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La crise environnementale : causée par les 7 milliards ou par le « 1% » ?

mardi 22 novembre 2011, par Ian Angus, Simon Butler

Les Nations Unies indiquent que la population mondiale atteindra les 7 milliards d’individus en ce mois d’octobre 2011. L’approche de cette échéance a déclenché une vague d’articles et d’éditoriaux accusant la surpopulation d’être à l’origine des crises environnementales mondiales.

Au Times Square de New York [intersection de Broadway et de la septième avenue, dans le quartier de Manhattan, l’une des principales zones commerciales de la ville, avec de nombreuses enseignes lumineuses], une gigantesque et coûteuse vidéo [2] déclarant que « la surpopulation humaine conduit à l’extinction des espèces animales » a été installée. Dans les stations les plus fréquentées du métro londonien, des panneaux d’affichage électronique avertissent qu’une population de 7 milliards de personnes est écologiquement insoutenable [3].

En 1968, on pouvait lire dans le best-seller de Paul Ehrlich, The Population Bomb [traduit en français en 1972 par Fayard sous le titre La bombe P] que « la bataille pour nourrir l’humanité est terminée » du fait de la surpopulation et que les années 1970 seraient une période de famines à l’échelle du monde et que le taux de mortalité allait croître. Toutes ses prédictions se sont révélées fausses. Mais, quatre décennies plus tard, ses successeurs utilisent toujours la phrase d’Ehrlich « il y a trop de population !« pour expliquer les problèmes environnementaux.

Pourtant, la plupart des 7 milliards d’individus ne mettent pas en danger la Terre. La majorité de la population mondiale ne détruit pas les forêts, n’anéantit pas les espèces animales en danger, ne pollue pas les rivières et les océans et, pour l’essentiel, n’émet pas de gaz à effet de serre.

Même dans les pays riches du Nord, la plupart des destructions environnementales ne sont pas causées par des individus ou des ménages, mais par les mines, les usines et les centrales électriques gérées par des firmes qui se préoccupent plus des profits que de la survie de l’humanité.

Aucune réduction de la population américaine n’aurait arrêté l’empoisonnement du Golfe du Mexique par BP [British Petroleum] l’année dernière.

Une baisse du taux de natalité n’arrêtera pas l’extraction des sables bitumineux du Canada, l’un des crimes les plus stupéfiants que le monde ait jamais vus ainsi que l’a justement appelé Bill McKibben [écologiste américain][4].

L’accès universel à un contrôle des naissances devrait être un droit humain fondamental. Mais celui-ci n’aurait en rien empêché les destructions massives des écosystèmes du delta du Niger réalisées par Shell ou encore les dégâts incommensurables que Chevron a causés aux forêts tropicales d’Équateur.

Ironiquement : c’est alors que les groupes « populationnistes » concentrent leur attention sur les 7 milliards d’habitants de notre planète que les manifestant·e·s du mouvement Occupy partout dans le monde identifient la véritable source des destructions environnementales : ce ne sont pas les 7 milliards, mais les « un pour cent », la poignée de millionnaires et milliardaires qui possèdent plus, consument plus et détruisent plus que nous tous réunis.

Aux États-Unis, les « un pour cent » les plus riches possèdent une majorité de toutes les actions et participations des firmes, leur donnant un contrôle absolu sur ces sociétés qui sont directement responsables de la plupart des destructions environnementales.

