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PARTI SOCIALISTE

Sacre... Royal

jeudi 23 novembre 2006, par Christian Picquet

L’investiture de Ségolène Royal, dès le premier tour de scrutin, ouvre une nouvelle situation au Parti socialiste, dans la gauche et pour la vie politique française.

Avec 60,62 % des suffrages, dans le cadre d’une participation de 80,04 % des adhérents socialistes, la présidente de la région Poitou-Charente aura obtenu un véritable sacre. Elle arrive en tête dans 102 fédérations sur 105 et obtient une majorité absolue de voix dans 95 d’entre elles. Ses compétiteurs s’en retrouvent marginalisés : 20,83 % pour Dominique Strauss-Kahn, 18,54 % pour Laurent Fabius.

Sans doute, nombre de celles et ceux qui auront adoubé la désormais postulante à la magistrature suprême paraissent avoir d’abord choisi la candidate la mieux placée, dans les sondages, pour battre la droite. De même, peut-on estimer que sa manière de s’adresser à l’opinion, par-dessus les éléphants du parti et en laissant croire que ses propositions s’assimileraient à la « démocratie participative », au nom de la modernité et du renouvellement de la vie publique, aura été vécue comme une réponse à la coupure, toujours aussi profonde, entre le peuple et les élites.

Reste néanmoins que c’est clairement une rupture avec un pan de l’histoire de la social-démocratie dans ce pays qui se profile. Ainsi, lorsque la candidate en appelle régulièrement à briser les « tabous », lorsqu’elle exhorte les enseignants à l’effort (suggérant, du même coup, qu’ils seraient des fainéants), lorsqu’elle s’en prend aux 35 heures, s’attaque-t-elle frontalement aux aspirations d’une bonne partie de la base sociale de sa formation. Ainsi, lorsqu’elle se livre à une surenchère avec Sarkozy sur le terrain de la loi et de l’ordre, reprend-elle à son compte la méthode qui avait, outre-Manche, permis à Tony Blair de s’émanciper du vieux Labour Party, de prendre ses distances avec le mouvement syndical et de chercher le chemin de son succès électoral... dans le fonds de commerce de la droite. Manifestement, cette démarche rencontre l’écoute d’une fraction de l’électorat de gauche et de la mouvance socialiste. Celle qui, déboussolée par un climat politique tendant à se focaliser de nouveau sur les questions de la sécurité et de l’immigration, peut bien aujourd’hui se retrouver dans les propos ségolénistes sur la carte scolaire ou la « mise au carré » des familles en difficulté... Celle aussi qui, n’étant pas directement confrontée à la précarisation et au mal vivre induits par la déferlante libérale, en déduit qu’il faut, de toute urgence, s’adapter à l’ordre dominant. De ce point de vue, la désignation de Mme Royal parachève un processus qui aura vu, en quelques mois, une majorité des militants socialistes se prononcer pour le « oui » au traité constitutionnel européen - à l’inverse de la majorité des électeurs socialistes et, plus largement, du peuple de gauche -, puis qui aura renouvelé en profondeur la composition sociologique du parti avec la vague des adhérents à vingt euros.

L’ampleur même de la victoire de « Ségo » confère à ses partisans les clés du parti, et elle leur permet de s’affranchir de toute négociation avec les courants internes pour la conduite de la campagne présidentielle. Déjà, François Hollande annonce une nouvelle vague d’adhésions massives, comme pour mieux souligner la volonté de conduire jusqu’à son terme une rupture culturelle et politique. Pour les militants de la « gauche » du PS, qui avait opté en faveur de Laurent Fabius, vient aujourd’hui l’heure du bilan. À eux deux, Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn qui, par-delà leurs différences, professaient le même impératif d’adaptation aux règles du libéral-capitalisme, ont capté les voix de huit socialistes sur dix. Ce qui apparaissait comme l’aile gauche du parti (40 % des voix au congrès de novembre 2005) s’est désintégré, pour partie emporté par la déferlante ségoléniste.

Surtout, l’idée que la synthèse opérée lors du congrès du Mans, puis le projet socialiste, pouvaient constituer des armes dans la bataille pour empêcher une mutation blairiste de la gauche française, n’a pas résisté à l’épreuve de la confrontation...

Christian Picquet
(tiré de Rouge)