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Laïcité au Québec

La Coalition interpelle le ministre Reid

par Louise Laurin, porte-parole de la Coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire

dimanche 12 décembre 2004

En juillet 2000, le système scolaire a été déconfessionnalisé par la loi 118. Un compromis temporaire a été fait à ce moment : les enseignements religieux confessionnels, catholique et protestant, furent maintenus en option avec l’enseignement moral. Cet aménagement exige une dérogation aux chartes de droits.

Devant l’imminence de la date butoir du 30 juin 2005, date à laquelle la clause dérogatoire à la Charte canadienne des droits et libertés incluse dans la Loi sur l’instruction publique viendra à échéance, la polarisation autour de la place de la religion à l’école a refait surface. Cette polarisation est plus feutrée que celle qui a suivi la publication du rapport du Groupe de travail sur la place de la religion à l’école (rapport Proulx). En effet, en cinq ans, le système scolaire québécois s’est laïcisé sans heurts et les épouvantails ne sont plus aussi efficaces.

Au printemps dernier, la publication de l’avis du Comité sur les affaires religieuses, (comité créé par la loi 118 pour conseiller le ministre sur la place de la religion à l’école) qui avançait une proposition permettant de ne plus déroger aux chartes, a été accueilli favorablement par plusieurs instances et organismes publics. L’Assemblée des évêques du Québec, quelques théologiens et l’Association des parents catholiques se portent à la défense du statu quo, c’est-à-dire déroger aux chartes et maintenir les enseignements confessionnels catholiques et protestants.

Les arguments invoqués relèvent souvent d’une vision passéiste de la société québécoise et banalisent l’importance du respect des droits et libertés, notamment du droit à l’égalité. Dans ce contexte, notre Coalition, qui regroupe une cinquantaine d’organisations syndicales, sociales, de l’éducation et de défense des droits, considère important de situer le débat sur une autre base.

La gravité d’une dérogation aux Chartes

D’abord sur la signification des clauses dérogatoires. Leurs défenseurs affirment que la décision de déroger aux droits est une décision parlementaire comme une autre. Ce serait là, selon eux, l’affirmation de la suprématie de l’Assemblée nationale sur les tribunaux, de la démocratie du peuple sur la démocratie des juges. On n’est pas loin d’une banalisation des chartes des droits qui sont pourtant un fondement de nos institutions démocratiques.

Les organisations de défense des droits s’opposent depuis plusieurs années à cette situation de dérogation aux chartes de droits. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec considère même que la charte québécoise n’est pas assez restrictive à ce sujet. Elle réitérait récemment que le " recours à ces clauses dérogatoires est inacceptable ".

Du bout des lèvres, l’Assemblée des évêques reconnaît qu’on ne devrait pas déroger aux chartes pour un rien. Dans sa récente position, elle affirme que le gouvernement peut le faire afin d’éviter toute contestation judiciaire " pour des motifs jugés importants par le Législateur lui-même comme, par exemple, la paix sociale ". Le moins que l’on puisse dire, c’est que le choix concernant l’avenir de la place de l’enseignement religieux confessionnel à l’école ne menace pas la paix sociale.

On ne badine pas avec les dérogations aux droits. Le Québec n’y a eu recours que de façon exceptionnelle dans des situations où la paix sociale pouvait être effectivement en cause, notamment dans le cas de la langue d’affichage. Même là, le gouvernement libéral a dû revenir sur sa décision initiale de recourir aux clauses dérogatoires, d’où le choix de la prédominance du français dans l’affichage commercial.

Offrir une formation commune à tous les élèves

À la défense d’un enseignement religieux confessionnel, on avance souvent le choix majoritaire exercé par les parents. Il est vrai que, au primaire, près de 80 % des parents optent pour l’enseignement religieux. Il ne faudrait toutefois pas en conclure que c’est là la préférence absolue des parents.

Un sondage mené en juin 2004 par le Centre de recherche et d’information sur le Canada apporte un autre éclairage. À la question portant sur l’enseignement de la religion dans les écoles publiques, une majorité de Québécoises et de Québécois souhaiteraient que l’on " renseigne les enfants sur toutes les grandes religions du monde ", et seulement 19 % souhaitent que l’on " enseigne aux enfants seulement la religion chrétienne parce que c’est celle à laquelle adhère la majorité des gens de ce pays " (voir le site cric.ca).

Ces données correspondent à celle d’une importante enquête qu’avait menée le Groupe de travail sur la place de la religion à l’école, il y a déjà six ans. Plus récemment (2003-2004), deux recherches basées sur des entrevues et publiées au Centre Immigration et Métropoles (L’enseignement de la religion à l’école après la loi 118, Université de Montréal) ont démontré que les parents, les enseignant/tes et les directions d’établissement étaient largement en faveur d’un enseignement d’éthique et de culture religieuse tout en affirmant que le gouvernement ne devrait plus recourir aux clauses dérogatoires sur cette question.

Pour certains, la religion catholique ferait partie de l’identité québécoise. C’est là pour le moins une conception passéiste de notre identité. Plus modérés, d’autres affirment que cet enseignement religieux confessionnel serait absolument nécessaire à la compréhension de ce que nous sommes, de notre patrimoine, de nos traditions. Mais les connaissances nécessaires à cette compréhension de notre histoire n’exigent nullement une approche confessionnelle.

On se plaint encore de l’inculture religieuse des jeunes d’aujourd’hui. Faut-il rappeler que ceux-ci ont été scolarisés dans un système confessionnel où l’école publique avait même un statut religieux et où les contenus d’enseignement devaient recevoir l’approbation des églises. Cette situation est bien antérieure à la laïcisation toute récente de l’école québécoise.

Notre Coalition ne propose pas de " sortir la religion des écoles ". Nous proposons, depuis plusieurs années, un enseignement culturel des religions qui serait commun à tous les élèves, qui éviterait de les diviser sur une base religieuse et qui serait respectueux des chartes. Bien entendu, l’ école québécoise se trouve géographiquement et historiquement située. Tous les enseignements tiennent compte de la réalité québécoise, qu’il s’agisse de la géographie, de l’histoire ou de la littérature. Il en serait de même de l’enseignement culturel des religions. Les religions chrétiennes ont marqué notre société et l’enseignement devra en tenir compte.

Lancer officiellement le débat

Le ministre de l’Éducation dispose désormais d’avis bien documentés provenant d’organismes-conseils du gouvernement, dont la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, le Comité sur les affaires religieuses et le Conseil des relations interculturelles. Le gouvernement ne ferait connaître sa position qu’en février. C’est un peu tard. On risque alors d’être placé devant une situation de fait. Si c’était la voie choisie, ce serait regrettable et fort peu démocratique. Il serait de loin préférable de laisser tout le temps nécessaire au débat afin que la décision qui en découlera recueille une large adhésion. C’est donc le plus rapidement possible que le gouvernement doit faire connaître ses intentions.

Pour notre part, nous avons la conviction que les élèves québécois tireraient grand avantage à un enseignement culturel des religions qui serait commun à tous les élèves. L’incertitude qui règne actuellement sur l’avenir de cet enseignement n’est pas souhaitable ; on ne pourra recourir indéfiniment aux clauses dérogatoires. Mieux vaut dès maintenant prendre les décisions qui s’imposent. La société québécoise est prête à le faire