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Obama et nous - Grandeur et points aveugles du discours sur la question raciale aux États-Unis

jeudi 27 novembre 2008, par Philippe Corcuff

Alors que nous vivons encore sous le choc symbolique de l’élection de Barack Obama à la présidence américaine, je voudrais interroger de manière contrastée son discours de Philadelphie du 18 mars 2008 (1). Non pas en me centrant, comme cela a déjà beaucoup été fait, sur son traitement des spécificités de la question raciale aux États-Unis, mais en en faisant un révélateur de son cadre politique plus général et de ses limites du point de vue d’une gauche altermondialiste et radicale, avec l’appui de quelques ressources en philosophie politique et en sociologie.

Cette entrée dans la politique d’Obama par un seul discours sera fort partielle et donc déformante, mais elle voudrait simplement suggérer quelques éclairages et pistes face à un événement susceptible de requérir tout à la fois nos émotions et une certaine distanciation.

Passion et lucidité face à l’événement

Devant l’événement, l’obamania a largement dominé, y compris sur Mediapart, journalistes et blogeurs confondus. Heureusement, il y a eu quelques exceptions comme les subtiles interventions de la philosophe américaine Judith Butler (2).

L’enthousiasme ? La passion ? Pourquoi pas ? La raison n’est pas nécessairement froide, insensible à l’émotion. En quoi la posture du ronchon, voire du donneur de leçons, se situant en complète extériorité par rapport au sensible, aurait-elle une supériorité quant à l’intelligence de la situation ? Bien souvent de telles poses arborant un savoir condescendant, aux tonalités vaguement cyniques, ne voient dans l’événement que la confirmation de certitudes déjà établies, peu susceptibles d’être déplacées par des données empiriques et/ou par des arguments, et apparaissent donc assez éloignées de la logique de la découverte inscrite dans la connaissance vivante. Et puis ces lectures surplombantes sont fréquemment associées à d’autres émotions et à d’autres plaisirs : plaisirs du dénigrement, voire de la profanation, plaisirs du « plus malin » face aux supposés « naïfs », etc. Ce que l’écrivain Robert Musil appelait aussi « le plaisir de tendre un croc-en-jambe aux idéaux pour les voir se casser le nez », adossé à « un goût de la désillusion » (3).

Maurice Merleau-Ponty a bien mis en évidence, combien face à l’actualité, la connaissance la plus ajustée n’est pas la plus arrogante :

« L’époque, c’est notre temps traité sans respect, dans sa vérité insupportable, encore collé à nous, encore sensible au jugement humain qui le comprend et qui le change, interrogé, critiqué, interpellé, confus comme un visage que nous ne savons pas encore déchiffrer, mais comme un visage aussi, gonflé de possibles. On poursuit : vous détournez ceux qui vous écoutent de l’objectivité et de la vérité, vous les conviez à la passion...C’est encore tout le contraire. Car il y a sans doute une caricature de la science qui refuse son intérêt au présent et le réserve à un passé décharné (…) Mais ce mépris du présent, qui est une sorte de haine de la vie, ne sert pas la connaissance, il la mutile. Quand on évite toute rencontre avec l’exubérance et le foisonnement du présent, on sauve plus facilement les schémas et les dogmes. La pensée "dégagée", c’est le dogme ou la lettre, la pensée "engagée", c’est l’esprit de recherche. » (4)

Mais « l’esprit de recherche » qui se coltine l’événement peut-il se limiter à l’enchantement (comme « les malins » se complaisent dans le désenchantement) ? Á « l’exubérance sans distance », pour reprendre les mots justes de Judith Butler ? La seule excitation, la célébration automatique du « nouveau », dans la profusion de lieux communs, avec une façon de prendre ses vagues désirs pour la réalité observable, n’est pas confrontation avec l’événement, pour le faire travailler. Il y manque une certaine distance, une position ambivalente du dedans-dehors, assumant ses fragilités, jouant de la lucidité contre la passion et de la passion contre la lucidité, en équilibre-déséquilibre instable. C’est d’ailleurs un tel entre-deux par rapport aux pôles opposés de l’engagement et de la distanciation que les sciences sociales contemporaines tentent souvent d’occuper (5). C’est un exercice encore plus périlleux, moins contrôlé, quand l’événement vient juste d’arriver, sans que le temps ait pu encore filtrer les évidences de l’immédiateté. Il n’y va pas alors vraiment d’une lecture à proprement parler scientifique, mais d’un questionnement raisonné risqué, qui peut emprunter quelques outils de distanciation à la philosophie et/ou aux sciences sociales.

