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Le discours de Charest

Patrons, enrichissez-vous !

jeudi 12 juin 2003, par Bernard Rioux

Dans son discours d’ouverture de la première session de la 37e législature du Québec, le 4 juin dernier, Jean Charest a promis de changer le rôle de l’État. Il a même annoncé la fin d’une époque, la fin du modèle mis en place il y a une quarantaine d’années par la révolution tranquille. Mais y a-t-il un tournant si radical de la situation avec l’arrivée du PLQ au pouvoir ? Quels sont les éléments de continuité ? Quels sont les changements annoncés ? Comment caractériser les intentions gouvernementales ?

Continuité et tournant

En fait, Charest ne casse pas grand chose ; il ne fait que poursuivre et porter plus loin encore la logique néolibérale que le gouvernement péquiste avait mis en marche. Le modèle de la révolution tranquille où l’État a été appelé à jouer un rôle autonome sur le terrain économique, au nom duquel le gouvernement Lesage a réalisé la nationalisation des grandes entreprises d’électricité, au nom duquel il y a eu un élargissement important des droits syndicaux qui ont débouché sur un bond en avant de la syndicalisation au Québec a été redéfini depuis fort longtemps… Durant le dernier mandat péquiste, le soutien à l’entreprise privée, la poursuite du déficit zéro, les politiques d’austérité dans l’éducation et la santé et la déréglementation dans divers secteurs y compris celui de l’environnement ont été priviligiés. Les aménagements proposés par Charest visent à articuler différemment l’intervention économique de l’État. Il s’agit maintenant de lever tous les obstacles à la logique marchande afin de créer des conditions plus favorables à l’exploitation de la main d’œuvre et de miner les mécanismes de redistribution des revenus.

Le PLQ, Charest l’a signalé dans son discours, comme l’ADQ et le PQ soutiennent le libre-échange et la mondialisation néolibérale. Ça, c’est le reflet du déficit démocratique existant à l’Assemblée nationale qui est la conséquence d’un mode de scrutin qui a comme objectif de tenir à la marge les partis politiques qui ne s’inscrivent pas dans la logique dominante. En effet, Bernard Landry et Lucien Bouchard ont été des chantres particulièrement zélés du libre-échange et des politiques néolibérales. Le changement proposé par Charest n’en est tout simplement pas un. Tout comme le PQ au pouvoir, le Premier ministre situe l’action économique du gouvernement dans le cadre de l’insertion du Québec dans la ZLÉA.

En découdre avec le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux

Sur quel terrain le PLQ annonce-t-il qu’il va "innover" ? C’est sur celui du rapport aux organisations syndicales et populaires. Il semble que le PLQ soit prêt à en découdre avec le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux pour transformer radicalement le rapport de force entre classes. On verra bien dans les mois qui viennent sa détermination véritable. L’objectif de l’action d’un gouvernement libéral, nous annonce-t-il, sera de " permettre aux entreprises québécoises de gagner la comparaison " avec le Canada et les États-Unis aux niveaux de la fiscalité, des conditions de travail, de la productivité et finalement des prix. Renforcer la capacité concurrentielle passe, pour le Premier ministre Charest, par l’affaiblissement du mouvement syndical et ultimement par un processus de désyndicalisation. C’est ainsi qu’il faut comprendre le rejet de l’article 45 du code du travail visant à permettre le développement de la sous-traitance. Ceci est une réponse aux demandes des grandes entreprises et des administrations publiques qui ont toujours cherché à écarter les syndicats et à diminuer leur pouvoir de négociation. Les maires en avaient fait une de leurs principales revendications. Les grandes entreprises également voient dans la flexibilisation du travail, dans la diminution des effectifs de travailleurs et travailleuses permanents et le renforcement du nombre des précaires la clé de leur réussite. Faire de la défense de la capacité concurrentielle de l’économie l’axe central de l’action gouvernementale, cela va signifier pour le gouvernement Charest d’assurer aux entrepreneurs une main-d’œuvre corvéable à volonté. Voilà le sens de la volonté affirmée par le Premier ministre de créer un contexte propice à faire des affaires au Québec. La classe des affairistes a son gouvernement et le grand changement, c’est que les politiciens libéraux osent l’affirmer sans phrase et sans détour. Parizeau nous disait, à l’époque, que le Québec est une nation de marchands. L’avenir du Québec, pour Charest c’est l’entrepreneurship. Chaque régime à son style !

