Accueil > Politique québécoise > Première esquisse d’une analyse de la conjoncture post-électorale

Première esquisse d’une analyse de la conjoncture post-électorale

lundi 21 avril 2003, par Bernard Rioux

Les dernières élections au Québec ont été marquées par un haut niveau d’abstention. Ce dernier ne peut s’expliquer par un rejet des institutions parlementaires. Si ce phénomène existe, il demeure très marginal. En fait, c’est plutôt le processus de recomposition accélérée du champ politique qui l’explique. Le PQ est en crise sur la question nationale. Il n’a pas fait de cette question un enjeu de l’élection. C’est un parti en processus de redéfinition. Il a connu un recul considérable de son électorat ; nombre de souverainistes ne sont pas rendus voter. L’ADQ malgré la croissance importante de son électorat a connu une chute spectaculaire de son soutien les deniers mois. Sa chute a correspondu à un de processus de désorientation croissante au fur et à mesure qu’il ralliait des couches attirées d’abord par la perspective du pouvoir et qui remettaient en cause la cohérence de son programme droitier. Le PLQ n’a que tardivement fait le plein de voix dans les comtés francophones. Les couches sociales habituellement les plus liées au PLQ de l’ouest de Montréal ont connu un taux de participation électoral relativement bas. Son électorat a quasiment stagné. La gauche sociale est restée à mi-chemin entre une rupture avec le PQ et un ralliement à une alternative qu’aurait représenté l’UFP. Aucun parti n’a donc fait le plein des voix attendues. De plus, la guerre a joué le rôle de fond de scène dramatique qui a relativisé, pour beaucoup, l’importance de l’enjeu que représentaient ces élections. Cette faible participation n’est pas l’expression d’une quelconque tendance historique mais bien plutôt d’une conjonction particulière d’éléments qui a bloqué la participation électorale. La victoire libérale n’a donc pas été portée par un ralliement important de la population. Le PLQ a attiré 17 000 électeurs de moins qu’en 1998, soit une baisse de 1,8%.

Les responsables politiques de la bourgeoisie canadienne ont accueilli la victoire du Parti Libéral du Québec avec satisfaction. Chrétien a déclaré que l’élection du PLQ est un très bonne nouvelle pour la fédération canadienne. La défaite du PQ n’est pas telle qu’ils recommenceront à annoncer la fin de l’indépendantisme au Québec. Ils savent très bien que le soutien à la souveraineté dépasse de plus de 10 points, selon divers sondages, les voix obtenues par le PQ. Il n’en reste pas moins qu’il voit dans cette victoire libérale au Québec une occasion de lancer une offensive pour marginaliser le Bloc québécois sur la scène fédérale. Ils n’ont ne cesse de répéter que le Bloc n’a plus sa raison d’être. Pour ce qui est d’une réforme de la constitution canadienne, elle n’est nullement à l’ordre du jour. Charest n’a d’ailleurs pas l’intention de s’y confronter. Il a déjà admis qu’il n’était pas question pour lui de chercher à ouvrir ce dossier. Il prévoit plutôt faire du dossier du déséquilibre fiscal sa priorité en ce qui concerne ses rapports avec Ottawa. C’est pour lui une question de crédibilité et des gains à ce niveau sont d’ailleurs nécessaires pour que le cadre financier qu’il a défendu durant la campagne ait une quelconque chance de ne pas apparaître trop rapidement comme farfelu. À ce niveau également, il fera face à l’intransigeance du gouvernement fédéral. Il faut se rappeler que c’est le futur chef du PLC, Paul Martin, qui a été l’artisan, comme ministre des finances de ce déséquilibre fiscal. La crise de la fédération canadienne ne va pas cesser de rebondir dans les prochaines années.

