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Les banques canadiennes : renforcées par la crise ?

mercredi 22 avril 2009, par Roger Rashi


Tiré du site de Masse Critique

15 avril 2009


À la veille du sommet G-20 de Londres, le premier ministre du Canada Stephen Harper, s’est laissé aller à chanter les louanges des grandes banques canadiennes devant la presse financière de la capitale britannique. " Nous avons le secteur financier reposant le plus sur la libre-entreprise. Nous sommes les seuls à ne pas nationaliser ou nationaliser en partie notre système financier " (1). Selon le prestigieux Financial Times, qui a publié en première page les déclarations de M. Harper, celui-ci aurait ajouté que les banques canadiennes devraient profiter de la force relative de leurs bilans financiers pour faire des acquisitions aux États-Unis et ailleurs dans le monde et que son gouvernement appuierait de tels efforts car ce serait " l’occasion pour le Canada d’accroitre son rôle dans le secteur financier international" (2).

Effectivement, les banques canadiennes vont très bien ces temps-ci. Profitant des déboires des banques américaines plombées par les créances toxiques( toxic assets) de la crise des subprimes, la Banque Royale s’est hissée au septième rang des banques nord-américaines, suivie de la Toronto-Dominion, de la Banque Scotia et de la Banque de Montréal, respectivement au 8e, 9e et 10e rang. La cinquième banque du pays, la CIBC, serait aussi parmi les 50 premières du continent(3).
Alors pourquoi leur allonger une aide tournant autour de 125 milliards de dollars ? Car c’est bien la somme allouée aux banques canadiennes par le gouvernement fédéral au courant des 6 derniers mois via le Programme d’achat des prêts hypothécaires assurés ( PAPH) (4). Bien que ne prenant pas la forme d’injection directe de capitaux ou d’achat d’actifs toxiques , comme l’on fait les programmes de sauvetage du gouvernement américain ou britannique, il n’en reste pas moins que cela est un programme d’appui massif au secteur financier local. Ce qui est loin d’être passé inaperçu au niveau international. Selon l’hebdomadaire français Le Point, qui cite une étude du FMI du 18 février, le Canada serait au 3e rang mondial quant au coût de l’ensemble des mesures de soutien public aux banques en % du PIB. Il s’élèverait ici à 8.8%, devant les États-Unis à 6.3% et derrière le Royaume-Uni qui aurait englouti pas moins de 19.8% de son PIB dans le sauvetage de ses institutions bancaires (5).

Selon le ministre des Finances Flaherty, il ne s’agissait avec ce programme d’achat que de donner une chance égale aux banques canadiennes aux prises avec une concurrence "déloyale" des autres grandes banques de la planète qui bénéficieraient, elles, des programmes d’aide de leurs gouvernements respectifs. Et, bien sûr, ajoutait-il, c’est aussi un acte d’intérêt public que d’injecter de la liquidité dans le systéme financier pour qu’il ne se grippe pas causant une panique au niveaux des entreprises et des épargnants. Mais voilà que les déclarations intempestives de Harper lors de son périple londonien lèvent le voile sur les vrais raisons motivant ce soi-disant acte "d’intérêt public". Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de permettre aux banques canadiennes de consolider leur position et de se constituer un trésor de guerre pour monter à l’assaut de leurs concurrentes américaines en difficulté. Le tout aux frais des contribuables.
Apréhendant une grogne publique devant les propos imprudents du premier ministe , Ed Clark le pdg de la Toronto-Dominion, ci-devant la 8e banque du continent, a décidé de tempérer les ardeurs des politiciens en rappelant que la crise sera aussi sévère ici qu’ailleurs dans le monde et que la force des banques canadiennes n’était que relative face au déclin des concurrents américains et internationaux (6). D’autres s’empressent d’ajouter que les institutions canadiennes n’ont utilisées à date que 40 milliards du programme d’aide annonçé par Ottawa. Il n’en reste pas moins que ce programme d’aide aux banques est trois fois plus important que le programme de soutien à l’économie de 40 milliards dévoilé par Ottawa lors du budget de janvier dernier.

Face à ce flagrant déséquilibre en faveur des banques, quelques voix courageuses s’élèvent. Les professeurs Gindin et Panitch de l’Université York à Toronto posent le problème clairement : si les banques sont considérées comme des institutions d’intérêt public justifiant un tel apport massif de capitaux, pour quoi ne pas les nationaliser et en faire de vrais organismes publics soumis à un contrôle populaire ?(7) Pierre Beaulne, l’économiste de la CSQ, ajoute que le problème avec cette injection de liquidités est qu’elle n’est pas assortie de conditions quant à son utilisation au Canada, que ce soit pour guarantir les prêts locaux ou bien pour maintenir les emplois (8). L’organisme ATTAC-Québec y va, quant à lui, de plusieurs suggestions pertinentes. Il propose notamment de (9) :

“ • Établir un contrôle public des banques et du secteur financier Il faut établir un contrôle public des banques au moyen de strictes limites de leurs activités, de l’interdiction de spéculer et d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux ou ailleurs à l’étranger, et d’un plafond de la rémunération de leurs dirigeants. Mieux encore serait la nationalisation des banques commerciales.

• Éliminer les retraites par capitalisation boursière Il faut nationaliser les fonds de pension et les caisses de retraites et établir un système universel et égalitaire de retraite par répartition. Il faut éliminer les retraites par capitalisation boursière, qui forcent les citoyenNEs à s’intégrer dans l’économie casino et entraînent des pertes considérables à l’occasion des krachs. “

Il y a là matière a reflexion pour la gauche politique et sociale au Québec. Face à la "multi-crise", structurelle, environnementale et sociale, qui s’abat sur la planète un programme audacieux de lutte et de revendications s’impose. La question de l’avenir du secteur financier devrait être plus que jamais au coeur de cette démarche.

Roger Rashi, Montréal le 7 avril 2009

Notes :

1. "Harper inquiet pour les banques", Radio Canada, 31 mars 2009
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie-Affaires/2009/03/31/009-harper-G-20-arrive.shtml

2. "PM tells Canada’s banks to expand overseas" ,Financial Times, 30 mars 2009.
Repris dans Le Globe and Mail du 31 mars 2009.

3. "Canada’s banks climb in rankings as U.S. giants stumble " ,Financial Post, 16 mars 2009
http://www.financialpost.com/news-sectors/story.html?id=1395511

4. Voir Michel Chossudovski, “ Canada : Opération relance économique “, Mondialisation.ca , 28 janvier 2009
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=12076

5. :” Déchiffrage-Le prix exorbitant du sauvetage des banques” ,Le Point.com,12 mars 2009
http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2009-03-12/le-prix-exorbitant-du-sauvetage-des-banques/916/0/324872

6.” Banks facing new challenges:TD’s Clark”, The Gazette, 6 avril 2009
http://www.montrealgazette.com/business/fp/Banks+facing+challenges+Clark/1469392/story.html

7. “From Global Finance to the Nationalization of the Banks : Eight Theses on the Economic Crisis”, Leo Panitch and Sam Gindin, The Bullet, 25 février 2009
http://www.socialistproject.ca/bullet/bullet189.html

8. “Examen du budget fédéral du 27 janvier 2009”, Pierre Beaulne, économiste, CSQ
http://www.economieautrement.org/spip.php?article15

9. Attac-Québec, “Des idées citoyennes pour contrer la crise. Appel soumis à la signature des individus, organismes, syndicats et mouvements sociaux”, http://www.quebec.attac.org/article.php3?id_article=513