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Écologie

Un autre monde n’est pas possible sans un autre mode de production

François (Suisse)

dimanche 6 mai 2001

L’aspect le plus important du projet de résolution "La révolution socialiste et l’écologie" est, à mon avis, de souligner la nécessité de remettre en question l’illusion productiviste que les marxistes ont, intentionnellement ou non, entretenue.

"La question écologique est un des plus grands défis pour un renouveau de la pensée marxiste au seuil du XXIème siècle. Elle exige des marxistes une révision critique radicale profonde de leur conception traditionnelle des "forces productives" et une rupture radicale avec l’idéologie du progrès linéaire ainsi qu’ avec le paradigme technologique et économique de la civilisation industrielle moderne".

Mais la justification de cette révision nécessaire devrait découler du bilan critique du procès technique de la production actuelle issue de la révolution industrielle et non pas seulement du constat des dégâts qu’elle occasionne.

Je ne dirais pas qu’il " manque l’essentiel " dans ce projet comme titre Manuel, d’Allemagne, dans sa contribution (Inprecor n° 457) mais découlant d’une vision "écologisante" du procès de production choisi par le capitalisme et non pas d’une critique globale de son procès, elle ne peut conduire qu’à des illusions et des impasses politiques. Si le procès est considéré seulement comme néfaste à l’environnement et aux êtres qui l’habitent, il suffirait de réduire la production par une "halte à la croissance" ou d’en réduire les nuisances en incitant les gens à "agir localement" sans "penser globalement " Or nous savons que d’une part la production actuelle est largement insuffisante pour répondre aux besoins de l’humanité et que d’autre part il n’est plus possible de la rendre "respectueuse de l’environnement". Ces limitations du procès de production capitaliste (PCP) ne proviennent pas que de la priorité donnée à la quête du profit ni d’ailleurs qu’aux nuisances qu’il occasionne par la combustion inévitable des combustibles fossiles, par la masse de déchets de matériaux qu’il doit mettre en œuvre ou par les pathologies liées à la généralisation et l’intensification du travail humain. La principale limite est dans la nature même de ce procès fondé sur le recours aux ressources énergétiques fossiles en voie d’épuisement, par l’utilisation massive de matières non renouvelables et par l’exploitation insensée du travail humain.

S’il semblait être viable et prometteur lorsque la Planète comptait six fois moins d’êtres humains et l’intégralité de ses réserves fossiles, après plus d’un siècle de pillage intensif ce procès s’avère totalement obsolète. Sa généralisation depuis les régions industrialisées à la terre entière conduirait à épuiser en très peu de temps les rares ressources fossiles qui lui restent. De plus, il est si dépendant du travail humain, que l’indispensable réduction du travail s’avère de moins en moins possible.

Certes les détenteurs et défenseurs de l’appareil de production fossile cherchent à convaincre qu’il serait réformable moyennant de nouvelles technologies innovantes : piles à combustible, fusion, robotisation, déchétique, amélioration des rendements et autres mesures devant assurer son hypothétique "développement durable". Mais ces perspectives sont illusoires n’ayant pas reçu confirmation de leur faisabilité dans l’état actuel des connaissances et des recherches.

On pourrait alors imaginer que le capitalisme puisse abandonner purement et simplement le procès de production qu’il a choisi et imposé. Mais ce serait oublier que ce choix permet aux propriétaires des moyens de production d’extraire le plus de survaleur (plus-value) lors de la transformation par le travail des ressources matérielles et énergétiques non renouvelables. Outre les conséquences économiques et politiques désastreuses qu’aurait une "contre-révolution industrielle", on voit mal quels intérêts et quelles compétences mèneraient la minorité dominante - six millions de millionnaires sur six milliards d’êtres humains - à réussir une telle prouesse sans disparaître corps et biens dans la poubelle de l’histoire.

Si de mini-réformes technologiques - traitement des déchets, recyclage des matières, économies d’énergie - sont tant galvaudées par l’idéologie c’est pour mieux conjurer la crise imminente du PCP. Les annonces d’un prochain recours aux énergies propres, d’une alimentation saine, d’un habitat et de la santé pour l’ensemble des êtres humains ou encore de la fin du travail sont des alibis. Si le capital tolérait réellement une remise en question de sa façon de produire cela se saurait et se verrait ; or ce que l’on sait et que l’on voit est tout le contraire : misère, famine, pollutions, catastrophes, conflits… bref, un état de fait tel qu’un autre monde devient impossible.

