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La prise de position de l’UFP au sujet de la crise de Khanesatake

Une rupture avec l’internationalisme et l’anti-impérialisme

dimanche 1er février 2004, par Marc Bonhomme

Certes, la prise de position du gouvernement Charest a été une pure affaire de " realpolitik " c’est-à-dire pactiser avec le plus fort et à son profit en dehors de toute politique d’alliance. Cela doit être condamné et l’est à juste titre par le communiqué de presse de l’UFP. Pour le reste, la prise de position de l’UFP demeure prisonnière de " ... l’état de droit et [de] la légitimité démocratique... " ce qui l’amène logiquement à parler " ... des éléments criminels... ". Invoquer l’état de droit, soit dit en passant, aurait dû amené à dénoncer le lâche silence fédéral durant le plus fort de la crise, étant donné sa responsabilité constitutionnelle par rapport aux nations aborigènes.

De quel état de droit s’agit-il ? Du droit produit par un État capitaliste dirigeant une société capitaliste par l’intermédiaire de partis politiques acquis au capitalisme y compris les partis socio-libéraux à la PQ ou à la NPD. Ce droit est donc un " droit bourgeois " qui reconnaît certes les droits individuels, en autant cependant qu’ils soient soumis au plus important de tous, le droit à la propriété privée, mais non les droits sociaux, à moins qu’ils soient imposés par un rapport de forces social. Le droit bourgeois ne reconnaît donc pas le droit à l’autodétermination nationale jusqu’à et y compris l’indépendance.

Cette non-reconnaissance est le fait de la Constitution canadienne y compris de sa Charte des droits d’où la légalité de la " loi de la clarté " qui nie au Québec son droit à l’autodétermination. Cette non-reconnaissance est aussi le fait de la Charte québécoise d’où la contradiction de reconnaître les nations aborigènes mais sur la base de l’intégrité des frontières de la province canadienne du Québec, ce qui nie cette reconnaissance.

Juger de la crise de Khanesatake sur cette base conduit nécessairement à un diagnostic et à une proposition qui justifie et perpétue la domination de l’État canado-québécois. On ne peut pas s’en tirer en invoquant la " légitimité démocratique " pour atténuer. Cette notion purement subjective n’acquiert un sens concret que si elle subvertit " l’état de droit " c’est-à-dire le droit bourgeois réellement existant. C’est ce que fait d’ailleurs la plate-forme de l’UFP en son paragraphe 12 : " Que le Québec reconnaisse le droit à l’autodétermination des Premières Nations jusqu’à, et y compris, leur indépendance... ".

Vis-à-vis l’état de droit fédéral, que reconnaît le gouvernement québécois, même sous gouverne péquiste, " ... James Gabriel est le représentant légal... " de la communauté Kanienke’haka de Khanesatake. Mais qu’en est-il vis-à-vis cette communauté ? Car c’est à elle et à elle seule de déterminer ce qui est légal et légitime en son sein. Or du fait de la domination " blanche " canado-québécoise - domination impérialiste pour appeler un chat un chat - cette communauté n’est nullement en mesure de le faire sauf à " s’élire " un conseil de bande dans le cadre de la fédérale Loi des Indiens, une loi odieusement paternaliste s’il en est une.

Quant au " ... modèle de démocratie qui cherche à réconcilier les traditions Mohawks avec les valeurs de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ", la nation québécoise n’a rien à imposer à la nation Kanienke’haka, surtout pas cette Charte relevant du droit bourgeois qui ne leur reconnaît même pas leur propre droit à l’autodétermination. Cette suggestion est particulièrement cynique. Pourquoi d’ailleurs utiliser le patronyme " Mohawk " qui est celui donné par le colonisateur britannique - les Français disaient " Agniers " - même si l’institution fédérale-colonisatrice qu’est le Conseil de bande l’utilise ?

Quant à dire que " [c]ette problématique est bien plus vaste qu’une question légale, judiciaire, politique ou de juridiction policière, elle est aussi culturelle... ", on en reste pantois. Cette problématique relève d’abord et avant tout de la question nationale. Pour être plus précis, c’est une question d’oppression nationale. Pour être encore plus précis, c’est une question de conquête coloniale faite à l’ère du capitalisme marchand qui se perpétue à l’ère du capitalisme néolibéral. C’est donc une question anti-impérialiste.

Un parti antinéolibéral et indépendantiste devrait être le premier à se tenir sur ce terrain et non se laisser piéger par " l’état de droit ". Le prolétariat et/ou la nation québécoise devraient-ils reconnaître la légalité fédérale y compris l’ALÉNA et la " loi de la clarté " ? Devrait-on, par principe, s’abstenir de toute action illégale ? Pourquoi servir à la nation Kanienke’haka les mêmes plats que nous servent les capitalistes et les fédéralistes ?

En désespoir de cause, faut-il invoquer le nationalisme mafieux, qui pour l’instant semble dominant dans la communauté de Khanesatake, pour se justifier ? Une grande partie de la gauche canadienne-anglaise, même de la gauche radicale, refuse d’appuyer la lutte du peuple québécois pour l’indépendance parce qu’elle est dirigée par le PQ, un parti qui a été et qui reste un des fers de lance du libre-échange et des politiques néolibérales sans compter ses prises de position ultra-chauvines lors de la crise d’Oka et de la controverse de Grande-Baleine. Cette gauche anglophone cache ainsi hypocritement son chauvinisme en confondant lutte contre l’oppression nationale et direction de cette lutte. On pourrait d’ailleurs évoquer la même logique à propos de la lutte du peuple palestinien.

