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Quelques éléments pour tenter de suivre le débat sur la dette aux États-Unis

lundi 18 juillet 2011, par Alexandra Cyr

Depuis plusieurs mois Démocrates et Républicains s’affrontent durement quant à la politique à tenir au sujet du niveau de la dette publique du pays et de son déficit. À première vue il s’agit d’une opposition simple entre les tenants (les Républicains) d’une réduction du déficit via la réduction des dépenses et ceux (les Démocrates le président en tête) qui soutiennent qu’il faut aussi augmenter les revenus. Voilà le problème qui est tout sauf simple. Surtout compte tenu de la distribution du pouvoir aux États-Unis. Le combat prend toute son ampleur en ce moment à cause de la date d’échéance : le 2 août prochain.

La situation actuelle

La loi américaine prévoit que pour rehausser la capacité d’emprunt du gouvernement, donc son niveau de dette nationale, le Trésor doit demander et obtenir l’autorisation du Congrès. Cela existe depuis 1917. Habituellement cette exigence est traitée comme une formalité. Ainsi, comme le note Paul Krugman [1], au cours des deux mandats du président G.W.Bush, 7 hausses du niveau de la dette ont été décidée sans autre forme de procès. Il s’est ainsi ajouté 4 millions de milliards de dollars à cette fameuse dette.

Les acteurs politiques sont donc devant une situation nouvelle et qui semble les avoir pris par surprise, la présidence et les Démocrates inclus. Si une solution n’intervient pas avant la date de fin des droits actuels il y aura des conséquences gravissimes. Pour le peuple américain et pour le système économique mondial comme le souligne le secrétaire au Trésor, M. T. Geithner [2]. Paul Krugman abonde en ce sens. Sur le plan domestique : « Au mieux nous aurons un ralentissement économique, au pire nous nous retrouverons dans la situation désastreuse de la crise financière de 2008-09 » [3] Et sur le plan mondial : « …personne ne connait l’effet que cela aurait sur le système financier mondial qui repose sur la présomption que la dette américaine est l’ultime actif sûr » [4].

Le gouvernement américain, comme tous les autres emprunte pour faire face à ses engagements : financer les guerres, les pensions des retraités, les bénéfices aux anciens combattants, payer son personnel, les bénéficiaires des programmes sociaux : Medicare, Medicaid et ses créanciers. En ce moment, ce sont principalement la Chine, le Japon, le Royaume Uni et des états et gouvernements locaux, des fonds de pension et des investisseurs privés au pays et dans le reste du monde. Tout ce monde a acheté des Bons du Trésor américain ; c’est ainsi qu’il se finance. La dette est maintenant de 14,300 millions de milliards de dollars environ. Cette dette, par rapport au PIB américain n’a rien de très spectaculaire.

Malgré les apparences il ne s’agit pas d’une question financière mais bien d’une question politique. L’affrontement auquel nous assistons est strictement politique au sens large du mot mais aussi au sens politicien ; les élections présidentielles auront lieu l’an prochain et tous veulent arriver en vainqueur devant l’électorat.

Les manœuvres

Les Républicains se servent de l’occasion que leur donne l’obligation du vote sur le relèvement du plafond de la dette pour tenter d’imposer leur conception du gouvernement et de son action. Ils veulent forcer l’administration Obama à accepter « une entente sur une réduction conséquente du déficit qui passe par des coupes majeures des dépenses et sur des broutilles pour le reste » [5]. P. Krugman parle d’une manœuvre d’extorsion. Sally Kohn [6], une organisatrice communautaire, l’appelle du « terrorisme idéologique », le président parle de négociations avec un pistolet sur la tempe, et un autre commentateur de « fétichisme du déficit » [7].

Ce sont les conceptions quant au rôle et à la nature du gouvernement fédéral et dans la façon de les jouer dans la conjoncture politique qui sont en jeu.

Les Républicains sont majoritaires à la Chambre des représentants depuis novembre dernier. Ils ont gagné cette majorité en défendant des idées extrêmement claires sur ce que doit et ne doit pas faire le gouvernement fédéral en s’appuyant sur une lecture rigide, souvent dogmatique de la constitution et de la déclaration d’indépendance.

