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Élection de Luis Inácio Lula da Silva à la présidence du Brésil

Une nouvelle dynamique de changement social pour le Brésil

Une menace à l’impérialisme en Amérique du Sud

dimanche 3 novembre 2002, par Richard Fecteau

Dimanche le 27 octobre dernier, le peuple brésilien est descendu spontanément dans la rue. Une espérance démesurée habite la population puisque l’élection de " Lula ", l’éternel candidat du Parti des Travailleurs (PT), est perçue comme la fin de la traversée du désert, comme l’ouverture sur un nouveau régime pour le Brésil. Avec 61,3 % des voies exprimées contre le candidat du gouvernement actuel, Luis Inácio Lula da Silva symbolise le rejet sans équivoque de la gestion du gouvernement néolibéral actuel.

Au-delà du rejet d’un projet jugé anti-social, le vote pour Lula en est aussi un d’affirmation d’un projet alternatif pour le Brésil et peut-être pour l’Amérique du Sud. Après 4 tentatives pour remporter l’élection présidentielle, le PT a conquis la présidence et Lula devra maintenant affronter la dure réalité du gouvernement d’un pays-continent fragilisé par une décennie de néolibéralisme sans partage.

La signification de l’élection de Lula pour le Brésil

Le vote massif en faveur de Lula est au Brésil un signe de cohérence historique. En portant au pouvoir un ouvrier syndicaliste et, surtout, la principale figure de l’opposition des vingt dernières années, la population désire poursuivre la démocratisation du pays et rompre avec le projet des élites. Après avoir vu le Brésil souffrir d’une dictature militaire de 1964 à 1985, la société refuse de sombrer dans une dictature économique. Il est d’ailleurs surprenant de voir la proximité du discours de Lula et avec celui de João Goulart, le président qui est tombé sous les bottes des militaires en 1964 alors qu’il désirait ces " réformes de base ".

Rappelons que Luis Inácio Lula da Silva a joué un rôle majeur dans toutes les luttes importantes du Brésil depuis les années 1980. Ayant fait ses premières armes dans le syndicat des métallurgistes des environs de São Paulo, il a contribué à la chute de la dictature militaire en plus de contribuer le vaste mouvement en faveur des élections directes de 1985. Ayant été l’acteur principal de la naissance du syndicalisme combatif, il fut au coeur de la naissance du Parti des travailleurs au début de la décennie des années 1980.

Éternel candidat de l’opposition lors des campagnes présidentielles de 1989, de 1994 et de 1998, il a toujours représenté la volonté de traduire les forces sociales par un parti politique apte de prendre le pouvoir et d’effectuer une rupture avec un modèle de développement excluant et inégalitaire. L’arrivée au pouvoir de Lula, c’est donc l’aboutissement du travail acharné de toute une série d’acteurs sociaux qui sont porteurs d’une perspective de changement global à long terme. Figure charismatique respectée par tous et toutes, il constitue l’articulation fondamentale entre la gauche sociale dont il émerge, et de la gauche politique dont il fut le principal catalyseur.

Au-delà de ces discours triomphalistes, il faut toutefois voir que l’arrivée de Lula représente aussi la prise du pouvoir d’une coalition électorale autour du PT. En plus des deux partis communistes brésiliens (PCB, PCdoB), sa candidature a été appuyée par le Parti Libéral. Ce dernier parti, bien que très minoritaire, symbolise l’appui d’une fraction grandissante de la bourgeoisie nationale dont le vice-président José Allencar, millionaire du textile, est le porte-parole. Cette alliance d’un candidat de gauche avec l’industrie nationale qu’il a pourtant tellement combattu lorsqu’il était syndicaliste, c’est le meilleur exemple de l’effondrement du néolibéralisme et de la nécessité de rupture avec ce système.

En assurant des conditions de gouvernabilité, cette forme d’alliance travail-capital national représente également le " nouveau contrat social " dont Lula parle constamment. En relançant l’économie sur des bases nationales, le PT entend amorcer un cercle vertueux qui donnerait au nouveau gouvernement les marges de manoeuvre nécessaires afin de réinvestir le secteur social (éducation, santé, pensions de vieillesse, etc.), de relancer l’emploi et, surtout, de soutirer à la bourgeoisie nationale des concessions sur les " réformes de base " qui ont trop attendu (réforme agraire, réforme fiscale, réforme de la loi cadre sur le syndicalisme, réforme de la protection sociale).

