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Pourquoi une grève à l’UQAM ?

mercredi 8 avril 2009

Pourquoi une grève à l’UQAM ? Pour sauver ce qui reste d’une université profondément ébranlée et défendre la mission qui est la sienne. Car les enjeux de cette grève dépassent la seule question des salaires et des conditions de travail des professeurs. Il en va, croyons-nous, de l’avenir d’une institution qui, depuis sa fondation, a contribué à renforcer le visage francophone de Montréal et à démocratiser l’accès à l’éducation supérieure pour l’ensemble de la population québécoise.

Ce conflit de travail ne se comprend qu’à la lumière de la crise immobilière que l’UQAM a traversée et dont les causes sont bien connues. La direction de l’université a en effet été peu scrupuleuse dans la mise en place de projets immobiliers qui devaient répondre au manque d’espace dont souffrait l’établissement.

Dans un rapport déposé en juin 2008, le vérificateur général du Québec écrit que « le recteur a montré peu d’intérêt quant à l’impact des projets immobiliers sur la situation financière toujours précaire de l’université » et qu’il a pris « des décisions importantes sans demander l’approbation » du conseil d’administration ou en transmettant à ce dernier des informations incomplètes ou inexactes. Suivant des directives gouvernementales, la direction s’est ainsi engagée dans un partenariat public-privé qui s’est rapidement avéré désastreux. Après le départ précipité des responsables de ce fiasco immobilier, la nouvelle administration de l’UQAM n’a eu d’autre choix que d’interrompre la construction de cet éléphant blanc qu’est devenu l’Îlot voyageur.

Payer les pots cassés

Selon un scénario maintenant familier, c’est la communauté universitaire qui a payé les pots cassés tandis que les responsables quittaient le navire avec de généreuses primes de départ. Le ministère de l’Éducation, niant d’abord ses responsabilités, décidait de faire pression sur l’UQAM, en retenant des subventions qui lui étaient dues, pour qu’elle adopte un plan de redressement. Concrètement, cela s’est traduit par une hausse des frais et une réduction des services pour les étudiants, la mise à pied de nombreux employés de soutien, le gel de l’embauche de professeurs, l’augmentation du nombre d’étudiants par classe, etc.

Les effets de ce plan ont été ressentis avec d’autant plus de force que l’UQAM est l’une des institutions les plus fragiles d’un réseau universitaire québécois par ailleurs sous-financé. Pendant ce temps, la direction de l’UQAM dépensait des millions pour des firmes d’experts-comptables qui devaient lui permettre de retrouver l’équilibre budgétaire… L’automne dernier, le gouvernement, aussi blâmé par le rapport du vérificateur général, décidait enfin de soulager l’université d’une part des lourdes charges entraînées par ce désastre immobilier. Terminée, la crise ? Non, loin de là.

Devant les professeurs qui veulent discuter de la relance de l’UQAM, quelle est l’attitude de Claude Corbo et de son équipe ? Ils refusent, au nom d’un redressement comptable à courte vue, d’aborder les questions essentielles qui concernent l’avenir de l’université. La direction utilise en effet le prétexte de la crise immobilière pour refuser de négocier de bonne foi la convention collective des professeurs, échue depuis le 1er juin 2007, mettant ainsi en péril la vitalité et le développement de l’UQAM au cours des prochaines années.

Pourtant, les demandes du Syndicat des professeurs sont pourtant parfaitement raisonnables. Les professeurs exigent un rattrapage salarial parce qu’ils sont les moins bien payés de tout le réseau universitaire québécois et qu’ils souhaitent que leur établissement demeure compétitif sur le marché de l’emploi en offrant aux meilleurs candidats des conditions équivalentes à celles que l’on trouve ailleurs.

Mais la demande principale du syndicat concerne l’embauche de 300 nouveaux professeurs de manière à atteindre une parité relative avec les autres universités en ce qui concerne le ratio professeur/étudiants. Ici encore l’UQAM est depuis de nombreuses années en queue de peloton, chaque professeur devant assurer la formation et l’encadrement d’un plus grand nombre d’étudiants que ceux des autres institutions québécoises.

Les demandes des professeurs visent d’abord à défendre la qualité de l’enseignement dispensé à l’UQAM. Refuser ces demandes, comme le fait la direction actuelle, c’est condamner l’UQAM à devenir, à plus ou moins brève échéance, une université de seconde zone, que ne fréquenteront que les étudiants qui attendent d’être admis dans une université mieux dotée par le gouvernement et, de ce fait, mieux cotée sur le « marché » de la diplomation.

Une université à défendre

Depuis la fin de la crise immobilière, les administrateurs incompétents ont été indemnisés, les sociétés immobilières dédommagées, les firmes comptables grassement rémunérées, mais on tient encore et toujours la communauté uqamienne responsable des problèmes de l’université. La direction semble en effet décidée à faire payer les professeurs en laissant se détériorer leurs conditions de travail. Du coup, ce sont aussi les conditions d’apprentissage de près de 40 000 étudiants qui se dégraderont, sans doute de manière irréversible. La menace qui plane sur l’UQAM est réelle. Si sa mission consiste depuis 40 ans à offrir une éducation supérieure de qualité à une population qui autrement en serait privée, rien n’indique que cette université libre et populaire sera encore demain en mesure de remplir ses engagements.

Cette grève, les professeurs ne la font pas le coeur léger, mais bien parce qu’ils considèrent que la direction refuse de discuter sérieusement avec eux, qu’elle s’est presque coupée de la communauté universitaire qu’elle doit pourtant représenter et qu’elle ne semble plus avoir à coeur de défendre les valeurs qui ont fait jusqu’ici le succès de l’UQAM. Après avoir accepté d’importantes concessions dans le contexte de la crise immobilière, après avoir porté à bout de bras un établissement qui souffre depuis des années du sous-financement gouvernemental, nous en sommes venus à la conclusion, difficile il est vrai, qu’il ne nous était plus possible de laisser sombrer l’université que nous aimons sans montrer l’ampleur de notre colère.

Martin Petitclerc, Département d’histoire
Jean-François Hamel, Département d’études littéraires
Luc Bonenfant, Département d’études littéraires
Laurence-Léa Fontaine, Département de sciences juridiques
Eve Paquette, Département de sciences des religions

Source : SPUQ, 24.03.2009