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Marxisme, nationalisme et luttes nationales aujourd’hui

Document de discussion du New Socialist Group (1996)

1996, par David McNally

Première partie : le défi du nationalisme au marxisme

1. Le nationalisme domine la politique mondiale - et il le fait avec une surprenante facilité. Ouvrez n’importe quel quotidien, écoutez les discussions au travail ou à l’école, regardez ou écoutez n’importe quelle émission de nouvelles, examiner les cours qui se donnent dans les universités et vous trouverez que la division de la population globale en entités nommées "nations" est de façon écrasante prise en considération. Au moment où j’écris ces lignes, les Jeux olympiques d’été se déroulent à Atlanta. Tous les athlètes des ces jeux sont organisés par les États nations, ils représentent "leur" État, ils portent leur couleur et leur drapeau. Les médailles gagnées par ces athlètes appartiennent à leur pays, ils sont les garants de l’honneur de leur pays et de sa fierté. Chaque jour, un tableau des médailléEs est dressé par nation et est diffusé aux millions de personnes qui suivent cet événement.

Pour la vaste majorité des gens, il n’y a rien là de bizarre, d’insidieux ou de dangereux à cela. Ils prennent pour acquis qu’ils sont membres d’un État nation ; ils sont fiers de cette réalisation ; ils souffrent quand la nation est dans l’embarras ou humiliée (rappelons-nous l’affaire Ben Johnson ?). On leur dit rarement, si jamais cela a lieu, que le système des États nations est une création récente dans l’histoire humaine, que la plupart des sociétés humaines n’ont jamais eu un concept de nation qu’elle qu’il soit et que la montée du système des États nations correspond au développement international du capitalisme. De plus, rarement, on ne retrouve dans le débat politique le fait que le système de l’État nation est la forme politique qui régule, contrôle et discipline les personnes de façon à faciliter leur exploitation par le capital. Le plus souvent, nous vivons dans un univers mental où les discussion se mènent en terme national - autos japonaises, acier canadien, films américains, athlètes russes, musique jamaïcaine et ainsi de suite - et font partie du sens commun qui organise notre compréhension politique et culturelle du monde.

Même la montée de nationalismes ethniques virulents - comme ceux de l’ex-Yougoslavie, ou ceux qui tuent des centaines de milliers de personnes au Burundi ou au Rwanda actuellement, rarement nous amène à questionner l’idée de nation ou notre propre nationalisme. De façon écrasante, on examine le nationalisme des autres qui est vu comme un problème et presque jamais le nôtre.

2. Pour toutes ces raisons, le nationalisme représente sans doute le plus grand défi posé au marxisme. "Les travailleurs n’ont pas de patrie" disaient Marx et Engels dans le Manifeste communiste. Dans cet esprit, le marxisme a lancé le premier mouvement politique qui enseignait dans des termes internationaux, qui cherchait l’émancipation de l’humanité à l’échelle mondiale et affirmait que l’élimination de l’État national était son objectif le plus élevé. L’Association Internationale des Travailleurs (connu le plus souvent comme la Première Internationale), lancé en 1864, représentait la forme d’organisation qui cadrait avec cette conception d’un mouvement politique international de la classe ouvrière.

Mais, durant presque toute la période des 150 ans depuis la publication du Manifeste communiste en a été une durant laquelle les mouvements de la classe ouvrière ont tendu (en dehors de la l’interlude de 1917-23 ou à peu près) à devenir de façon de plus en plus écrasante dominé par le nationalisme. Les mouvements ouvriers sont presque tous des organisation entièrement nationales. Ils pensent à organiser les travailleurs d’un pays donné en ayant peu de préoccupations pour leurs sœurs et leurs frères d’ailleurs. Plus encore, ils sont dominés par le nationalisme : ils tendent à soutenir les contrôles des importations (et les autres formes de protectionnisme national) à protéger "nos jobs" et "notre mode de vie". Il n’est pas exagéré de dire que le nationalisme de gauche est l’idéologie dominante des mouvements ouvriers à travers le monde.

Bien que l’emprise du nationalisme peut être brisé, les perspectives sont vraiment faibles pour les politiques de l’internationalisme socialiste. C’est pourquoi, la discussion "sur la question nationale" revient de façon récurrente dans le mouvement socialiste. Dans ce qui suit, j’essaie de passer en revue les éléments principaux des débats marxistes sur le nationalisme, pour examiner leurs forces et leurs faiblesses et pour appliquer quelques leçons qu’on peut tirer de cette étude à la discussion sur les questions nationales au Canada aujourd’hui.

Deuxième partie : La question nationale de Marx à Trotsky

3. La persistance du nationalisme et de la réalité des luttes nationales ont forcé les socialistes à revenir régulièrement sur ce sujet. Mais il est connu que les généralités ne fonctionnent pas en ce domaine. La vaste majorité des socialistes se sont adaptés ou se sont accommodés du nationalisme ; ils ont vu leur projet comme une façon plus humaine et plus éclairée de diriger un État national (et non son élimination dans le cours d’une lutte internationale contre la "misère du monde".) Une petite minorité de socialistes ont simplement essayé d’ignorer les réalités des luttes nationales, en lançant sans cesse des appels à l’unité internationale des travailleurs du monde qui n’ont mobilisé personne et qui ignoraient les questions nationales réelles et concrètes. Il y a quelques situations importantes où les socialistes ont lutté pour trouver une voie internationaliste liée aux réalités de l’oppression nationale. L’attitude de Marx envers l’Irlande dans les années 1860 et l’approche de Lénine vis-à-vis les peuples opprimées de la Russie tsariste s’inscrivent de cette optique. Avant d’examiner ces exemples, cependant, je veux m’étendre un moment sur les deux tendances auxquelles j’ai fait allusion.

4. Le mouvement socialiste mondial s’est acquis un caractère de masse d’abord en Allemagne à la fin des années 1880. L’Allemagne à ce moment là était une monarchie avec un parlement qui était élu par une petite minorité de la population adulte. Avec les ans, de plus en plus de travailleurs ont obtenu le droit de vote et le parti de la classe ouvrière a été organisé, le Parti social-démocrate (mieux connu par ses initiales allemandes, le SPD), qui devint une force politique de première importance. Le SPD s’est identifié rapidement avec la "prise de contrôle" de l’Etat allemand et non à son renversement. Cela mena les dirigeants du SPD à être de plus en plus influencé par l’idée de l’intérêt national . Peu à peu, les dirigeants ont commencé à défendre l’idée d’un colonialisme allemand "progressiste". Ils ont affirmé, qu’un gouvernement du SPD ne donnerait pas leur liberté aux colonies allemandes ; il les traiterait simplement mieux. L’identification à l’État national était si puissant, si ancrée que la majorité de la direction du SPD, en est venu à soutenir le gouvernement allemand lors de son entrée dans la Première guerre mondiale. La plupart des partis de la dite Deuxième Internationale (fondée en 1889) l’ont rapidement suivi dans cette voie.