À l’automne dernier, devant la perspective d’un effondrement du PQ et se croyant d’abord opposé au PLQ, l’ADQ a pris ses distances envers les souverainistes, on se rappellera le discours de Toronto, opérant ainsi une rupture importante avec son programme originel. Ce parti est une scission nationaliste du PLQ. Et, il s’est campé et défini comme un parti de la droite populiste, une sorte de duplessisme postmoderne et néolibérale (selon l’heureuse caractérisation de Gilles Bourque). La contre-offensive du bloc nationaliste a porté fruit ; il est apparu d’abord pour ce qu’il était un parti basé sur l’égoïsme des classes petites-bourgeoises, acceptant les inégalités sociales face à l’accession au services publics. Son anti-syndicalisme de principe, son soutien inconditionnel à l’entreprise privée ont déterminé son mode de développement. Les secteurs de la bourgeoisie les plus disposés à en découdre avec le modèle de gestion politique péquiste -le modèle québécois- et les arrivistes de tout acabit ont afflué rapidement vers le parti avec leur propres croyances et leur propres agendas, espérant un recentrage de l’ADQ. La nature d’auberge espagnole de l’ADQ a fini par le discréditer auprès de couches qui avaient pu être séduites pour son racolage idéologique moderniste. La nature de classe de son électorat est plus marqué que jamais. Il s’agit des couches petites bourgeoises ou de couches des travailleurs et de travailleuses qui se perçoivent eux-mêmes comme assimilées aux couches petites-bourgeoises.

L’ensemble des éléments arrivistes vont rapidement quitter le parti. Déjà, on les voit courir vers le PLQ dans l’espoir d’avoir leur part de l’assiette au beurre. Parti endetté, obligé de se relever d’une mauvaise cuite après avoir humé les parfums enivrants du pouvoir, sa seule perspective, à court terme, est celle de jouer la rôle de mouche du coche sur le flanc droit du PLQ.

Si la période du dernier mandat péquiste a été porté par la reprise économique, le PLQ entre en fonction dans un moment de ralentissement économique qui pourrait, sous l’impact de la crise de l’économie américaine, évoluer vers une récession. Déjà, il faut prévoir que ce ralentissement économique va provoquer une baisse des revenus de l’État québécois sans parler d’une possible diminution des paiements de péréquation évoquée par l’économiste Pierre Fortin (Le Devoir, 19 et 20 avril 2003). Le PLQ annonce que le dernier budget Marois a caché la réalité d’un déficit budgétaire. Face à tout cela, ses promesses au niveau de l’éducation et de la santé risquent de faire long feu. Le gel promis des budgets des autres ministères vont se transformer dans une nouvelle vague de coupures. Rapidement, la faible marge de manœuvre financière se combinant aux orientations politiques du PLQ sur le nécessaire rapetissement de l’État devraient amener Charest à opérer un durcissement des politiques néolibérales annoncées. Nous saurons rapidement à quoi nous en tenir : le dossier de l’équité salariale, les négociations dans le secteur public, le plan d’action concrétisant la loi anti-pauvreté, la nature et l’ampleur des réinvestissements dans la santé vont aider à jeter une lumière crue sur la réalité de la gestion libérale. Déjà les différentes organisations patronales ont donné la note de ce qu’elles attentaient de ce gouvernement : réduction de la taille de l’État, décentralisation des négociations dans le secteur public, diminution du cadre réglementaire à tous les niveaux, réduction de la taxe sur le capital et diminution des impôts payés par les entreprises, …

Avec 45 députés élus, le PQ s’en tire à bon compte. Il a tout même perdu 470 000 électeurs et électrices par rapport à 98. La volatilité de l’électorat ne peut s’expliquer par l’indécision ou même l’apolitisme de la population. En fait, il y a une série de phénomènes qui ont joué. À l’automne dernier, une partie importante de la population était prête à faire payer au PQ sa gestion néolibérale. Scandales, purges, odeurs de fin de règne, les sondages prévoyaient la quasi disparition du gouvernement péquiste. Les débats s’ouvraient au sein du PQ, un secteur de ce parti, sous la pression de la montée de l’ADQ, remettait en question le modèle québécois de domination politique et de développement économique, bref la nature du bloc de classe à bâtir pour assurer la reconstruction du parti. La direction Landry a décidé de jouer la carte de la défense du caractère particulier de sa gestion, le social-libéralisme, et de le barder d’un keynésianisme électoral tout azimut (multiplication de promesses des dépenses sociales) et de la défense de la politique d’alliance traditionnelle avec les directions du mouvement syndical et d’autres mouvements sociaux. Il s’agissait d’abord de faire oublier sa gestion du déficit zéro et d’empêcher le développement et la consolidation d’un parti politique de gauche sur la scène politique, et en plus indépendantiste, l’UFP.

