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Une république sociale pour un Québec libre !

À propos de nos institutions politiques (thème 3 du cahier de participation)

mardi 5 mai 2009, par Bernard Rioux

Défendre la mise en place d’une république sociale, c’est défendre la forme de gouvernement qui permet à tous les membres de la société de se gouverner eux-mêmes et d’exercer la souveraineté. Il faut donc penser les formes institutionnelles qui permettront de s’orienter vers cet objectif stratégique.

La république sociale au Québec sera le produit d’une rupture radicale d’avec la domination nationale et sociale de la bourgeoisie canadienne et de ses relais, non comme la simple enveloppe politique d’une indépendance qui ne redéfinirait pas radicalement le citoyenneté et la démocratie. L’exigence républicaine doit être notre point de départ pour faire face à la déconstruction de l’état social et aux déficits démocratiques et doit nous aider à donner une cohérence à l’alternative sociale et nationale que nous voulons construire. La perspective d’une république sociale se trouve au carrefour des trois grandes questions auxquelles devra impérativement répondre une perspective transformatrice : la question démocratique, la question sociale et la question nationale.

Il s’agit de proposer d’élaborer une stratégie de construction d’un Québec indépendant s’appuyant sur une démocratie sociale qui fait place à une véritable citoyenneté agissante et une souveraineté populaire réelle.

Avant d’en arriver à un projet de constitution et de parvenir à mettre en place une constituante véritable, la gauche politique et sociale devra mener les combats politiques partiels sur le terrain de la démocratie qui permettront d’opérer des ruptures tant avec la logique libérale et représentative qu’avec la logique de la démocratie concertationniste. Le combat pour la constituante au-delà du nécessaire travail de propagande, vise à identifier les mobilisations démocratiques possibles porteuses de ces ruptures qui permettront de nous attaquer aux principaux problèmes posés par les déficits démocratiques vécus par la société québécoise.

Le débat autour de la constitution, l’agitation pour une constituante doit viser à étendre le droit social interventionniste et le développement d’une citoyenneté active par des propositions de transformations radicales des institutions politiques et des rapports des citoyens, des citoyennes, particulièrement des couches populaires, avec le pouvoir politique et ses institutions.

La république est l’expression de la souveraineté populaire et dépositaire de l’intérêt général afin de répondre aux besoins du plus grand nombre ; elle repose sur une démocratie qui rejette toute forme de concentration du pouvoir vidant de sa substance la souveraineté populaire. Dans une république sociale, la communauté politique est fondée sur le contrat social et une approche intégratrice et interculturelle.

A. Les principes de la constitution de l’organisation des pouvoirs dans une République indépendante du Québec

1. Démocratie émancipatrice et conception de la constitution progressiste

La constitution devrait s’ouvrir par une Charte sociale prévoyant non seulement les droits politiques mais également les droits collectifs économiques et sociaux. Il s’agit de définir dans cette Charte des droits collectifs qui marquent un élargissement de la démocratie et un véritablement dépassement d’une logique purement libérale de droits individuels. Le besoin de reconnaissance de droits collectifs provient du fait que les individus placés dans les positions subalternes dans la société ne peut exercer leurs droits individuels que par une action collective.

Une charte sociale doit prévoir

 que les travailleurs et les travailleuses ont droit à un emploi stable et à un salaire décent.
 que les hommes et les femmes ont droit à une juste rémunération selon le principe de salaire égal pour travail d’égale valeur
 que les travailleurs et les travailleuses ont le droit d’association et de négociation collective et de grève
 que les hommes et les femmes ont le droit de s’organiser et de défendre ses intérêts par l’action syndicale
 que tout travailleur ou toute travailleuse à la droit de participer par l’intermédiaire de ses délégué-e-s à la détermination collective des conditions ainsi qu’à la gestion des entreprises.
 que le droit de propriété ne saurait être exercé de manière à porter préjudice à la santé, à l’environnement, à l’utilité publique
 que toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité…qui verra à en prévoir une administration démocratique
 que les hommes et les femmes ont le droit à la culture et aux loisirs

Ce ne sont là que quelques exemples. En fait une Charte sociale devrait chercher à préciser quels sont les droits qui permettent de répondre concrètement à la redistribution égalitaire des richesses ; à la mise en place d’une société égalitaire entre les hommes et les femmes ; au développement d’une société respectueuse de l’environnement et à l’idéal d’une société ouverte et pluraliste.

Élargir les droits économiques et sociaux collectifs nécessite de faire des incursions dans le droit de propriété, en vertu du fait que le pouvoir des citoyens et des citoyennes ne peut s’arrêter aux portes de l’entreprise et qu’il n’existe pas d’égalité réelle tant que le travailleur et la travailleuse n’a aucun pouvoir sur son travail .

