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OMC et droit au développement - Les enjeux de la conférence de Cancun

dimanche 7 septembre 2003, par Arnaud Zacharie

Extrait du Vade mecum - Septembre 2003. Centre national de coopération au développement (CNCD/Opération 11.11.11)

I- L’OMC et la conférence de Cancun

Qu’est-ce que l’OMC ?

L’OMC est une organisation internationale chargée de favoriser la liberté des échanges commerciaux. Créée en avril 1994 sur les cendres du GATT, lors de la conférence de Marrakech, elle a été officiellement mise en ouvre en janvier 1995. Les règles de l’OMC se composent de nombreux accords, dont l’Accord sur l’agriculture, l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle (Adpic) et l’Accord général sur le commerce des services (AGCS).

Comment fonctionne l’OMC ?

A la fois lieu de négociations et de définitions de règles commerciales communes, l’OMC organise tous les deux ans une conférence ministérielle qui réunit tous ses Etats membres. La conférence de Cancun, qui se tiendra du 10 au 14 septembre 2003, est la cinquième conférence ministérielle de son histoire. Elle fait suite à celle de Doha (2001) qui, dans la foulée de l’échec de la conférence de Seattle (1999), avait débouché sur le « programme de Doha pour le développement », censé bénéficier à des pays en développement de plus en plus frustrés par les promesses non tenues.

L’OMC est dotée d’un tribunal du commerce international, l’Organe de règlement des différends (ORD), devant lequel un Etat membre peut porter plainte contre un autre Etat pour entrave à la liberté de commercer. En cas de litige, un panel d’experts est chargé de l’ arbitrage et, en cas de sanctions, le pays plaignant peut taxer l’ importation de produits du pays condamné (sorte de « loi du Talion »). Cette panoplie de compétences aboutit à un cumul des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire au sein de cette même institution.

Comment se prennent les décisions à l’OMC ?

Contrairement au FMI et à la Banque mondiale, le mode de décision de l ’OMC est « un membre, une voix », mais en réalité aucun vote n’a jamais eu lieu : c’est la « tradition du consensus » (avec toutes les pressions politiques que cela implique) et du « qui ne dit mot consent » (qui pénalise les pays pauvres n’ayant pas les moyens d’être représentés à toutes les réunions) qui est en vigueur à l’OMC.

II- L’Adpic et l’accès aux médicaments

Qu’est-ce que l’Adpic ?

L’Accord sur les droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (Adpic) est un accord de l’OMC qui a été rédigé au milieu des années 1990 sous la pression du lobby pharmaceutique et qui offre un cadre légal pour protéger par des brevets la propriété des biens dans tous les domaines de la technologie.

Quelle est l’ incidence de l’Adpic sur l’accès aux médicaments ?

La politique des brevets instituée au sein de l’OMC par l’Adpic permet aux firmes de breveter les médicaments pour une période de minimum vingt ans et de les vendre à un prix inabordable pour la majorité des citoyens du Sud. Cette réalité a été dénoncée dès 1999 par l’ Organisation mondiale de la santé (OMS)[1]. Cette situation est d’ autant plus inique que nombre de médicaments proviennent de plantes médicinales sélectionnées et entretenues par les communautés traditionnelles du Sud avant d’être « découvertes » puis brevetées par les firmes pharmaceutiques.

Pourquoi les médicaments sont-ils brevetés ?

L’argument avancé par le secteur pharmaceutique et les gouvernements des pays industrialisés est que la généralisation du système des brevets est indispensable au financement de la recherche. En effet, grâce aux brevets, les firmes possèdent un monopole sur la vente des médicaments brevetés et peuvent de la sorte maintenir des prix élevés pendant minimum vingt ans. Les profits engendrés grâce à ce privilège permettent ensuite aux firmes de relever le défi financier de la recherche médicale. En définitive, selon cette logique, c’est l’ humanité tout entière qui profite des progrès de la recherche médicale ainsi financée.

Le système des brevets est-il un bienfait pour la santé publique ?

Non. Au contraire, des millions de personnes meurent de maladies pour lesquelles il existe des médicaments, mais vendus à des prix trop élevés pour qu’elles y aient accès. Pour ne prendre que l’exemple du SIDA, alors que les traitements anti-rétroviraux existent depuis une décennie, 99% des personnes qui y ont accès vivent dans les pays industrialisés, alors que l’Afrique compte à elle seule 30 millions de séropositifs.

