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Les prochaines guerres auront pour enjeu les ressources « naturelles »

Michael Klare *

mardi 28 mars 2006

Le meilleur allié des Etats-Unis - la Grande Bretagne - proclame que le changement climatique a ouvert une ère nouvelle de conflits violents autour de l’énergie, de l’eau et de la terre arable.

C’est officiel : c’est une ère de guerres pour les ressources qui nous attend. John Reid, le Secrétaire à la défense britannique, a averti que le changement climatique global et l’épuisement des ressources naturelles se conjuguent pour accroître la probabilité de conflits violents portant sur la terre, l’eau et sur l’énergie. Selon lui, le changement climatique « rendra encore plus rares des ressources, l’eau propre, la terre agricole viable, qui sont déjà rares » et cela va « accroître plutôt que décroître la probabilité de conflits violents. »

Bien qu’elle ne soit pas sans précédent, cette prédiction de John Reid, pour qui on va assister à un regain de conflits autour des ressources, est hautement significative tant par la fonction ministérielle qu’il occupe que par la véhémence de ses paroles. « La vérité brutale, c’est que la pénurie d’eau et de terres agricoles est un facteur qui contribue significativement au conflit tragique que nous voyons se développer au Darfour. » Et d’ajouter : « Nous devons considérer cela comme un signal d’alarme. »

Selon John Reid, de tels conflits autour des ressources ont plus de probabilités de se multiplier dans les « pays en développement », mais pour lui il est peu probable que les pays plus avancés et plus riches soient épargnés par les effets déstabilisants et néfastes du changement climatique mondial. Si le niveau des mers s’élève, si l’eau et l’énergie deviennent de plus en plus rares et si les meilleures terres agricoles se transforment en déserts, les guerres civiles pour l’accès aux ressources vitales vont devenir un phénomène global.

C’est dans le cadre du prestigieux Chatham House, l’équivalent à Londres de ce qu’est à Washington le Conseil pour les relations extérieures, que John Reid a prononcé son discours. Ce n’est que l’expression la plus récente de la tendance croissante dans les cercles stratégiques à considérer que ce sont les effets d’environnement et de ressources, plutôt que l’orientation politique et l’idéologie, qui deviennent la cause la plus importante de conflits armés dans les prochaines décennies. Avec la croissance de la population mondiale, l’envol des taux mondiaux de consommation, l’épuisement rapide des sources d’énergie et la destruction de bonnes terres agricoles par le changement climatique, le décor est planté dans le monde entier pour des batailles chroniques autour des ressources vitales. Dans un tel scénario, les conflits religieux et politiques ne vont pas disparaître, mais vont plutôt être canalisés en affrontements dont l’enjeu sera les meilleures sources d’eau, de nourriture et d’énergie.

Jusqu’à ce discours du Secrétaire britannique à la défense, l’expression la plus significative de ce point de vue était ce rapport préparé en octobre 2003 pour le Département de la défense de Washington, le Pentagone, par un bureau de consultants californiens intitulé « Scénario de changement climatique brusque et ses implications pour la sécurité nationale des Etats-Unis » **. Ce rapport avertissait que le changement climatique mondial va plus probablement déboucher sur des évènements environnementaux cataclysmiques soudains plutôt qu’une simple hausse graduelle (et donc gérable) des températures moyennes. De tels évènements pourraient inclure une hausse substantielle des niveaux des mers dans le monde, des tempêtes et ouragans intenses et des phénomènes de désertification à l’échelle de continents entiers. Cela déclencherait des conflits sanglants entre les survivants à ces effets pour l’accès à la nourriture, l’eau, les terres habitables et les sources d’énergie.

Ce rapport de 2003 écrivait : « La violence et les turbulences découlant des tensions créées par des changements abrupts du climat impliquent une menace pour la sécurité nationale différente de ce que nous avons l’habitude de voir aujourd’hui. (...) Des confrontations militaires peuvent être déclenchées par un besoin désespéré de ressources naturelles comme l’énergie, la nourriture et l’eau plutôt que par des conflits autour de l’idéologie, de la religion ou de l’honneur national. »

Jusqu’à présent, ce mode d’analyse n’avait pas réussi à attirer l’attention des décideurs placés aux sommets des gouvernements des Etats-Unis et du Royaume Uni. Le plus souvent, eux insistent que ce sont des divergences idéologiques et religieuses, principalement le choc entre les valeurs de tolérance et de démocratie, d’un côté, et, de l’autre côté, des formes extrémistes de l’Islam qui restent les principaux moteurs des conflits internationaux. Mais le discours de John Reid à Chatham House laisse à penser qu’un changement important de la réflexion stratégique pourrait être en train de s’effectuer. L’ordre du jour de la sécurité mondiale pourrait bientôt être dominé par des périls environnementaux.