B. La répartition des pouvoirs dans une République sociale

Les républicains de gauche sont en principe toujours opposés à la théorie de séparation des pouvoirs (avec l’emploi sommaire des mots exécutif, législatif et judiciaire) Non qu’ils soient contre l ‘indépendance des juges, ou qu’ils veuillent donner à une assemblée élue des attributions « exécutives », mais parce que le pouvoir essentiel et supérieur aux autres est pour eux le législatif (celui qui crée ou exprime « la norme commune » qui doit inspirer les autres.)

En théorie on parle de séparation des pouvoirs entre un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif et un pouvoir judiciaire permettant de réaliser un certain équilibre. Mais dans la réalité il y a bien plutôt une domination d’un de ces pouvoirs qui réalise l’unité de l’État. Les États de nos jours sont organisés à partir de la dominance absolue de l’exécutif. Le pouvoir est concentré dans les mains d’un premier ministre ou d’un président. Les projets lois sont la plupart du temps présentées à l’initiative de l’exécutif (conseil des ministres) ou même du bureau du premier ministre.

Cette concentration du pouvoir reflète la concentration du pouvoir dans une fraction de classe particulière au sommet de la pyramide politique. Les administrations néolibérales… par la concentration du pouvoir sur l’exécutif a pu (dans certains délais ) transformer la nature de la Cour suprême des États-Unis pour la modeler selon ses orientations politiques à travers les administrations républicaines successives. Parler d’une quelconque autonomie du pouvoir judiciaire est pour le moins abstrait. Cet autonomie nécessite la remise en question de la domination absolue de l’exécutif.

Le parlement par le système des partis et le suffrage universel sont ouverts aux partis politiques y compris progressistes représentant des classes moyennes et la classe ouvrière. Les classes dominantes n’ont pas toujours un contrôle total sur les parlements. En retenant comme naturel cette séparation des pouvoirs, on nourrit l’illusion d’un partage naturel qui va de soit. Il faut toujours se poser la question d’au profit de qui se fait ce partage des pouvoirs. Dans l’ancien régime ce partage se faisait toujours au profit de la conseil exécutif… qui tirait son pouvoir directement du roi. A notre époque, elle se fait au profit de l’exécutif… qui décide des lois à faire, les fait adopter par des députés placés sous leur discipline de ces partis néolibéraux .

En règle générale, la prédominance de l’exécutif actuellement exprime les difficultés de la fraction financière à la gouverne de l’État de construire sa légitimité alors qu’elle mène une offensive néolibérale.

Au lieu de reprendre un peu formellement la vaste distinction entre exécutif, législatif et judiciaire, il semble plus important de définir leur articulation dans le cadre d’une démocratie véritablement citoyenne et des modalités d’organisation faisant place à une démocratie citoyenne. Il ne s’agit pas ici de tenter de répondre à cet impératif mais de jeter quelques pistes dans cette direction.

1. La primauté du législatif

Issue de la souveraineté populaire, la république sociale affirme nettement la prééminence du droit et de fait du pouvoir législatif confié à une assemblée relevant du peuple souverain. La constitution doit proclamer une hiérarchisation et non une simple séparation ou un équilibre des pouvoirs et une subordination de fait de l’exécutif au législatif. La séparation par rapport du pouvoir judiciaire, doit lui assurer son indépendance à l’égard de l’exécutif mais ne lui reconnaît aucun droit à influencer le législatif comme cela se fait maintenant dans le cadre de la judiciarisation de la politique au Canada.

L’assemblée nationale devrait pleinement représenter la réalité du pays, ce qui suppose son scrutin proportionnel de liste, le plafonnement strict des dépenses de campagnes , le remboursement des frais d’impressions du matériel des campagnes électorales et l’accès garantie aux médias pour toutes les partis politiques et l’introduction de la parité de genre dans les candidatures présentées..

La légitimité des élu-es pose également la nécessité de la suppression des privilèges salariaux des élus comme des hauts fonctionnaires, leur rémunération se trouvant ramenée au niveau d’un salarié moyen.

Le souci du contrôle des élus pourrait emprunter deux chemins : le raccourcissement généralisé de la durée de tous les mandats. Ce contrôle ne peut reposer que sur un mandat contractuel entre le député et ses électeurs et électrices. Le non-respect de ce mandat pouvant déboucher sur une révocabilité des élu-e-s et de nouvelles élections. Ce contrôle pourrait être possible par la reconnaissance d’une démarche pétitionnaire obligeant les élus à tenir une assemblée pour rendre compte de son travail et redéfinir son mandat contractuel avec la population de son comté.

Il faut aussi donner aux citoyens et citoyennes l’initiative des lois. Pour cela, il serait possible d’instaurer une authentique reconnaissance de la pétition – avec obligation de délibérations, pour les instances concernées, au niveau local, régional ou national, à partir d’un certain pourcentage de signatures d’électeurs et d’électrices inscrits offrant ainsi aux citoyens et citoyennes la possibilité de prendre l’initiative des lois ou pour permettre l’organisation de consultations référendaires d’initiatives populaires. La constitution devrait comprendre aussi un droit populaire d’amendement sur initiatives populaires.