5. La marxiste germano-polonaise, Rosa Luxemburg et le marxiste russe V.I. Lénine ont été à l’avant-garde de l’opposition socialiste à la guerre. Les deux ont dénoncé la Guerre comme le produit de l’impérialisme et comme la conséquence de la concurrence des principales puissances capitalistes pour se diviser le monde. Luxemburg et Lénine ont développé les politiques de l’opposition socialiste internationale à la guerre et ont soutenu que les travailleurs devraient refuser de soutenir "leurs" classes dirigeantes nationales et qu’ils devraient travailler à transformer les crises sociales liées à la guerre en guerre de classe des travailleurs contre le système capitaliste.

6. Luxemburg et Lénine ont ainsi apporté une contribution essentielle au courant internationaliste et anti-impéraliste à l’intérieur du mouvement socialiste. Malgré leurs convergences significatives en ce domaine, ils divergeaient beaucoup sur la question de l’attitude socialiste envers les luttes nationales. Luxemburg défendait qu’à l’âge de l’impérialisme et d’un capitalisme pleinement internationalisé, les luttes nationales étaient dépassées. L’économie mondiale était tellement développée, que l’idée d’un État nation économiquement indépendant était devenue ridicule. Au milieu du XIXè siècle, disait-elle, les guerres nationales ont fait éclater les vieux empires et ont créé des nouveaux États démocratiques bourgeois et cela a été progressiste. Mais cette époque est révolue. À l’époque du capitalisme international, il est réactionnaire de soutenir la création de nouveaux États nations. La tâche était maintenant de mobiliser la classe ouvrière internationale contre le capitalisme mondial. " à l’époque du capitalisme déchaîné, il ne peut plus y avoir de guerres nationales" disait-elle. Les luttes nationales "ne peuvent servir que des moyens de démoralisation", de duperie des masses.

La position de Rosa Luxemburg avait un point fort : celui d’un internationalisme de principe, sa vigoureuse opposition au nationalisme. Mais selon Lénine elle avait deux faiblesses importantes. Premièrement, elle néglige le caractère hiérarchique des rapports entre les nations — en réalité certaines sont dominantes et d’autres sont opprimées - et sa position peut conduire les socialistes à une position d’indifférence ou de neutralité dans les luttes entre les nations opprimantes et les nations opprimées. Deuxièmement, sa position sous-estime l’importance pour les socialistes de défendre les droits des peuples opprimés à leur autodétermination comme moyen de défier le chauvinisme national qui frappe les travailleurs et les nations dominantes. L’erreur de Luxemburg, en d’autres termes, vient du fait qu’elle considère les luttes nationales du point de vue généralement abstrait de l’économie mondiale. En faisant cela, elle perd de vue les dynamiques politiques concrètes, la façon dont les conflits nationaux structurent le terrain de la lutte politique et la conscience de classe de la classe ouvrière. Si les marxistes doivent être réellement partie prenante des débats politiques dans la société, affirme Lénine, une position abstraite et intemporelle de cette espèce "toutes les luttes nationales sont dépassées" ne sert à rien. Au contraire, les socialistes révolutionnaires doivent essayer de comprendre comment des luttes nationales données affectent le terrain général de la lutte politique dans la société et construire leur démarche à partir de là. Lénine a présenté la thèse qu’il a développée dans ce domaine comme une élaboration de la position que Marx avait pris dans la lutte pour l’indépendance irlandaise. En fait, la position de Lénine était plus originale que ça. Il a développé une approche complètement nouvelle de tout le problème des luttes nationales. Mais commençons par examiner la position de Marx sur l’Irlande et nous verrons ce que Lénine en a fait.

Marx et Engels avaient d’abord accordé peu d’importance à la lutte de l’indépendance irlandaise face à la Grande-Bretagne. En 1848, par exemple, ils avaient affirmé que le mouvement ouvrier de masse britannique de cette période (connu comme le Chartisme) devrait se préoccuper de ce problème. Ils voyaient la question irlandaise comme un aspect vraiment mineur de la lutte de la classe ouvrière d’Angleterre et ils ont souvent accusé les nationalistes irlandais de ne pas s’allier avec le Chartisme. Après le déclin du Chartisme, comme le sentiment anti-irlandais commençait à jouer un rôle plus important dans la politique britannique et que le mouvement Fenian pour l’indépendance de l’Irlande se développait de nouveau dans les années 60, la position de Marx a de nouveau changé.

La thèse de Marx s’exprimait comme suit. Premièrement, il affirma qu’étant donné que le sentiment anti-irlandais amenait les travailleurs anglais à s’identifier aux classes dirigeantes, cette réalité était le plus important obstacle à une politique d’indépendance de classe de la classe ouvrière.

Le travailleur anglais ordinaire hait le travailleur irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie. Dans ces rapports aux travailleurs irlandais, il se perçoit lui-même comme un membre de la nation dominante et se positionne lui-même comme un instrument des aristocrates et des capitalistes de son pays contre l’Irlande, renforçant ainsi leur domination sur lui. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise (Marx et Engels, L’Irlande et la question irlandaise).

Deuxièmement, Marx défend maintenant que la lutte nationale en Irlande était la clé qui allumera la révolution ouvrière en Angleterre. En cela, il reconnaît que c’est un renversement de sa position antérieure. "Pendant longtemps, j’ai cru qu’il serait possible de renverser le régime irlandais grâce à la montée de la classe ouvrière anglaise. Une étude plus approfondie m’a convaincu de l’opposé : La classe ouvrière anglaise ne fera rien de décisif, ici en Angleterre, tant qu’elle ne rompra de façon la plus nette , dans sa politique irlandaise, avec la politique des classes dominantes ; tant qu’elle ne fera pas, non seulement cause commune avec les Irlandais, mais encore ne prendra pas l’initiative de la dissolution de l’Union forcée de 1801 et de son remplacement par une confédération égale et libre." (ibid 294). L’expérience de repenser la question irlandaise a été d’une importance générale pour Marx et Engels. Cela a conduit Marx, par exemple, à faire cette magnifique réflexion "toute nation qui en opprime un autre forge ses propres chaînes." À bien des égards, ce qu’a fait Lénine est de reprendre cette intuition et de l’appliquer systématiquement.

