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Israël

Toujours plus à droite

lundi 10 mars 2003, par Michel Warscharski

Suite aux élections législatives israélienne, Sharon vient de former son nouveau gouvernement. Un gouvernement dans lequel il fait figure de modéré...

Chez les travaillistes israéliens, le bon sens a pour une fois triomphé, et les députés avides de pouvoir devront attendre une autre occasion pour rejoindre le gouvernement d’Ariel Sharon. Amram Mitzna, le président du parti, a pour l’instant tenu sa promesse électorale de ne pas rejoindre un gouvernement d’union nationale dirigé par la droite. Et cela n’a pas été facile pour l’ancien maire d’Haïfa : la majorité de sa (petite) fraction parlementaire, menée par Benyamin Ben Eliezer, ancien président du parti et ministre de la Défense du gouvernement précédent, voulait à tout prix entrer dans le gouvernement Sharon. Et Sharon était prêt à payer cher leur participation, comme l’écrivait le commentateur de Haaretz, Akiva Eldar : "De son [Sharon] point de vue, tous les portefeuilles ministériels, à l’exception de celui du Premier ministre, attendent le Parti travailliste. Et si Mitzna fait comprendre d’une façon ou d’une autre qu’il regrette son uniforme, Mofaz [le candidat du Likoud au poste] devra renoncer au ministère de la Défense" (18 févier 2003).

L’alibi travailliste

Sharon avait pourtant la possibilité de constituer un gouvernement dont toutes les composantes partagent ses projets politiques car, dans la nouvelle Knesset, la droite a la majorité absolue. Mais un gouvernement uniquement de droite, c’est précisément ce que Sharon voulait éviter à tout prix pour plusieurs raisons.

D’abord pour ne pas être l’otage des fous furieux de l’extrême droite, comme Avigdor Lieberman, du parti Union nationale-Israël est notre pays, ou le général intégriste Efi Eitam du Parti national religieux. Ariel Sharon leur préfère de loin les travaillistes qui ont un discours plus modéré pour défendre sa politique colonialiste et répressive, et qui permettent ainsi d’éviter d’éventuelles confrontations, que ce soit avec une partie de l’opinion publique locale ou avec la communauté internationale. Un ambassadeur à Paris, comme Elie Barnavi, qui a défendu tous les crimes du gouvernement Sharon en parlant de paix et de réconciliation, est sans aucun doute plus utile à Sharon qu’un Ben Elissar ou qu’un Sofer qui bavent la haine et le refus de toute forme de compromis.
La seconde raison pour laquelle Sharon aurait préféré gouverner avec les travaillistes est que la présence de ces derniers rendait peu probable des pressions étatsuniennes ou même européennes : combien de fois n’a-t-on pas entendu la social-démocratie européenne dire que "si même Pérès est partie prenante de la politique gouvernementale, c’est que c’est l’opinion unanime des Israéliens, et qu’il n’y a donc rien a faire" ?

Enfin, la présence des travaillistes au gouvernement a toujours donné des arguments à la droite en cas d’échec : "C’est à cause de Pérès que nous n’avons pas expulsé/assassiné Arafat, et donc pas pu mettre fin au terrorisme. Si Pérès n’était pas dans le gouvernement, on en aurait fini avec le terrorisme..." Pas de travaillistes, plus d’alibi, Sharon et son gouvernement d’extrême droite devront soit faire ce qu’ils prêchent, et risquer une cassure interne et des pressions internationales, soit assumer l’échec de leur plan visant à forcer les Palestiniens à la capitulation.
Gouvernement d’extrême droite, disons-nous, dans lequel Ariel Sharon fait figure de modéré (sic).
 Avigdor Lieberman, cet immigré russe qui considère la démocratie comme un luxe superflu et qui pense que Sharon devrait un peu plus suivre l’exemple de Poutine en Tchétchénie est ministre des Transports ;
 Le ministre du Tourisme est le rabbin Eilon, ex-président du Parti du transfert (sic) ;
 Efi Eitam, le général mystique qui prêche la guerre messianique nucléaire est ministre de la Construction et de l’Habitat (donc responsable de la construction dans les colonies) ;
 Le ministre de la Défense est Shaul Mofaz, le Bigeard de l’Etat juif ;
 Et aux Finances, va présider Benyamin Netanyahou, en comparaison duquel Reagan et Thatcher étaient des modérés pour tout ce qui concerne les politiques de dérégulation et de privatisation.
Poujadisme

Quant à Shinouï, c’est aussi la droite car, contrairement à ce que laissent entendre certains correspondants étrangers, c’est un parti qui n’est ni laïque, ni libéral (dans le sens étatsunien du terme). C’est un rassemblement poujadiste, qui vomit les religieux (sauf ceux qui font allégeance à l’Etat d’Israël et à l’armée), mais n’a jamais revendiqué la séparation de la religion et de l’Etat, qui hait les Juifs orientaux et, d’une façon générale, les couches populaires. C’est le parti de la peur de la "levantinisation" d’Israël que ressentent les classes moyennes (le nom du parti est d’ailleurs "parti non religieux des classes moyennes"), qui votaient auparavant travailliste et surtout Meretz. C’est le parti de ceux qui veulent repousser les Arabes aussi loin que possible, mais repousser également les Juifs de culture arabe et les religieux "diasporiques" dans la marge de la société et de l’Etat, afin de pouvoir remettre au centre politique les occidentaux, non religieux, riches et militarisés.

Shinouï ne sera donc pas ce frein à l’extrémisme nationaliste qu’évoquent certains commentateurs étrangers. Le nouveau gouvernement est bien un gouvernement d’extrême droite, uni dans une volonté de casser le mouvement national, uni derrière une stratégie de répression sanglante et généralisée, mu par l’espoir que la guerre étatsunienne contre l’Irak permettra de mener à bien une vaste campagne d’épuration ethnique en Cisjordanie. Autant dire que, pour les Palestiniens, les moments les plus difficiles ne sont pas encore derrière eux.

Michel Warschawski.
Rouge 2007 06/03/2003