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Amérique latine

Le Moyen-Orient latino-américain

Par Heinz Dieterich Steffan

dimanche 13 avril 2003

Tout en préparant la tuerie du Moyen Orient, Washington, en même temps, organise la guerre sale du "Moyen Orient" latino-américain : les pays andins. En Colombie ils préparent une opération militaire de type Afghanistan ; au Venezuela ils travaillent à la destruction du gouvernement d’Hugo Chavez ; en Bolivie ils soutiennent le gouvernement sanglant de Sánchez de Losada et en Equateur ils ont installé un bon "ami et allié" à la présidence qui a nommé un général tortionnaire comme comandant de la Police Nationale.

La logique de la politique de Bush est identique dans les deux régions et il est vital que les peuples et leaders d’Amérique Latine la comprennent ; sans quoi ils pourraient sous-estimer l’extraordinaire danger qu’elle implique pour l’Amérique du Sud. Ce que Bush et ses comparses d’outre mer, Blair, Aznar, Berlusconi et Sharon, se préparent à faire c’est une nouvelle répartition du monde, comparable à celle de 1914-1920 et celle de 1939-49.

L’axe stratégique du projet historique d’Hitler était ce qu’il appelait "la nécessaire restructuration de l’Europe", "die notwendige Neuordnung Europas". Le nouvel ordre, s’entend, aurait été sous contrôle du capital allemand.

C’est ce même axe qui structure le projet historique du nouveau fascisme transatlantique, comme l’admettent ouvertement les comparses de Bush. Alors que dans ses discours, dignes de Goebbels, l’hôte de la Maison Blanche délire sur la défaite de Saddam Hussein afin de "démocratiser le Moyen Orient", "apporter la paix à la région" et "déterminer ce qu’il reste de l’histoire", les porte-parole du sionisme révèlent sans pudeur l’essence de l’Opération Irak : un méga-projet de modernisation-destruction capitaliste, inspiré du "Zeitgeist" (la logique) de l’ordre hitlérien.

"Nous avons le plus grand intérêt à restructurer le Moyen Orient au lendemain" de la guerre dit le Ministre de la Défense israélien, Shaul Mofaz et il ajoute que après avoir vaincu l’Irak, Washington devrait "générer une pression politique, économique et diplomatique sur l’Iran".

Le conseiller de Sécurité Nationale du Premier Ministre Ariel Sharon, également ex-chef des services secrets du Mossad, Efraim Halevy, l’approuve : "Les ondes de choc émergeant d’un Bagdad post-Saddam pourraient avoir de profondes conséquences à Damas et Ramallah. Nous en espérons une plus grande stabilité et une confiance accrue, depuis le Golfe Persique jusqu’aux côtes atlantiques du Maroc".

L’effondrement de l’Union Soviétique qui protégeait les Etats séculaires de Syrie et Irak est ce qui a déclenché la nécessité "de restructuration" hitlérienne de la gigantesque zone allant "du Golfe Persique jusqu’aux côtes atlantiques du Maroc". Au Moyen Orient latino-américain c’est la résistance des mouvements sociaux opposés au méga-projet destructif de la Zone de libre Echange des Amériques (ALCA) et sa composante militaire, le Plan Colombie.

Alors que le programme de re-colonisation de Washington en Asie se déroule sous la menace d’un holocauste nucléaire, dans les pays andins elle est menée sous la menace de la terreur l’Etat et grâce aux moyens militaires conventionnels. Sur les deux "théâtres d’opérations" règne déjà une arme fondamentale : les mensonges du Führer en quatre langues : celles de Dante, Cervantès, Shakespeare et Abraham.

Au Moyen Orient « criollo », les pays andins, les cibles du méga-projet capitaliste sont les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), l’Armée de Libération Nationale (ELN), les mouvements populaires, syndicaux et des droits de l’homme ; en Bolivie, les objectifs sont le Mouvement vers le Socialisme (MAS) de Evo Morales, diffamé par la presse qui les traite de "Talibans", et la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) ; en Equateur ce sont la Confédération des Nations Indigènes d’Equateur (CONAIE), les mouvements populaires, syndicaux et des droits de l’homme qui sont visés, et au Venezuela il s’agit du mouvement et du gouvernement bolivarien d’Hugo Chavez.

Washington s’efforce de reproduire en Colombie l’opération militaire d’Afghanistan, ceci en avançant à deux niveaux : d’une part en préparant l’infrastructure de guerre par la construction de bases militaires et l’envoi croissant de troupes nord-américaines sous les prétextes les plus divers ; d’autre part en préparant les conditions politiques en vue de la tuerie.