L’empire des Tsars de Russie renfermait des dizaines et des dizaines de communautés nationales opprimées. En essayant d’organiser un mouvement de la classe ouvrière dans l’empire tsariste, les marxistes russes étaient inévitablement confrontés aux aspirations nationales. Beaucoup de marxistes russes ont refusé ça et ont suggéré que les enjeux nationaux n’avaient pas leur place dans un mouvement marxiste. Les premiers écrits de Lénine ne prêtaient pas attention à ces questions. Mais avec le temps la question nationale en vint à jouer un rôle de plus en plus important dans sa pensée. Avec la Première guerre mondiale, il a développé une attitude très spécifique envers cet enjeu.

Les conceptions de Lénine reprennent les éléments suivants. Premièrement, l’ordre du monde impérialiste établit une hiérarchie entre les nations ce qui produit inévitablement des révoltes nationalistes. Deuxièmement, le problème principal pour les marxistes est comment trouver une assise comme internationalistes dans un monde dominé par les conflits nationaux. Troisièmement, le problème stratégique central est d’essayer d’amener les travailleurs de sentiments nationalistes à des sentiments internationalistes. Quatrièmement, le plus grand obstacle pour ce faire c’est le nationalisme des travailleurs des nations dominantes (comme l’affirmait Marx au sujet des travailleurs anglais dans le cas de l’Irlande) ce qui les conduit à s’identifier à leur classe dirigeante, ce qui renforce le nationalisme des travailleurs des nations opprimées. (car ces derniers ne voient pas que les travailleurs de la nation dominante ont le moindrement sympathique à leurs aspirations de se libérer de l’oppression nationale). En conséquence, selon Lénine, les marxistes doivent soutenir le droit des nations opprimées à l’autodétermination, y compris le droit de former un État indépendant.

Le point central de la thèse de Lénine est son insistance sur le politique (contrairement à Luxemburg qui s’appuyait sur une thèse fondamentalement économique.). Lénine insiste que le nationalisme représente une division politique importante à l’intérieur de la classe ouvrière. L’approche marxiste prend cette division politique comme le point de départ de l’effort pour le dépasser. Dans ce but, la principale question n’est pas celle de la viabilité économique d’un État nation donné, mais quelles tactiques seront les plus importantes pour construire la solidarité de classe et l’internationalisme. Et la réponse de Lénine est claire : miner le chauvinisme national des travailleurs de la nation dominante en faisant campagne ouvertement pour le droit des nations opprimées à déterminer leur propre futur. Pour gagner les travailleurs dans la nation opprimée une telle position devrait représenter le principal coup porté aux identifications nationalistes.

Lénine a rendu très clair que cela ne signifie pas que les marxistes voudraient voir de plus en plus d’États nations indépendants. Au contraire, comme internationalistes marxistes, il favorisait les fédérations qui amèneraient les travailleurs dans une vie politique commune. Mais de telles fédérations devraient être volontaires. On devrait s’opposer à des associations politiques forcées ou coercitives ou oppressives.

Si nous demandons la liberté de sécession pour les Mongols, les Perses, les Egyptiens et toutes les autres nations opprimées sans exception, ce n’est pas parce que nous favorisons la sécession, mais seulement parce nous défendons l’association volontaire et différente d’une association forcée (cité in James M. Blount, The National Question : Decolonising the Theory of Nationalism, 67).

Soutenir le droit des nations à l’autodétermination est ainsi devenu un élément clé de l’approche stratégique de la construction de la solidarité internationale des travailleurs. Non pour soutenir que ce droit signifie l’alignement avec le nationalisme dominant. Cela signifie que se contenter d’un internationalisme abstrait échoue à reconnaître l’importance de l’expérience de la domination, ou ce que Lénine a nommé " la psychologie qui est si importante en ce qui concerne la question nationale". (Collected Works, v. 19, 499.) La solidarité internationale nécessite, en d’autres mots, que les travailleurs des nations dominantes se fassent les défenseurs les plus conséquents du droit des peuples opprimés dans "leur" État à s’autodéterminer (y compris à se séparer).

En même temps, Lénine défend, une telle opposition de principe au nationalisme dominant permet aux travailleurs des nations opprimées de cheminer du nationalisme au socialisme. Alors que les socialistes des nations opprimantes défendent le droit des opprimé-E-s à l’autodétermination, les socialistes des nations opprimées "doivent accorder une importance centrale à l’unité et à l’alliance des travailleurs des nations opprimées avec ceux des nations opprimantes ; autrement ces sociaux-démocrates deviendront involontairement les alliés de leur propre bourgeoisie nationale". (Œuvres choisies, vol. 1, p. 409). Dans le même ordre d’idée, les Thèses sur les questions nationales et coloniales de l ’Internationale communiste affirment que même en apportant son soutien aux luttes nationales bourgeoises contre le colonialisme, les socialistes insistent sur "l’indépendance de classe du mouvement prolétarien".

Cette analyse a considérablement renforcé la capacité des socialistes à s’engager sérieusement dans les luttes nationales en cours sans abandonner leurs objectifs socialistes. Pour ces raisons, nous pouvons apprendre énormément des écrits de Marx sur l’Irlande et des discussions de Lénine sur la question nationale. En même temps, ces écrits n’offrent guère plus que des balises. Après tout, défendre le droit de séparation ne dit rien sur les conditions où on le défend. Plutôt que de fournir une formule qui peut simplement être appliquée dans tous les contextes, ils sont un point de départ pour guider notre analyse. Essayer de les utiliser n’est pas un substitut à une analyse sérieuse. Avant de discuter comment nous devons utiliser ces analyses dans notre approche des luttes nationales dans l’État canadien, il est important de les examiner les enjeux du nationalisme et de l’internationalisme tels qu’ils se sont exprimés après la mort de Lénine en 1924.

Le mouvement communiste international a glissé de l’internationalisme au nationalisme sous l’impact de la dégénérescence de la révolution de 1917 en Russie et la montée du stalinisme. Aussi tôt qu’en 1923, l’idée du "bolchevisme national" a été développé par le Parti communiste allemand. Une fois que Staline a déclaré qu’il était possible de construire " le socialisme dans un seul pays", la porte était ouverte à l’adoption de l’idée de luttes nationales distinctes pour le socialisme, termes de référence des nationalismes dominants. Ainsi, par exemple le Parti communiste du Canada a rapidement découvert que le nationalisme canadien était "progressiste" alors que les membres du PC au Québec qui essayait de promouvoir une compréhension plus différenciée de la lutte nationale du Québec étaient régulièrement expulsés pour "nationalisme bourgeois".

