Accueil > Nos dossiers > Contre la mondialisation capitaliste > UNE MONDIALISATION AUTRE QUI APPELLE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE

UNE MONDIALISATION AUTRE QUI APPELLE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE

Par Paul Bélanger

février 2002

Ce qui se passe dans le monde, c’est que de plus en plus de décisions lourdes de conséquences sont prises globalement dans des espaces où les populations sont absentes. Ces nouveaux lieux de pouvoir mettent en place des scénarios, sans que la parole des hommes et des femmes, qui en vivront toutes les implications, soit entendue, sans que leur créativité soit reconnue. Alors que les rapports sociaux deviennent partout dominés par le marché, la mondialisation de ce marché le soustrait aux jeux démocratiques que les sociétés nationales tentent depuis deux siècles de mettre en place. Cette mondialisation tronquée est devenue, au tournant de ce siècle, un enjeu majeur.

Mais, heureusement, ce qui se passe aussi dans le monde actuel, c’est précisément que les populations commencent à communiquer entre elles et à prendre la parole. Depuis Seattle jusqu’à Gènes en passant par Québec et Porto Alegre, une résistance de plus en plus active se manifeste et, plus lentement mais plus important encore, des projets alternatifs sont en voie d’émerger.

Les deux tendances, l’organisation d’une globalisation arbitraire de l’économie et la montée d’un dialogue inter-continental entre les populations, soulèvent l’urgence de l’exercice par toutes les femmes et les hommes du droit d’apprendre, de questionner et de créer tout au long de leur vie, interpellent donc le monde de l’éducation et commandent pour les mouvements éducatifs que nous sommes à construire de nouvelles formes et objectifs d’action.

Si la conjoncture actuelle présente un danger sérieux pour l’humanité, elle offre aussi la chance d’un tournant historique.

La mondialisation des marchés

Regardons de plus près la mondialisation de nos économies. La compétition mondiale frénétique et l’appropriation des nouvelles technologies pour accroître la compétitivité ont transformé tant les économies nationales que la façon dont nous produisons et communiquons dans les entreprises et hors du travail. Pour faire face à leurs concurrents, les entreprises cherchent des façons d’augmenter leur productivité. Alors que, dans certains pays, les corporations ferment brutalement des usines et licencient les gens de façon désinvolte, ailleurs, où la main d’œuvre est moins chère et en voie d’organisation, ils ouvrent de nouvelles usines ; partout les corporations fusionnent et "rationalisent", ils quittent les scènes locales pour mieux y exercer leur pouvoir à distance, une distance si grande, une virtualité si fuyante, qu’elles sont parvenues, cachées dans leur bulle globale, à se mettre hors de portée des populations qui pourtant les subissent plus que jamais auparavant.

On assiste à une nouvelle vague de concentration mondiale des capitaux et des centres de décisions économiques. Les décisions qui nous concernent se prennent de plus en plus en dehors des espaces où opèrent les mécanismes de veille et de régulation des marchés nationaux., en dehors des parlements où la voix des populations peut se faire entendre, en dehors de la démocratie industrielle que le syndicalisme avait acquis sur plusieurs scènes nationales. Cette tendance mondiale soulève au plan national des vents puissants de privatisation en santé et en éducation, des vents qu’une partie de l’hémisphère sud avait bien connus via les " programmes d’ajustement structurel ", mais qui maintenant sont devenus des courants qui balaient tous les continents. Le fossé entre riches et pauvres se creuse dans chaque pays et entre eux. Selon les rapports sur le développement des diverses agences des Nations Unies, cet écart s’est accru de plus de 200% entre 1960 et 1990. Des évènements récents nous ont montré que, lorsqu’il y a une volonté d’agir, des actions peuvent être posées rapidement.