Texte et contexte

Un texte comme le discours de Philadelphie de Barack Obama a nécessairement un contexte. Contexte d’énonciation qui contribue à lui donner certaines caractéristiques. Les circonstances de sa production travaillent nécessairement un texte, limitant le pouvoir tout-puissant qu’on attribue en général à un individu-auteur et à sa pensée dans nos sociétés individualistes. Car il nous est particulièrement difficile d’admettre, tout à la fétichisation de nos ego, ce constat banalement sociologique : nous sommes autant (sinon plus) les jouets des circonstances que nous participons à les modeler. Dans sa célèbre conférence de 1969 « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Michel Foucault le pointait avec force :

« Cette notion d’auteur constitue un moment fort de l’individualisation dans l’histoire des idées, des connaissances, des littératures, dans l’histoire de la philosophie aussi, et celle des sciences » (6).

C’est pourquoi, ajoutait Foucault, il faut « ôter au sujet (ou à son substitut) son rôle de fondement originaire » (7). Pour les sciences sociales, cela consiste à s’intéresser à la biographie de l’auteur, jusque dans ses dimensions non-conscientes, et à ses effets sur le texte. Pour le sociologue politique prenant pour objet d’analyse un professionnel de la politique comme Obama, cela consiste aussi à mettre en relation ces propriétés biographiques avec les caractéristiques de la conjoncture dans laquelle un tel discours politique est produit ; conjoncture qui va notamment conduire à sélectionner certains traits biographiques pour bâtir une légende.

Cela ne veut pas dire que les mots et les idées exprimés n’ont pas une consistance propre qu’on pourrait discuter, mais que des éléments du contexte peuvent éclairer autrement cette consistance et nourrir de manière un peu déplacée, par rapport à ceux qui tendent à fétichiser le seul texte, cette discussion.

Dans le cas du discours de Philadelphie, la position de compromis qui est cherchée dans la question raciale est marquée par le parcours métissé d’Obama qu’il met lui-même en valeur dans le texte (« Je suis fils d’un homme noir du Kenya et d’une femme blanche du Kansas… », p.30). Mais cette construction biographique, traduisant de manière filtrée une expérience personnelle, est fortement encastrée dans un moment politique (qui fait office de filtre justement) : la course à l’investiture démocrate alors que les partisans d’Hillary Clinton s’efforcent de particulariser sa candidature comme « candidature noire ». Obama se défend justement dans son discours de l’interprétation de sa candidature « sous un prisme exclusivement racial », et insiste, à l’inverse, sur « la soif de ce message d’unité » (p.31) qu’elle incarnerait dans l’ensemble de la population. Toutefois l’essai clintonien de réduction est doté d’une force particulière par la médiatisation des déclarations très critiques vis-à-vis des États-Unis du pasteur d’Obama, le révérend Wright. Obama prendra alors ses distances avec son ancien mentor religieux dans son discours. La critique de « l’impasse raciale » (p.46) dans laquelle serait enfermée l’Amérique, la solution consensualiste proposée (« en travaillant ensemble », ibid.), supposant efforts d’intercompréhension et compromis entre Noirs et Blancs, la répétition d’un credo à « l’Union » se situent bien à la rencontre d’une trajectoire personnelle et d’une conjoncture politique. Conjoncture politique pour un professionnel de la politique prétendant à l’élection présidentielle, et donc prédisposé à parler au nom de la Nation, du tout, contre « une politique qui engendre la division, les conflits » (p.50).

Des effets de réalité du symbolique

Cependant le contexte, c’est aussi le choc symbolique de l’élection d’un président noir dans un pays marqué par le legs de l’esclavagisme, puis de la ségrégation, comme par les réalités contemporaines de l’injustice raciale. Les progressistes du monde entier n’ont pas ici à bouder leur plaisir et à brider leur enthousiasme. Surtout quand Obama réaffirme le caractère social-historique et non pas « naturel » des inégalités raciales en Amérique : « Nous devons simplement nous rappeler que, si tant de disparités existent dans la communauté afro-américaine d’aujourd’hui, c’est qu’elles proviennent en droite ligne d’inégalités transmises par une génération antérieure, qui a elle-même souffert de l’héritage brutal de l’esclavage » (p.40). On a là une rupture nette avec le discours néo-conservateur tentant de faire passer les discriminations pour des données individuelles, relevant de la responsabilité de chacun, voire de la génétique.

Quand on dit « choc symbolique », il ne faut surtout pas entendre « superficiel » ou même « irréel ». Le symbolique participe de la réalité, a des effets sur la réalité, même s’il ne constitue d’une composante de cette réalité. Des effets sur la réalité ? Le sentiment de dignité recouvrée de millions de personnes à l’annonce de la victoire d’Obama n’est pas rien. Mais cet événement peut aussi ouvrir des possibilités nouvelles dans la vie la plus quotidienne : il offre une ressource puissante de délégitimation des discriminations les plus ordinaires, il constitue un point d’appui pour les contester, il consolide des ressources de fierté et d’invalidation des stigmatisations, etc. Il ne crée pas, par sa seule existence, une avancée émancipatrice nouvelle, mais il fournit des potentialités dans ce sens à des actions individuelles et collectives.

