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Le deux votes et les listes constituent la ligne de démarcation entre une réforme et une opération de ravalement cosmétique

membre du MDN

lundi 22 mars 2004, par Paul Cliche

Ce qu’il faut considérer avant tout par rapport au projet du ministre Dupuis, c’est qu’il prétend, selon les déclarations officielles de ce dernier, instaurer un scrutin mixte avec compensation ; donc un scrutin doté aussi bien d’une composante proportionnelle que d’une composante majoritaire. En l’occurrence, le premier vote représente la composante majoritaire ; le deuxième vote et les listes représentent la composante proportionnelle. C’est là que se situe la ligne de démarcation qui permettra de juger si c’est un véritable scrutin mixte ou si ce dernier a été dénaturé, si on est en présence d’une réforme ou d’une opération de ravalement cosmétique

En supprimant ces deux éléments (deuxième vote et listes), comme le ministre entend le faire selon ce qu’il a dit à la délégation de l’UFP le 16 février, on éliminerait toute la dimension de scrutin proportionnelle pour ne conserver que celle du scrutin majoritaire avec le premier vote.

Vient s’ajouter le troisième élément, la compensation qui normalement s’effectue dans un contexte de mixité ou, formule inusitée, pourrait s’effectuer au Québec dans un contexte purement majoritaire, comme a dit l’envisager le ministre à la mi-février et comme il semble encore le faire aujourd’hui puisqu’il n’a pas déclaré s’être ravisé depuis.

Quant la compensation s’effectue dans un contexte de mixité, elle permet une réforme généralisée tenant compte du pluralisme politique et de la diversité sociale. C’est seulement dans ce cas qu’on pourrait être assuré que tous les partis en lice, même les petits en émergence, seraient traités équitablement.

Mais si la compensation s’effectuait dans un contexte strictement majoritaire, par le truchement du repêchage des candidats défaits ayant eu le meilleur score dans les circonscriptions, on réserverait l’instauration de l’équité aux partis déjà établis favorisés par le scrutin majoritaire. Peut-on alors parler d’une véritable réforme ? Sûrement pas puisque la caractéristique d’une véritable réforme en une telle matière est d’être universelle sans discriminer des groupes sociaux ou des courants de pensée politiques même s’ils sont minoritaires.

C’est pour cela que les intervenants progressistes dans le débat actuel qualifient cette éventualité d’une "opération de ravalement cosmétique". Je ne pense pas que ce soit trop fort comme expression car ça colle rigoureusement à ce qui se passerait si le ministre matérialise ses intentions.

Et ce qui serait particulièrement odieux dans cette opération c’est que les petits partis représentant les courants nouveaux continueraient d’être empêchés de faire le plein de leurs voix à cause du réflexe du "vote utile" et du "vote stratégique" induit par le scrutin majoritaire. Les partis traditionnels auraient alors beau jeu de se gausser : "Vous voyez, malgré la réforme ils continuent à ne recevoir qu’un appui très marginal".

Par ailleurs, l’expérience prouve que c’est essentiellement grâce au second vote, celui de liste, que les petits partis peuvent percer puisque ce dernier induit un phénomène appelé "ticket splitting" permettant à ces derniers de maximiser leurs appuis. Après avoir favorisé en masse les candidats des partis traditionnels au niveau des circonscriptions, une bonne partie des électeurs donnent en effet leur chance à des partis émergents lors du scrutin de liste Ainsi, en Allemagne fédérale les bulletins marqués au nom d’un candidat et d’un parti différents ont atteint quelque 20% du total en 1998 et 22% en 2002 ; les députés verts ayant d’ailleurs tous été élus grâce au second vote. En Nouvelle-Zélande, le chiffre correspondant a même été de 37% à l’élection de 1996.

Les élections qui ont eu lieu le 1er mai 2003 en Écosse ont fourni un autre exemple probant. Quelque 90% de l’électorat a alors appuyé les partis traditionnels pour l’élection des députés de circonscription (scrutin majoritaire). Aucun député socialiste n’a été élu à ce stade même si ce parti a alors obtenu 6,2% des suffrages (C’aurait été probablement la même chose s’il en avait obtenu 10% et même plus). Mais lors du deuxième vote (scrutin de liste), 16% de l’électorat a cessé d’appuyer les partis traditionnels et leurs votes se sont reportés sur le Parti socialiste (près de 9%) et sur le Parti vert (près de 8%) ainsi que dans une moindre mesure sur le "Senior Citizens Party" (2,5%).Avec l’aide du principe de compensation, les socialistes ont alors fait élire six députés dont quatre femmes, les verts sept et les aînés deux.