Ce choix stratégique lui a permis de sauver les meubles ; mais ne lui a pas permis de rallier largement la population. Mais la majorité de la gauche au sein du PQ ou du Bloc québécois, est restée collé au Parti québécois, et elle n’a pas voté pour leurs convictions - même si elle était, pour une bonne part, outré par la gestion péquiste - mais a préféré, en dehors de quelques exceptions notables, garder sa fidélité à la vieille maison. Cette orientation tactique a bien servi le PQ et lui a permis de jouer, encore une fois, la carte de la moins pire des alternatives pouvant espérer reprendre le pouvoir.

En décidant de jouer la carte du bon gouvernement, le PQ a marginalisé la question nationale dans ses élections. La preuve en est que la communauté anglophone a voté à une hauteur de 60% dans ces élections. C’est chaque fois le cas quand la question nationale n’est as un enjeu important de l’élection.. Enfermé dans une logique néolibérale, se faisant le chantre des politiques de libre-échange, (sa principale critique à la ZLÉA est de ne pas être associée à sa négociation), le gouvernement péquiste n’a pas cessé de miner sa base sociale. Enferré dans une approche de négociation avec Ottawa, la perspective indépendantiste n’est évoqué que les jours de fête et le PQ oscille, en fait, entre la souveraineté-association et la perspective d’une nouvelle confédération. Le refus de faire de la souveraineté un enjeu électoral est le reflet d’une crise majeure au PQ sur cette question.

Les débats vont rebondir au sein du PQ. Va-t-il, parce qu’il est dans l’opposition, se donner une deuxième couche de vernis social-démocrate ? Ce choix permettrait de maintenir les alliances traditionnelles et pourrait être rentable politiquement. La course à la direction pourrait amener le parti, lorsqu’on voit les candidats à la chefferie (Pauline Marois, François Legault, André Boisclair) vers l’adoption d’une orientation plus conservatrice encore où le PQ serait appelé à garder ses distances avec les mouvements sociaux et à mettre de l’avant des orientations plus racoleuses envers couches moyennes ? Les débats sur la question nationale vont-ils déboucher sur une affirmation franche de la nouvelle doctrine du confédérationnisme ou préféra-t-on rester sur une position cultivant le flou artistique, ce qui signifierait l’incapacité du PQ de dépasser sa crise à ce niveau. Qui portera réellement le flambeau de l’indépendance du Québec ? Comment le PQ va-t-il redéfinir ses positions tout en prétendant conserver ce rôle ? La construction de l’UFP sur une orientation clairement indépendantiste et anti-néolibérale peut jouer un rôle important favorisant développement de brèches en son sein.

La direction de la FTQ a encore eu une fois manifesté une orientation politique claire et pragmatique : un soutien indéfectible au Parti québécois et elle a rappelé qu’elle pourrait très bien s’accommoder du gouvernement libéral même si c’était loin d’être son premier choix. Les directions de la CSN, de la CSQ se sont encore contentées de prises de position par défaut en agitant l’épouvantail adéquiste. Le mouvement syndical, dans sa majorité, a donc caché son soutien au PQ derrière la dénonciation de l’ADQ. Les directions syndicales ont appelé à construire un vaste front anti-adéquiste. La seule conclusion logique de cette démarche était le vote pour le PQ. À mesure que l’ADQ s’effondrait dans les sondages, l’orientation s’est révélée pour ce qu’elle était vraiment, un soutien plus ou moins avoué au PQ. Le mouvement des femmes, malgré l’ampleur des mobilisations qu’il a mené ces dernières années, se heurtant à l’intransigeance péquiste, n’a fait qu’un demi-pas dans la rupture avec parti.

Les grandes organisations syndicales et leur direction vont devoir faire face à un gouvernement libéral, pour ne pas dire néolibéral, se retrouvant dans un contexte financier et économique difficile. Des affrontements majeurs sont devant nous. Car, pour imposer ses priorités le PLQ voudra imposer des reculs tant sur le plan des services publics qu’au niveau des libertés syndicales. Et il fera d’autant plus allègrement, qu’il sera sous la pression de la bourgeoisie canadienne qui a fait sienne le projet de la ZLÉA.

