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Une Assemblée constituante : clé de voûte d’une stratégie indépendantiste gagnante... mais patiente

par Bernard Rioux , François Cyr, président de l’UFP , Gordon Lefebvre

mardi 7 septembre 2004

Une Assemblée constituante ? L’idée est ancienne, aussi ancienne que la tradition démocratique et républicaine. Cette belle idée qui veut que le seul pouvoir légitime vienne du peuple. Pas du roi, ni de Dieu, mais du libre consentement des populations.

Dans l’histoire de ce continent, cet acte de naissance d’un État que représente le processus constituant moderne s’est déroulé à Philadelphie dans le cadre de deux conventions constitutionnelles où les insurgés américains jetaient les bases de leurs futures sociétés en rupture avec le colonialisme britannique et la souveraineté du roi .En s’appuyant sur une autre souveraineté : celle du peuple. Une vision de la souveraineté populaire bien étriquée dans l’esprit des constituants wasp : esclaves, femmes et amérindiens étaient exclus du nation building.

Mais l’idée de la république naissait sur ce continent et inspirera des le début du 19e siècle les esclaves haïtiens, puis les insurgés boliviens. Elle fondera l’acte de naissance de la plupart des États des Amériques.

Qu’est ce qu’une Constituante ?

Assemblés pour débattre du contenu d’une constitution, la loi des lois, les « constituants » élus par le peuple élaborent l’architecture de base du fonctionnement de l’État. Il s’agit de définir non seulement les limites des pouvoirs que le peuple délègue aux gouvernants et gouvernantes, mais également des contours des différentes juridictions propres à chaque sphère d’exercice du pouvoir. Une constitution énonce également les grandes valeurs aux sources de la vie commune. Un projet de constitution, soumis au peuple après un exercice en profondeur de démocratie participative, reste la meilleure réponse à la loi sur la clarté et au renvoi de la Cour suprême du Canada qui esquive l’essentiel : la reconnaissance du Québec comme nation.

Qui se souvient de Nelson ?

Inspirés de la tradition républicaine américaine mais également de la Révolution française, certains courants au sein des Patriotes de 1837-1838 proposeront dans leur programme l’appel à former une telle assemblée constituante. Dans sa déclaration d’indépendance du Bas-Canada du 28 février 1838, Nelson écrit, à l’article 15 :
Que dans le plus court délai possible, le peuple choisisse des délégués, suivant la présente division du pays en comtés, villes et bourgs, lesquels formeront une convention ou corps législatif pour formuler une constitution suivant les besoins du pays, conforme aux dispositions de cette déclaration, sujette à être modifiée suivant la volonté du peuple.

Écrasé par la répression, ce grand dessein de convoquer le peuple pour formuler une constitution ne s’est jamais réalisé. En fait, et c’est là le fondement même de notre démarche pour la création d’une Assemblée constituante, jamais dans son histoire le peuple du Québec n’a eu l’occasion, librement et sans manœuvres antidémocratiques de l’État canadien, de se prononcer sur sa loi fondamentale. Nelson espérait la convocation d’une telle assemblée « dans le plus court délai possible ». Quelques 166 années plus tard, l’idée est toujours présente et resurgit, au détour de l’histoire, à la suite d’une amère défaite électorale du Parti québécois et devant le haut-le-coeur généralisé devant le scandale des commandites. Mais surtout, comme le constate à juste titre Jacques Parizeau : « Le gouvernement du Canada a rendu la partie comme pas jouable. »

Nous sommes tentés d’ajouter, notamment à l’intention de plusieurs de nos amis progressistes canadiens qui rêvent d’un fédéralisme asymétrique, que nous sommes très loin du compte. Ni la Constitution du Canada, ni le Parlement, du Canada, ni le gouvernement du Canada, ni la Cour suprême du Canada ne reconnaît l’existence du peuple québécois. Alors, nous avons pris acte en recherchant dans notre histoire et celle des autres peuples la meilleure façon de donner naissance à un nouvel État souverain. D’où cette grande idée d’Assemblée constituante.

Les États généraux du Canada français 1967-1969 :
Qui se souviens de cette expérience de démocratie participative ?

On parle beaucoup, à juste titre, de la Commission Bélanger-Campeau, mais trop peu des États généraux. Par trois fois en 1966, en 1967 et en 1969, plus d’un millier de délégués et de déléguées sont venus de tous les coins du Canada français pour travailler en petits groupes. On discute ferme et on répond, en votant, aux questions soulevées.

Séances d’études, commissions de recherche et d’enquête, assises préliminaires, les États généraux ont mis en branle un vaste dispositif de consultation. En conclusion, on souligne qu’il est nécessaire d’élire une Constituante pour déterminer collectivement, dans une démarche de souveraineté populaire, le Québec à construire. Cette volonté de démocratie participative reste le fondement même de tout le processus.

