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Réponse à l’article « Québec solidaire et le pari de sœur Françoise »

mercredi 10 septembre 2008, par Bernard Rioux

Réponse à l’article « Québec solidaire et le pari de sœur Françoise »
Un tissu d’évidences douteuses et de certitudes à questionner !
mardi 26 août 2008, par Bernard Rioux
Tiré de Presse-toi à gauche

Réponse à l’article « Québec solidaire et le pari de sœur Françoise »
Un tissu d’évidences douteuses et de certitudes à questionner !
mardi 26 août 2008, par Bernard Rioux
Tiré de Presse-toi à gauche


Sur divers sites et dans différents journaux de gauche, la professeure de philosophie Louise Mailloux s’épanche de certitudes en apostrophes sans trop se questionner sur le fondement de ses thèses sur le port du voile islamique. Au-delà des invectives sur la lâcheté de la porte-parole de Québec solidaire, les arguments avancés méritent un examen attentif.

« Comment Françoise David, s’exclame Louise Mailloux, ose-t-elle affirmer que les femmes voilées vont abandonner leur voile… alors qu’à Montréal et partout à travers le monde, le port du voile est de plus en plus répandu ? » Pourquoi en effet, le port du voile se répand-il ? Ne serait-ce pas pertinent de répondre à cette dernière question ? Cela ne permettrait-il pas de dépasser l’invective et de s’intéresser à la réalité. Mais tel n’est pas le propos de notre auteure.

Pourtant, notre professeure comprend bien que le voile n’est pas qu’un symbole de l’oppression des femmes, sens qu’il revêt sans nul doute. Le voile est pour elle l’expression culturelle d’une identité… inacceptable. L’enseignante est claire à cet égard et voici comment elle interprète le sens du voile : le voile est un symbole de la fierté identitaire. Pour notre auteure, le port du voile nous adresserait ce message supposément « inadmissible » : « Nous ne sommes pas comme vous, nous ne nous habillons pas comme vous, nous ne mangeons pas comme vous, nous ne prions pas comme vous, nous ne partageons pas votre morale, et nos filles ne sont pas pour vous, parce que nous sommes différents de vous et fiers de l’être. »

C’est quoi le problème ? L’intégration s’identifierait-elle à l’assimilation ? L’intégration serait-elle l’effacement des traits culturels minoritaires au profit de ceux de la communauté culturelle majoritaire ? Nous entrons ici de plain-pied dans la rhétorique du communautarisme majoritaire. Il ne suffit plus pour s’intégrer de respecter les lois, de travailler et d’être en rapport avec les autres cultures existantes dans la société, il faudrait surtout faire preuve de mimétisme, s’effacer, disparaître… dans une invisibilité qui serait bienfaisante. Et vive le discours sur les « différentes façons d’être québécois-e-s ».

Mais l’essentiel de l’argumentation est ici : « Le voile islamique est l’un des symboles les plus criants et les plus éloquents de l’avilissement du corps et de l’esprit des femmes… » Le symbole le plus éloquent… de l’avilissement du corps des femmes : l’hypersexualisation des adolescentes, la femme réduite à un objet sexuel dans la publicité, la mondialisation de la prostitution et de la traite des femmes… sont plus que des symboles. C’est la démonstration que le patriarcat de la communauté culturelle dominante participe de l’avilissement du corps des femmes à un niveau encore plus dramatique. Et l’Église catholique qui veut régenter la sexualité des femmes ne participe-t-elle également de l’oppression quotidienne ?

Et ce qui est complètement oublié dans ce discours, c’est le fait que les femmes des minorités culturelles ne sont pas que des objets de l’oppression, ce sont des sujets de leur affirmation et de leur émancipation. Et c’est cela qu’il faut respecter. Ce qui est oublié, c’est que ce que sont elles qui portent la possibilité de leur émancipation et qu’il faut les écouter. Le texte se désintéresse de la réalité musulmane : une religion diversifiée, s’appuyant sur des nations différentes, avec des rapports très différenciés à la religion, avec une pratique religieuse des plus inégale. « Le voile cristallise à lui seul tout le système social, culturel, juridique et politique de l’islam dans lequel se conjugue une série de refus qui sont autant de défis à notre façon de vivre. Refus du sujet libre, de l’individu affranchi de sa communauté, refus de l’égalité homme-femme, refus de la mixité, refus de la laïcité de l’espace public, refus des droits de la personne et des valeurs démocratiques ». C’est prêter beaucoup au voile qui devient le bouclier antimoderne par excellence.

Ce qui est oublié dans cette réification qui gomme toute complexité, c’est la réalité patriarcale de la majorité de notre société. L’égalité des hommes et des femmes est loin d’être un fait acquis. C’est que le capitalisme, aussi moderne soit-il, est un système patriarcal. C’est que l’Église catholique est un instrument de reproduction de l’inégalité avec son clergé uniquement masculin. Et la majorité des jeunes musulman-e-s ne se retrouvent-ils pas dans le secteur public d’éducation ? Quelle est donc la base de ce supposé refus de la mixité identifié à toute cette communauté si ce ne sont les demandes d’éléments ultraminoritaires ? Qui est donc cette minorité musulmane qui refuserait de s’inscrire dans la vie démocratique ?

Les seuls hommes responsables de l’oppression des femmes seraient les hommes des patriarcats minoritaires ? Bizarre. Et les hommes du patriarcat de la communauté majoritaire n’ont-ils pas fait du corps des femmes des panneaux-réclames pour la vente de diverses marchandises ? Les avancées des femmes n’ont-elles pas été arrachées de haute lutte ?

L’analyse de Louise Mailloux ne jette pas les bases d’une lutte antipatriarcale cherchant à unir les femmes des diverses communautés culturelles. Cette analyse capitule aux pressions du discours dominant sur la guerre des civilisations. Cette « analyse » ne permet pas de comprendre que ce sont par leurs propres luttes que les femmes gagnent leur dignité et assument leur liberté.

Ce n’est pas la minorité musulmane qui détruit la liberté des femmes. C’est le patriarcat d’occident arrimé au capitalisme néolibéral qui perpétue la surexploitation économique des femmes et leur oppression sociale et culturelle.

Que le site de l’Aut’journal et qu’ Unité ouvrière (no. 10) aient publié sans commentaire cet article qui ne porte aucun intérêt au discours des femmes d’une minorité culturelle, quand ce n’est pas un mépris ouvertement affiché, surprend. On ne peut qu’en appeler à plus de réflexion… Les critiques de Québec solidaire font partie du débat politique, encore faudrait-il qu’elles fassent preuve d’un peu plus de rigueur.