Métissages

Le discours de Philadelphie, avec ses caractéristiques liées au croisement d’une biographie et d’un moment politique spécifique, à l’écho décuplé depuis l’élection d’Obama, porte aussi une vision métissée de la question raciale aux États-Unis, qui ne se réduit pas à la thématique du consensus et du compromis.

Tout d’abord, à un niveau collectif, récusant la topographie de « communautés » refermées sur elles-mêmes, de cultures supposées autosuffisantes et dotées d’une illusoire (et dangereuse) « pureté », Obama donne à voir l’Amérique comme « une nation de races métissées », selon les mots de Judith Butler (8), mais sans aseptiser pour autant les particularités des uns et des autres dans « l’intégration » uniforme à une culture unique (comme tend à le promouvoir ce qu’on appelle « le modèle républicain français »). Car, ainsi que le note Alexis Nouss, « Dans le métissage, les composantes créent un nouvel ensemble, un nouvel être-ensemble, sans perdre leur identité, leur nature, leur histoire » (9). En ce sens le métissage valorisé par Obama a quelques résonances avec le métissage de cadres culturels, d’expériences sociales, de traditions politiques, de formes de luttes, de références générationnelles, etc., dont la galaxie altermondialiste se présente comme un creuset, aujourd’hui, à l’échelle internationale (10).

Á travers la mise en intrigue de son propre parcours personnel (« J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des neveux, des oncles et des cousins de toute race et de toute couleur, dispersés sur trois continents et, aussi longtemps que je vivrai, je n’oublierai jamais que nul autre pays au monde n’aurait rendu mon histoire possible », p.30), Obama met également l’accent sur le caractère structurellement métissé de la singularité de chacun, particulièrement dans nos sociétés fortement différenciées. Chaque individualité apparaît comme un processus unique et inachevé rassemblant des matériaux collectifs composites. Ce « métissage qui admet plusieurs appartenances pour le sujet » s’oppose, note encore Alexis Nouss, à ceux qui prétendent enfermer les individus dans « une appartenance unique » (11).

Ce métissage individualisé n’a pas le brillant marketing d’une pub Benetton. Il mêle de manière plus erratique joies et angoisses, bonheurs et frustrations :

« Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire. Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche, une femme qui a participé à mon éducation, une femme qui a sacrifié tant et tant pour moi, une femme qui m’aime plus que tout au monde, mais aussi une femme qui m’a un jour avoué qu’elle avait peur des Noirs qu’elle croisait dans la rue, une femme qui, plus d’une fois, a émis des remarques racistes qui m’écœuraient. » (p.38)

Obama ajoute alors une notation littéraire qui pointe les matériaux collectifs de nos personnalités :

« Ces gens-là font partie de moi-même. » (ibid.)

Il est donc aussi un héritier de l’individualisme américain, dans ses rapports avec l’espace commun de la démocratie. Il fondra alors analogiquement le métissage de son identité individuelle et de celui de la nation américaine :

« Ces gens-là font partie de moi-même. Ils font partie de l’Amérique, ce pays que j’aime. » (ibid.)

Un perfectionnisme réformateur

Comme l’ont mis en évidence le philosophe américain Stanley Cavell (12) et, dans son sillage, la Française Sandra Laugier (13), une certaine pensée démocratique américaine (celle de Ralph Waldo Emerson et d’Henry David Thoreau) apparaît dans le même temps soucieuse des individus qui la composent et des cadres communs qui les réunissent. On aurait le paradoxe de quelque chose comme un individualisme communautaire, associant responsabilité individuelle et éthique collective dans une visée continue de perfectionnement. Les westerns de John Ford expriment tout particulièrement cette figure. Récemment, Appaloosa d’Ed Harris a repris le flambeau esthétique dans cette direction (14).

Obama emprunte des ressources à ce perfectionnisme de la démocratie individualiste américaine. « Cette Union ne sera peut-être jamais parfaite mais, génération après génération, elle a montré qu’elle pouvait se parfaire » (p.53), avance-t-il, tout en appelant aussi chacun à « assumer pleinement les responsabilités de nos vies » (p.47). D’où l’élan réformateur, tant sur le plan racial que social et économique, de son discours.