Derrière les gagnants de la mondialisation, il y a tous les autres embarqués dans la mondialisation, mais d’une autre manière. Par des décisions prises dans l’ombre, tant de personnes ont été rendues inactives. Ce turbo-libéralisme, avec sa compétition frénétique, crée des risques écologiques, produit finalement des désastres qu’il ne peut ni contrôler, ni réparer. Il crée un autre risque, tout aussi grave, mais invisible à court terme : la menace de priver le monde de demain du plein exercice de la capacité d’initiative des individus et des groupes, en refusant aujourd’hui d’investir dans l’éducation de tous tout au long de leur vie. J’entend par là le danger de priver demain la société de sa principale ressource, l’autonomie d’action de ses membres, Or, sans ce renforcement continu et généralisé de la capacité d’agir, sans cette liberté accrue d’action des hommes et des femmes, sans cette autonomisation des individus, sans le droit d’apprendre qui assure la libération des forces créatrices, le développement continue d’être bloqué, les croissances demeurent éphémères et atrophiées… et leurs fruits mal répartis.

Faute de résistance et d’exploration de voies différentes, les tendances conséquentes à la déréglementation et la privatisation, au court-termisme et au rétrécissement de l’égalité des chances culturelles et éducatives deviendront de plus en plus prépondérantes. La menace d’imposer un modèle social et économique unique est réelle. Il y a aussi la mondialisation des risques écologiques. Mais il y a également la mondialisation du risque de refuser aux enfants du monde les moyens de se former et de le faire dans leur culture, de refuser aux adultes de poursuivre leur développement, de refuser de miser sur la seule ressource d’un développement durable et pluriel, l’intelligence et la créativité des enfants et des adultes !

La mondialisation actuelle produit un risque aux conséquences tragiques, soit celles de mettre en cause la capacité de la société mondiale de survivre en bloquant l’intelligence collective.

Une alternative s’appuyant sur l’intelligence collective

Heureusement, à cette tendance forte, répondent une résistance active et la montée d’initiatives alternatives. La tendance majeure, dans la mondialisation de la vie culturelle et éducative, est la prépondérance de la logique de marché dans le développement de ce que ces gérants de l’économie mondialisée appellent déjà l’"industrie " de la culture et de l’éducation. Mais elle crée aussi des ambiguïtés et des espaces nouveaux, les acteurs qui y oeuvrent sont divers et diversement organisés. Ce serait une erreur de voir de façon unidimensionnelle la tendance à la mondialisation et le nouveau contexte culturel qu’elle crée. Parce qu’on refuse d’y voir un déterminisme implacable, l’action locale doit être complétée par des actions globales. Agir autrement renforcerait la mondialisation affairiste, aussi agressive que silencieuse.

Au plan mondial de la culture et de l’éducation, on le voit bien à Porto Alegre, il y a plus que des formes d’impérialismes culturels. La réalité de la mondialisation est complexe. Il y a un océan entre l’imposition mondiale par certains acteurs de leurs projets et la prétention universelle de leurs visions arbitraires, d’un côté, et, de l’autre, la montée certes difficile mais continue de visions communes, d’adhésion universelle à des chartres de droits et à des plans d’actions. Le rejet du projet néolibéral de mondialisation ne doit pas entraîner, dans des ripostes simplistes, le renoncement à d’actions collectives communes pour l’application partout de la déclaration universelle des droits humains, ou encore pour la difficile consolidation d’une légitimité internationale des initiatives onusiennes. La voix directe des populations du monde, via les mouvements non-gouvernementaux est devenue nécessaire pour briser le refus entêté des grands pouvoirs d’adopter les accords internationaux sur l’environnement, l’éducation et la santé, leur refus de régler dans le cadre décisionnel des Nations Unies les conflits régionaux et le terrorisme. S’il faut changer le modèle néo-libéral d’échanges économiques, en bloquant son expansion arbitraire, il faut, bien sur, aussi réformer les Nations Unis, mais ici au contraire pour en renforcer la légitimité et l’universalité, et élargir, de façon extraparlementaire, ses modèles de décision et d’action.

Considérons les nouvelles technologies. Bien sûr, leur développement actuel, au plan mondial, tend à répondre aux forces dominantes du marché et créer des asymétries perverses et des monopoles de pensée, mais la facilité et la rapidité des communications montrent également que ces nouvelles technologies peuvent aussi, comme l’affirme le sociologue Castels, favoriser la pluralité culturelle, la création et l’enchevêtrement de réseaux décentralisés et autonomes et constituer un potentiel démocratique insoupçonné. Et des acteurs sont là qui tentent de le faire.