La position de l’UFP relèverait-elle du même moule ? Faut-il rappeler que " Mohawk Inc. " est à la nation Kanienke’haka ce que " Québec Inc. " est à la nation québécoise, chacun s’insérant dans la globalisation néolibérale selon ces possibilités financières, industrielles et commerciales ? Faut-il rappeler que le capitalisme mafieux, c’est-à-dire illégal selon le droit bourgeois comme l’est par exemple le commerce de la marijuana - que l’UFP veut à juste titre rendre légal - et des cigarettes tout comme celui des, partiellement, des armes - que plusieurs souhaitent rendre complètement illégal - et des jeunes femmes, est une composante importante du capitalisme néolibéral ? Faut-il rappeler qu’il y a plein de passerelles entre le capitalisme illégal et celui légal comme la connivence des monopoles du tabac et celle des banques ?

Le déclencheur de la crise est cette opération policière décidée par la majorité du Conseil de bande et financée en secret par le gouvernement fédéral, à l’insu donc du gouvernement québécois. Même si la mèche n’avait pas été vendue, cette opération aurait provoquée une crise car ce capitalisme mafieux, tout inégal et corrupteur soit-il comme n’importe quel capitalisme néolibéral légal, est presque le seul secteur néolibéral accessible pour le développement économique de la nation Kanienke’haka dans le cadre de la mondialisation marchande et guerrière.

Est-ce à dire qu’il faille accepter cette fatalité ? Bien sûr que non. Pas plus que l’UFP n’accepte " Québec Inc. " Mais c’est là une autre histoire et la manière de le résoudre ne passe pas par l’imposition de " l’état de droit " de la société " blanche ". Il faut d’abord dire non à toute ingérence, surtout à l’emploi de la force. Même une opération menée exclusivement par des policiers aborigènes est une ingérence car ce corps policier est complètement encadrée par la GRC et la SQ et que toute opération d’envergure doit nécessairement recourir à leur logistique. C’est là l’équivalent d’une armée indigène coloniale ou d’un corps policier financé, formé et encadré par le colonisateur comme par exemple en Iraq.

Demander " ... une enquête publique sous contrôle du gouvernement légitime de la communauté... " relève de l’erreur d’analyse et de l’ingérence. Accepterions-nous que le NPD fédéral exige, par exemple, une enquête publique sur, disons, le généreux programme de subventions aux entreprises mises sur pied par le PQ ? Il faut vivre avec " Mohawk Inc. " tout comme nous sommes bien obligés de vivre avec " Québec Inc. " malgré tous les inconvénients et les souffrances que nous causent l’un et l’autre. Quant à demander la démission du ministre Chagnon, cette requête n’est pas à la hauteur d’un parti de gauche qui ne veut pas ravaler des causes sociales à une affaire de personnalité. Laissons cela aux partis bourgeois.

Que faire alors ? Il n’y a pas d’expédient ni de raccourci qui ne soit pas de l’interventionnisme. Il faut au moins reprendre le patient travail d’information, de liaison et de mobilisation de l’ancien Regroupement de solidarité avec les Autochtones formé après la crise d’Oka en 1990. Pourquoi l’UFP, " seul ou avec d’autres ", n’organiserait-elle pas des rencontres ou assemblées publiques avec des porte-parole de différents courants nationalistes - ou de gauche s’il y en a - de la nation Kanienke’haka ?

Il ne suffit pas de maintenir des rapports avec l’Assemblée des Premières nations, très liée à la structure fédéraliste des Conseils de bande. Cette Assemblée est aux nations aborigènes ce que sont les hautes directions syndicales sont au prolétariat. Que ce soit avec l’Assemblée ou avec les divers courants nationalistes aborigènes, des rapports sont nécessaires mais tout en maintenant une attitude critique. C’était là, peut-être, le point faible de l’ancien Regroupement de solidarité qui se complaisait dans une attitude quelque peu " wannabee ", ce qui lui enlevait de la crédibilité au sein de la mouvance sociale.

Faut-il aussi souligner que tout échange et dialogue entre organisations sociales de nos nations ne peut que contribuer à abaisser le très haut mur des méfiances réciproques. Qui sait, un jour prochain y aura-t-il la dynamique et la confiance nécessaires pour en arriver à un processus de table ronde sur la base de la reconnaissance des droits territoriaux, de l’autonomie gouvernementale et de la réparation des immenses torts historiques dus à des siècles de colonialisme ?

Après tout, nos gouvernements négocient bien avec les nations innu, cree et inuit. Mais il est vrai que ces négociations par en haut se font sur la base de l’accès aux précieuses ressources naturelles qui se retrouvent sur leurs territoires historiques et que n’ont pas les nations aborigènes du Sud parquées sur des réserves exsangues et souvent polluées. Il n’est pas certain que les " paix des braves " négociées entre élites ne soient pas conclues aux dépens des peuples tant québécois qu’aborigènes et pour le plus grand bénéfice des " pommes ", rouge en dehors et blanc au dedans, et des " citrons ", plein d’amères promesses démagogiques.

Il faut se rendre compte que la question nationale aborigène est la question test de la gauche québécoise tout comme la question nationale québécoise l’est pour la gauche canadienne anglaise. La libération nationale et sociale du Québec, notre objectif stratégique, ne se fera pas sans une alliance avec les nations aborigènes ni une forte mobilisation du prolétariat canadien anglais en appui à notre propre mobilisation. Il faut pour cela une position internationaliste et anti-impérialiste cristalline à propos de la question aborigène tout comme le prolétariat québécois exige, et n’obtient pas jusqu’ici, un appui clair à sa lutte pour l’indépendance pour se lier organiquement avec le prolétariat canadien anglais dans une lutte commune contre les politiques néolibérales de Bay Street et de l’État fédéral.

lundi 26 janvier 2004,

par Marc Bonhomme