Ils soutiennent la ligne néolibérale qui veut que le meilleur gouvernement soit celui qui intervient le moins possible dans la vie des gens et singulièrement dans l’économie où seul le secteur privé doit être actif. Et le gouvernement doit absolument avoir des comptes équilibrés ; pas de déficit de long terme. Et il lui faut fonctionner avec le minimum de taxes et impôts possibles. Dans la conjoncture actuelle cela veut dire diminuer agressivement les dépenses (plus de 4 millions de milliards de dollars) pour atteindre l’équilibre budgétaire en un minimum de temps. Il s’avère qu’ils ne veulent rien céder à ce chapitre. Le représentant de la Virginie, leader de la majorité en Chambre a déclaré : « …Le peuple américain s’attend à ce que nous remplissions nos engagements et que nous changions cette crise de la dépense à Washington » [8].

De leur côté les Démocrates soutiennent que le problème de la dette et du déficit doit se régler par deux interventions : une sur les dépenses mais une autre sur les revenus. Le président a déclaré tenir à ce que des subventions aux grandes entreprises, singulièrement aux pétrolières, prennent fin. Il veut aussi réintroduire le niveau de taxation qui existait pour les plus riches avant que l’administration Bush ne le diminue significativement. Ce niveau a été reconduit par le président actuel en décembre dernier pour arriver à une entente sur la dernière portion du budget pour l’année en cours.

Il s’agit d’un moment plus théâtral dans la poursuite de la lutte des possédants pour s’accaparer des richesses collectives. Cette lutte a commencé dans les années soixante dix. Les outils étaient les mêmes : les politiques néolibérales basées sur la défiscalisation des classes supérieures, (celles qu’Hervé Kempf qualifie d’oligarques), le démantèlement de l’État Providence et l’affaiblissement des syndicats.

De baisses d’impôts en exemptions et autres faveurs fiscales, l’État s’est privé des moyens efficaces d’intervention dans le soutien aux populations et dans l’économie. Aux États-Unis, la part des revenus du gouvernement fédéral tirée des impôts et autres taxes ne représente plus que 60% de ce qu’elle représentait il y a 60 ans [9]. Les délocalisations sont généralement analysées comme un instrument de recherche de meilleurs profits grâce aux salaires de misère payés dans les pays récepteurs des entreprises. C’est vrai mais, aux États-Unis elles ont aussi servi d’instrument de défiscalisation non négligeable.

Les compagnies sont tenues de payer de l’impôt sur les profits générés à l’extérieur seulement lorsqu’ils sont rapatriés à la maison mère. En 2004, elles ont bénéficié d’un congé de cette disposition et ont pu engranger des sommes considérables. La justification était qu’ainsi elles pourraient réinvestir, stimuler l’économie et créer de nouveaux emplois. Tel ne fut pas le cas, on s’en doute. Elles ont payé des dividendes, leurs propres dettes, acheté d’autre compagnies, racheté leurs propres actions et bien d’autres choses, mais rien n’est venu augmenter les investissements et créer des emplois [10]. Il a plutôt servi d’incitatif à la délocalisation puisqu’il y a toujours une lueur d’espoir de faire répéter l’opération. En ce moment, un lourd lobby a lieu pour que cette expérience soit reprise avec le même discours d’appel.

Cette idée que les baisses d’impôts pour les riches et les compagnies ont comme conséquence des investissements et de la création d’emplois (le trickel down) est un des socles du discours néolibéral. Il est devenu un véritable mantra chez les éluEs républicainEs. Malgré toutes les preuves du contraire accumulées ces dernières années.

Les compagnies américaines sont assises sur des sommes très importantes qu’elles n’investissent pas ; il n’y a pas de demande pour les biens [11] les consommateurs ne sont plus capables de jouer le jeu. Mais les Républicains n’ont de cesse de répéter que c’est l’incertitude devant les politiques de réglementation et autres qui provoque cette retenue d’investissement.