Parlant ainsi, nous nous ne nous éloignons pas de notre sujet : l’éducation, et l’éducation tout au long de la vie. Au contraire. Cette réplique nécessaire et nécessairement participative et diffuse sur tous les continents, cette nécessité de la parole active des femmes et des hommes dans tous les champs d’action appelle plus que jamais le plein exercice de la créativité des communautés, du droit d’apprendre tout au long de la vie. Et cette apprentissage tout au long de la vie, ce renforcement continu de la capacité d’initiatives des femmes et des hommes, au travail comme dans la communauté, ne pourra se faire , que si c les citoyennes et citoyens du monde ont, au départ de leur vie, une formation initiale longue et polyvalente. Ces apprentis -sorciers voulant transformer l’éducation en simple marché compétitif mettent en concurrence la formation des jeunes et celle des adultes, comme deux dépenses en compétition, ne veulent reconnaître ni le développement cumulatif de l’intelligence collective, ni le processus cumulatif des biographies éducatives. Le premier facteur de participation à l’éducation des adultes et d’une citoyenneté active est une éducation initiale prolongée pour tous.

Une occasion historique

Nous sommes en présence d’un moment aussi dangereux que prometteur. Évidemment cela requiert la recherche active d’un nouvel ordre international du commerce, des communications et de l’éducation, un ordre fondé non sur les rapports bruts des forces économiques ou militaires, mais sur un rééquilibrage et une régulation de ces rapports en fonction d’un ordre de droits et de valeurs démocratiques qui doivent aussi traverser les frontières et être mondialisés.

Aussi, à la globalisation du commerce, des capitaux, des finances et du travail, aux tendances conséquentes dans les autres secteurs d’activité, doivent répondre une internationalisation des contre-poids que constituent les chartes sociales, la vie associative, le syndicalisme et le coopératisme, mais aussi une globalisation de la démocratie et des mécanismes et institutions de la société civile.

Cela n’est pas une utopie illusoire. Certes les Nations Unies sont encore ébranlées et affaiblies par la fin de relations internationales bipolaires qui en faisaient alors un forum essentiel. Certes un pays tente présentement d’hégémoniser l’ONU et ses organisations ou, faute d’y parvenir, de les éviter. Toutefois, suffisamment de pas ont été franchis au plan international pour rendre cette autre mondialisation possible. Cela prendra du temps et ne pourra se faire qu’à travers la réalisation de mille innovations amorcées localement, à travers mille dialogues inter-culturels et mille solidarités concrètes Nord-sud et est-ouest, à travers des opérations systématiques de veille de la part d’organisations non gouvernementales internationales et à travers l’appui concret d’un nombre, au départ limité, de gouvernements des deux hémisphères. Il en est des Nations Unies comme de nos sociétés nationales et des ensembles régionaux en voie de formation. La dynamique de transformation par la voie démocratique, s’appuie sur la démocratie parlementaire et la reconnaissance des droits et libertés, mais ne peut s’arrêter là, l’apport de la participation directe et continue de la société civile est nécessaire pour démocratiser nos " démocraties ".

Si nous sommes en présence d’un moment aussi prometteur que dangereux, c’est que des tendances nouvelles convergent pour faire appel à la capacité d’initiatives des membres de la société civile, devant l’incapacité de gouverner par la seule démocratie représentative. De même, au plan mondial, l’adoption des chartes et des Déclarations, de Rio à Hambourg, ainsi que la création des Nations Unies où les souverainetés nationales, par leurs représentants, ont tous droit de vote, constitue un pas majeur d’une société mondiale solidaire. Et il faut protéger et renforcer ces acquis. Mais, notre expérience des derniers dix années le montrent : cela ne saurait suffire.

