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Manifeste

L’ordre du jour prohibé : une alternative de prospérité pour le Brésil

Ce manifeste a été signé par plus de 300 économistes

lundi 28 juillet 2003

Le Brésil s’est engagé dans une impasse de stagnation et de chômage en adoptant une politique économique qui capitule jusqu’à la folie devant le totalitarisme du « marché ». Depuis les années 1990 le débat sur les alternatives du développement a été virtuellement interdit à l’aide du dogme selon lequel le « marché » - vertueux savant - laissé à lui- même se chargera de promouvoir la prospérité collective. Après une décennie d’expérimentation néolibérale au Brésil, il est temps de tirer le bilan et de poser la question : jusqu’à quand la croissance avec la redistribution du revenu sera-t-elle refusée à la société brésilienne ?

Pour interdire le débat économique au cours des dernières années on a prétendu disqualifier comme anachronique toute critique de la politique économique. Aujourd’hui, à l’image de la décennie passée, la société se voit privée du droit de participer à un débat légitime sur les mesures de politique économique, dont une bonne part a été déterminée d’un commun accord avec le FMI, dans le dos de toute instance démocratique, même du Congrès national.

Le « marché » n’est pas l’objet du débat. C’est une menace. Et ceux qui devraient en débattre ont si peur de ses réactions qu’il préfèrent éviter le débat. Les questions essentielles de la politique économique sont enfermées dans une chaîne de tabous, car l’idée même d’en discuter est écartée au nom du risque de la spéculation du « marché ». Le « marché » peut ainsi en toute franchise continuer à dicter les orientations d’une politique économique favorable à ses seuls opérateurs et dont le résultat pour la société est une chute de la croissance économique et une aggravation du chômage.

Ça suffit comme ça. Nous voulons ouvrir la boîte noire de la politique économique et mettre le débat à l’ordre du jour. C’est un impératif moral que de reconnaître que le chômage élevé, sans précédent dans notre histoire, est le plus grave problème social brésilien et qu’il est directement issu des politiques monétaires et fiscales restrictives ainsi que de la suppression de toute forme de protection du marché intérieur. Promouvoir une politique de développement économique, de justice sociale et de stabilité avec le plein emploi comme objectif est un impératif politique si l’on veut préserver la démocratie et élargir les droits de la citoyenneté.

Il y a une alternative. Elle ne passe pas par des changements de tel ou tel aspect de la politique orthodoxe « cohérente » en cours, mais par un renversement de toute la matrice de la politique économique. Cela signifie renforcer l’interférence de l’État dans l’économie, à l’image de ce qui s’est produit historiquement dans des circonstances semblables lors du New Deal aux États-Unis, pour corriger les distorsions provoquées par le « marché libre », en premier lieu le chômage élevé qui met en danger la stabilité sociale et politique du pays. Dans ses lignes générales, cela impliquerait un ensemble simultané de mesures telles que :

 1. Contrôle du flux des capitaux extérieurs et détermination administrative du taux de change à un niveau favorisant les exportations ;

 2. Tant que perdure le haut niveau du chômage, réduction de l’excédent budgétaire primaire [avant le payement des intérêts de la dette] par une augmentation responsable des dépenses publiques dans le but d’augmenter la demande effective agrégée pour induire la reprise de la croissance et de l’emploi ;

 3. Augmentation des dépenses publiques dans les trois domaines administratifs, avec la priorité en faveur de l’élargissement des services de l’éducation, de la santé, de la sécurité, des services sociaux et du logement, grands générateurs d’emplois, qui relèvent également de la compétence des municipalités et des États - ce qui implique la restauration des finances fédérales y compris au travers de la renégociation de l’endettement des États et des municipalités envers le gouvernement fédéral ;

 4. Réduction significative du taux d’intérêt, complément indispensable d’une politique fiscale stimulant la reprise des investissements privés ;

 5. Promotion des investissements publics et privés en vue d’assainir l’infrastructure (logistique et énergie) pour assurer une amélioration de la compétitivité systémique de l’économie ; incitation pour des investissements immédiats dans les secteurs privés travaillant à pleine capacité ;

 6. Maintien et élargissement des incitations à l’exportation et à la substitution des importations ;

 7. Politique d’accords sur les revenus pour contrôler l’inflation.

Nous affirmons que le Brésil n’est pas dépourvu d’une alternative de politique économique de prospérité. Le gouvernement actuel, élu pour réaliser le changement, est placé face à la responsabilité d’éviter que la crise sociale dont il a hérité ne se transforme en une crise politique de dimensions imprévisibles, à l’image de ce qui est arrivé récemment à d’autres pays d’Amérique du Sud ou de ce que l’Europe a connu dans les années 1920 et 1930. Les obstacles politiques qui s’opposent au changement ne sont pas plus grands que les risques de ne pas l’entreprendre.

La promotion du plein emploi est au centre de nos propositions car il s’agit là d’une politique qui structure les solutions des autres problèmes sociaux et économiques : la misère, le sous-emploi, la marginalité, la distribution inique des revenus, la violence et l’insécurité. Il ne s’agit pas pour autant d’un projet strictement économique ni d’un projet à prendre ou à laisser. C’est une contribution d’économistes pour la recherche d’un nouveau destin national, fondé sur la préservation de la citoyenneté et condition d’une société solidaire.

Aucune des mesures proposées, ni leur ensemble, ne constitue un anathème à la lumière de l’histoire économique réelle des pays qui ont connu des succès économiques et sociaux, actuellement ou dans le passé. Nous défions ceux qui se cachent derrière l’omnipotence du dieu « marché » qu’ils défendent dans une discussion publique leurs projets de politique économique et leurs conséquences actuelles et futures. Nous voulons le débat maintenant. Nous réclamons l’exercice démocratique de la controverse. Assez d’interdits.

Rio de Janeiro/Sao Paulo, juin 2003
[Ce manifeste a été signé par plus de 300 économistes. Premières signatures : Ademir Figueiredo ; Adhemar Mineiro ; Alexandre Porciúncula Gomes Pereira ; Aloísio Teixeira ; Antônio Saraiva ; Benício Viero Schmidt ; Carlos Eduardo Gouveia ; Carlos Medeiros ; Carlos Pinkusfeld ; Ceci Vieira Juruá ; César Caldeira ; César Benjamim ; Cláudio Salm ; Dércio Garcia Munhoz ; Eriksom Teixeira Lima ; Fábio Freitas ; Fernando Cardim ; Franklin Serrano ; Guilherme A. V. Dias ; João Machado ; João Manoel Cardoso de Mello ; João Paulo de Almeida Magalhães ; João Saboia ; José Carlos de Assis ; Luiz Gonzaga Belluzzo ; Marcos Costa de Oliveira ; Mariana Carlota Amorim Machado ; Maurício Dias David ; Mércio P. Gomes ; Mônica Esteves de Carvalho ; Pierre Salama ; Plínio de Arruda Sampaio Filho ; Reinaldo Gonçalves ; Ricardo Carneiro ; Theotônio dos Santos ; Walsey de Assis Magalhães ; William Pinto Machado…