Une des grandes contributions historiques de Léon Trotsky a été de résister à la notion de lutte pour le socialisme comme étant une lutte nationale et de s’en tenir fermement à l’internationalisme marxiste. Avec tous leurs terribles problèmes, les groupes trotskistes ont joué un rôle important en sauvegardant ces idées vivantes à l’époque où le nationalisme dominait la gauche. La contribution spécifique de Trotsky à cette époque a été sa théorie "de la révolution permanente". Originellement formulé comme la perspective stratégique pour la révolution russe à venir, à la fin des années 20, Trotsky l’a reformulée comme la théorie des relations entre les luttes de classes et les luttes nationales à l’époque de l’impérialisme.

La théorie de la révolution permanente a été une contribution brillante et originale à la pensée marxiste. En rejetant l’idée schématique, linéaire et mécanique que toute société devait passer par des stades historiques donnés avant de lutter pour le socialisme, Trotsky a défendu que l’analyse concrète des dynamiques des classes dans une société donnée devait se faire dans le contexte des ses rapports avec l’économie mondiale. Ainsi, alors que la plupart des marxistes russes défendaient que la Russie devait d’abord faire une "révolution démocratique bourgeoise" contre le tsarisme et alors compléter un stade du développement capitaliste avant que la lutte pour le pouvoir ouvrier soit à l’ordre du jour, Trotsky a défenfu que la bourgeoisie russe était trop effrayée par le pouvoir grandissant du jeune prolétariat russe pour conduire la lutte contre la monarchie tsariste.

Effrayé que le mouvement révolutionnaire pour la démocratie libérale puisse déboucher sur des grèves de masse et faire descendre un prolétariat insurgé dans les rues se battant pour ses revendications de classe particulières (ce qui s’était en fait passé en 1905), la bourgeoisie russe a rapidement abandonné une telle lutte, soutenait-il. Il en a résulté, que la direction de la lutte anti-tsariste passerait au prolétariat qui donnerait sa marque au mouvement, l’amenant vers la lutte pour la démocratie ouvrière. Empruntant une phrase à Marx, Trotsky a décrit cela comme la "révolution permanente" - qui commence comme un mouvement révolutionnaire pour la démocratie libérale et qui transcroît dans un lutte pour la démocratie socialiste et le pouvoir ouvrier.

La théorie de Trotsky (développée en 1905-1906) a démontré une profonde anticipation de la dynamique de classe du processus révolutionnaire de 1917. Sous l’impact du mouvement révolutionnaire en Chine dans les années 20, Trotsky a rapidement étendu la théorie de la Russie au monde colonial en général. Dans les colonies, il suggère, que le même modèle soit appliqué : une bourgeoisie craintive se retire de la lutte anti-coloniale, cette dernière triomphera seulement sous la direction du parti révolutionnaire de la classe ouvrière. Bien qu’il y ait des enseignements importants à tirer de cette analyse, il existe le risque d’une surgénéralisation. Après tout, en l’absence d’une classe ouvrière auto-organisée et combative comme celle du mouvement ouvrier russe de 1905 et 1917, pourquoi des groupes bourgeois et petits bourgeois se retiraient-ils de la direction des luttes nationales. En effet, ils ne se sont pas retirés. Dans des pays comme l’Inde, l’Algérie, le Pakistan, le Bangladesh et des dizaines d’autres, les mouvements nationalistes n’ont pas été dirigés par la classe ouvrière et ont mis en place des États nations indépendants. En Chine, le dit Parti communiste a conduit une lutte avec aucune activité auto-organisée de la classe ouvrière, et sans aucune apparition d’organes de démocratie ouvrière.

Le monde d’après 1945 a été le témoin d’une succession d’indépendances nationales dans lesquels les mouvements de la classe ouvrière n’ont pas joué de rôle significatif. Clairement, ces réalités demandent que soit révisée de la théorie de Trotsky. Quel que soit sa force, elle ne peut être utilisée comme une prédiction universellement valide concernant les luttes nationales à l’époque de l’impérialisme. Certains trotskistes tentent de discuter de ces événements qui ont clairement été en porte-à-faux avec la théorie de Trotsky. D’autres, cependant, continuent à défendre dogmatiquement la lettre des écrits de Trotsky. La plus grande organisation trotskiste américaine (le Socialist Workers Party) a produit un document en 1974 par exemple qui affirme : "à l’époque impérialiste, la bourgeoisie nationale dans les pays industriellement retardataires trahit sa propre révolution et les tâches démocratiques bourgeoises, y compris la réalisation de l’indépendance nationale ne peuvent être réalisées que par la révolution socialiste". (La dynamique de la révolution mondiale aujourd’hui", 137)

8) Maintenant, le fait que cette prétention soit évidemment fausse (c.-à.-d. que l’indépendance nationale peut être réalisé sans révolution socialiste) ne semble pas compter. Trotsky l’a dit, par conséquent cela doit être vrai. Et nombre de trotskistes qui défendent une telle ligne ont commencé à voir des révolutions socialistes et des États ouvriers un peu partout. En Algérie, en Égypte où un régime nationaliste progressiste prenait le pouvoir. Après tout, si l’indépendance nationale ne peut être réalisée que par une révolution socialiste, alors la réalisation de l’indépendance nationale devrait vouloir dire qu’une telle révolution a eu lieu. Le fait que rien semblable à une révolution socialiste peut être reconnue - comme des millions de personnes opprimées descendant dans les rues et attirant les bases de l’armée de leur bord, comme des grèves de masse et l’occupation des lieux de travail, comme de nouvelles institutions populaires d’autogouvernement apparaissant sur les lieux de travail et dans les communautés - ne semblent importants. Allant plus loin que Trotsky avait été, quelques groupes ont commencé à défendre qu’il y avait une logique cachée qui conduisait les luttes nationales à la révolution socialiste. Même s’ils ne le savaient pas, des nationalistes bourgeois et petit-bourgeois menaient actuellement des révolutions ouvrières. La primauté de l’auto-émancipation ouvrière a rapidement disparu (comme si la plupart des groupes sociaux pouvaient construire le socialisme). Et inévitablement, la ligne entre le nationalisme et le socialisme s’est estompée. Après tout, si le nationalisme anti-impérialiste transcroît automatiquement en socialisme, alors la ligne entre les deux est vraiment très mouvante. Certains trotskistes qui ont défendu de telles conceptions sont éventuellement devenus plus ou moins a-critiques et ont adhéré au nationalisme d’allure progressiste (Cuba, Nicaragua, Grenade) et ont abandonné l’idée de la révolution permanente et son insistance sur l’indépendance de la classe ouvrière et de son organisation socialiste dans la lutte nationale. C’est ainsi qu’a évolué le SWP américain.

