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Maroc

La santé est un droit, pas un privilège Voilà ce que défendent les habitants de Tata

samedi 4 juin 2005

Depuis le mois de mars 2005, Tata, une petite ville de quelques milliers d’habitants, palmeraie plantée au beau milieu d’un immense désert de pierraille au sud de l’Anti-Atlas , au Maroc, est en ébullition. Non, ce ne sont pas les chaleurs de l’été, toujours très fortes dans cette région qui en sont la cause. Voilà l’histoire, telle
que nous l’ont exposée trois jeunes tataouis, venus nous rendre visite et telle que nous avons pu la voir dans les films qu’ils nous ont laissés :

Le 1er mars 2005, l’hôpital provincial (Tata est chef lieu de province) devient SEGMA : un sigle barbare qui signifie « Service d’Etat Géré de Manière Autonome » ce qui se traduit en clair par le fait que tous les patients, même les plus pauvres -et ils sont nombreux dans la région- devront s’acquitter des nouvelles tarifications des actes médicaux applicables aux hôpitaux « jouissant » de l’autonomie financière, tarifs qui sont montés en flèche depuis la dernière refonte qui date de juin 2004.

Dans la ville ocre, la colère monte et le 27 mars, à l’appel d’un collectif de 27 organisations, une marche est organisée : elle regroupera pratiquement autant de manifestants que la ville compte d’habitants, les gens ayant aussi afflué de tous les douars environnants. Dans le cortège, beaucoup de femmes et d’enfants, les premiers touchés par cette mesure. Une grande banderole annonce « l’enterrement de la région ».

Le 1er avril, la foule se rassemble à nouveau, devant la délégation de la santé. Mais devant le silence des responsables locaux, le mouvement s’organise et à partir du 24 avril, un roulement est institué qui va
permettre aux habitants de Tata de maintenir un sit-in permanent devant l’hôpital de la ville. Jour et nuit, les citoyens se relaient sous 4 ou 5 tentes dressées pour se protéger de la chaleur et du soleil et aussi pour tenir les réunions du mouvement, faire la tambouille, permettre aux femmes de se retrouver... Un panneau dressé à l’entrée d’une tente indique :
« Campement des malades et des exclus ».

Tous les soirs, de 19heures à 20h30, les tataouis se rassemblent sur le lieu du sit in, de 50 à 300 personnes selon les jours et scandent des slogans pour marteler leurs
revendications :
  pour la gratuité des soins
  pour des soins de qualité
  pour un équipement adéquat (ainsi par exemple,
alors que des opérations chirurgicales sont accomplies au sein de l’hôpital, il n’y a pas de centre de transfusion sanguine à Tata)
  pour le respect des conventions signées (ainsi, nous dit-on, un appareillage d’échographie a été fourni par le FNUAP . Ce don a été conditionné par la gratuité de son usage... qui est aujourd’hui facturé au tarif hospitalier en vigueur depuis juin 2004).

Un nouvel élan est donné au mouvement par la marche du
3 mai.... Une marche aux bougies, rassemble à partir de
19 heures une fois encore pratiquement autant de manifestants que d’habitants, qui sillonneront longuement les artères de la petite ville, regroupés derrière une grande banderole noire où rien n’est écrit : juste le noir, du deuil, de la colère... Chaque manifestant tient à la main une bougie et pas un slogan ne fuse : impressionnant !
Oui, mais pas suffisamment puisque du côté des représentants du ministère et des autorités, c’est toujours la surdité la plus absolue.

Alors les tataouis décident de se faire entendre et le
11 mai une nouvelle manifestation regroupe plusieurs milliers de personnes. Cette fois-ci ils ont sorti les banderoles « La santé est un droit, pas un privilège », « Luttons pour une mondialisation
humaine et solidaire », « Non, non, non à la suppression de la gratuité de la santé »... Et pour être sûres d’être entendues, les femmes ont amené avec elles marmites, casseroles, louches... tout ce qu’il faut pour faire du bruit, un « cacerolazo » dans la plus pure tradition latine !!!! Résultat : quelques articles paraissent enfin dans quelques journaux en langue arabe (El yasar mouahad, Mountada, Janoub, Al Mounadil-a, Al Bidaoui, Al Ahdat, As-sabah...). Quelques
communiqués de solidarité leur parviennent d’autres villes du Maroc.

Quant aux autorités, elles ont proposé l’ouverture de discussions... trois heures avant la marche. Il faut dire que le même jour, Tata accueillait un forum très officiel avec les ONG qui interviennent localement. La marche n’était pas prévue dans le programme ! Les organisateurs ont refusé -trop tard pour annuler la convocation- et proposé que des négociations soient ouvertes 48 heures après. Ils attendent toujours.

A la fin mai, les nuages s’amoncellent : pas dans le ciel, hélas, la pluie n’est pas pour demain, mais les gendarmes ont grillagé leurs 4/4, des unités des Forces auxiliaires sont venues de Zagora, d’Akka, de Foum Zguid, les CMI ont fait leur apparition et le premier juin, à cinq heures du matin, c’est par la force que le sit-in est dispersé, les tentes sont arrachées.... Mais les habitants ne semblent pas décidés à se laisser intimider. Déjà un premier rassemblement a eu lieu dans l’après-midi et la poursuite du mouvement s’organise.

Tata, un petit point vert dans le désert, loin des capitales et des spots médiatiques, mène une lutte exemplaire de défense du service public de la santé.
Ses habitants ont mis l’imagination au pouvoir pour trouver des formes d’organisation originales qui leur a permis de tenir depuis déjà plus de deux mois. Leur
problème, c’est le problème de toutes les populations du monde en butte aux politiques de privatisation des services publics et aux impacts des politiques libérales. Leur lutte, c’est la lutte des boliviens pour la nationalisation des services de distribution de l’eau et de l’électricité, c’est la lutte des argentins pour la
conservation de leurs outils de tra vail et de leur emploi, c’est la lutte des paysans égyptiens contre l’expropriation, c’est le vote des citoyens français refusant de valider le projet de constitution libérale qui prévoit aussi le démantèlement des services publics. De partout doivent leur arvenir des messages de solidarité de tous les citoyens et de toutes les organisations attachés à la préservation des services publics et au principe de l’accès aux soins pour tous.

Vous pouvez envoyer vos messages à
tata_kifah@yahoo.fr