Deux différences toutefois apparaissent avec la lignée d’Emerson et de Thoreau :

 Aspirant à devenir un homme d’État, Obama parle d’abord au nom de « l’Union », attentif aux risques de « division », plutôt que comme un citoyen critique demandant des comptes à son État et brisant le consensus, comme Thoreau avec « la désobéissance civile » (15).

 Représentant politique, Obama tend à appréhender les rapports entre l’individuel et le collectif sur le mode de la fusion (« tous autant que nous sommes, nous ne faisons qu’un », p.31), alors qu’Emerson maintenait une tension dynamique entre « solitude et société » (16).

En comparaison de l’appauvrissement marketing des professionnels français de la politique, la teneur en philosophie politique du discours d’Obama nous fait envie. Surtout quand on a comme offre politique une « pensée » sarkozyste à la Jean-Marie Bigard et une « pensée » ségoléniste à la Hervé Vilard ! Toutefois son perfectionnisme réformateur s’inscrit dans une vision étroite de la démocratie, souvent propre aux gouvernants et aux aspirants-gouvernants, clôturant la politique sur des représentations étatistes (faisant des institutions étatiques, de leur conquête, de leur occupation et de leur gestion le sommet de « la vraie politique » ou de « la politique sérieuse », comme disent avec un frétillement florentin les commentateurs, eux aussi « sérieux », de cette « politique sérieuse »).

Une vision consensualiste de la démocratie

La philosophie politique démocratique est notamment traversée par deux grands pôles : des courants qui font du compromis et de l’accord des finalités du processus démocratique et d’autres qui font de l’expression et de la relance de la conflictualité la spécificité principale de l’espace démocratique. Parmi les philosophes contemporains, l’Allemand Jürgen Habermas a plutôt alimenté le premier pôle consensualiste, avec sa « théorie de l’agir communicationnel » (17), alors que le Français Jacques Rancière a nourri le second pôle conflictualiste, avec son approche de « la mésentente » (18). Le premier pôle apparaît davantage imprégné des schémas unificateurs portés par les évidences étatistes, alors que le second se situe clairement en rupture avec eux.

Ce n’est pas alors étonnant que, dans l’espace des références associées au perfectionnisme démocratique américain, la logique citoyenne-critique d’Emerson et Thoreau soit plus proche du second pôle, et que la logique gouvernementale d’Obama soit rattachable au premier pôle, en fixant comme objectif principal à ses concitoyens de « parfaire notre union » (p.29), contre les « propos qui sèment la discorde à une heure où nous avons besoin d’unité » (p.33). Pour Obama, la politique démocratique semble parfois pouvoir se résumer par une formule consensualiste basée sur le compromis : « Trouvons ensemble le dénominateur commun qui nous rassemble » (p.50).

Judith Butler a pointé avec lucidité les risques de cette vision uniformément consensualiste pour ceux qui font des conflits un des moteurs de la dynamique démocratique :

« Et si nous souscrivons aux modes d’identification exacerbées qu’Obama propose ("nous sommes tous unis") ou que nous proposons ("il est l’un des nôtres"), nous risquons de croire que ce moment politique peut dépasser les antagonismes qui sont constitutifs de notre vie politique - particulièrement aujourd’hui. Il y a toujours eu de bonnes raisons de ne pas accepter l’idéal d’"union nationale", et de se méfier de l’identification absolue et totale à un leader politique. » (19).

Et d’ajouter :

« Bien sûr, la promesse est belle, mais que se passera-t-il si l’effet Obama nous conduit à croire que nous pourrions surmonter toute dissonance, que l’unité est vraiment possible ? » (ibid.).


L’impensé capitaliste

La vision consensualiste apparaît associée, dans le discours d’Obama, à un impensé, jamais nommé, mais souvent en arrière-plan : le capitalisme. Comment dissocier totalement, dans sa texture historique et empirique, « le rêve américain » de la valorisation de l’enrichissement personnel qui serait ouvert à chacun dans une économie obéissant strictement aux « lois » de la concurrence et de la propriété privée ? Parfois il apparaît difficile de nommer ce qui constitue un des piliers les plus importants, mais devenu invisible dans son évidence même. Et cela d’autant plus que la candidature d’Obama était soutenue et largement financée par des secteurs importants des milieux d’affaires. La dimension de classe est éliminée de la légende, comme si « noir » équivalait nécessairement à « populaire » et comme si l’implication du jeune Obama dans le travail social à Chicago le dotait de quelque chose comme une apesanteur sociale.