J’ai rappelé ces éléments parce qu’ils soulignent comme il est important de résister aux formules simples quand nous parlons des luttes nationales. Il n’y a pas de loi générale ou de dynamiques des luttes nationales aujourd’hui (et il n’y en a jamais eu). Une des erreurs de beaucoup de marxistes a été d’en chercher une plutôt que de prendre en compte la tâche de loin la plus importante de développer une analyse concrète des particularités des luttes nationales dans une conjoncture historique déterminée. Avec cette préoccupation en tête, je veux rapidement faire quelques considérations préliminaires sur les luttes nationales dans l’Etat canadien. Mais avant, je veux souligner des secteurs dans lesquels l’approche marxiste du nationalisme reste faible et nous devons être conscients que ces secteurs doivent être des secteurs de travail pour développer une compréhension plus large du nationalisme dans le monde moderne.

Partie 3. Les problèmes de la théorie marxiste du nationalisme

10. Une des éléments forts des conceptions de Marx sur l’Irlande et des écrits de Lénine sur la question nationale, c’est qu’elles fournissent un façon de soutenir les luttes nationales des peuples opprimés sans se faire les champions d’un forme quelconque de nationalisme. C’est ce qui fait que leur héritage est un héritage des plus important. Mais une fois cela dit, nous devons être conscients que ni Marx ni Lénine nous ont réellement fournis une théorie nous permettant de comprendre un des problèmes les plus importants que nous rencontrons dans ce domaine : l’incroyable pouvoir et la persistance du nationalisme et des identifications nationales. Plutôt qu’une diversion temporaire ou épisodique d’une conscience de classe plus développée, le nationalisme a dominé et continue de dominer les pensées de la vaste majorité de la classe ouvrière et des peuples opprimées. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses pourquoi il en est ainsi. Mais laissez moi fournir quatre explications partielles de ce qui devra être exploré et développé.

11. Le premier sujet est ce que nous pouvons nommer l’attirance pour la citoyenneté. Rappelons-nous que dans les premiers mouvements de la classe ouvrière ont été créés dans des contextes où la vaste majorité de la classe ouvrière ne votait pas. Pour cette raison, la lutte pour les droits démocratiques, spécialement le droit de vote, occupait une place majeure dans l’agitation socialiste. En effet, le socialisme - habituellement désigné sous le nom de social-démocratie - est souvent apparu pour l’inclusion de la classe ouvrière à l’intérieur de la démocratie capitaliste. Cela a produit toute une tradition historique où la démocratie capitaliste était critiquée simplement pour ne pas être suffisamment inclusive. Résultat, la question de la forme du pouvoir politique capitaliste - l’État nation bourgeois - et ses problèmes inhérents (bureaucratisme, définition nationale de la citoyenneté, séparation du pouvoir économique du pouvoir politique) ont été rarement soulevés. Cela a voulu dire que les mouvements ouvriers ont cherché généralement la pleine citoyenneté à l’intérieur de la démocratie capitaliste. On ne peut nier l’importance de cette lutte. Après tout, la lutte pour les droits démocratiques bourgeois, la bataille pour être considéré comme un membre à part entière de la société a un signification fondamentale. Mais dans le processus, la classe ouvrière devient souvent liée à cette espèce d’idée, ils ont peu de liens avec les traditions politiques qui mettent de l’avant une critique radicale des limites inhérentes et des biais de la démocratie libérale elle-même. Ainsi une définition libérale-capitaliste des droits et de la citoyenneté s’enracinent historiquement et profondément dans les mouvements ouvriers - dans laquelle les personnes sont définies comme des entités séparés appelés "individus" qui sont en compétition économique sur les marchés qui sont régulés par des lois qui ne reconnaissent que les droits des individus (et de leurs familles) qui sont largement des acheteurs et des vendeurs de biens et de services (tout ceci est, dans un sens, le plus souvent défini comme le "réformisme"). On a dit que les marxistes ne prêtaient pas suffisamment attention au pouvoir idéologique des notions de citoyenneté, préférant simplement souligner la corruption et le caractère de vendu des dirigeants qui ont trahi le mouvement socialiste. Si nous devons développer une alternative sérieuse au réformisme, il sera cependant nécessaire non seulement de dénoncer les "dirigeants corrompus", mais, et c’est plus important, de trouver les façons d’avancer une critique de la démocratie capitaliste et de la citoyenneté en reconnaissant l’importance des droits quand nous faisons une critique de leurs limites, critique qui pourrait ainsi avoir un écho dans les expériences de la classe ouvrière, au lieu de sonner comme des slogans réducteurs.

12. En lien avec cet élément, il y a un deuxième problème : les versions du socialisme centré sur l’État ont dominé le XXe siècle. Durant toute cette période historique la plus important partie de la gauche a présenté la propriété étatique comme l’essence sociale et économique du socialisme. Marx a mis au centre de sa critique du capitalisme ce qu’il a appelé les rapports sociaux de production, ce qui signifie les rapports de domination, de contrôle, d’aliénation et d’exploitation induits par la façon dont la richesse est produite dans la société capitaliste.

Ce qui a découlé de cette approche a été l’idée que le socialisme mène au développement de nouveaux rapports de production basés sur des formes non-aliénées de contrôle et d’autogestion de la production par la classe ouvrière. Le contrôle ouvrier sur la production et de nouvelles institutions gouvernementales autogestionnaires sont au cœur d’une telle perspective.