Dès 1966, une tournée des 10 principales villes du Québec est organisée. En septembre, on tient des élections dans les 108 circonscriptions. En novembre, on siège en « assises préliminaires », s’appuyant sur une large représentation géographique et sociale. En 1967 : nouvelles élections dans les 108 circonscriptions du Québec .Y participent 8920 organismes et associations qui délèguent 1819 personnes du Québec (1545 délégués territoriaux et 244 délégués d’associations). Les groupes hors -Québec comptaient 425 représentants et représentantes. En 1968 : nouvelle tournée dans 43 villes : les délégations se complètent.

Généralement, les travailleuses et travailleurs, les représentants et représentantes des professions libérales ont été nombreux. Assez peu de représentants patronaux...

Sur le plan du contenu, on multiplie les études. On dépouille, par exemple, 25 000 questionnaires qui portaient sur 18 questions fondamentales concernant notre avenir national. Enfin, 19 cahiers d’animation d’un tirage total d’un million et demi d’exemplaires ont été distribués dans tout le territoire québécois, ainsi qu’à l’extérieur du Québec. Les États généraux furent, durant les années 1966-1969, un immense effort de recherche collective, de consultation à l’échelle de tout un peuple.

Lors des Assises nationales de 1969, on vote, de façon presque unanime, l’exclusivité des pouvoirs de l’État du Québec dans des domaines tels la recherche, la culture, la radio et la télévision, le syndicalisme et les relations de travail, la politique de main-d’oeuvre, le recrutement et l’admission des immigrants et immigrantes, le peuplement, les mouvements de population, la sécurité sociale et la santé, la législation financière et commerciale, la planification et le développement économique, la politique agricole, les relations avec les étrangers dans tous les domaines, la fixation de ses frontières territoriales.

Ce que proposent aujourd’hui les progressistes

L’UFP a inscrit la Constituante au cœur de son programme comme cadre stratégique dans la lutte pour l’indépendance. L’UFP est le seul parti politique à proposer, dans son programme officiel, la tenue d’une Assemblée constituante comme acte de naissance de l’État souverain. Cependant, admettons bien humblement qu’il nous reste beaucoup de travail de réflexion, d’étude et de discussions pour étayer en profondeur notre approche.

Pour l’UFP, lutter pour une Constituante, c’est rompre avec le provincialisme, et cette démarche est parfaitement incompatible avec l’ordre constitutionnel canadien verrouillé à double tour par la loi sur la clarté. Dit autrement, la Constitution du Québec sera celle d’un État souverain et non le fondement juridique d’un gouvernement provincial. Cette dernière précision s’impose, car certains partisans d’une Constituante au sein du PQ acceptent l’idée d’une constitution québécoise provinciale.

Sur la démarche, nous croyons qu’il faut laisser du temps au temps. Nous ne sommes pas de ceux et de celles qui confondent le destin électoral d’un parti politique avec celui d’un pays. Notre objectif stratégique est de contribuer à faire en sorte que la démarche de démocratie participative, de discussion et d’éducation populaire soit d’une telle ampleur que le référendum de ratification de notre future Constitution soit un succès. À la lumière des expériences du référendum de 1995, mais aussi du scandale des commandites, nous n’avons aucun doute sur les intentions de l’État canadien pour la suite des choses. À leurs manœuvres, magouilles et tentatives d’intimidation, nous n’aurons qu’une arme, celle de la force du nombre et l’inébranlable certitude de la légitimité de la démarche.

Bref, il faut commencer à déployer la plus grande expérience de pédagogie politique de notre histoire, mais en restant vigilants et mobilisés sur le front social : les libéraux veulent détruire l’intérieur de la maison.

Dans ce débat sur la Constitution, les partis politiques qui choisiront d’inscrire cette perspective de Constituante dans leurs programmes prendront la parole. Dans un premier temps, cette Constitution, nous la souhaitons courte et facilement amendable. Elle doit pouvoir respirer, laisser aux générations futures le soin de la parfaire. Courte aussi pour nous forcer collectivement à aller à l’essentiel et à permettre au plus grand nombre d’en débattre.

L’UFP insistera sur la dimension républicaine de la forme de l’État, sur l’importance des mécanismes d’exercice de la souveraineté populaire, sur le caractère pacifique de notre société, sur la propriété et le contrôle publics des ressources, dont l’eau, enjeu géostratégique de notre temps. La Constitution telle que rêvée par les progressistes assurera pour toutes et tous une pleine efficience des droits économiques et sociaux. Elle reconnaîtra le Québec comme un pays de régions, l’autogouvernement des peuples autochtones et la reconnaissance du français comme langue commune.

Dans l’intervalle, le débat sur l’avenir du Québec doit continuer de sortir d’un seul parti politique pour devenir l’affaire de tout le monde...

François Cyr, Gordon Lefebvre et Bernard Rioux
Membres du Comité exécutif national de l’Union des forces progressistes