L’adoption des chartes est un acquis qu’il nous faut publier sur tous les murs d’écoles, les panneaux municipaux et les musées. Mais sans la vigilance de mouvement non-gouvernementaux, les exactions se poursuivent et se poursuivront. L’adoption en consensus de tous les États-membre de la famille des Nations Unies des plans d’action de Jomtien, de Beijing et de Rio sont des acquis majeurs. Mais les résultats ne dépasseront la promesse des textes que si des mouvements, liant étroitement l’action locale et l’action internationale, veillent et surveillent, réfléchissent et agissent, pour éviter, selon l’expression de la Campagne mondiale pour l’éducation à Dakar en 2000, "la valse des promesses creuses ". Les expériences difficiles de bilan après cinq et dix ans de ces sommets mondiaux, " Jomtien après 10 ", "Rio après 5 ", " Beijing après 5 " et de "Copenhague après 5", montrent bien que les plans d’action adoptées par les Nations Unies ne seront pas mis en application par les gouvernements et les acteurs économiques sans une action autonome de vigilance des réseaux mondiaux non-gouvernementaux.

Les Déclarations et plans d’action adoptés à Jomtien, Rio, au Caire, à Copenhague, à Beijing, Hambourg et Istanbul ne passeront des promesses aux actes que si la parole des femmes et des hommes s’impose par sa légitimité propre et que la vigilance constante de leurs mouvements permette, par sa pertinence pour la majorité du monde, de rappeler à l’UNESCO comme à l’OMS et la FAO et aux gouvernements nationaux, les implications réelles sur le terrain et les alternatives possibles. La participation et la vigilance active autonome des mouvements sociaux, syndicaux , féminins, écologiques, culturels et communautaires est devenu un élément essentiel d’un nouvel ordre international. La création et la consolidation d’espaces propres où les alternatives et contre-projets peuvent se formuler et s’expérimenter, tout comme le renforcement de réseaux parallèles de dialogue, sont devenus une condition nécessaire pour permettre à la communauté mondiale et à la famille des Nations Unies, créée il y a cinquante ans, de relever les nouveaux défis.

Instruit de l’expérience du mouvement mondial des femmes au cours des dix dernières années, le mouvement d’éducation des adultes, le Conseil International de l’éducation des adultes, a aussi décider de modifier en conséquence ses approches. Lors de sa dernière Assemblée mondiale à Ocho Rios, en Jamaïque en août dernier, nous avons décidé d’analyser et d’agir autrement.

D’abord, analyser autrement. Premièrement, faire un bilan critique de l’action internationale et reconnaître la double nécessité d’une action autonome de vigilance et d’une participation institutionnelle efficace : d’une part, ne plus être à la remorque de l’agenda des institutions mondiales et créer nos propres mécanismes de veille, afin précisément d’y avoir une voix qui traduit et rappelle les aspirations et frustrations du terrain et, d’autre part, exiger, comme pour les syndicats au BIT, une place réelle dans les mécanismes de délibération.

Analyser aussi autrement le champs de l’éducation, prenant en compte tant les blocages qu’entraînent les sous-investissements et la privatisation, que les ambiguïtés des nouvelles demandes éducatives et les possibilités d’action collective qu’elles entrouvrent.

Sur chaque continent, on voit les budgets éducatifs publics stagner, sinon baisser, et on assiste à une montée d’un marché privé de la formation, privilégiant, par ses mécanismes mêmes, les milieux nantis et reproduisant les avantages d’une génération à l’autre et tout au long des vies. Mais nous entendons aussi, sur tous les continents un nouveau discours utilisant les mêmes mots clefs : compétitivité, investissement dans les ressources humaines, politiques active du marché du travail, nécessité d’une formation de base commune, exigence d’une formation continuée tout au long de la vie. Nous entrons dans une conjoncture où une nouvelle phase de libération des forces productives est requise. Plus simplement dit, nous entrons dans une phase où la participation autonome de tous les acteurs, à tous les niveaux, est de plus en plus sollicitée. En santé, par exemple, il ne peut y avoir de scénario possible sans une participation de plus en plus active des communautés. Il en est de même au travail. Ce n’est pas pour rien que la moitié des recommandations des sommets de la décennie " 90 ", Rio, Beijing et les autres, portait sur l’éducation, l’information et la communication communautaire dans ces divers secteurs. La communication alternative, directe et virtuelle, l’éducation populaire, la diffusion de la capacité d’initiative, le développement continu, tout au long des vies, des compétences, tout comme la généralisation de la formation initiale polyvalente qui rend tout cela possible, sont devenus des éléments-clé de tous les scénarios alternatifs dans tous les champs d’action.