En outre, alors que les brevets sont censés financer la recherche au profit de tous, il n’existe aucune recherche sur les nombreuses maladies qui affectent les populations du Sud ? comme la maladie du sommeil, la maladie de Chagas ou la schistosomiase. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces populations ne sont pas suffisamment solvables pour acheter d’éventuels nouveaux médicaments et que ces « marchés de la santé » ne sont donc pas jugés suffisamment rentables par le secteur pharmaceutique.

Résultat : un être humain sur trois n’a aujourd’hui pas régulièrement accès aux médicaments et seulement 8% des ventes mondiales de médicaments sont consommés dans les pays en développement, où vivent pourtant plus des trois quarts de la population mondiale. Selon l’OMS, des dix millions d’enfants de moins de cinq ans qui meurent chaque année, 80% pourraient échapper à la mort s’ils avaient accès aux médicaments. En résumé, le système de l’Adpic équivaut à institutionnaliser au niveau mondial la non-assistance de millions de personnes en danger de mort.

Le système des brevets n’est-il un problème que pour les populations du Sud ?

Cela est de moins en moins le cas et le problème de l’accès aux médicaments risque de fortement s’aggraver au Nord dans les prochaines années. En effet, le prix des nouveaux médicaments brevetés susceptibles à terme de voir le jour, comme les médicaments contre le cancer ou ceux issus de la recherche sur le génome humain, va immanquablement peser sur les systèmes d’assurance-santé des pays industrialisés, déjà menacés. On estime par exemple que les dépenses en produits pharmaceutiques devraient tripler en dix ans aux Etats-Unis.

Comment ont évolué les débats sur la question au sein de l’OMC ?

Les pays en développement demandent depuis plusieurs années de pouvoir contourner le système des brevets pour répondre aux pandémies dévastatrices qui les rongent. L’article 30 de l’Adpic permet de telles dérogations exceptionnelles, mais dans des cas et des conditions tellement restreints que sa portée est quasi nulle[2]. Le comble a été atteint en 2000 avec le procès intenté par 39 firmes pharmaceutiques contre le gouvernement de la République d’Afrique du Sud qui, conformément aux recommandations de l’OMS, envisageait de produire des médicaments « génériques » contre le SIDA, c’est-à-dire des copies de médicaments brevetés beaucoup plus accessibles car vendues bien moins cher. Le tollé qui en a résulté dans l’opinion publique a contraint les firmes à retirer leur plainte et a incité un groupe de pays africains à pousser les gouvernements des pays industrialisés à négocier avec eux sur ce thème.

Ainsi initiées le 20 juin 2001 à l’OMC, les négociations ont continué jusqu’à la conférence ministérielle de Doha en novembre 2001. Elles ont débouché sur un article de la déclaration finale, stipulant que l’ Adpic « peut et devrait être interprété et mis en ouvre d’une manière qui appuie le droit des membres de l’OMC de protéger la santé et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments ». La porte a ainsi enfin été ouverte pour qu’en cas de crise sanitaire majeure, les pays du Sud puissent produire des médicaments génériques accessibles aux populations. Problème : rares sont les pays du Sud capables de produire des médicaments génériques. Il est donc nécessaire de permettre aux pays n’ayant pas cette capacité d’utiliser des « licences obligatoires » leur permettant d’importer des médicaments génériques produits par des pays voisins. La discussion, renvoyée à l’OMC, devait aboutir en 2002. Mais aucune solution n’a à ce jour été trouvée.

Quelles sont les positions défendues dans le cadre des négociations du programme de Doha ?

Les négociations ont grosso modo mis en scène trois types de position. D’une part, les pays en développement, emmenés par le Brésil et l’ Inde, ont demandé une interprétation de l’article 30 de l’Adpic afin qu’ils puissent exporter rapidement des produits génériques vers les pays pauvres qui en ont besoin.

D’autre part, l’Union européenne a concédé l’octroi de licences obligatoires pour l’exportation de médicaments génériques, mais selon des conditions draconiennes : maladies et médicaments concernés limités, nombre de pays bénéficiaires restreint, procédure d’accès longue et incertaine, etc.

Malgré ces restrictions acceptées fin 2002 par tous les autres Etats membres, les Etats-Unis ont refusé toute modification de l’Adpic, se limitant à concéder un moratoire sur les plaintes déposées sur la question à l’OMC et condamnant le projet d’accord du 16 décembre 2002. En cause : la crainte de l’industrie pharmaceutique américaine, dont les profits en 2002 se sont élevés à 37 milliards de dollars, de se voir prendre des marchés par des firmes brésiliennes ou indiennes et de voir les médicaments génériques revenir en contrebande sur les marchés du Nord.