Comme le développement durable des profits prime sur celui de l’humanité et de sa Terre, les alternatives ne sont développées que lorsqu’elles ouvrent de nouvelles perspectives de marchandisation et d’accumulation. Ainsi, par exemple, le projet de captage spatial de l’énergie solaire ne vise que la concentration de cette énergie pour ainsi pouvoir - enfin - la transformer en marchandise.

Le PCP est à bout de souffle. Son dépérissement multiplie et aggrave les crises mondiales - guerre, exodes, pandémies, hécatombes - engendrées par l’inégalité croissante face aux pénuries d’eau, de terres arables, de combustible, de matériaux, d’aliments, de médicaments, de services publics…

Plusieurs raisons expliquent que la crise du procès soit si mal perçue, y compris par de nombreux camarades :

Bien que récent, le procès fossile né de la révolution scientifique, technique et industrielle du siècle passé nous apparaît comme le meilleur et le seul possible, incontournable et irremplaçable. Ainsi, nous considérons les nombreux procès de production antérieurs fondés sur le recours exclusif à l’énergie solaire - hydraulique, éolienne, biomasse, bois - comme rétrogrades, dépassés et inefficaces bien qu’ils aient nourri l’humanité pendant des millénaires. Pourtant ces procès alternatifs sont d’autant plus viables et puissants que l’extraordinaire développement scientifique et technique survenu au cours de l’intermède capitaliste permettrait aujourd’hui d’en assurer la maîtrise. Autre obstacle à la compréhension des limites du PCP, ses avantages immédiats - voiture, avions, abondance énergétique et matérielle - masquent encore ses inconvénients. Nous commençons à peine à en subir les effets mais les pollutions actuelles ne sont probablement que broutilles face aux catastrophes à venir. L’illusion productiviste a détourné notre attention critique des désillusions que le procès de production capitaliste apporterait. Il suffisait que le prolétariat prenne le contrôle de l’appareil de production fossile pour le rendre performant, généreux et harmonieux. Un tel optimisme aveugle renvoyait la critique du PCP au lendemain de la révolution où le prolétariat victorieux aurait tout le loisir de le socialiser. C’est pourquoi les contradictions scientifiques et techniques du procès fossile n’ont pas été saisies ni empoignées comme arme dans la lutte de classes. Faute d’analyser le procès technique de production, nous n’y avons vu l’exploitation capitaliste qu’à travers le travail humain car elle était immédiatement perceptible. L’exploitation capitaliste majeure des ressources de la nature, ayant des effets bien plus graves mais étant différés dans le temps, n’a pas été perçue. Ainsi le facteur social a été limité aux seuls travailleurs exploités alors que le PCP exploite indirectement mais tout autant si ce n’est davantage l’ensemble des êtres humains opprimés par la privation progressive non plus seulement d’une part de leur salaire mais de leurs moyens d’existence et de survie, leur bien commun.

L’impasse productive actuelle se répercute sur notre projet politique, grevé par un vide propositionnel. Nous sommes ballottés entre le Charybde d’une crise de la croissance économique, catastrophique pour la survie de l’espèce et le Scylla d’un emballement désastreux pour une production marchande de pacotille. Faute de dénoncer le procès de production et de lui opposer un autre mode possible, le mouvement ouvrier s’enlise dans le piège : le nucléaire ou la bougie, la croissance ou la famine, le travail aliénant ou le chômage.

Tous les ingrédients existent pourtant pour favoriser l’épanouissement des forces de la nature : le capitalisme est gros d’une révolution technologique.

La critique du productivisme permet d’expliquer non seulement la crise de l’environnement mais de lui opposer une issue révolutionnaire. C’est pourquoi la critique du PCP devrait être approfondie et constituer le point de départ de la résolution : la IVe Internationale "doit sonner l’alarme" comme l’écrit Manuel.