Bien que le Congrès nord-américain ait limité l’envoi de troupes en Colombie à 400 hommes, Washington y a déjà envoyé plus de 1000 hommes. Environ 500 travaillent à l’ambassade, près de 400 sont des militaires, déclarés ou déguisés en "entrepreneurs civils travaillant pour le gouvernement" (civilians contractors) et ils ont dépêché 150 soldats des Forces Spéciales suite à l’action des FARC qui ont abattu un avion nord-américain près de la base militaire de Tres Esquinas, à cette occasion, trois nord-américains sont devenus prisonniers de guerre des FARC.

Si l’avancée du plan de Washington est relativement lente du point de vue militaire, on ne peut pas en dire autant au niveau de la sphère politique. Le blocage des comptes bancaires des FARC en Suisse, la suppression de leur représentation diplomatique dans divers pays, le fait que l’Union Européenne accepte de les désigner comme une organisation "terroriste", et la condamnation du "terrorisme" des FARC par les mandataires d’Amérique Centrale (11.02.2003) à Panama, illustrent cette avancée politique.

La Déclaration de Panama a été organisée par le Ministère des Affaires Etrangères, sans inviter Caracas, Lima, Brasilia ni Quito qui sont les voisins immédiats de la Colombie. Le prétexte invoqué fut l’attentat du 07.02 contre un club de l’élite de Bogota "El Nogal", attentat qui a été condamné par le Parti Communiste le 10 février, et dont il vaudrait mieux chercher l’origine dans les subterfuges du terrorisme d’Etat du gouvernement Uribe.

La prochaine étape qui a déjà été annoncée par le Président Alvaro Uribe, est de tenter que l’Organisation des Etats Américains (OEA) condamne les FARC, ce qui permettrait de lancer une opération militaire à grande échelle. Si la nébuleuse militaro-industrialo-politique des Etats-Unis exauce les souhaits de Uribe, cette campagne utilisera les forces militaires mobilisées contre l’Irak, pour vaincre les "narco-terroristes" et préserver l’Amazonie, comme l’a demandé publiquement Uribe à l’occasion de ses visites à Quito et à Davos. Si l’on considère que l’Amazonie est l’objectif géostratégique le plus convoité d’Amérique du Sud, la demande de Uribe n’a plus rien d’une fantaisie fiévreuse et se révèle être, à part entière, une pièce de l’échiquier mondial des Etats-Unis que déplace son Sharon "criollo".

Dans la République bolivarienne du Venezuela, la situation est tout aussi dramatique, une campagne internationale contre le gouvernement de Hugo Chavez, remarquablement menée au moyen de bombes, guerre médiatique, manoeuvres diplomatiques et déstabilisation économique, est en train d’y prendre des proportions alarmantes. Les acteurs politiques de cette campagne sont les gouvernements des Etats-Unis, de l’Espagne et de la Colombie. Le plan stratégique et la coordination se font à Washington et au Commando Sud (United States Southern Command). Les pions sont des plus divers, allant des chefs d’entreprises des trois pays jusqu’aux paramilitaires colombiens et aux mercenaires d’Amérique Centrale.

L’accès au pétrole vénézuélien, qui constitue une des trois plus importantes réserves du monde, et à l’Amazonie -le joyau de la couronne mondiale des matières premières- passe par la déstabilisation du gouvernement vénézuélien et la domestication de celui du brésil, dans cet ordre. La chute du domino Venezuela, selon les calculs de la Maison Blanche, suffira à museler à nouveau les autres gouvernements sud-américains.

"La voie de la paix en Palestine passe par Bagdad", dit l’ex Premier Ministre israélien Ehoud Barak au sujet de la pacification du Moyen Orient asiatique. Et Bush préconise la même chose concernant le Moyen Orient latino-américain : la voie de la paix en Amérique Latine passe par Caracas.

L’échec des coups d’Etat militaires et pétroliers au Venezuela a considérablement affaibli les conspirateurs. Mais Washington, Bogota et Madrid sont en train d’envoyer des renforts à leurs troupes oligarchiques affaiblies sous forme d’opérations paramilitaires, diplomatiques et médiatiques musclées.

Pour faire échec à ces opérations, la défense nationale ne suffira pas. Ce qu’il faut c’est une politique de contention latino-américaine.

Traduction. Catherine Arnaud. Coorditrad, traducteurs bénévoles (*)
Tiré de La Fogata, 03.03.03 Grano de Arena 181