Un rapport récent [5], réalisé par le cabinet de conseil britannique Trucost pour les Nations Unies, estime que seulement 3000 entreprises provoquent pour 2,15 billions [trillions, pour l’échelle courte utilisée aux E.-U.] de dollars [2’150’000’000’000 de dollars] de dommages environnementaux chaque année [soit, selon ce rapport, près du tiers de l’ensemble des « coûts environnementaux »]. Pour scandaleux que ce chiffre soit – rappelons que seuls six pays ont un PIB supérieur à 2,15 billions de dollars –, il minimise sensiblement les dégâts, parce qu’il exclut les coûts qui résulteraient de « potentiels événements à fort impact tel que la [sur]pêche ou l’effondrement d’écosystèmes » et « de coûts externes causés par l’utilisation et l’élimination des produits, ainsi que l’utilisation par les entreprises d’autres ressources naturelles ainsi que du rejet de davantage de polluants par le biais de leurs opérations ainsi que celles de leurs fournisseurs. »

Ainsi, par exemple pour le cas des compagnies pétrolières, le chiffre recouvre les opérations normales », mais pas les morts et les destructions causés par le réchauffement global ni les dégâts causés par l’utilisation de leurs produits à l’échelle du monde, ni même les milliards de milliards de dollars que coûte le nettoyage des « marées noires » [déversements de pétrole]. Les dommages réels occasionnés par ces seules compagnies doivent être bien supérieurs que 2,15 billions de dollars, et cela pour chaque année.

Le « un pour cent » contrôle également les gouvernements qui sont supposés réguler ces entreprises destructrices. 46% des membres de la Chambre des représentants des États-Unis [chambre basse] sont millionnaires, 54% des sénateurs, et tous les présidents depuis Eisenhower [président entre 1953 et 1961].

Grâce au gouvernement, le « un pour cent » contrôle l’armée américaine, le plus grand utilisateur de pétrole au monde et par conséquent l’un des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre. Les opérations militaires produisent plus de déchets dangereux que les cinq plus grandes entreprises de la chimie réunies. Plus de 10% des sites de déchets dangereux concernés par le « Superfond » [6] aux Etats-Unis sont situés dans des bases militaires.

Ceux qui croient qu’une croissance de la population ralentie arrêtera ou ralentira les destructions environnementales ignorent simplement les causes réelles et les menaces immédiates pour la vie sur notre planète. Les entreprises et les armées polluent et détruisent les écosystèmes non pas parce qu’il y a trop d’habitants sur cette Terre, mais parce que cela permet de faire du profit.

Même si le taux de natalité de l’Irak ou de l’Afghanistan tombait à zéro, l’armée américaine n’utiliserait pas moins de pétrole.

Même si tous les pays africains adoptaient la politique « d’un enfant par famille » [sans mentionner les problèmes démographiques et sociaux que cela entraîne], les compagnies énergétiques des Etats-Unis, de Chine et d’ailleurs continueraient à brûler des matières fossiles, rendant toujours plus proche une catastrophe climatique.

Ceux qui critiquent l’argument selon lequel il y aurait une surpopulation sont souvent accusés de croire qu’il n’y a aucune limite à la croissance. Dans notre cas, cela est simplement faux. Ce que nous disons, c’est que dans un monde écologiquement rationnel et socialement juste, où les familles nombreuses ne sont pas une nécessité sociale [« assurances maladie et vieillesse »] pour des centaines de millions de personnes, la population se stabilisera.

Ainsi que le dit Betsy Hartmann [écrivaine et journaliste américaine, auteure notamment d’ouvrages sur les questions de contrôle de naissance, dans une perspective féministe, et sur des questions écologiques] : « La meilleure politique en matière de population est de concentrer l’amélioration du bien-être humain dans toutes ses nombreuses facettes. Il faut prendre soin de la population et la croissance de la population baissera. »

Les multiples crises environnementales exigent une action rapide et décisive, mais nous ne pourrons agir avec efficacité sans que nous comprenions pourquoi celles-ci se produisent. Si nous posons un mauvais diagnostic à la maladie, nous perdrons au mieux un temps précieux dans l’application de remèdes inefficaces ; au pire, nous rendrons ces crises pires encore.

L’argument « il y a trop de population » dirige l’attention et les efforts de militants sincères vers des programmes qui n’auront aucun effet réel. Dans le même temps, cela affaiblira les efforts visant à construire un mouvement mondial contre les destructions écologiques : cela divise nos forces, tout en rendant coupables les principales victimes de ces crises des problèmes dont elles ne sont pas à l’origine.