Réduire les impôts des plus riches et écarter toute démarche de redistribution des revenus

Puis, Charest entonne le refrain de la stabilisation des finances publiques. Il ne s’agit pas d’augmenter les revenus, de taxer les couches sociales fortunées qui paient pas ou peu d’impôt. Il ne s’agit par de réformer la fiscalité pour favoriser l’équité et la redistribution de la richesse. Il faut réduite les taxes et particulièrement la taxes sur le capital. Le fardeau fiscal est un obstacle à " notre " développement, dit ce représentant du monde des affaires. Le gouvernement Charest cherchera donc à favoriser la concentration des richesses dans les classes supérieures de la société. Tout cela au nom d’une économie de l’offre. Il s’agira de créer les conditions d’investissements et de production à moindre coût et cela, prétend-il, relancera l’économie. Finie, la stimulation de l’économie par le renforcement des capacités d’achat. Les conditions de profits juteux pour les investisseurs règleront tout. Que ces méthodes n’aient pas fonctionné ailleurs pour l’ensemble de la société, ce Premier ministre s’en moque car il sait très que les riches s’en sont trouvés plus riches, et les pauvres plus pauvres, mais de ceci, il n’en a cure.

Au lieu de voir les revenus de l’État comme les moyens de fournir des services à la collectivité et de devenir un instrument de solidarité, Charest ne les présente que comme des sacrifices imposés aux citoyens et aux citoyennes, reprenant à son compte un point de vue individualiste à courte vue.

De la concertation-entrave au partenariat public privé

Pour réaliser ces politiques, il faut restructurer les réseaux de connivences. Fini le temps des sommets économiques construits avec des représentantEs de différentes organisations sociales. Le partenariat a changé complètement de sens. Le gouvernement péquiste cultivait les ambiguïtés. Le partenariat à la sauce péquiste se faisait tant avec les organisations sociales qu’avec les entrepreneurs. Il visait à amener les organisations syndicales et populaires à partager les objectifs gouvernementaux et à entraver leur volonté de riposte et leur détermination à résister. Avec Charest, les partenaires se trouvent réduits aux entreprises et aux différents responsables des administrations publiques. Tout se concentre dans la formule du partenariat public-privé. Les axes principaux de ces partenariats sont la privatisation des services, l’élagage ou le rapetissement des structures de consultation.

Privatisation afin de permettre aux entrepreneurs d’occuper de nouveaux terrains

Ce soutien à l’entrepreneurship se concrétisera également dans l’ouverture aux capitaux de nouveaux champs d’investissement. Cela veut dire élargir la privatisation des services publics. Ce travail de marchandisation du secteur public se cache sous la phraséologie très moderne de la diversification des offres de formation, des offres de services de santé… C’est la même rhétorique que Mario Dumont avait employé durant la campagne électorale. Dans l’éducation, cela va conduire à l’élitisme, à la sélection accrue, à la marginalisation des formations citoyennes, à des programmes centrés sur les besoins immédiats de l’entreprise, au renforcement de la précarisation des enseignant-e-s et à la multiplication des statuts d’occasionnel-le-s de toute sorte. Dans le secteur de santé, l’accessibilité aux services va être directement liée aux revenus ; c’est la forme la plus odieuse de la réduction des services. Et les prétentions que ce sont là des voies de l’élargissement des services vont se révéler directement pour ce qu’elles sont vraiment, des tromperies pures et simples. Ces attaques au service public vont toucher particulièrement les femmes qui sont majoritaires dans ces secteurs. Diminuer leur syndicalisation, puis leurs niveaux de revenus, vont participer du maintien des femmes dans un statut de main-d’œuvre surexploitée. Charest semble se moquer totalement de ces réalités, lui qui n’a pas eu la décence de parler une seule fois des Québécoises durant tout son discours.

Et la décentralisation, la couverture du démantèlement

La décentralisation est une autre piste présentée dans le discours de Charest pour se débarrasser de programmes sociaux d’envergure nationale sous prétexte de les rapprocher des milieux. Des services de santé ou services d’enseignement renvoyés aux régions ou aux municipalités, c’est une façon de se soustraire à des obligations nationales de qualité et à des conditions de travail uniformisées pour les divers personnels. Ceci veut dire des services dont la qualité sera soumise aux rapports de force locaux et qui seront démantelés partout où le mouvement ouvrier et populaire local ne sera pas assez fort pour les préserver. La manoeuvre est d’autant plus habile qu’elle joue sur le culte de la proximité, -les ministres de Charest utilisent également cette expression-, qui en amène plusieurs à accepter sans plus de réflexion tout ce qui s’appelle décentralisation.

Renforcer la provincialisation du Québec

Les politiques de l’État fédéral poursuivent des objectifs transparents : réduire les pouvoirs du Québec, essayer de bloquer les possibilités du Québec de définir une société à partir d’une véritable souveraineté populaire. L’odieuse loi sur la clarté est sans équivoque à cet égard. Charest, lui, prétend vouloir faire du Québec un leader de la fédération canadienne. Belle entourloupette, visant à masquer le fait que son gouvernement n’a aucun objectif sérieux si ce n’est celui passablement indéfini de l’équité fiscale. À cet égard, le PLQ se situe même en deçà du gouvernement Bourassa (2ème mandat) qui a manœuvré pour désamorcer un mouvement d’aspiration du Québec à l’indépendance. Sur le terrain national, le discours annonce sa volonté de laisser faire Ottawa. Et à ce niveau également, la résistance devra s’organiser.

Bernard Rioux