona Mariano, en La Nación, 6-4-03 y 30-3-03. También Castro Jorge. "Incertidumbre económica" La Nación, 23-02-03
[12]Escude Carlos. "Hacia una consolidación del nuevo orden mundial" La Nación, 23-02-03 y "Tres posturas y una guerras" "Enfoques", La Nación, 30-03-2003.

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Traduction La Gauche