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Le scrutin proportionnel est un élément essentiel pour réduire le déficit démocratique

dimanche 29 août 2004, par Paul Cliche

lundi 23 août 2004, par Paul Cliche

Monsieur Jean-Paul Gagné, rédacteur en chef, Journal Les Affaires

Certains passages de la chronique de M. Rodrigue Tremblay au sujet d’une éventuelle réforme du mode de scrutin au Québec sont de nature, à mon avis, à embrouiller le débat se déroulant autour de cet enjeu plutôt qu’à l’éclairer. Ils contiennent des affirmations risquant, selon moi, de perpétuer des préjugés concernant les effets de la représentation proportionnelle qui constitue l’alternative au scrutin majoritaire uninominal à un tour dont le Canada et ses provinces, à l’instar des autres colonies britanniques, a hérité du Parlement de Westminster il y a plus de 300 ans. Permettez-moi de présenter mon point de vue.

Les assertions suivantes de votre collaborateur, servies sous forme de mise en garde, ont particulièrement attiré mon attention : il y aurait des risques qu’un tel scrutin donne "la balance du pouvoir à des groupuscules politiques", introduise "l’instabilité politique", soit une "source de paralysie" gouvernementale.

Il faut d’abord se rappeler que la représentation proportionnelle n’est pas un phénomène marginal puisqu’ elle est utilisé dans près de 60% des pays démocratiques, soit comme mode de scrutin unique, soit en conjonction avec le scrutin majoritaire dans le cadre d’un système mixte. L’Angleterre, berceau du scrutin majoritaire, et ses anciennes colonies (États-Unis, Canada, Inde, etc) y ont été jusqu’ici réfractaires quoique la Nouvelle-Zélande et deux provinces du Royaume-Uni, l’Écosse et le Pays de Galles, en sont maintenant dotés. Ces derniers, notons-le, pratiquent le parlementarisme britannique.

Loin de moi l’idée de prétendre que la représentation proportionnelle constitue une panacée qui règlerait tous les problèmes démocratiques ; mais si l’on observe ce qui se passe dans l’ensemble des 85 pays où elle est instaurée force est de constater qu’il n’y en a à peu près pas où la balance du pouvoir appartienne à des groupuscules politiques, où sévisse l’instabilité politique et où le gouvernement soit paralysé.

En fait, seul Israël, où des petits partis religieux extrémistes tiennent le gouvernement en otage sur la question palestinienne, peut prêter flanc à ce genre de critique. Il y existe un système proportionnel intégral où un parti peut se faire attribuer un siège parlementaire avec une tranche de moins de 1% des suffrages. Par contre, aux Pays-Bas, un système identique ne cause pas de problème ; ce qui démontre que la crise avec laquelle Israël se débat est la principale responsable de cette situation.

De toute façon, un tel système, où il n’y a qu’une seule circonscription pour représenter l’ensemble du territoire, n’existe que dans ces deux seuls pays et personne n’a jamais suggéré d’en pourvoir le Québec. Les seules formules envisagés jusqu’ici ont été le scrutin proportionnel à la scandinave ou le système mixte à l’allemande. Or, aucune des deux n’a jamais donné lieu à des histoires d’horreur du genre de celles appréhendées par M. Tremblay.

Certes, le scrutin proportionnel entraîne la plupart du temps la création de gouvernements de coalition, un élément étranger à notre culture politique. Mais, en réalité, ces derniers sont loin de causer l’instabilité politique même si leur durée de vie est généralement un peu plus courte que celle des gouvernements majoritaires. Les études du politicologue allemand Aaron Liphart ont d’ailleurs démontré que les principaux indicateurs socio-économiques des pays concernés se comportent aussi bien sinon mieux que ceux des autres. Le Canada qui, le 28 juin dernier, s’est donné un 7e gouvernement minoritaire en 16 élections tenues depuis 1957 aurait certes intérêt de ce temps-ci à être dirigé par un gouvernement de coalition. Ce dernier, constitué sur la base d’ententes entre les partis participants, serait beaucoup plus stable et permettrait probablement au gouvernement Martin d’avoir une durée de vie plus longue que celle qui l’attend.

M. Tremblay aborde aussi le projet de réforme du mode de scrutin que le gouvernement Charest s’est engagé à réaliser dans la première partie de son mandat.

Le ministre Jacques Dupuis, responsable du dossier, avait annoncé, en septembre 2003, qu’il entendait proposer un système mixte avec compensation où 60% des députés, soit 75 sur 125, seraient élus dans des circonscriptions locales au moyen du scrutin majoritaire comme présentement, tandis que 40% des sièges, soit 50, seraient pourvus à la proportionnelle (scrutin de listes) sur une base régionale ou nationale ; ces derniers servant à corriger les distorsions introduites par la scrutin majoritaire Il s’agit là d’une formule identique à celle adoptée par un pays du Commonwealth, la Nouvelle-Zélande, en 1994, et instaurée dans deux province du Royaume-Uni, l’Écosse et le Pays de Galles, en 1997. Elle découle directement du modèle allemand mis en place dans ce pays au lendemain de la dernière guerre mondiale, sauf en ce qui a trait au ratio entre les deux types de sièges parlementaires : en Allemagne il est de 50-50 assurant ainsi une proportionnalité parfaite.

Malheureusement, le ministre Dupuis a laissé savoir depuis qu’il songeait à apporter des changements qui dénatureraient ce modèle en modifiant ses principaux éléments. Ainsi, il n’y aurait plus de scrutin proportionnel mais un unique scrutin majoritaire à partir duquel seraient élus les députés de circonscriptions aussi bien que les députés appelés à assurer la compensation. Ces derniers seraient désignés par repêchage puisqu’il s’agirait des meilleurs deuxièmes candidats au niveau des circonscriptions. En fait, cette formule insolite, qui n’existe nulle part ailleurs au monde, enlèverait au modèle ses principales vertus : améliorer l’équité entre les partis en lice, faire en sorte que la plupart des votes comptent et favoriser une meilleure représentation pour les femmes. On n’est cependant pas encore fixé sur le contenu définitif de la proposition libérale parce que le dépôt du projet de loi a été reporté à l’automne. Souhaitons que M. Dupuis revienne à la formule initiale.

D’autre part, M. Tremblay craint qu’un tel système crée deux classes de députés : ceux élus dans les circonscriptions et ceux élus au niveau régional (ou national) qui risqueraient, dit-il, d’être des "apparatchiks parachutés" par leur parti. L’expérience que vit l’Allemagne depuis 1949 est toutefois probante. La double candidature étant permise et même encouragée plus de 95% des députés ayant siégé ou siégeant présentement au Parlement (Bundestang) se sont présentés pour faire campagne dans les circonscriptions et n’ont pas attendus d’être élus sur des listes. À peu près tous ont donc mis la main à la pâte au ras des pâquerettes Le politicologue Louis Massicotte, de l’Université de Montréal, qui s’est rendu étudier le fonctionnement du système sur place, affirme que de ce fait le problème des deux classes de députés ne se pose pas. De plus, la loi prévoit que tous les candidats doivent être choisis par scrutin secret dans les assemblées de militants ; ce qui exclut la désignation d’apparatchiks ou de "parachutés" par les establishments de partis comme ça s’est pratiqué souvent au Québec jusqu’ici.

Paul Cliche,

Auteur du livre "Pour réduire le déficit démocratique : le scrutin proportionnel"