C’est dans ce contexte nouveau, prenant appui sur ces exigences d’autonomie d’action, c. à d. de citoyenneté active dans la communauté et d’accroissement continu des compétences dans l’économie, que nos actions nouvelles de promotion du droit d’apprendre peuvent avoir plus d’impact. Bien sûr, nous le constatons , cela ne renverse pas les courants dominants, laissant toujours un nombre encore bien plus grand d’enfants et d’adultes à eux-même pour faire face aux bouleversements économiques et apprendre par eux-même à survivre, pour maîtriser par eux-même une deuxième ou troisième langue, pour apprendre à participer dans un environnement urbain complexe, pour se débrouiller dans un quotidien de plus en plus informatisé. Et cet appel à la créativité des individus et des groupes, à une plus grande diffusion des capacités d’initiatives est renforcé par la mondialisation ; il se manifeste aujourd’hui au travail, il est en voie de se faire entendre également dans les champs de la santé et de l’environnement, dans l’action contre le racisme, dans la gestion des communautés locales, etc.

La mondialisation des rapports, ses effets négatifs et positifs, et les contradictions qu’elle comporte, viennent révéler des tendances, des menaces et des possibilités déjà présentes au plan national. Ce nouveau contexte peut fort bien apporter le surplus de prise de conscience que les sociétés actuelles ont besoin pour précisément transformer ces rapports.

Il me faut rappeler que seul un petit 4% de la richesse des deux cent vingt cinq plus grandes fortunes du monde réunirait les 13 milliards de dollars américains nécessaires à assurer l’éducation pour tous.

Analyser donc autrement, mais, ensuite agir autrement.

Agir autrement d’abord en reprenant l’initiative et publiant sur nos propres bases les résultats de nos propres opérations de surveillance de l’application des Déclaration et Plans d’action et de l’exercice réelle du droit d’apprendre, afin, ici, de souligner les avances et en faire des forces de démonstration, et dénoncer là le refus à l’éducation, l’étouffement des aspirations éducatives, le détournement des budgets, les systèmes d’éducation à deux étages par la voie d’une privatisation galopante financé directement et indirectement par les fonds publics. Nous exigerons, en outre, que les bureaux et institutions de statistiques des Nations Unies prennent en compte les rapports hommes-femmes, mais aussi tant la formation initiale que celle des adultes, et surtout rendent leurs banques de données accessibles aux organisations non-gouvernementales.

Agir autrement, en produisant, en 2003, tel que nous le ferons au CIEA, un rapport parallèle sur la situation dans le monde du droit d’apprendre tout au long de la vie, sur la mise-en application des recommandations de Hambourg, et des recommandations de Rio, Beijing et Copenhague portant sur l’éducation et la participation des populations.

Agir également en initiant, appuyant et reliant au plan international des initiatives nouvelles de promotion du droit d’apprendre : initiatives générales, tout autant que particulière, comme les droits éducatifs des détenus.

Agir autrement, en sortant les actions collectives sur l’éducation de leur isolement et faisant jonction sur le front santé, avec les initiatives de promotion de la santé et de santé publique, sur le front travail, avec les actions syndicales liant de plus en plus le droit au travail et la droit à la formation continue, sur le front environnement, liant la prévention à l’éducation populaire, avec les actions des mouvements des personnes âgées pour rejeter ensemble les scénarios malthusiens d’asphyxie de ce nouvel âge si nécessaire à l’activation de la société civile, etc.