L’audace des Républicains

Ce n’est pas nouveau que la droite américaine prêche pour une telle organisation gouvernementale. Ce qui est nouveau c’est la force dont fait preuve le parti qui la représente, le parti Républicain. Traditionnellement les éluEs de ce parti se montraient coopératifs quand ils estimaient que le bien de la nation exigeait des ententes pour que l’appareil fonctionne et que les marchés continuent à opérer le plus normalement possible. Ce dont leurs électeurs-trices leur étaient redevables. Mais depuis quelques années une aile de droite extrême (le Tea Party) s’est élevée et constitue maintenant la clé de la majorité républicaine à la Chambre.

La direction du parti ne peut pas ne pas tenir compte de leurs opinions car leurs votes sont en jeu. Les négociateurs cherchent les ententes qu’ils pourront faire passer sur le parquet de la Chambre. C’est ainsi que les deux représentants républicains qui participaient aux négociations au sein du comité bi-partisan mis en place par le président et présidé par le vice-président M. Joe Biden ont claqué la porte alors qu’un compromis était en vue. Hier ce fut au tour du speaker de la Chambre, M. Boehner à annoncer qu’il ne poursuivrait pas les négociations avec le président, au moins sur le montant maximum de coupures. Il estime que le Président n’est pas de bonne foi.

Il semble bien qu’un de leurs objectifs soit de faire perdre la face au président Obama. Ils déclarent sur toutes les tribunes qu’il ne doit faire qu’un mandat.

Ils invoquent toujours le fait qu’ils représenteraient la volonté populaire. Mais des sondages récents (Pew Institute) montrent le contraire. La population hors les plus riches, redoute plus que tout, la médecine républicaine.

L’ordonnance républicaine

Le programme républicain est une version extrême du libéralisme le plus pur.

Le marché est le meilleur instrument de la vie économique ; il peut la réguler, les entreprises vont créer la richesse et la redistribuer. La régulation est toujours un mauvais outil, ce qui est bon pour les banquiers est bon pour le pays et les réductions d’impôts et de taxes sont l’élixir universel qui lubrifie le tout. Et l’idée que tout ce qui peut faire augmenter les profits des compagnies est bon pour l’économie redevient d’actualité [12].

En fait, pour réduire le gouvernement à sa plus simple expression il leur faut en ce moment, affamer la bête ! [13] Le représentant républicain Paul Ryan a déclaré qu’il fallait absolument se débarrasser de « ce couple keynésien : emprunt et taxation. Ça ne fonctionne pas et ne fonctionnera pas plus à l’avenir » [14]

Pour la population américaine, l’ordonnance républicaine pour arriver à un budget équilibré est aussi pire que la perspective du défaut de paiement du gouvernement. L’ampleur des coupures recherchée signifie la disparition de nombreux services et programmes qui affectent les citoyenNEs dans leur vie quotidienne. Elles frapperaient tous les secteurs dont l’éducation (ce qui est déjà commencé dans les États responsables du primaire et du secondaire). La perspective la plus redoutée et la plus rejetée étant des modifications fondamentales des assurances sociales, Medicare (l’assurance maladie des retraitéEs), Medicaid (l’assurance maladie des plus pauvres) et Social Security (le régime de retraites).

Les Républicains veulent une diminution drastique de ces programmes : diminution des couvertures et augmentation significative des primes et franchises. Ils veulent surtout une forme ou une autre de privatisation. Ils ont déposé à la Chambre, un plan qui transformerait plus ou moins Medicare en un distributeur de permis d’achat des services médicaux pour les adhérentEs. ChacunE étant responsable de magasiner ses soins auprès des dispensateurs qui seraient bien sûr libres de les accepter ou non, au niveau de paiement distribué ou en exigeant des surplus. En ce moment, les plans d’assurance négocient avec des hôpitaux et cliniques médicales pour que les soins soient donnés et payent les factures.

Quant à Medicaid, l’objectif est de le réduire à sa portion congrue. Dans plusieurs États des coupes importantes ont déjà été faites sur la partie sous leur autorité. La santé de la population américaine pauvre est assez désastreuse et ce n’est pas seulement parce qu’ils mangent chez McDonald !! Ils et elles sont renvoyéEs à la charité.

Au cours de son deuxième mandat l’ex-président Bush a mené une énorme campagne pour privatiser Social Security. Sans succès. Son plan a été rejeté par ses adversaires, une partie des éluEs de son parti et surtout par la population. Les AméricainNEs tiennent à ce programme comme à la prunelle de leurs yeux.