La quête d’une meilleure « Union » renvoie aussi alors, dans le discours de Philadelphie, à la perspective d’un capitalisme plus social, plus écologique, bref plus moral, traitant consensuellement « une économie défaillante, une crise chronique du système de santé et un changement climatique potentiellement dévastateur » (p.34). Ce sont « les excès » du capitalisme qui sont pointés du doigt (« une certaine culture d’entreprise faite de délits d’initiés, de pratiques comptables douteuses et de course à l’argent facile ; une capitale, Washington, sous la coupe des lobbyistes et des groupes d’intérêts privés ; une politique économique qui favorise une minorité au détriment du plus grand nombre », p.46), pas sa logique fondamentale : l’accumulation illimitée du capital associée à l’appropriation privative des richesses créées.

Cette variante du social-libéralisme – c’est-à-dire s’efforçant d’humaniser et d’écologiser le cours néolibéral du capitalisme contemporain, dont les irrationalités nous explosent pourtant aujourd’hui à la figure – oublie le caractère fondamentalement a-moral de la dynamique d’accumulation du capital. La focalisation actuelle (Barack Obama, Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn pour le FMI, Pascal Lamy pour l’OMC, etc.) sur des « responsabilités individuelles » et des pratiques « déviantes » – qui ressemble d’ailleurs beaucoup à une certaine culture politique radicale centrée sur « les complots » et « les manipulations » intentionnelles des riches, du côté de leurs adversaires - qu’il suffirait de « moraliser » loupe le principal : une machinerie capitaliste qui échappe même à la maîtrise de ceux qui en profitent le plus. Relisons ici Marx :

« Je n’ai pas peint en rose le capitaliste et le propriétaire foncier. Mais il ne s’agit ici des personnes qu’autant qu’elles sont la personnification des catégories économiques, les supports d’intérêts et de rapports de classes déterminés. Mon point de vue (…) peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoiqu’il puisse faire pour s’en dégager. » (20)

Les grandes contradictions du néocapitalisme participent de cette machinerie, alimentée par la soif d’enrichissement de centaines de milliers de personnes et par le travail de centaines de millions d’autres, mais à la dynamique globale de plus en plus anonyme et abstraite : 1) la contradiction capital/travail structurant inégalitairement la question sociale ; 2) la contradiction capital/nature donnant une tonalité alarmante à la question écologiste (la fragilisation chronique des conditions naturelles de reproduction de l’humanité) ; 3) la contradiction capital/démocratie marquant, par l’éloignement des grands centres de décision d’un contrôle citoyen minimal et par la concentration des moyens d’information, un recul de la question démocratique ; et 4) la contradiction capital/individualité assaillant d’aspirations personnelles à la reconnaissance et à la créativité frustrées la question individualiste (21).

Il faut ajouter à ces quatre contradictions le niveau impérialiste du capitalisme, qui ne caractérisait pas, pour les classiques du marxisme, la simple agressivité de tel ou tel chef d’État (type Georges W. Bush) – comme l’ont laissé entendre certains usages ordinaires de l’expression « impérialisme américain » dans la dernière période -, susceptible alors être effacée par un simple changement de dirigeants. La notion d’impérialisme nomme une structure hiérarchique entre peuples et entre classes à l’échelle mondiale, adossée à la logique d’accumulation du capital. Je ferai l’hypothèse qu’aujourd’hui encore, dans la fin de règne de Bush et dans le début de celui d’Obama, l’État-nation américain demeure dans une position privilégiée au sein de cette configuration inégalitaire mondiale, même si la globalisation néolibérale et les effets de la guerre en Irak ont commencé à redistribuer les cartes.

La politique d’Obama ne semble pas, si l’on en croit le discours de Philadelphie, pouvoir aller au-delà d’un sympathique et modeste effort pour atténuer et réparer provisoirement ce qui peut l’être.

Des réformes dans les limites d’un ordre de dominations

Qu’il s’agisse de la vision consensualiste de la démocratie ou de l’impensé capitaliste, la politique d’Obama apparaît déjà dans des limites crues. Il s’agit d’une intention réformatrice dans les frontières d’un ordre de dominations : la logique capitaliste et son niveau impérialiste, comme l’oppression raciale, la domination masculine, l’homophobie, les inégalités culturelles, ou encore la domination politique des représentants sur les représentés. C’est un second point sur lequel une gauche radicale et libertaire se situe nécessairement en rupture avec la pensée politique d’Obama.

Il est étonnant que des intellectuels critiques de la gauche affichent alors tant d’adhésion enthousiaste et si peu de distance critique, comme certains d’entre eux l’avaient déjà fait en soutenant bruyamment le social-libéralisme de Ségolène Royal dès le premier tour de la dernière élection présidentielle (22). Or, la crise financière du capitalisme restreint encore plus les moyens à disposition pour alléger son poids oppressif et ses dégâts, à partir du moment où l’on demeure à l’intérieur de ses mécanismes.