Durant l’époque où les partis communistes stalinisés ont dominé la gauche (1925-1980 ou à peu près), ces acquis ont été perdus. La propriété étatique des moyens de production et l’"économie planifié" étaient présentés comme l’essence de la nouvelle société. En dépit des meilleures intentions, nombre de trotskistes ont aussi placé le point essentiel à ce niveau. Il en résulta que l ’idée de la propriété d’État est en soi progressiste , qu’elle est en soi socialiste est devenu largement partagée dans la gauche. Cela a contribué à des politiques centrées sur l ’État où les idées de régulation étatique et de planification d’Etat ont été élevées à une position de premier plan dans la propagande socialiste. Une des conséquences de ceci a été que la nature oppressive inhérente à l’État nation a été rarement attaquée. En fait, à ce jour, beaucoup, dans la gauche, continuent à avancer de telles conceptions et semblent oublieux de l’hostilité de masse aux bureaucraties étatiques centralisées qui s’est développée - pour de bonnes raisons - dans les rangs de la classe ouvrière dans la majorité des parties du monde.

Ce qu’oublie ces politiques socialistes étatistes (que nous pouvons appeler le socialisme d’en haut) c’est que l’État nation s’est développé avec le développement du capitalisme par les classes bourgeoises qui cherchaient à intégrer le marché national par un système uniforme de lois et de taxes, une langue commune, un gouvernement unifié et une armée nationale pour défendre et avancer leurs prétentions contre les capitalistes "étrangers" (et d’écraser les révoltes domestiques lorsque cela est nécessaire). Ainsi a été perdu le sens propre de la forme démocratique inhérente à la démocratie bourgeoise (comme l’avait souligné Marx dans La guerre civile en France).

Enfin, les versions étatistes du socialisme tendent à perdre de vue le fait que les structures nationales et les institutions de l’État nation perpétuent la division du monde entre un "nous" (qui appartient à une nation donnée) et un eux (les étrangers, ceux du dehors). Les conséquences du socialisme étatiste est de renforcer le nationalisme au dépend de l’internationalisme.

13. Cela nous amène au troisième point : la politique de l’espace. Les marxistes ont, curieusement, été indifférents aux questions de l’espace, spécialement en ce qui concerne les identités des peuples qui ont des points de référence spatiaux et géographiques. Même les mémoires personnelles invariablement ont des dimensions spatiales : nous nous pensons nous-mêmes comme étant nés à un certain endroit, ayant vécu, grandi, travaillé, être allé à l’école dans différents endroits, et ainsi de suite. Jusqu’à maintenant, pour la plus grande part de l’histoire de l’humanité, les rapports à l’espace n’avaient rien à voir avec l’appartenance à une nation. De fait, les gens appartenaient à des groupes ayant des espaces plus petits et plus grands. Mais le capitalisme a construit ce que Benedict Anderson a décrit comme des "communautés imaginaires". Les nations sont ainsi, en partie, des constructions imaginaires, — organisées autour de symboles comme les drapeaux, les hymnes, les couleurs nationales et les des mythes et des histoires en grande partie artificielles liées à des unités administratives nommés État nation. Nous n’avons besoin que d’observer un phénomène comme les Jeux Olympiques pour réaliser le pouvoir d’attraction des communautés imaginaires. Des millions de personnes qui n’ont jamais rencontré Silken Laumann ou Donovan Bailey agissent néanmoins comme s’ils étaient "leurs chair et leur sang", se glorifiant de leurs victoires, se morfondant de leur défaites.

Je dis cela non parce que je pense que tout est inévitable en ce qui concerne les identifications nationales, au contraire. Mais sans la compréhension socialiste révolutionnaire que de telles identifications répondent à un besoin réel — le désir d’appartenir à une communauté avec d’autres, d’avoir des objectifs communs --- nous sous-estimerons la nécessité pour les mouvements socialistes de masse dans l’avenir d’aider à développer des sentiments internationalistes d’une communauté qui est liée aux expériences locales et globales. Il se suffira pas d’avoir une "avant-garde" qui pourra dire que le nationalisme est leur ennemi ; il sera nécessaire de favoriser de nouvelles expériences de l’espace basées sur des formes d’organisation qui créent de nouvelles solidarités et de nouvelles identifications, forgées dans la lutte commune, et qui va au-delà de l’État nation.

14. Et cela m’amène à mon quatrième point : la montée du nationalisme à l’âge de la globalisation. La globalisation économique se déchaîne ; aucune partie de la planète ou presque n’est épargnée par l’ascension considérable des entreprises transnationales et par les marchés financiers globaux. La plupart des États nations sont économiquement plus petits que les grandes entreprises transnationales et les marchés monétaires mondiaux déplacent des sommes tous les jours qui excédent de beaucoup tout ce que possède une banque centrale quelconque (voir mon article "La fin des États nations", New Socialist, no. 3, mai-juin 1996). Ces entités économiques globales causent des ravages dans les vie des peuples : les entreprises qui ferment, les communautés qui sont détruites, les services sociaux qui sont saccagés : des hôpitaux communautaires, des écoles, des bureaux de poste qui disparaissent, au nom de la globalisation.

Dans de telles circonstances, le nationalisme devient le premier et le plus simple moyen pour comprendre et résister à ces forces. Rappelons-nous qu’un gouvernement national peut apparaître comme beaucoup plus proche et plus compréhensible que des transnationales ou le marché monétaire électronique et global centré sur le cyberespace.(…). Mais demander à l’État national de "nous" protéger contre le capital global conduit inévitablement à voir le problème en termes nationaux. Les étrangers (et ce qui est étranger) deviennent l’ennemi de notre sécurité et de notre bien-être. Des politiciens dangereux et sans scrupules deviennent rapidement les adeptes nourrissant et manipulant de tels sentiments. Ainsi, les Travailleurs Unis de l’automobile se sont engagés dans le bannissement des autos japonaises, des jeunes sans emploi en Allemagne ont tiré des bombes incendiaires contre des hôtels bondés de travailleurs immigrants d’origine turque, des gens de Californie ont soutenu les propositions contre les illégaux du Mexique, des canadiens-anglais ont dénoncé les Québécois cupides. Des Serbes, des Croates, des Musulmans ses sont opposés les uns les autres dans l’ex-Yougoslavie ; les Hutus et les Tutsis se sont affrontés dans des conflits sanglants au Rwanda et au Burundi - et la liste pourrait s’allonger.

Ce n’est pas un hasard, si dans cette période de restructuration féroce du capital, d’anciens et de nouveaux nationalismes relèvent la tête — et pour beaucoup d’entre eux de façon virulente et violente. Rarement, nous n’avons entendu le cri du clairon des nationalismes anti-colonialistes depuis les années 50 et 60 car la plupart d’entre eux ont été discrédités par leur échec à répondre aux espérances de développement. Et dans un contexte de rage et de désespoir, alors que la gauche et le mouvement ouvrier apparaissent affaiblis, les nationalismes ethniques de droite reprennent l’initiative politique. Mais, il n’y a rien là, encore une fois, d’inévitable.