En ce moment il semble que les Républicains viseraient plus des ajustements que l’on voit ailleurs : baisse des niveaux de pensions, allongement de la période travaillée pour y avoir droit, report de l’âge légal de la retraite. Or, ce programme se finance lui-même ; le gouvernement n’y contribue pas…..sauf pour la portion de l’assurance maladie qui affiche un lourd déficit.

Et bien sûr, l’avenir du plan d’assurance maladie mis en place l’an dernier par le président Obama est dans la mire. Sa disparition a été un objectif de campagne l’automne dernier et le demeure. Pourtant, il est censé mener à terme, vers une diminution des coûts pour le gouvernement. Mais les Républicains ont toujours contesté cette évaluation.

Le fait est que les États-Unis paient beaucoup plus cher pour les soins de santé que les autres nations développées où ils sont plus socialisés. Comme la moitié est payée par les programmes sociaux, Medicare et Medicaid, cela affecte le budget et contribue au déficit.

Jusqu’à maintenant les Républicains voulaient exclure les budgets militaires des coupes qu’ils réclament. Ce sont des budgets colossaux et en déficit endémique. Ils ont été plus ou moins épargnés jusqu’à ce jour. Il semble que la perspective change et qu’ils seraient affectés également. Le président Obama les visait dans sa proposition.

Conclusion

Beaucoup pensent qu’un règlement surviendra à temps, fut-ce à la toute dernière minute. Paul Krugman croit que les Républicains sont suffisamment obstinés, ancrés dans leur dogmatisme pour fermer le gouvernement américain ! Même David Brooks [15], qu’on ne peut qualifier d’homme de gauche, trouve que les Républicains auraient pu et pourraient encore avoir une autre approche plus raisonnable. Mais, souligne-t-il « ce parti n’est plus un parti normal. Il est infecté par une faction qui est déterminée par une position protestataire plus que par une attitude de gouvernance ».

Ce qui est plus inquiétant c’est que la position soutenue par la droite et son parti semble s’imposer dans les discours et dans les têtes. Même le Président a utilisé la comparaison du budget familial et de « vivre selon ses moyens » pour parler de la situation budgétaire du pays, ce qui n’a aucun sens. On peut donc redouter avec P. Krugman qu’une éventuelle entente fasse la part belle aux recettes de droite.

On ne voit malheureusement pas de mobilisation populaire sur ces enjeux en ce moment. Un peu partout dans le pays les citoyenNEs se mobilisent mais sur les situations dans leurs États et leurs villes. Partout ou presque les conditions de vie se détériorent de jour en jour et ne chômage se maintient à des hauteurs jusqu’ici rares aux États-Unis poussé en ce moment par les congédiements dans le personnel des États dont en éducation.

Beaucoup considèrent d’ailleurs que ce problème du chômage et de la stagnation économique sont les véritables enjeux. Seules des interventions gouvernementales majeures pourraient y apporte remède : ces bonnes vieilles politiques keynésiennes tant décriées. Beaucoup jugent que le plan de stimulation du président Obama, mis en place lors de son arrivée au pouvoir, était trop timide et n’a pas pu donner les résultats nécessaires. Faudrait-il en mettre un autre en place ? Si les politiques de droites sont à l’ordre du jour, il n’est même plus possible de poser concrètement cette perspective.


Presse-toi à gauche !


[1New-York Times, 30 juin 2011

[2Mother Jones, What’s Happening With the Debt Ceiling Explained, premier juillet 2011,

[3Op.cit.

[4ibidem

[5ibidem

[6Democracynow.org 13 juin 2011,

[7Dean Baker, Making Short Work of the Economy, counterpunch.org, 4 juillet 2011,

[8Mother Jones, op.cit.

[9PBS News Hour, 6 juillet 2011,

[10Paul Krugman, New-York Times, 3 juillet 2011,

[11Ibidem,

[12Ibidem,

[13Frédéric Lordon, lemondediplomatique.fr, La pompe à phynance, 26 mai 2010,

[14P. Krugman, N.Y.Times, 10 juillet 2011,

[15New-York Times, 4 juillet 2011,