Une autre tradition, en cours de rénovation, existe pourtant : l’anticapitalisme de gauche. Se coltiner, dans l’analyse comme dans l’action, les racines des choses, donc s’efforcer d’être radical au sens étymologique du mot, ce n’est pas refuser a priori les améliorations ponctuelles et les réformes localisées. Car, sans du tout suivre un « gauchisme » récusant toute réforme progressiste, on peut inscrire sa pensée et sa pratique par rapport à un au-delà de l’ordre existant des dominations. Cela suppose d’avoir comme outillage un tableau critique global du réel, ce que n’ont pas en général les experts-réparateurs du monde social, pour qui le cadre général semble aller de soi, n’est plus interrogé. La radicalité, ce serait alors, pour reprendre l’expression qui donne son titre au dernier livre du sociologue Luc Boltanski : « rendre la réalité inacceptable ». Non pas, ajoute-t-il, « dans l’intention de rendre le monde invivable », mais afin de « libérer les possibles latéraux qu’il enferme » (23).

Cette perspective actualisée suppose donc au moins deux ruptures, à associer entre elles, avec la pensée politique d’Obama dans son discours de Philadelphie : 1) relancer la conflictualité démocratique contre les discours consensualistes propres à des régimes politiques se dégradant en simples « États de droit oligarchiques », selon l’expression de Jacques Rancière (24), ce qui, dans la tradition démocratique américaine, nous rapproche plus d’Emerson et de Thoreau que d’Obama, et étend la définition de l’action politique à des mouvements sociaux comme à des actions individuelles n’étant pas obligatoirement centrés sur la gestion des institutions étatiques ; et 2) redéployer une critique élargie du capitalisme face aux nouvelles illusions quant à son humanisation.

La pluralité et le commun : s’émanciper d’une vision unitaire traditionnelle

La figure martelée par Obama de « l’Union », encastrée dans un discours d’aspirant gouvernant, reste également trop tributaire des visions, dominantes dans la pensée occidentale, du politique comme unification. Depuis l’Anglais Thomas Hobbes et son Léviathan (1ère éd. : 1651), la dialectique du Multiple et de l’Un semble le plus souvent se régler au profit du second dans l’espace politique. Obama est encore l’héritier de ces vieilles rhétoriques, qui traversent de leurs évidences le travail du représentant politique s’efforçant de mobiliser des électeurs, puis d’agglomérer fictionnellement leurs aspirations en un tout compact.

Á l’écart de ces routines, Hannah Arendt a magistralement formulé une énigme et un pari de la politique, et encore plus de la politique démocratique :

« La politique traite de la communauté et de la réciprocité d’êtres différents » (25).

Le point de départ de la politique – « la pluralité humaine » pour Arendt - déboucherait sur un espace commun qui n’annihilerait pas les différences. La pensée libertaire d’un Pierre-Joseph Proudhon pourrait enrichir cette piste. Contre une certaine lecture de Hegel, il récusait le vocabulaire de « la synthèse », lui préférant une « équilibration des contraires » (26). Le fédéralisme, récusant tout « système unitaire », serait susceptible d’outiller politiquement, selon lui, un tel équilibre pluraliste, ne méconnaissant pas pour autant les nécessités du commun (27).

Aujourd’hui, penser, dire et pratiquer les rapports du pluriel et du commun, en-dehors des figures obligées de « l’unité » et de « l’unification » (ou le « tous ensemble » des manifestants de l’hiver 1995 en France) apparaît comme un des grands enjeux de la galaxie altermondialiste (28). Je ne pense pas ici aux analyses de Michael Hardt et d’Antonio Negri, dans leurs hésitations mêmes, soit qu’ils tendent, dans leur ouvrage Empire, à trop faire faire pencher la question de l’émancipation du côté du Multiple, avec la figure du nouveau sujet révolutionnaire que serait « la Multitude » (29), soit qu’ils recourent à un nouveau conte de Noël dans leur livre Multitude, en définissant « la Multitude » comme des « singularités agissant en commun », ajoutant qu’« il n’y a pas de contradiction conceptuelle ou réelle entre singularité et être en commun (commonality) » (30). Dans la première figure, l’inspiration du pluralisme nietzschéen domine, prenant simplement acte d’une certaine dispersion actuelle des résistances et des luttes (31). Dans la seconde, la tension entre pluralité et commun est passée à la trappe dans la logique d’une prophétie politique auto-réalisatrice (self-fulfilling prophecy) qui réinstaure une « synthèse » unifiante à la Hegel.

Il faudrait plutôt aller chercher du côté de ce qui tâtonne dans les activités altermondialistes, au sein des forums sociaux mondiaux, régionaux, nationaux ou locaux. Par exemple, avec le vocabulaire déplacé des « convergences » et de « la coordination », qui commence à dire d’autres associations possibles entre le pluriel et le commun.