On est certes loin du socialisme démocratique clairement revendiqué par le PT, la CUT, le Mouvement des Sans Terre et d’autres mouvements politiques et sociaux qui gravitaient autour d’eux lors des années 1980. En clair, cette tentative d’élection était la dernière chance d’éviter de transformer le Brésil en un mélange de Colombie et l’Argentine. La Colombie, avec sa violence urbaine et rurale ainsi que l’émergence d’un pouvoir parallèle qui y règne sans partage. L’Argentine, avec le chaos social et politique que tout le monde un tant soit peu lucide prédisait depuis longtemps.

L’exécutif national du PT a joué le tout pour le tout : son analyse de la conjoncture l’a convaincu d’accepter le gradualisme dans le changement social au Brésil. Alors que le pays se retrouve au bord du gouffre, Lula se résigne pour le moment à accepter les grands paramètres qui lui lient les mains (dette internationale, accords commerciaux, accords avec le Fonds monétaire international). Il travaillera dans ce cadre restreint afin d’assurer une réelle durabilité à une rupture à moyen et long terme du modèle de développement du Brésil.

Secousse commerciale

Lorsqu’il arrivera au pouvoir le 1er janvier 2003, c’est probablement en dehors du Brésil que l’élection de Lula aura les impacts les plus marqués. Alors que sur le plan interne on ne peut espérer de changement brusque et structurel lors de la première année du mandat de Lula, le nouveau président jette une ombre d’incertitude sur la progression de l’impérialisme américain dans la région, tant dans sa forme commerciale que militaire.

Alors même que les États-Unis tentent d’amorcer un sprint dans les négociations de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), l’arrivée du Parti des Travailleurs brouille la mise. Bien que Lula n’ait pas exclu clairement la signature d’ " une " ZLÉA, il est clair que les conditions de négociations ont changé profondément par rapport au gouvernement brésilien antérieur. Cardoso, en effet, ne faisait que viser la surenchère entre les États-Unis et l’Europe.

Le Brésil de Lula rejettera-t-il ou non la ZLÉA ? Rappelons tout d’abord l’opposition populaire clairement exprimée en septembre dernier, lors d’un référendum organisé par les mouvements sociaux. 98 % des 10 millions de votes étaient contre la signature de l’accord, peu importe les modifications apportées. Dans les conditions politiques actuelles, Lula ne pourrait prendre part activement aux négociations sans perdre des plumes face aux attentes élevées des mouvements sociaux qui l’ont porté au pouvoir. Dans le même sens, les secteurs industriels mis à mal par la mondialisation économique et par la financiarisation du Brésil vont certes exiger beaucoup lors d’éventuelles négociations : un accès élargi au marché américain, de même qu’une protection accrue pour l’industrie nationale...

Dans la même mesure, le refus de toute forme de négociation de la ZLÉA serait catastrophique, car elle donnerait le prétexte attendu par les marchés internationaux pour vider le Brésil de ses investissements à court terme. Puisque l’économie brésilienne dépend énormément de la finance internationale pour rester " à flot ", un signal négatif chez les grands spéculateurs pourrait transformer le pays en une nouvelle Argentine. La ZLÉA, on peut donc le constater, constitue pour le nouveau président élu un terrain très glissant.

La porte de sortie du Brésil est donc double s’il veut éviter la ZLÉA : d’une part, développer le marché national en basant la production brésilienne sur les besoins locaux, effectuer en quelque sorte une déconnexion face aux marchés internationaux. L’autre solution incontournable se situe dans la création d’un bloc économique fort en Amérique du Sud. Formé autour du Maché commun du cône sud (Mercosul), il aurait pour but de freiner l’expansion de l’Accord de libre-échange nord américain vers le Sud.

