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Un vote qui traduit une Bolivie divisée

lundi 26 janvier 2009

Evo Morales a à nouveau gagné le bras de fer avec l’opposition. Quelque 60% – selon les sondages à la sortie des urnes – ont dit oui à une nouvelle Constitution qui, il y a un an, paraissait condamnée à l’échec.


Tiré du site ’’À l’encontre’’

Pablo Stefanoni - 26 janvier 2009


Les résultats du référendum constitutionnel qui a eu lieu le dimanche 25 janvier 2009 ne seront donnés officiellement que dans dix jours, après un contrôle du décompte des voix. Toutefois, le OUI apparaît clairement majoritaire. C’est la première fois en 183 de « république » que l’ensemble de la population a pu se prononcer sur une Constitution. Et au cours de deux siècles, il n’y a eu que 5 référendums dont 2 se sont déroulés sous la présidence d’Evo Morales. Dans sa déclaration faite depuis le Palacio Quemado, à La Paz, Evo Morales a déclaré : « Aujourd’hui prend fin l’Etat colonial. Prend fin aussi le colonialisme interne et externe ». (Réd.)

Evo Morales a à nouveau gagné le bras de fer avec l’opposition. Quelque 60% – selon les sondages à la sortie des urnes – ont dit oui à une nouvelle Constitution qui, il y a un an, paraissait condamnée à l’échec. Comme cela s’est passé au cours de toute l’histoire bolivienne, la région andine a été l’acteur qui décide de la politique nationale, cela en vertu de son poids démographique, du fait que le gouvernement y réside et de sa « vision nationale ». Le mélange d’identité ethnico-culturelle et une culture politique plus proche de l’étatisme expliquent l’adhésion sans faille de l’Occident bolivien à Evo Morales.

Ce fut cette région qui a été le centre « du socialisme militaire » des années 1930, de la révolution nationale de 1952, du nationalisme militaire des années 1970 et de la guerre de l’eau et du gaz au cours des années 2000.

Cela dit, néanmoins, cette nouvelle victoire du MAS [le parti du gouvernement Morales] a un goût amer. Après le triomphe écrasant de Morales le 10 août 2008 , qui avait réussi à faire une brèche dans la « media luna » [région qui réunit, sous la forme d’une demi-lune, les provinces dites autonomistes et ayant comme centre de gravité Santa Cruz] et a laissé la droite au bord du chaos, les résultats du 25 janvier 2009 présentent à nouveau une Bolivie divisée en deux. Même si les premiers résultats semblent sous-estimer le vote rural – amplement favorable au gouvernement national d’Evo Morales Ayma – la victoire du Non à Santa Cruz, Beni, Parija et Pando aboutit à redessiner une « demi-lune » oppositionnelle.

Il est certain que le 40% qui s’est opposé lors du référendum à la nouvelle Constitution représente une fraction minoritaire du pays. Toutefois, cette minorité est majoritaire dans des régions compactes du territoire bolivien. Les dénonciations faites par l’opposition, qui s’évertue à expliquer les résultats en dénonçant la fraude qu’elle ne peut prouver, démontrent son impuissance au moment d’engager une bataille sur la scène politique nationale et la difficulté qu’elle a à comprendre la dimension du « phénomène Evo » parmi les exclus. Au même titre où cela s’est produit au Venezuela – bien que dans une ampleur moindre – il est clair qu’une chose est l’appui donné au président, et une autre celui donné à un texte constitutionnel rédigé au milieu de conflits, des discordes et des difficultés pour aboutir à des accords. Dans le département de Pando, on a assisté à un plébiscite particulier. Dans ce département, le gouvernement d’Evo Morales est intervenu, a arrêté le préfet de la province et a nommé à sa place un chef militaire. Dans cette région amazonienne, le Non qui s’est imposé dimanche met en question la stratégie de force utilisée par le gouvernement.

Toutefois, les divisions ne recoupent pas seulement Occident et Orient (ouest, est) : les sondages à la sortie des urnes et les décomptes rapides révèlent une division villes-campagnes. Dans la majorité des 9 capitales de province, le Non s’est imposé. Donc, là le discours d’opposition a été victorieux. L’insistance sur le fait que la Constitution soumise à référendum instaurerait un « racisme à l’envers » a convaincu de nombreux votants « métis » à la rejeter.

Au contraire, dans les zones rurales, la population laissée historiquement à l’écart a considéré que, pour la première fois dans l’histoire, elle sera intégrée comme un ensemble citoyen à part entière, connaissant des conditions d’égalité avec les « créoles-métis ». Il ne s’agit pas là seulement des habitants des zones rurales : dans des villes comme La Paz, El Alto et Oruro, la frontière entre villes et campagnes est poreuse et ces villes sont en grande partie « des centres urbains avec une mentalité rurale ». Peut-être qu’il y a une donnée de bon augure. Plusieurs opposants ont dit clairement : « Le Oui a gagné et il faut appliquer la loi. » Toutefois, personne ne croit que cela est possible sans de nouveaux accords consensuels. (Traduction A l’encontre)

* Pabla Stefanoni écrit très régulièrement pour le quotidien argentin Clarin. Il vit en Bolivie. Il est l’auteur, avec Hervé Do Alto, de l’ouvrage : Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie, Ed. Raisons d’agir, 2008.

(26 janvier 2009)