Élections au suffrage universel direct et secret – respectant la parité hommes-femmes - d’assemblées élues au niveau régional pour favoriser l’implication citoyenne dans différents dossiers (développement économique) du domaine public devant lesquels des exécutifs élus à partir de ces assemblées auraient à rendre des comptes. Collaboration de ses assemblées avec les différents acteurs sociaux- syndicats, groupes de femmes, groupes de jeunes impliqués dans leur milieu. On doit élaborer des mécanismes de contrôle des populations sur leurs mandataires comme sur l’utilisation des fonds publics par l’élection d’assemblées dans les comtés ; et explorer des modalités institutionnelles de redistribution des pouvoirs vers les régions … pour ouvrir vers des expériences non seulement locales mais régionales de budget participatif.

Déconcentration de la gestion de différents domaines de propriété publique au niveau régionale et élection des fonctionnaires responsables. Donner à la société les moyens de contrôler et d’orienter leur développement.

2. La soumission de l’exécutif au législatif

Une des composantes du déficit démocratique s’est exprimée dans la tendance à la concentration du pouvoir dans l’exécutif puis dans les bureaux des premiers ministres et dans la personne des premiers ministres eux-mêmes qui sont devenus des véritables princes élus. Le pouvoir exécutif fait adopter les lois et il n’est pas véritablement sous le contrôle de l’assemblée nationale ; en fait, il protège l’administration contre tout véritable contrôle par l’Assemblée ; l’approche présidentialiste ne fait que renforcer cette dynamique.

Proposer de remplacer les actuels premiers ministres avec toute la concentration du pouvoir par un président élu au suffrage universel, n’est pas une voie qui permet de lier république et démocratie et de dépasser les déficits démocratiques. L’idée d’un président élu au suffrage universel doit lui écartée. L’autorité d’un-e président élu-e au suffrage universel l’emportera toujours sur celle d’une assemblée de député-es partagées entre différents partis. Elle reproduira en permanence cette dérive monarchique responsable, en autres, de déficits démocratiques. Rien ne justifie une pratique de délégation des pouvoirs aussi considérable à un seul individu.

Il faut restituer la totalité des pouvoirs à une Assemblée à laquelle l’exécutif se trouverait strictement subordonné. Le président doit être élu par l’assemblée nationale et redevable devant elle. On doit pas aller dans le sens de la concentration mais de la déconcentration des pouvoirs.

3. La place de l’institution judiciaire dans une démocratie sociale et participative

Sur la place du judiciaire, il faut s’assurer qu’elle ne peut avoir un pouvoir sur la constitution par dessus le pouvoir de l’assemblée et rejeter toute judiciarisation de la politique.

Le contrôle citoyen des décisions de justice ou des procédures mises en œuvre, par l’entremise d’une structure investie par les associations de défense des libertés doit être étudié. Toute l’organisation du système judiciaire doit être examiné sous la loupe de principes démocratiques : indépendance, transparence, extension de l’aide juridique, formation citoyenne, remise en questions des dispositifs répressifs, abrogation des lois anti-terroristes limitant les droits citoyens. Tout un travail d’analyse et d’élaboration politique est à faire.

4. La place de la démocratie économique

Aucun domaine, à commencer par celui de l’économie, ne doit échapper à délibération publique. Pousser la République jusqu’au bout, cela ne se fait pas seulement dans les relations politiques, c’est aussi dans les relations économiques et sociales qu’il faut faire rentrer la liberté, vraie, l’égalité, la justice. Ce n’est pas seulement la cité, c’est l’usine, le travail, c’est la production, c’est la propriété qu’il faut organiser selon le type républicain.

Mais comment poser la question en s’appuyant sur une logique à la fois défensive et offensive ? Les services publics s’avèrent un début d’incursion dans la propriété privée des moyens de production et d’échange. Ils dessinent un embryon d’alternative à la logique marchande généralisée que le capital financier tente aujourd’hui de rétablir sans limite. Ils sont un vecteur essentiel de solidarité sociale et le garant des droits reconnus à la collectivité.

En ce sens, toutes les formes de privatisation et de mise en place de Partenariats-Publics-Privés sont des gestes qui tentent de réduire l’espace public et les possibilités de délibérations collectives et démocratiques sur les services qu’il faut mettre en place.
Ces services publics sont une condition primordiale de l’exercice de la citoyenneté, donc de la vie démocratique. Il faut, dès lors, non uniquement les défendre, mais les étendre. Ce qui implique de lutter contre les privatisations et de faire retourner sous le contrôle public l’ensemble des domaines d’activités qui correspondent aux besoins les plus vitaux des populations : l’école, la santé, l’énergie, l’eau, les transports en commun, les équipements collectifs, les moyens de communication….

Pour répondre à une aspiration montante, la démocratisation de ce secteur de l’économie passerait par un pouvoir de décision octroyé aux salariés, l’élection par ces derniers des directions d’entreprises, une représentation des usagers dans les organes de gestion. Il s’agit de donner à la société les moyens de contrôler et d’orienter son développement.