Le conseiller même du ministre Dupuis, le politicologue Louis Massicotte, est favorable à l’idée de deux votes. Voici ce qu’il a écrit à ce sujet : "Accorder deux votes permet à l’électeur qui le souhaite de dissocier sa préférence partisane de son appui à un candidat local. C’est une flexibilité que ne permet pas le système actuel et qui semble appréciée partout où elle existe à en juger au nombre important et croissant de ceux qui s’en prévalent". Le professeur a par contre admis qu’un scrutin avec un seul vote était techniquement opérationnalisable.

Les autres éléments importants

Si les éléments mentionnés précédemment sont cruciaux. Il en existe d’autres très importants :

 Le nombre de députés de l’Assemblée nationale doit rester à 125 selon le ministre Dupuis. Cette décision complique le choix d’une formule où, comme en Allemagne, le ratio 50-50 de députés élus au majoritaire dans des circonscriptions et au scrutin de liste (proportionnel) permet, grâce au principe de la compensation, une correction complète des distorsions c’est-à-dire une proportionnalité parfaite. Dans cette perspective, le nombre de 150 députés aurait été préférable pour qu’il y ait un minimum de 75 circonscriptions. Avec un chiffre moins élevé on arguerait qu’elles seraient trop populeuses ou trop grandes géographiquement. Mais pourquoi ne pas songer à 130 députés ou même à 126 pour préserver le ratio 50-50 ; cela donnerait 65 ou 63 circonscriptions et autant de sièges de compensation. Cette légère augmentation du nombre de députés ne devrait pas provoquer une levée de boucliers dans l’opinion publique.

 Selon le ministre, le ratio serait plutôt de 60-40 ; c’est-à-dire 75 députés de circonscription élus au majoritaire (comme pour les élections fédérales) et 50 qui serviraient à effectuer la compensation. C’est une proportion voisine de celle existant en Nouvelle-Zélande et en Écosse qui ont adopté un système dérivé de l’allemand. Mais dans l’entourage du ministre on évoque encore la possibilité d’un ratio de 64-36 ou de 68-32 signifiant l’élection de 80 ou 85 députés au majoritaire. Seulement 45 ou 40 sièges resteraient pour effectuer la compensation. Ces proportions seraient carrément inacceptables, car les corrections effectuées par la compensation seraient alors fort incomplètes. Bien entendu, les petits partis seraient encore une fois les premiers pénalisés.

 Le ministre a fait savoir que les 50 sièges prévus pour la compensation ne seraient pas répartis sur une base nationale comme il l’avait laissé entendre précédemment, mais sur la base d’entités régionales. Or, il appert que l’amplitude (nombre de sièges) de ces entités serait faible ; d’où résulterait automatiquement un degré de proportionnalité équivalent .

Les entités régionales se répartiraient en fait en trois catégories comprenant 3, 4 ou 5 sièges de compensation pour un total de 8, 10 ou 12 députés par entité en ajoutant les sièges de circonscription. Cette amplitude signifierait que pour être assuré de faire élire un candidat un parti devrait recueillir au moins 11%, 9% ou 8% des votes selon la catégorie ; ce qui constitue des seuils effectifs élevés. On comprend mieux alors pourquoi le professeur Massicotte a dit que "les petits partis feraient les frais d’une régionalisation de la compensation".

En Écosse, par comparaison, les régions électorales comptent chacune 7 sièges servant à la compensation en plus des 9 circonscriptions représentées par des députés élus au majoritaire. Ce total de 16 sièges par région établit un seuil effectif de 6% pour qu’un parti puisse être assuré de faire élire au moins un député.

Le ministre dit vouloir ainsi favoriser le sentiment d’appartenance, mais il y aura déjà 75 circonscriptions dans ce but. S’il était vraiment sincère, il adopterait le système de proportionnelle régionale préconisé par l’UFP puisque le nombre de 125 sièges rendrait alors possible la création d’entités régionales permettant une proportionnalité satisfaisante. Dans les circonstances, l’UFP demande donc qu’on procède à une compensation où les 50 sièges seraient distribués au niveau national. Il faudrait toutefois que la loi oblige les partis à inclure des candidats des différentes régions dans leurs listes. Dans cette hypothèse, le ministre parle d’établir un seuil minimal de 5% au niveau national pour qu’un parti puisse participer à la distribution des sièges de compensation. L’UFP juge que le seuil effectif de 2%, qui découle du nombre de 50 sièges, serait suffisant pour éviter la multiplication des partis minuscules et pour s’assurer à tous les députés membres de l’Assemblée nationale représentent un secteur significatif de la population.