Mais il serait imprudent de sous-estimer la montée du nationalisme dont nous sommes les témoins dans cette période de globalisation. Et nous devrons nous rappeler que le besoin pour les socialistes de mettre de l’avant leurs positions internationalistes est peut-être plus urgent que jamais alors que la majorité de la gauche a adopté le nationalisme en 1914. Pour ce faire, nous aurons besoin des analyses de la tradition du socialisme international et de les développer davantage en rapport aux questions des politiques de l’espace, des États nation, de la globalisation économique et la critique de la forme de l’État nation bourgeoise à partir d’une perspective du socialisme d’en bas.

Quatrième partie : les questions nationales au Canada aujourd’hui.

15. Le Canada est un produit de l’expansion impérialiste des puissances européennes. Établi comme colonie de peuplement, le Canada a basé sa domination sur l’oppression et la domination des peuples autochtones et des habitants français qui avaient peuplé la Nouvelle France et d’autres parties des Canada conquis par les britanniques en 1759. Le Canada a été formé sur l’oppression de ces groupes : pour cette raison, les politiques canadiennes ont été modelées par deux luttes nationales principales : celles des peuples autochtones (ou les Premières nations) et celles des QuébécoisEs.

16. Parce que les peuples autochtones étaient économiquement marginaux, politiquement non-affranchis, et terriblement opprimés par des politiques d’apartheid de la Loi des Indiens, ils ont pris beaucoup de temps à trouver les leviers pour exercer des pressions politiques. C’est principalement au milieu de l’explosion de protestations sociales des années 60 et 70 que les mouvements autochtones politiquement organisés ont fait leur marque. Inspirés par des groupes comme le Black Panther Party et l’American Indian Movement de États-Unis, les militants autochtones ont commencé à mener des luttes plus militantes et plus coordonnées (voir "Red Power, une entrevue avec Howard Adams, dans New Socialist, no.2, Mars-Avril 1996).

Depuis les soulèvements de la fin des années 60 et du début des années 70, il y a eu des tentatives de professionnaliser le mouvement autochtone, pour en faire un mouvement de pression plus ordinaire. A l’avant-garde de ce glissement, il y a eu la direction de l’Assemblée des Premières Nations. L’AFN a centré son travail sur les changements constitutionnels, en particulier la tentative d’obtenir la reconnaissance du "droit inhérent à l’auto-gouvernement " pour les peuples autochtones inséré dans l’Acte constitutionnel. Il est essentiel que les socialistes soutiennent cette revendication. Étant donné que les peuples autochtones n’ont jamais accepté d’être gouvernés par l’État canadien, le droit inhérent à choisir quelle sera la forme de l’auto-gouvernement qu’ils désirent doit être reconnu et défendu.

De même, nous devons reconnaître que toute une couche de militants autochtones (beaucoup parmi eux étant la jeune génération des dirigeants de l’AFN) rejettent l’insistance sur les changements constitutionnels et les réclamations territoriales par l’intermédiaire des Cours ce qui domine le courant principal des politiques autochtones. Ces militantEs ont été à l’avant-garde des formes d’actions directes de désobéissance civile comme les blocus des routes et des autoroutes et des occupations des terres ancestrales comme nous l’avons vu à Oka, Gustafen Lake et Ipperwash. Il est essentiel que les socialistes, tout en défendant les revendications d’un groupe comme l’AFN, essaient aussi d’organiser la solidarité avec ces formes plus militantes des luttes autochtones. Nous devons rendre clair que nous soutenons l’auto-activité et l’auto-organisation militante des autochtones et que nous dénonçons les pratiques colonialistes de l’Etat canadien pour toutes les violences qui se produiront.

16. La question nationale qui domine la politique officielle au Canada est celle des Québécois. Cela a à voir avec le fait , qu’en voulant profiter du développement de l’agriculture et du commerce de la Nouvelle France et désirant que les fermiers français continuent à travailler leur terre, les colonisateurs britanniques n’étaient pas intéressés à expulser les gens de la colonie. Alors que les autochtones ont été de plus en plus poussés à la marge de la vie économique, les choses étaient plus compliquées pour les habitants français. D’abord, les Britanniques ont essayé de supprimer l’Église catholique et la langue française. Ils se sont rapidement rendu compte, cependant, qu’ils avaient besoin d’une alliance avec l’élite française, - les seigneurs, le clergé et quelques capitalistes— s’ils voulaient gouverner la région réellement. Il en résulta l’enfermement de la Nouvelle France dans des rapports de domination coloniale par les autorités britanniques en place qui ont aussi fait des concessions : tolérance pour la langue française, l’Église catholique et le code civil français. Quand le mouvement pour l ’intégration des colonies britanniques d’Amérique du Nord eut lieu dans les années 1860, le Québec a obtenu une autre concession : la restauration de sa propre assemblée législative. Il en résultat qu’une entité politique a été créée (la province de Québec) où l’on retrouvait la deuxième plus importante population du pays, dont la vaste majorité était francophone - et où se trouvaient quelques uns des plus importants centres agricoles, manufacturiers et commerciaux. Ce qui voulait dire que les griefs du Québec étaient habituellement négociés par une classe dominante parlant d’abord l’anglais.

Tant que les pressions nationalistes venant du Québec régulièrement (et cela est très frustrant pour eux en période de guerre) tant que l’Église catholique dominait la vie culturelle et politique, le nationalisme du Québec ne semblait pas particulièrement menaçant pour la classe dirigeante du Canada. Cela a changé dans les années 60 avec la montée d’une classe moyenne laïque et un nouveau mouvement ouvrier en rupture avec la domination de l’Église et l’apparition d’un nouveau mouvement nationaliste (qui s’est cristallisé finalement dans la création du Parti Québécois). La Révolution tranquille des années 60, la Crise d’octobre 1970 (dans lequel le gouvernement Trudeau a utilisé l’armée et la police pour écraser le Front de Libération du Québec), la grève générale militante de 1972 et l’élection d’un gouvernement du PQ sous la direction de René Lévesque en 1976, tout cela a amené à placer "la question du Québec" à l’avant-scène du débat politique. Et cela est resté ainsi pour une période d’une trentaine d’années. Cependant, l’obsession des politiciens fédéraux à résoudre la question du Québec a été exploitée par des politiciens de droite suggérant qu’au milieu des épreuves, les Québécois cherchaient à obtenir un traitement spécial.