Surtout, cet argument ignore le rôle destructif massif joué par une économie irrationnelle et un système social dont la production énorme de déchets et la dévastation sont inscrites dans son ADN. Ce n’est pas la taille de la population qui est à la racine des crises écologiques actuelles : c’est le système capitaliste et le pouvoir des « un pour cent ».

Ainsi que l’écologiste pionnier Barry Commoner l’a dit une fois : « La pollution ne commence pas dans la chambre familiale, mais dans la salle du conseil d’administration de l’entreprise. » (Traduction A l’Encontre)

* Cet article, tiré du site écologiste Grist (http://www.grist.org/), a été publié sur le site de l’International socialist organization (ISO), www.socialistworker.org, le 26 octobre dernier.

Ian Angus et Simon Butler sont coauteurs de l’ouvrage Too Many People ? Population, Immigration, and the Environmental Crisis (http://www.haymarketbooks.org/pb/Too-Many-People). Le premier est éditeur du journal écosocialiste Climate and Capitalism (http://climateandcapitalism.com/), le second est éditeur de l’hebdomadaire australien Green Left Weekly (http://www.greenleft.org.au/).

Notes

[1] http://climateandcapitalism.com/?p=5643

[2] http://www.biologicaldiversity.org/news/press_releases/2011/7-billion-09-07-2011.html

[3] http://populationmatters.org/2011/news/7-billion-day-population-matters-takes-action/

[4] Les sables bitumineux, c’est-à-dire le mélange d’eau et de sable mêlé à du bitume à partir duquel on peut produire du pétrole brut, dont il est question ici sont ceux de trois gisements qui recouvrent près de 20% du territoire de l’Etat d’Alberta, au Canada. Seule une portion de ces gisements, particulièrement le long de la rivière Athabasca, peut faire l’objet d’une extraction et d’une transformation en pétrole brut avec les techniques actuelles. C’est dans cette région qu’a été créé en 1967 la première mine de sable bitumineux au monde. Une seconde fut mise en service en 1978, une troisième en 2003. Aujourd’hui, trois grandes compagnies exploitent ces sables bitumineux : Suncor, Syncrude et Shell Canada. La hausse des prix du pétrole encourage la mise en exploitation des nouveaux champs bitumineux, la technique d’extraction et de transformation étant très coûteuse (estimée entre 9 et 12 dollars le baril, alors que, par comparaison, l’extraction conventionnelle en Irak ou en Arabie saoudite s’élève à moins de 1 dollar le baril). La construction d’un pipeline a été négociée avec PetroChina afin d’acheminer le pétrole jusqu’au port de Kitimat, en Colombie-Britannique, sur la côte Ouest.

La production de pétrole à partir des sables bitumineux est écologiquement désastreuse. Elle entraîne la destruction de la forêt boréale, des tourbières et des rivières de la région. C’est l’une des régions les plus polluées du pays où le taux de cancer est élevé et d’autres problèmes sanitaires ont été relevés. L’extraction d’un seul baril de pétrole génère, en outre, plus de 80 kg de gaz à effet de serre. (Note réd. A l’Encontre)

[5] http://www.trucost.com/article/14/investors-set-to-increase-pressure-on-companies-causing-significant-environmental-costs

[6] « Superfund » est le terme d’usage pour la loi fédérale de 1980 intitulée Comprehensive Environmental Response, Compensation, and Liability Act. Elle a pour objet le nettoyage de sites souillés par des déchets dangereux. Cette loi attribue à l’Agence de protection de l’environnement des Etats-Unis le soin d’identifier les parties responsables de la contamination des sites afin de les contraindre à les nettoyer. Lorsque celles-ci ne peuvent être identifiées ou ne sont pas en mesure de payer, l’agence nettoie les sites elle-même en ayant recours à un fonds spécial. Fin 2010, 1280 sites figuraient sur la « liste nationale prioritaire » des sites à nettoyer. (Note réd. A l’Encontre)