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Non à l’offensive mondiale de précarisation du travail

Damien Millet et Eric Toussaint

mardi 11 avril 2006

" On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. " Cette phrase de Brecht est le fil invisible qui, ici et là, hier et aujourd’hui, relie tant de révoltes, formant le canevas d’une résistance salutaire. La mobilisation contre le Contrat première embauche (CPE) n’est pas un accident de parcours d’un Premier ministre maladroit. La violence du fleuve attire les regards, mais pour la comprendre, celle des rives doit être disséquée depuis la source.

Au cours des années 1960, dans les pays occidentaux, les luttes déterminées des classes populaires ont permis des avancées sociales notoires. En Amérique latine, plusieurs dirigeants portés par des mobilisations populaires ont appliqué avec plus ou moins de succès des politiques progressistes (Salvador Allende au Chili, Fidel Castro à Cuba, Michael Manley en Jamaïque). En Asie et en Afrique, après les indépendances, certains pays ont connu un réel début d’émancipation. Au début des années 1970, le système capitaliste a traversé une période de crise liée à une baisse des opportunités de profit et débouchant sur une chute de la croissance. Les détenteurs de capitaux et les gouvernements des pays les plus industrialisés ont alors lancé une vaste offensive pour imposer leur agenda au Nord comme au Sud. Dans ce but, l’option militaire et répressive a fait partie de l’arsenal utilisé par les Etats-Unis (Chili, Argentine, Uruguay, Philippines, Corée du Sud) car leur leadership était très contesté (Vietnam, Iran, Nicaragua). Par la suite, la plupart des dictatures ont été remplacées par des régimes démocratiques, mieux à même de poursuivre docilement l’application des politiques néolibérales. Le bloc soviétique a disparu et la Chine est devenue le grand atelier capitaliste de la planète. L’offensive aux multiples facettes (politique, économique, financière, militaire, culturelle) s’est poursuivie avec une violence accrue.

Au Nord, la lutte contre les acquis sociaux, qualifiés souvent d’ " archaïques ", s’est intensifiée. Sous couvert de " modernité ", on a assisté à un recul d’une violence inouïe pour les populations pauvres. Les médias se sont faits l’écho de l’ " austérité " économique et de la " rigueur " budgétaire. Le traité de Maastricht fut un pas de plus dans ce sens. Les mouvements sociaux de décembre 1995 en France contre la réforme de la Sécurité sociale par le gouvernement Juppé a surpris par son ampleur. Le projet de Traité constitutionnel européen (TCE) était une autre tentative, avec en fer de lance cette " concurrence libre et non faussée " qui sert les plus puissants. Un nouveau coup d’arrêt a été donné par le " non " aux référendums du 29 mai 2005 en France et du 1er juin 2005 aux Pays-Bas. Ni repli ni incompréhension, ce non signifiait largement un refus de continuer dans cette voie. Que croyez-vous qu’il se passa ? En France, un nouveau gouvernement fut nommé, dont aucun membre n’avait soutenu le non. La façon dont le CPE a été imposé a renforcé le sentiment d’indignation et la certitude que des principes élémentaires de démocratie sont bafoués. Pendant ce temps, pour la première fois, le PDG de Gaz de France s’est vu attribuer un bonus pouvant atteindre 40% de sa rémunération annuelle et lié aux résultats financiers de cette entreprise encore publique... D’un côté ceux qui profitent de ce système, de l’autre tous ceux qui le subissent, si violemment au quotidien...

Au Sud, les années 1970 ont débouché sur la crise de la dette. Suite à la chute des cours des matières premières et à la hausse des taux d’intérêt, de nombreux pays en développement se sont retrouvés dans l’incapacité de rembourser. De la sorte, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont pu opérer une forme de recolonisation de ces pays et leur imposer des " plans d’ajustement structurel " : réduction des budgets sociaux, suppression des subventions aux produits de base, TVA généralisée, privatisations massives, libéralisation de l’économie profitant aux entreprises multinationales face aux producteurs locaux... Il y a là une violence bien plus grande que celle malheureusement observée en marge des cortèges de manifestants contre le CPE ou lors des émeutes dites " anti-FMI " au Sud.

Aujourd’hui, la coupe déborde : de nombreux pays doivent consacrer plus de 40% de leur budget au service de la dette. Les remboursements annuels liés à la dette dépassent 370 milliards de dollars alors que l’aide publique au développement, d’ailleurs artificiellement gonflée, atteint seulement 106 milliards de dollars. Les peuples ne profitent pas des richesses qui pourtant leur appartiennent, aspirées par de riches créanciers au Nord et les élites locales complices de ce stratagème, alimentant les dividendes des actionnaires d’une poignée de multinationales et quelques comptes numérotés dans des paradis fiscaux. Alors que 2,8 milliards de personnes survivent avec moins de deux dollars par jour, 793 milliardaires se partagent une fortune estimée à 2 600 milliards de dollars : c’est exactement le montant de la dette extérieure de tous les pays en développement ; c’est aussi le revenu de ces 2,8 milliards de personnes pendant plus de deux ans...

Plusieurs pays d’Amérique latine tentent d’explorer des voies nouvelles pour briser la violence qu’implique cette réalité-là. Les peuples d’Argentine en 2001, de Bolivie en 2003, d’Equateur en 2004 se sont soulevés contre des présidents néolibéraux qui ont dû quitter le pouvoir. Les citoyens vénézuéliens, brésiliens, uruguayens, boliviens et chiliens ont voté contre les options néolibérales et la violence qu’elles impliquent. Cuba est moins isolé qu’auparavant grâce notamment à Hugo Chavez qui démontre que l’on peut utiliser les revenus du pétrole au profit de la majorité de la population. Ailleurs aussi des initiatives se développent.

L’instauration du CPE s’inscrit dans une offensive mondiale de précarisation du travail (stratégie dite " de Lisbonne " pour l’Union européenne). Nombre de ceux qui refusent le CPE prennent conscience que, de ce fait, leur lutte s’inscrit dans le cadre d’une résistance globale. L’abrogation du CPE est un passage obligé, mais il ne s’agit pas seulement de paralyser momentanément le bulldozer néolibéral : il faut le mettre hors d’état de nuire, pour placer enfin l’économie au service de l’humain. Dans ce but, l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique du tiers-monde est un levier d’action privilégié. Il faut également s’attaquer radicalement au fardeau de la dette publique au Nord au nom duquel les politiques antisociales sont menées. Il est urgent d’enclencher une autre logique. Une logique où, au Nord comme au Sud, les populations ne seront plus contraintes de se saigner aux quatre veines pour enrichir une minorité repue et violemment dominante.

Damien Millet est président du CADTM France (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org), auteur de L’Afrique sans dette, CADTM/Syllepse, 2005 Eric Toussaint est président du CADTM Belgique, auteur de La Finance contre les peuples, CADTM/Syllepse, 2004.


Pour le CADTM France, Damien Millet Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde france@cadtm.org www.cadtm.org