17. D’abord, l’attitude des socialistes doit être claire, Québec est une nation opprimée dans l’État canadien. D’abord conquis par l’impérialisme britannique, l’État canadien continue à nier les droits démocratiques du Québec à déterminer son propre avenir. Les socialistes défendent le droit du Québec à l’autodétermination y compris le droit de sécession de la Confédération canadienne (ce qui ne signifie pas d’accepter le droit du gouvernement du Québec à nier le même droit aux nations autochtones). Mais à partir de là, les choses se compliquent. Comme je l’ai souligné plus haut, il n’y a pas de règles générales ou de loi universelle qui disent aux socialistes s’ils doivent défendre ou s’opposer à la séparation ou à la sécession. Pour choisir, nous avons besoin d’une analyse concrète.

Fondamentalement, l’attitude socialiste doit ressembler à celle de Marx concernant l’Irlande. Si un mouvement ouvrier puissant, uni démontre la capacité d’aborder les problèmes de l’oppression nationale, alors la séparation nationale n’est pas nécessaire. Marx pensait que c’était le cas en Angleterre durant la période du Chartisme qui a culminé en 1848. Mais si le chauvinisme envers la nation opprimée devient un moyen continuel de bloquer le développement de l’indépendance politique de classe de la classe ouvrière, alors il devient sensé de défendre l’indépendance comme une façon d’en finir avec l’antagonisme national que peut défendre des politiques de gauche.

Quoi qu’on dise au sujet du passé, je crois qu’un bon exemple peut être tiré des conséquences des débats sur la loi 101 et la loi 172 (les récentes lois linguistiques du Québec), sur les accords du Lac Meech et de Charlottetown, et de l’énorme hostilité qui a été généré dans tout le pays à l’idée de garantir la reconnaissance du Québec comme une "société distincte" ; le chauvinisme anti-québécois fonctionne de la même façon que la chauvinisme anti-Irlandais dans les années 1860 : une façon de lier les travailleurs anglophones avec leurs propres dirigeants et les traditions de l’État canadien. Toutes les tentatives de répondre aux revendications nationales du Québec rencontrent aussitôt une puissante opposition d’une partie considérable des gens ordinaires de langue anglaise. Au milieu de ce tollé anti-Québec, l’identité nationale de la classe ouvrière unie derrière les traditions de l’Etat canadien s’est affirmée. Nous pouvons poser la question comme celle de défendre une "nouvelle confédération libre et égalitaire" ce que Marx propose dans le cas de l’Angleterre et de l’Irlande, de façon à définir notre position sur cet enjeu.

Je voudrais rendre clair à cette étape que ma suggestion que les socialistes devraient probablement défendre l’indépendance du Québec n’a rien à voir avec la pensée qu’un nouvel État du Québec serait en soi progressiste, ou que la lutte pour cela devrait inévitablement déclencher un mouvement social radical. Au contraire, contrairement aux camarades de Gauche socialiste, je pense qu’un Québec bourgeois indépendant réalisé sans soulèvement massif est une possibilité très réelle. Il en résulterait, un État du Québec indépendant avec des contrôles de l’immigration, des pratiques racistes et une hostilité envers les peuples autochtones ce qui me semble très possible. En fait, je pense que les camarades de Gauche socialiste se trompent lorsqu’ils suggèrent que les nationalistes bourgeois au Québec (comme Lucien Bouchard) ne veulent pas réellement d’un État indépendant et que les socialistes devraient essayer de les déborder en étant plus souverainistes que les "souverainistes". Je pense, en fait, qu’une telle position court le risque de ne pas être suffisamment critique du nationalisme québécois et de l’État national comme forme politique.

18. Un autre point doit être fait en ce qui concerne les questions nationales au Canada. La plupart de la gauche qui s’adresse à ces sujets vient d’une période où les immigrants et les peuples de couleur n’était pas encore organisés politiquement. Souvent les socialistes ont parlé comme s’il existait une entité homogène appelé "English Canada" de façon qui semblait ne pas voir le caractère multiethnique et multiracial du pays. Il en a résulté, que le caractère systématiquement raciste de l’État canadien était sous-estimé ou ignoré. Cela doit être corrigé. Les socialistes ne doivent pas "privilégier" les questions autochtone ou québécoise d’une façon qui ignore l’oppression raciale des gens de couleur au Canada. Pour cette raison, un soutien conséquent à l’antiracisme doit aller de pair avec un soutien de principe aux droits des peuples autochtones et québécois à l’autodétermination.

19. Les questions nationales deviendront plus importantes dans la politique mondiale dans les années à venir. Les socialistes révolutionnaires ont l’obligation d’essayer de trouver les façons de faire face aux débats et aux crises qui en découleront. Ce ne sera pas toujours facile. Si on peut utiliser les contributions historiques des marxistes du passé pour guider nos analyses, nous devons rester sur nos gardes contre des réponses dogmatiques et simplistes qui échouent à rendre justice à la complexité des enjeux impliqués. Et en soutenant le droit des nations opprimées à déterminer leur futur, nous ne devons jamais pas perdre de vue qu’un des traits essentiels du socialisme d’en bas, c’est l’engagement pour une communauté mondiale sans État nation.

(Traduction, La Gauche)

Messages

  • J’ai trouvé votre texte tellement intéressant que je me suis permis de l’imprimer. Quand j’aurai un
    doute sur le mot LIBERTÉ, je vais tout simplement lire à nouveau vos écrits. Comme Québécois, ce
    mot de six lettres me revient en tête très souvent. À moins d’un miracle, je sais que le Canada vit
    ses dernières belles années. Comme disait Pauline Marois, le Québec vivra cinq ans de perturbation,
    elle est très modeste dans son estimation, Un gars comme Duceppe qui fut un admirateur de la thèse
    de Lénine, viendra à Québec prendre en main le mouvement séparatiste, après son travail sur la scène Fédéral. Un révolutionnaire dans l’âme qui cache bien son jeux, il aura son armée, sa marine son KGB.
    L’obligation pour chaque citoyen d’avoir un passeport. Ce n’est pas de la fiction,c’est un fait. Quand le québécois dira, si j’avais su,...ben oui ? Il sera trop tard. Comme disait Parizeau, une fois dans la cage à Homard, tu n’en sortiras pas. Pour l’étudiant qui voudra quitter le Québec,aucun problème, mais rembourse à l’État ce que tu dois ( $40,000) dollars pour les bourse etc... Il faudrait que votre texte
    soit lu par la majorité silencieuse,50 % de la population.