En guise de conclusion provisoire : le face-à-face à venir du capitalisme humanisé et de l’anticapitalisme rénové

L’enthousiasme pour le discours de Philadelphie de Barack Obama comme pour son élection n’interdit pas la distanciation critique. D’autant plus que, une fois le choc symbolique de son élection assimilé, il risque d’incarner la figure principale de l’adversaire de la gauche anticapitaliste et libertaire réémergente. Certes, contre les « gauchismes » de la rancœur et de la politique du pire, avoir un adversaire qu’on ne considère pas nécessairement comme un « salaud » et même qu’on admire, donne plus de brio au combat. Mais ne confondons pas certains de nos adversaires, parce qu’ils sont dotés d’une consistance intellectuelle et éthique (ce qui devient rare chez les professionnels de la politique), avec nos alliés.

Ainsi, avec la crise financière du capitalisme et les retournements rhétoriques rapides des néolibéraux d’hier en « régulationnistes » mous d’aujourd’hui, le temps des discours néolibéraux conquérants est peut-être passé. La voie de « l’humanisation » et de « la moralisation » des « excès » du capitalisme pourrait être la plus empruntée par les élites de la droite, du centre et de la gauche officielle. La victoire d’Obama est susceptible de donner de la force à cette option. En France, l’opportunisme tactique de Nicolas Sarkozy, doublant rhétoriquement la gauche officielle sur sa « gauche », l’a déjà mis sur les rangs, affaiblissant par ricochet les tentatives de ceux qui cherchaient derrière « le sarkozysme » quelque chose comme une « essence » idéologique fixe, alors qu’une sociologie politique critique ordinaire pouvait être plus lucidement attentive dès le départ de sa présidence à une mobilité idéologique liée à l’état de la professionnalisation politique moderne (32). Mais les divers leaders du PS, Royal, Delanoë, Aubry, Hollande, Fabius ou Hamon (sans parler de l’éloigné temporaire DSK), sont déjà prêts à disputer à Sarkozy et à se disputer entre eux l’occupation d’une variante de ce créneau incarné superbement par Obama dans le discours de Philadelphie.

Que la gauche radicale ait ici des adversaires plus ternes que là-bas ne doit pas pour autant nous conduire à sous-estimer la difficulté de la tâche. Le recul idéologique en cours de l’ultra-libéralisme a contribué à donner une nouvelle légitimité à l’anticapitalisme, mais elle pourrait faire naître aussi de nouvelles illusions quant à une maîtrise possible des dégâts du capitalisme ne passant pas par une rupture avec ses mécanismes principaux.

Obama, encore, comme tout à la fois la figure de notre enthousiasme présent et celle des obstacles à venir posés devant les désirs émancipateurs.

Notes :

(1) Édition bilingue français/anglais, traduction et introduction de François Clemenceau, dans Barack Obama, De la race en Amérique, Paris, Grasset, 2008 ; traduction intégrale aussi sur le web, http://philippe-boulet-gercourt.blogs.nouvelobs.com/archive/2008/03/20/l-integrale-du-discours-d-obama-en-francais.html.

(2) Voir Judith Butler, « Exubérance sans distance ? », traduction de l’américain par Jade Lindgaard, Mediapart, 5 novembre 2008, http://www.mediapart.fr/club/edition/les-invites-de-mediapart/article/051108/exuberance-sans-distance, et « L’élection prodigieuse », traduction de l’américain par Edith Ochs, Libération, 6 novembre 2008, http://www.liberation.fr/monde/0101167620-l-election-prodigieuse.

(3) Robert Musil, L’homme sans qualités (roman inachevé, 1ère édition partielle à partir de 1930), traduction de l’allemand par Philippe Jaccotet, Paris, Seuil, 1956, tome 1, pp.363-364.

(4) Maurice Merleau-Ponty, « Complicité objective », Les Temps Modernes, n°34, juillet 1948 ; repris dans Parcours, 1935-1951, Lagrasse, Verdier, 1997, p.113.

(5) Voir l’ouvrage, vite devenu un classique de la sociologie, de Norbert Elias (1897-1990), Engagement et distanciation – Contributions à la sociologie de la connaissance (1ère éd. allemande : 1983), avant-propos de Roger Chartier, trad. franç. de Michèle Hulin, Paris, Fayard, 1993 (rééd. en poche chez Press Pocket-« Agora »), et, dans son sillage, Philippe Corcuff, « Sociologie et engagement : nouvelles pistes épistémologiques dans l’après-1995 », dans Bernard Lahire (éd.), Á quoi sert la sociologie ?, Paris, La Découverte, 2002 (réédition La Découverte/poche).

