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Résistance globale

Walden Bello

mardi 7 septembre 2004

Walden Bello est philippin, président de Focus on Global South. Économiste militant, il est l’une des principales figures asiatiques du mouvement altermondialiste et antiguerre. Il a contribué à initier l’appel de Djakarta contre l’occupation de l’Irak et sera à Beyrouth en septembre lors d’une conférence qui rassemblera des militants antiguerre du Moyen-Orient, des États-Unis, de Grande-Bretagne... Il participera au Forum social européen à Londres du 14 au 17 octobre. Cette interview a été réalisée à Marxism 2004, festival socialiste organisé par le SWP à Londres, qui s’est tenu du 9 au 16 juillet.

Quel bilan tires-tu du Forum social mondial de Mumbai ?

Walden Bello - C’est une évolution très positive du Forum social mondial (FSM) pour différentes raisons. Premièrement, le fait que cela se déroule en Asie. C’était très important pour le mouvement asiatique, cela a permis de discuter des alternatives, c’était très stimulant. Deuxièmement, cela a conféré au FSM des caractéristiques propres à l’Asie avec en particulier le rôle joué par les groupes marginaux comme les dalits1. Cela a exposé le forum social au test de la vérité des mouvements sociaux, spécialement les mouvements indiens. Cela a accentué la dynamique du forum. Les gens qui sont venus à Mumbai ont expérimenté la diversité, le conflit, ce qui n’était pas possible à Porto Alegre. Porto Alegre était une expérience très importante, mais nous devons reconnaître que c’est la zone la plus prospère du Brésil, avec moins de participation des groupes marginaux. Le forum à Mumbai a constitué un mécanisme important pour organiser les mouvements indiens qui étaient fragmentés. Cela a amené ces groupes à travailler ensemble, tous ont appris et profité du FSM.

Pourquoi la guerre est une question cruciale pour le mouvement de résistance globale ?

W. Bello - De mon point de vue, la guerre est inhérente, inévitable dans le projet impérialiste des États-Unis, pour maintenir leur hégémonie. Les États-Unis ont beaucoup d’instruments, mais le recours à la guerre est nécessaire pour maintenir l’ordre au Moyen-Orient afin d’avoir, entre autres, accès au pétrole. La guerre est un mécanisme pour discipliner le tiers monde, c’est un instrument important de la politique US. Mais les États-Unis n’ont pas anticipé le fait que la guerre en Irak se prolonge. Ils pensaient que cela allait être une " opération de police " et non un bourbier. Mais l’Irak n’est pas un accident, c’est plutôt inévitable. C’est pour cela que la guerre est une question essentielle pour le mouvement pour la paix et la justice. Je pense, quand je compare Fallouja et Dien Bien Phu, que c’est pour souligner le tournant en Irak, le symbole psychologique. Cela a une signification stratégique. En effet, si les États-Unis peuvent pacifier Fallouja, la résistance globale qui a commencé ne vaincra pas leur stratégie. Mais nous sommes dans une situation où ils ne peuvent pas gagner. Fallouja est ce tournant, c’est une résistance de masse, qui regroupe toutes les communautés, c’est le peuple en armes. Bien sûr, la gauche en Europe et aux Etats-Unis serait probablement satisfaite si la résistance était plus un mouvement de libération nationale, laïque, mais la réalité, c’est cette résistance. Cela doit être une leçon pour la gauche. Pour moi et le tiers monde, les mouvements progressistes occidentaux doivent accepter l’insurrection et la résistance irakienne telle qu’elle est et non dicter ce qu’elle devrait être, sinon on reproduit l’attitude des pays occidentaux vis-à-vis du tiers monde.

Quels sont les enjeux du prochain Forum social européen de Londres ?

W. Bello - Ce n’est pas suffisant d’entraîner des millions de personnes dans la rue, il faut organiser au jour le jour la résistance au libéralisme et à la guerre. Il faut des manifestations, celle de Londres le 17 octobre sera très importante, mais nous devons résister aux institutions au quotidien. Le FSE doit souligner le fait que la globalisation et le libéralisme sont en crise. Nous faisons face à une violente compétition intercapitaliste et nous allons vers une période " mercantile "2, protectionniste et militariste. C’est le visage principal du capitalisme aujourd’hui. Il faut souligner que nous ne sommes plus dans la période Clinton où les États-Unis imposaient une globalisation néolibérale, mais dans une période où ils développent une globalisation protectionniste pour les intérêts américains. Ils ne respectent pas les intérêts des travailleurs du monde entier, mais ils sont aussi opposés au capitalisme européen et japonais. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de solidarité entre les différents pôles capitalistes. Face à des tremblements de terre révolutionnaires, ils s’uniront, mais la compétition est le futur dominant des multinationales. Il faut prendre conscience au FSE que nous sommes, en Amérique latine, au Moyen-Orient, au début d’une période d’insurrection du tiers monde. Cela rappelle la situation du début des années soixante, quand Che Guevara disait : " Il est possible de créer deux, trois Viêt-nam. " C’est ce qui se développe dans les pays les plus soumis au néolibéralisme. On est au point crucial du mouvement global de résistance. Il faut souligner que le néolibéralisme a fait un tel bon travail de destruction en Europe, aux Etats-Unis, qu’on a une extrême désaffection vis-à-vis du système, une colère de secteurs de la population ici même. Le rôle des partis progressistes est de trouver comment, tous ensemble, unir le désespoir du tiers monde et la colère au Nord, pour être capables de créer une véritable alternative politique qui permette, malgré la diversité, d’aller dans la même direction afin de miner le capitalisme global et l’impérialisme. Aussi, le FSE et le FSM doivent mettre en avant le fait que nous entrons dans une période de crise globale, mais il faut voir aussi que nous avons d’importantes opportunités pour le changer.

Propos recueillis par Antoine Boulangé

1. Caste des intouchables, population la plus pauvre et la plus marginalisée en Inde. 2. En référence au développement économique du xvie et xviie siècle où l’État jouait un rôle essentiel de contrôle des marchés.