Ce changement est dû en partie au poids croissant des données qui indiquent une responsabilité humaine significative dans la transformation des systèmes fondamentaux du climat de la planète. Des études récentes montrant le recul rapide des calottes de glace polaires, la fonte accélérée des glaciers de l’Amérique du Nord, la fréquence accrue des ouragans sévères et tout un ensemble d’autres effets de cette sorte suggèrent tous que des changements du climat mondial dramatiques et potentiellement néfastes ont commencé à se dérouler. Ce qui est plus important encore, ces études récentes arrivent à la conclusion que c’est le comportement humain, à savoir principalement la combustion des combustibles fossiles dans les usines, centrales électriques et véhicules à moteur, qui est la cause la plus probable de ces changements en cours. Cette conclusion peut n’avoir pas encore pénétré à la Maison Blanche et dans d’autres bastions où l’on réfléchit comme l’autruche qui met sa tête dans le sable, mais elle gagne manifestement du terrain parmi les scientifiques et les analystes sérieux dans le monde entier.
Pour l’essentiel, la discussion publique du changement climatique mondial a eu tendance à décrire ses effets comme un problème d’environnement, une menace pour l’eau potable, la terre arable, les forêts tempérées, certaines espèces etc. C’est sûr que le changement climatique est une grave menace pour l’environnement, c’est même en fait la plus grave menace imaginable. Mais considérer le changement climatique comme un problème d’environnement ne rend pas justice à la magnitude du péril ainsi créé. Comme le disent clairement le discours de John Reid et le rapport du Pentagone de 2003, le principal danger que pose le changement climatique mondial n’est pas la dégradation des écosystèmes en soi mais plutôt la désintégration de sociétés humaines entières pouvant engendrer des famines de masse, des migrations de masse et des conflits récurrents autour des ressources.

Comme le note le rapport du Pentagone, « quand ils seront frappés par la famine, la maladie et des désastres météorologiques dus au changement climatique abrupt, les besoins de nombreux pays vont dépasser leur capacité productive », c’est-à-dire leur capacité à fournir le minimum nécessaire à la survie humaine. Cela « va créer un sentiment de désespoir qui va probablement conduire à une agression offensive » contre des pays disposant d’une plus grande réserve de ressources vitales. « Imaginez les pays d’Europe de l’Est, obligés de lutter pour nourrir leurs populations avec une baisse de leurs ressources en nourriture, eau et énergie, jetant leurs yeux sur la Russie, dont la population est en baisse, pour accéder à son blé, ses minéraux et ses sources d’énergie. »

Des scénarios similaires se répéteront tout autour de la planète, tandis que ceux qui sont privés des moyens de survie envahiront ou immigreront chez ceux disposant d’une plus grande abondance, suscitant des conflits sans fin autour des ressources entre les nantis et les démunis.
C’est cette perspective qui plus que tout, préoccupe John Reid. Il s’est inquiété en particulier des capacités inadéquates de pays pauvres et instables à faire face aux effets du changement climatique et des risques qui en résultent d’effondrement de certains Etats, de guerres civiles, de migrations massives. « Plus de 300 millions de personnes en Afrique manquent d’aujourd’hui d’accès à l’eau potable » a-t-il fait remarquer et « le changement climatique ne fera qu’aggraver encore cette situation terrible » provoquant d’autres guerres comme celle du Darfour. Et même si ces désastres sociaux vont se produire principalement dans le monde en développement, les pays plus riches seront entraînés dans la spirale de tels troubles, soit en participant à des opérations de maintien de la paix et d’aide humanitaire, soit en ayant à repousser des immigrants non-désirés ou encore en ayant à combattre outremer pour l’accès à des approvisionnements en nourriture, pétrole et minéraux.

