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La Corée, une bombe à retardement

lundi 15 juin 2009, par Pierre Rousset


Tiré du site Europe Solidaire Sans Fontières
3 juin 2009


Héritage des années 1950, la division de la Corée pèse aujourd’hui comme une bombe à retardement sur la situation en Asie du Nord-Est. La crise coréenne montre à quel point il est urgent de relancer le combat pour le désarmement nucléaire universel.

La tension est à nouveau très vive dans la péninsule coréenne après que la Corée du Nord a procédé à un second test nucléaire [1] et au tir expérimental de missiles, puis a déclaré ne plus être lié par les accords d’armistice ayant mis fin à la guerre de 1950-1953.

Conjoncturellement, la crise actuelle semble provoquée par l’évolution de la situation dans les deux parties de ce pays divisé depuis 56 ans. Au Sud, le nouveau président Lee Myung-bak, élu en février 2008, a rompu avec la politique d’ouverture à l’égard du Nord menée par son prédécesseur, Séoul (capitale du Sud) étant conforté dans son choix par la « fermeté » affichée par la nouvelle administration Obama.

Au Nord, l’état de santé du président Kim Jong-il se serait détérioré au point de poser la question de sa succession, ouvrant une période d’incertitude pour un régime fragilisé par la crise alimentaire qui a frappé une partie de la population. Quant aux Etats-Unis, ils n’ont toujours pas concrétisé les mesures prévues lors des négociations internationales, en contrepartie de l’arrêt du programme nucléaire nordiste.

Dans ces conditions, Pyongyang (capitale du Nord) aurait décidé d’engager une éniemme « partie de poker » diplomatique pour obliger les Etats-Unis à plus de concessions. Le « chantage » nord-coréen viserait aussi à forcer le soutien de Pékin qui traîne aujourd’hui son alliance avec le régime de Kim Jong-il comme un boulet.

Si la « diplomatie du chantage » peut marcher, c’est que la péninsule coréenne occupe une position géostratégique clé en Asie du Nord-Est : la Chine, la Russie, le Japon et les Etats-Unis sont directement impliqués. Les enjeux sont d’autant plus grands qu’il s’agit de l’une des régions les plus militarisées du monde, les USA notamment ayant près de trente mille soldats US en Corée du Sud et possédant de grandes bases militaires dans l’archipel nippon.

Encore récemment, la tension latente a laissé place à des affrontements directs entre les deux Corées, sur leur frontière maritime occidentale, en 1999 et 2002. Une crise « chaude » de grande ampleur aurait des répercussions difficiles à mesurer, modifiant les rapports de forces entre puissances dans cette partie du monde. Quoique Pékin et Moscou pensent du régime nord-coréen, ils ne peuvent rester indifférent alors que l’axe nippo-étatsunien pourrait tirer profit à leur dépend d’une telle crise. L’alliance militaire entre Washington et Tokyo représente en effet une très lourde menace à moyen terme.

Malgré l’intégration de la Chine et de la Russie dans le marché capitaliste mondial, la situation coréenne est donc restée « gelée » tant les enjeux régionaux sont grands et les résultats d’une crise hasardeux. Mais on pourrait atteindre demain un point de rupture dans cet équilibre instable. Pour des raisons internes à la péninsule : à quel point le régime nord-coréen est-il usé – un effondrement est-il possible – ou le ciment nationaliste tient-il encore ? Pour des raisons externes de même : le régime japonais souffle lui aussi sur le feu du nationalisme voulant accéder au rang de grande puissance militaire et non seulement économique, jusqu’à se doter de l’arme atomique. L’enjeu d’une crise en devient proprement mondial.

Barack Obama, lors de sa récente tournée européenne, début avril, a plaidé pour un monde dénucléarisé – tout en se gardant bien d’engager les Etats-Unis dans cette voie. Or, la crise coréenne montre à quel point la prolifération nucléaire est inscrite dans la logique de l’actuelle mondialisation militaire. Tokyo sait que le Japon ne sera jamais reconnu comme une grande puissance tant qu’il n’aura pas la bombe. Pyongyang sait qu’un pays qui ne la possède pas, comme l’Irak, peut être envahi sous de fallacieux prétexte : une capacité nucléaire, même petite, s’avère protectrice – c’est d’ailleurs le fondement de la conception française de la dissuasion du faible au fort qui a servit à Paris pour justifier l’acquisition de l’arme atomique. Les nouveaux pays nucléaires ne font que refaire ce que les anciens détenteurs ont fait avant eux.

L’Asie du Nord-Est est devenue un foyer de course aux armements, à l’instar de l’Asie du Sud et de l’Ouest où l’Inde et le Pakistan se sont dotés simultanément de l’arme et où la guerre d’Afghanistan alimente l’instabilité. A l’instar aussi du Moyen Orient (Israël, Iran). La crise coréenne souligne à quel point il est urgent de relancer le combat pour le désarmement nucléaire universel – en particulier, pour ce qui nous concerne, en France – et à quel point le mouvement antiguerre international doit en faire l’un de ses principaux objectifs.

ROUSSET Pierre
Notes
[1] Le premier test a eu lieu en 2006. Voir Pierre Rousset : Le test nucléaire nord-coréen, la sanction d’un quadruple échec