Il n’en reste pas moins que la perspective d’une alternative politique a marqué des points, limités réelles, dans les bases syndicales, particulièrement dans la région métropolitaine de Montréal. L’unité intercentrale dans la bataille pour l’équité salariale, puis dans les négociations du secteur public, la volonté de dépasser les divisions entre le mouvement syndical et les mouvements sociaux, la nécessité de créer des liens serrés avec les organisations de jeunesse et le mouvement anti-mondialisation et pacifiste, la clarté dans les orientations politiques et programmatiques, le refus d’une concertation vaine et sans espoir, la sagesse d’éviter de compter sur le PQ dans les combats qui sont devant nous, tous ces axes doivent converger dans la nécessité de la relance du débat dans le mouvement syndical sur la construction d’une alternative politique de classe, une alternative progressiste.

Le mouvement social a connu une victoire importante durant la campagne électorale. C’est l’ampleur des mobilisations anti-guerre (particulièrement au Québec) qui ont obligé le gouvernement Chrétien à s’abstenir de participer ouvertement à la guerre impérialiste américano-britannique en Irak. On peut facilement s’imaginer que s’il avait confronté la force du rejet populaire de cette guerre, le gouvernement Chrétien aurait placé le PLQ sur la défensive. Les mobilisations manifestaient la convergence de couches de la jeunesse, des nouvelles couches militantes issues du mouvement altermondialisation, d’un vieux fond antiguerre toujours présent au Québec et de couches sociales formées des nouveaux arrivéEs victimes des alliés de l’impérialisme dans différents lieux de la planète. Ces mobilisations en elles-mêmes n’ont pas politisé les personnes mobilisées sur les enjeux électoraux, car tous les partis politiques, y compris l’ADQ, ont accepté de se faire porter par cette vague et de ne pas s’y confronter. Face aux résultats de cette guerre et de ses suites, la composante altermondialisation a une lourde responsabilité dans le travail d’éducation politique et de dénonciation du ralliement qu’annonce maintenant ouvertement le gouvernement canadien au projet impérialiste américain en Irak.

L’initiative de « D’abord Solidaires », cherchait à faire un travail d’éducation politique. Mais le principal travail d’éducation politique au Québec, c’est celui de la nécessité de la construction d’une alternative politique sur le terrain, un parti politique progressiste qui ne doit rien au patronat et à ses alliés. En choisissant, de centrer son intervention sur la description des programmes politiques, en ne soulevant pas la question de l’alternative politique à construire, D’abord Solidaires, s’est marginalisé de l’enjeu essentiel durant cette élection, faire émerger une alternative progressiste dans cette période électorale, ce à quoi a travaillé l’UFP avec un succès relatif mais réel. Si cette initiative devait se poursuivre, elle devrait situer son action sur l’animation de débats sur l’alternative politique à construire et sa nécessité. Promouvoir la rupture avec le cul-de-sac que représente le PQ pour les classes ouvrières, populaires et les femmes, c’est une tâche essentielle des progressistes dans cette nouvelle période.

L’UFP s’est inscrit dans la conjoncture mouvante décrit plus haut. L’UFP a réussi à présenter 73 candidatures. Avec à peine un peu plus d’un pour cent du vote, l’UFP n’a, à première vue, pas marqué une rupture importante avec ce qu’avait réalisé la gauche politique sur le terrain électoral. Mais cette perception est une apparence. Grâce à l’excellente couverture médiatique du candidat Amir Khadir, aux petites percées faites dans un petit nombre de comtés de la région de Montréal tout particulièrement, aux brèches réalisées régulièrement tout au cours de la campagne dans le mur du silence construit par les principaux médias, aux multiples débats auxquels les candidatEs de l’UFP ont été invités, - débats organisés par des organisations syndicales, des organisations étudiantes, écologistes ou féministes - et aux noyaux de militantes et de militants que l’UFP a réussi à agglutiner autour de ses candidatEs, l’UFP a réalisé le tour de force de devenir une alternative politique très minoritaire, mais réelle sur la scène politique québécoise. Et à ce niveau, nous pouvons dire : MISSION ACCOMPLIE !