Quand on lit de tels scénarios de cauchemar, il est facile d’évoquer des images de gens affamés désespérés s’entre-tuant avec des couteaux, des pieux et des gourdins. C’était ainsi par le passé et cela pourrait facilement être ainsi à nouveau. Mais ces scénarios envisagent aussi le recours à des armes plus meurtrières. « Dans ce monde d’Etats guerriers » prédisait en 2003 le rapport du Pentagone, « la prolifération des armes nucléaires est inévitable ». Au fur et à mesure que le pétrole et le gaz naturel vont s’épuiser, de plus en plus de pays se rabattront sur l’énergie nucléaire pour satisfaire leurs besoins d’énergie, et cela « va accélérer la prolifération des armes nucléaires avec le développement par les pays de capacités d’enrichissement et de retraitement de l’uranium dans le but de garantir leur sécurité nationale. »

Bien qu’ils soient spéculatifs, ces rapports disent clairement une chose : quand nous réfléchissons aux effets calamiteux du changement climatique mondial, nous devons souligner leurs conséquences sociales et politiques tout autant que leurs effets strictement environnementaux. Sécheresses, inondations et tempêtes peuvent nous tuer et le feront sûrement, mais aussi les guerres entre les survivants de ces catastrophes pour ce qui restera de nourriture, d’eau potable et d’abris. Comme le discours de John Reid l’indique, aucune société, même riche, n’échappera à une implication dans ces formes de conflits.
Nous pouvons réagir à ces prédictions de deux manières : soit en nous en remettant aux fortifications et à la force militaire pour obtenir quelque avantage dans la lutte mondiale pour les ressources ou soit en prenant des mesures sensées pour réduire le risque de changements cataclysmiques.

Il ne fait pas de doute que de nombreux politiciens et maîtres à penser des médias, tout particulièrement dans notre pays les Etats-Unis, vont vanter la supériorité de la solution militaire en insistant sur la prépondérance de force dont disposent les Etats-Unis. Ils argumenteront qu’en fortifiant nos frontières et nos côtes pour tenir à distance les immigrants indésirables et en menant le combat partout dans le monde pour nous assurer les sources de pétrole nécessaires, nous pourrons maintenir notre niveau de vie privilégié plus longtemps que d’autres pays moins bien dotés en moyens de puissance. Peut-être. Mais l‘atroce guerre indécise en Irak et la faillite de la réaction nationale à l’ouragan Katrina montrent combien ces moyens peuvent être inadéquats quand ils s’affrontent aux dures réalités d’un monde sans pitié. Comme le rapport du Pentagone de 2003 nous le rappelle, « des batailles constantes pour des ressources en diminution » vont les « réduire encore plus au-delà même des effets climatiques. »

La supériorité militaire peut apporter l’illusion d’un avantage dans les luttes pour les ressources vitales à venir, mais ne peut pas nous protéger des ravages du changement climatique mondial. Certes, nous pouvons nous en tirer un peu mieux que les habitants d’Haïti ou du Mexique, mais nous aussi nous souffrirons de tempêtes, sécheresses et inondations. Quand nos partenaires commerciaux d’outremer s’enfonceront dans le chaos, nos importations vitales de biens alimentaires, matières premières et énergie disparaîtront, elles aussi. Il est vrai que nous pourrions établir des bases militaires dans quelques-unes de ces endroits pour nous garantir un trafic continu de matières premières décisives. Mais le prix à payer croîtra sans cesse tant en sang qu’en dollars du budget et finira par dépasser nos moyens jusqu’à nous détruire. En fin de compte, notre seul espoir d’un futur sûr et garanti réside dans une réduction substantielle de nos émissions de gaz à effet de serre et dans une collaboration avec le reste du monde pour ralentir le rythme du changement climatique mondial. (trad. de A l’encontre)


* Michael Klare est professeur d’études pour la paix et la sécurité mondiale au Hampshire College à Amherst, Massachusetts (Etats-Unis). Son livre le plus récent est Blood and Oil : The Dangers and Consequences of America’s Growing Petroleum Dependency, Holt, New York 2004 (Sang et Pétrole : Les dangers et conséquences de la dépendance pétrolière croissante des Etats-Unis). Article en anglais a été publié par Z Net le 13 mars 2006.
** Rapport secret du Pentagone sur le changement
climatique, Editions Allia, Paris, 2006, 68 pages
(tiré du site A l’encontre)