Tremblement de terre géopolitique

Alors que Lula risque de ne brouiller qu’un peu les négociations commerciales et peut-être faire dérapper ou " humaniser " la ZLÉA, il risque d’avoir un impact majeur sur la militarisation de l’Amérique latine et sur la volonté de Washington de s’approprier les fruits de l’Amazonie. Lula défendra jalousement la souveraineté nationale du Brésil et refusera l’encerclement militaire et la biopiraterie de l’Amazonie.

Rappelons que, depuis le tournant des années 1990, le gouvernement américain a accru sa présence militaire en Amérique du Sud. En utilisant pour prétexte de la lutte contre la drogue, les troupes américaines ont progressivement encerclé l’Amazonie. Comme le démontre le Plan Colombie, Washington désire assurer une maîtrise militaire du continent advenant le cas où l’arme de la dette publique ne soit pas assez efficace pour asseoir les gouvernements locaux.

Alors que l’actuel président Cardoso était prêt à céder sans condition la seule base aérospatiale du Brésil, la base d’Alcântara, Lula entend bien contrer les volontés d’expansion militaire des États-Unis en Amazonie. Il luttera ainsi contre le projet états-unien d’internationaliser cette région et, surtout, contre la volonté clairement exprimée par Washington d’étendre le conflit de Colombie à ses trois voisins " nationalistes " : le Brésil de Lula, le Vénézuela de Chavez, et l’Équateur d’un potentiel Gutiérrez.

Tant en termes commerciaux qu’en matière militaire, l’arrivée de Lula à Brasília ouvre la porte à la création d’une nouvelle dynamique dans les relations interaméricaines. Ce que craint toutefois Washington, c’est de voir les forces du changement prendre le pouvoir dans d’autres pays de la région : c’est le fameux effet domino qui a " justifié " la guerre au Vietnam et de nombreux coups d’État appuyés et/ou organisés par les États-Unis. Le peuple brésilien a encore en mémoire le coup d’État qui, avec la bénédiction enthousiaste de Washington, a porté les militaires au pouvoir...

La solidarité avec les forces du changement au Brésil

Comme on peut facilement le constater, le Brésil dont hérirte Lula et le PT est sur le point de couler à pic. Le candidat ouvrier est celui de la dernière chance et bénéficiera d’appuis importants dans la mesure où il saura convaincre les divers acteurs sociaux et les forces politiques des élites de la nécessité d’un changement immédiat de certains aspects du modèle de développement, notamment la baisse des taux d’intérêts, et d’un redressement à moyen terme des priorités nationales.

Les contraintes de l’environnement international - alors que l’on se dirige vers une guerre injustifiée contre l’Irak et que l’économie mondiale sombre dans la récession - ainsi que les limites nationales - le PT n’a élu que trois gouverneurs sur un total de 27, ayant même perdu son château fort qu’était le Rio Grande do Sul en 1989 - tout converge pour dire que la première année sera difficile.

Tout le monde est conscient de cette fragilité du nouveau gouvernement. Les forces spéculatives et politiques - Washington, pour ne pas le nommer - s’entendent comme laron en foire quand vient le temps de ne pas reconnaître le verdict des urnes. La récente tentative de coup d’État militaire contre le président Chavez, est encore fraîche à la mémoire des BrésilienNEs. Ce qui est probable, toutefois, c’est davantage un mélange de coup d’État par les marchés et d’une prise d’otage financière du pays. Contre un programme trop socialisant, une crise risque d’être orquestrée par les représentants des intérêts de la haute finance. Une crise pour baliser la marge de manoeuvre du gouvernement de Lula, mais surtout pour ne pas faire de lui le " mauvais exemple ".

La solidarité internationale s’avère donc impérative. La charge symbolique de l’élection de Lula est immense. Ce dernier est parfaitement conscient que l’on pardonne tout aux présidents représentant les élites, mais que les standards sont beaucoup plus élevés pour les travailleurs. La population québécoise devra être informée du déroulement de cette expérience et du vent de changement qui souffle sur l’Amérique du Sud contre l’impérialisme états-unien. Être informée, mais aussi contribuer à faire du Brésil un symbole des nouvelles expériences qui se matérialisent progressivement autour de " l’esprit de Porto Alegre ".

Lula ne peut tout simplement pas se permettre de se tromper.

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