(6) Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », conférence de février 1969 ; repris dans Dits et écrits I, 1954-1975, Paris, Gallimard, collection « Quarto », 2001, p.820.

(7) Ibid., p.839.

(8) « L’élection prodigieuse », art. cit.

(9) Alexis Nouss, Plaidoyer pour un monde métis, postface de Daniel Bensaïd, Paris, Textuel, collection « La Discorde », 2005, p.10.

(10) Voir notamment Philippe Corcuff, « Enjeux altermondialistes et individu contemporain », Mediapart, 3 mai 2008, http://www.mediapart.fr/club/blog/philippe-corcuff/030508/enjeux-altermondialistes-et-individu-contemporain-0.

(11) Plaidoyer pour un monde métis, op. cit., p.15.

(12) Stanley Cavell, Un nouvelle Amérique encore inapprochable – De Wittgenstein à Emerson (1ère éd. américaine : 1989), traduction française de Sandra Laugier, Combas, Éditions de l’éclat, 1991.

(13) Sandra Laugier, Une autre pensée politique américaine – La démocratie radicale d’Emerson à Stanley Cavell, Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2004.

(14) Voir Philippe Corcuff, « "Appaloosa" : un grand western anticapitaliste (contre Sarkozy) », Rue 89, 15 octobre 2008, http://www.rue89.com/2008/10/15/appaloosa-un-grand-western-anticapitaliste-contre-sarkozy.

(15) Henry David Thoreau, La désobéissance civile (1ère éd. américaine : 1849), traduction et postface de Guillaume Villeneuve, Paris, Mille et une nuits, 1996.

(16) Ralph Waldo Emerson, « Society and Solitude » (1ère éd. américaine : 1870), dans The Essential Writings of Ralph Waldo Emerson, New York, Modern Library, Paperback Edition, 2000.

(17) Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel (1ère éd. allemande : 1981), trad. franç. de Jean-Marc Ferry (tome 1) et de Jean-Louis Schlegel (tome 2), Paris, Fayard, 2 tomes, 1987.

(18) Jacques Rancière, La Mésentente – Politique et Philosophie, Paris, Galilée, 1995.

(19) « Exubérance sans distance ? », Mediapart, art. cit.

(20) Karl Marx, préface à la première édition du livre I du Capital (1ère éd. :1867), dans Œuvres I, édition établie et annotée par Maximilien Rubel, Paris, Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p.550.

(21) Sur ces quatre contradictions du néocapitalisme, voir Philippe Corcuff, « Mélancolies de Mai 68 », Projet, n°304, mai 2008 ; repris sur Mediapart, 1er juillet 2008, http://www.mediapart.fr/club/blog/philippe-corcuff/010708/melancolies-de-mai-68.

(22) Voir les critiques souvent justes avancées sur ce point par Jérôme Vidal dans La fabrique de l’impuissance 1 – La gauche, les intellectuels et le libéralisme sécuritaire, Paris, Éditions Amsterdam, 2008.

(23) Luc Boltanski, Rendre la réalité inacceptable – Á propos de « La production de l’idéologie dominante », Paris, Demopolis, 2008, p.178.

(24) Jacques Rancière, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005, p.81.

(25) Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ? (manuscrits de 1950 à 1959), trad. et préface de Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Seuil, 1995, p.31.

(26) Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de la propriété (1ère éd. posthume : 1865), Paris, L’Harmattan, coll. « Les introuvables », 1997, p.206.

(27) Pierre-Joseph Proudhon, Du principe fédératif et de la nécessité de reconstituer le parti de la révolution (1ère éd. : 1863), éd. partielle, Paris, Romillat, 1999.

(28) Voir notamment Philippe Corcuff, « Galaxie altermondialiste et émancipation au XXIème siècle : l’hypothèse d’une social-démocratie libertaire », Mediapart, 20 août 2008, http://www.mediapart.fr/club/blog/philippe-corcuff/200808/galaxie-altermondialiste-et-emancipation-au-xxieme-siecle-l-hypoth.

(29) Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, trad. de l’américain par Denis-Armand Canal, Paris, Exils, 2002 (réédition poche « 10/18 »).

(30) Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude – Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, trad. de l’américain par Nicolas Guilhot, Paris, La Découverte, 2004 (réédition poche « 10/18 »), p.131.

(31) Pour des développements critiques, voir Philippe Corcuff, « Néocapitalisme et individualisme : en partant du Nouvel esprit du capitalisme et d’Empire », ContreTemps, n°11, septembre 2004.

(32) Voir Philippe Corcuff, « Sur le "sarkozysme", le PS, la possibilité d’une gauche radicale et le tragi-comique - Contribution au débat post-présidentiel », site Europe Solidaire Sans Frontières, 18 juin 2007, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article6394.