En février 2003, une réunion rassemblant 22 des 145 Etats membres de l ’époque a eu lieu à Tokyo dans le but de trouver une position consensuelle. Le Brésil a notamment proposé, mais en vain, que les capacités de production de médicaments d’un pays soient attestées par l’OMS.

En mai 2003, l’Union européenne a déposé une nouvelle proposition permettant aux exportateurs de vendre à une liste de 76 pays pauvres des médicaments à des prix « différenciés » pour combattre le SIDA, la tuberculose et la malaria. Sans interférer avec le système des brevets et sans passer par des licences obligatoires, ce système facultatif permet aux fabricants qui le souhaitent de vendre les médicaments à un prix légèrement supérieur au coût de production (Soit 15% de plus que le coût de production, soit 75% de moins que le prix moyen dans les pays de l’OCDE) et donc de s’ouvrir à de nouveaux marchés. Pour garantir que ces médicaments ne reviennent pas par des voies détournées sur le marché européen, ils devraient porter un logo permettant de les identifier facilement.

Les Etats-Unis restant inflexibles, les négociations se sont tendues au fil des semaines, les pays en développement conditionnant la suite des négociations à un accord sur ce dossier. Le 28 août 2003, mis sous pression, les Etats-Unis ont abouti à un compromis avec quatre pays en développement (Brésil, Inde, Kenya et Afrique du Sud) entériné le lendemain par les autres Etats membres. Reprenant le projet d’accord de décembre 2002 et sa procédure complexe d’accès aux dérogations, le compromis y ajoute une déclaration des pays s’engageant à utiliser le mécanisme « de bonne foi », dans des cas de « problèmes de santé grave » et sans que les médicaments génériques n’aient accès aux marchés du Nord. Cet accord, s’il permet de débloquer les négociations et ouvre enfin la porte à l’importation de médicaments génériques par les pays pauvres, ne remet pas suffisamment en cause la logique des brevets et ne représente donc pas une fin en soi.

Quelles sont les alternatives ?

Considérer l’accès à la santé comme un droit fondamental implique de ne plus considérer le médicament comme une simple marchandise. Comme l ’affirme German Velasquez, coordinateur du Programme d’action sur l’ accès aux médicaments des pays en développement de l’OMS, « L’accès au système de soins, perçu comme un droit fondamental, doit être protégé de façon active par les pouvoirs publics. Ne pas le faire, c’est accepter une société malade. Il est désormais clair depuis Doha que si les médicaments sont considérés comme de simples marchandises, la santé ne sera jamais autre chose qu’une extension du marché ? où les cures et les traitements ne seront abordables que par ceux qui disposent d’un pouvoir d’achat suffisant. Il faut, dès à présent, considérer le médicament essentiel comme un bien public à l’échelle mondiale »[3].

Cette optique permettrait de garantir à chaque pays le droit de produire ou d’importer sur son territoire les médicaments « génériques » en cas de crise sanitaire, sans que cet accès soit limité à quelques rares maladies. Il faudrait également distinguer clairement les notions d’ « invention » et de « découverte » afin de limiter l’ octroi de brevets aux « inventions » et d’éviter tout brevetage du vivant. En ce qui concerne le financement de la recherche médicale, le Prix Nobel de la Paix 1999, le docteur James Orbinski (MSF), propose de mettre en ouvre un impôt mondial sur les ventes de produits pharmaceutiques et de charger l’OMS de gérer ces fonds pour mettre en ouvre un programme public de recherche. D’autres propositions similaires existent, comme l’institution d’un impôt supplémentaire sur les ventes de cigarettes.

Contact pour cet article. Arnaud.Zacharie@CNCD.BE

[1] OMS, « Mondialisation et accès aux médicaments. Perspectives sur l ’accord Adpic de l’OMC », Genève, 1999.

[2] L’article 30 de l’Adpic stipule que « Les Membres pourront prévoir des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte de manière injustifiée à l’exploitation normale du brevet ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts légitimes des tiers ».

[3] German Velasquez, « Hold-up sur le médicament », Le Monde Diplomatique, juillet 2003.

Directeur de recherche au Centre national de coopération au développement (CNCD-Opération 11.11.11), porte-parole d ’ATTAC-Belgique et co-auteur de « FMI, La main visible » (Labor, 2003).