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Une entrevue avec Omar Aktouf

VENT DE CENSURE À HEC

Par Mathieu Bouchard

dimanche 23 janvier 2005

L’article "Vent de censure à HEC - Une entrevue avec Omar Aktouf" a été publié dans "L’Intérêt", journal étudiant de l’École des hautes études commerciales, Montréal, au cours de la semaine du 15 janvier 2004.

Omar Aktouf est certes un personnage coloré. Controversé même. Professeur titulaire au département de Management des HEC, conférencier populaire au charisme certain, homme politique, penseur et écrivain, Aktouf questionne, confronte, dénonce ; il pourfend la pensée dominante. Prenant le parti du peuple, il se fait rassembleur et pointe d’un doigt accusateur les abus des puissants. Il rallie, il choque, soulève de son ton incisif les affres de ses détracteurs et l’ardeur de ses disciples. On le dit homme de gauche, humaniste, dénonciateur, altermondialiste. On le dit aussi polémiste, venimeux, démagogue verbeux. On l’adore, l’abhorre, on l’acclame et le fustige. C’est selon. Aktouf suscite les réactions les plus diverses. Chose certaine, il dérange.

C’est en novembre 2004 qu’Omar Aktouf redonnait à l’Université de Montréal sa conférence intitulée " Voyage à travers le drame palestinien, de Laurence d’Arabie à la guerre des Bush ". Présentée en collaboration avec son collègue Rabkin Yakov (professeur d’histoire à l’UdM, juif d’allégeance antisioniste) et suivie d’une période d’interventions, cette allocution s’inscrivait dans une suite donnée par les Belles Soirées à une première présentation livrée dans le cadre de la ‘semaine de solidarité avec la Palestine’ organisée par des étudiants de cet établissement quelques mois auparavant. Suite au succès de ce que Omar Aktouf y présentait (notamment sur les échecs de la mondialisation néolibérale) cette conférence fut donc programmée pour trois présentations supplémentaires aux Belles Soirées de l’UdM, en début 2004, après avoir été présentée à McGill fin Avril 2004 (et bientôt à l’UQAM). Ces conférences provoquèrent de chauds débats, chaque fois devant des salles pleines. Le tout se déroula dans un climat de calme et de respect propres au milieu universitaire.

L’association étudiante HumaniTERRE, de HEC Montréal, avait fait les démarches afin que nous ayons nous aussi cette conférence. L’auditorium IBM était réservé pour le 14 avril 2004. Même titre, même format. Puis, in extremis, coup de théâtre. La direction de HEC annonce aux principaux intéressés que - dû à des circonstances hors de son contrôle - la conférence serait annulée. On se fait avares de précisions. Aktouf questionne : " L’École aurait-elle cédée à des pressions antidémocratiques ? Et moi qui ai toujours partout vanté l’ouverture, la démocratie hors pair, et l’esprit de liberté académique de notre école ! "

Puis, en septembre dernier, coup d’éclat. L’Association Cinéma Vidéo (ACV) présente la projection du film Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, avec en entrée de jeu une conférence introductive d’Omar Aktouf suivie d’un court débat. L’École semble prise au dépourvu. Selon Suzanne Gervais, directrice du service aux étudiants : " Lors de la présentation du film, il ne nous avait pas été mentionné qu’il y aurait un conférencier. Maintenant, lors de réservations de salles, nous vérifions quel genre d’activité seront présentées ". Il y aurait donc un comité de censure à HEC Montréal ? Pourquoi donc ne pas respecter le désir des étudiants d’aiguiser leur esprit critique ? Pourquoi leur limiter les sources d’information ? Ces questions restent ouvertes.

Afin de donner suite à la volonté manifeste des étudiants de prolonger le débat entamé en septembre, l’ACV organise la tenue d’une nouvelle conférence d’Aktouf, qui s’intitulerait "La réélection de Bush II : nouvel ordre mondial ou business as usual ?". La réservation de l’amphithéâtre lui est refusée. D’après Mme. Gervais : " L’École s’abstient toujours lorsqu’une position est présentée aux étudiants et préconise plutôt l’animation de débats dans le but d’offrir plusieurs points de vue ". C’est donc ça, on vise l’objectivité ! Ce mythe qui - un peu comme le monstre du Loch Ness - fait beaucoup parler mais que personne n’a encore jamais vu. Pourtant, il est on ne peut plus clair que toute communication est forcément subjective ; tant dans le choix du sujet abordé que dans le traitement de l’argumentaire, des faits exposés et dans la conclusion proposée. D’ailleurs, a-t-on idée d’une conférence où aucune position ne serait présentée ?

Sébastien Bohérout, membre de l’ACV chargé de l’organisation de l’événement boycotté, réagit : " Je trouve ça aberrant qu’une école de gestion empêche les étudiants d’apprendre à penser par eux-mêmes et d’exercer leur jugement critique ". De son côté, Aktouf s’insurge : " C’est une façon d’infantiliser les étudiants qui ne seraient donc pas capables de jugement propre, ce seraient des petits naîfs aux cerveaux manipulables ? Et puis qui a le droit de décider ce qui doit être dit, présenté, discuté ? " À en juger par le protectionnisme idéologique dont fait preuve notre université, la définition d’un bon gestionnaire serait donc celle d’un technocrate capable de calculer des ratios, d’appliquer des modèles théoriques et des recettes à succès.. Dans certains cas spécifiques, cet individu serait même doté de la faculté de juger par lui-même, de discerner parmi les faits qu’on lui présente. Eu égard au paternalisme informationnel de l’École, cela ne semble toutefois pas être un aspect qu’on cherche à développer chez les étudiants.

Malgré tout, une lueur d’espoir. Tout dernièrement, en réponse aux démarches entamées par Sébastien Bohérout suite au refus essuyé pour la réservation de l’amphithéâtre, Mme Gervais semble introduire des nuances. Elle adresse à Sébastien le message suivant : " Pourrais-tu venir me rencontrer afin que nous puissions discuter des possibilités de présentation ? J’en ai discuté avec M. Lesage et j’aimerais ouvrir plus largement la politique de l’École et voir si cela pourrait convenir".

Dans le cas de Jeff Fillion, on peut comprendre la réticence du CRTC à donner une tribune à un énergumène qui fait de l’insulte et du dénigrement sans fondement son gagne-pain. Toutefois, on doit faire la différence entre " liberté d’expression " et " droit à la diffamation ". Qu’on soit d’accord ou non avec ses positions, Omar Aktouf est un penseur sérieux qui propose une lecture de l’actualité basée sur des faits concrets, appuyant ses dires sur des recherches d’auteurs reconnus et sur une démarche intellectuelle des plus solides. Nombreux sont ceux qui veulent l’entendre et il a le droit fondamental de s’exprimer. À nous par la suite de forger notre opinion personnelle, de débattre de ses conférences, de confronter ses dires avec ceux d’autres individus qui proposent des lectures différentes. Le gris est fait de blanc et de noir. À nous d’exercer notre jugement critique. Une chose est certaine, notre université devra rectifier le tir si elle désire continuer à incarner " l’ouverture, la démocratie hors pair, et l’esprit de liberté académique " qu’évoque M. Aktouf.