Agir autrement, en soutenant, dans nos propres réseaux et dans notre environnement immédiat, les initiatives qui renforcent la prise de position populaire et démocratique à contribuer à l’émergence d’un modèle créatif et démocratique de gouvernance.

Nous croyons essentiels de renforcer les capacités des associations à promouvoir l’éducation tout au long de la vie, de sorte que les individus et les communautés puissent actualiser leur potentiel.

Conclusion

Le danger du diktat de marché global est réel. Néanmoins, je suis optimiste précisément parce que je suis incertain de l’avenir, parce que les scénarios ne sont pas fixés. La croissance de l’écart économique entre les groupes sociaux devient insupportable et rend la passivité, engendrée par une certaine dérive des schémas de simples dénonciations, intolérable. L’homogénéisation des différences n’est pas le seul résultat culturel possible. La crainte des éventuels Tchernobyls, tout autant écologiques qu’éducatifs, fait agir.

L’option n’est pas de s’isoler de la communauté mondiale, de nier la dynamique ambiguë de communication et d’échanges internationaux, de rejeter les ententes internationales trop faibles ; elle est de refuser que ces échanges ne répondent qu’à ceux qui ont les capitaux pour y intervenir et imposer leurs intérêts. L’option est de comprendre les mécanismes de développement inégal du processus actuel de mondialisation et ses implications sur les scènes éducatives nationales et …d’agir collectivement aux plans local, national et international. S’il y a mondialisation du marché, il y a aussi internationalisation de la société civile.

Pour cela la citoyenneté active est nécessaire et, conséquemment, le développement et la mise en valeur de l’intelligence collective.

L’ambivalence crée un espace pour les projets alternatifs, pour le changement de politiques gouvernementales, pour l’action de la société civile. Le droit culturel au doute et au questionnement est plus qu’un droit. Il est devenu la condition nécessaire pour des communautés imaginatives et réflexives.

Bien sûr, cette orientation n’est pas garantie. Mais l’incertitude face à l’avenir nous pose à un carrefour extrêmement fascinant. Tout à coup l’éducation tout au long de la vie, pourvu qu’elle renforce l’autonomisation des individus, devient un projet tout aussi fascinant. L’élément central du débat est le renforcement des capacités d’agir des populations adultes. Cela est devenu une condition nécessaire et évidente dans une économie du savoir soumise à une compétition effrénée. La prise de conscience de sa nécessité dans les autres champs d’action, à moins d’une répression réductrice des aspirations éducatives, ne saurait tarder à se manifester. Elle répond à la volonté répandue des adultes de pouvoir explorer le potentiel de vie non encore vécue, au besoin d’espaces pour développer des relations nouvelles avec les autres, bref à une exigence de libération des forces créatrices latentes.

L’enjeu est d’ouvrir le projet éducatif. L’ouvrir d’abord dans l’espace et le temps, par une variation des moyens et une poursuite tout au long de la vie. Mais ouvrir aussi ce projet dans son objet même et en faire une force culturelle et sociale pour renforcer la capacité d’agir et d’interagir des individus et des groupes, et non pour les adapter à répétition aux postes et structures en place.

Il y a ici plus que des pratiques de rejet du discours unique, il y a plus que le refus d’un projet éducatif économiciste qui, d’ailleurs par son étroitesse, ne répond même plus aux exigences polyvalentes des nouvelles économies. Il y a d’abord une attention aux résistances diverses et un repérage des alternatives en émergence. Et puis il y a une lecture des possibles et la perspective d’hypothèses de transformation et d’actions collectives, un mouvement révélant à la fois le danger de la mondialisation en cours et le potentiel d’une mondialisation autre.

C’est ce que défend le Conseil international dont l’assemblée mondiale adoptait en août 2001 la Déclaration d’Ocho Rios où on peut lire :

Nous sommes venus à Ocho Rios de tous les coins du monde, portant le rêve d’une nouvelle communauté internationale basée sur la justice, la démocratie et le respect des différences. Toutefois, nous sommes partout témoins d’une globalisation économique qui accroît l’écart entre les riches et les pauvres, qui détériore l’environnement, (…)

Nous avons pris compte de la mobilisation d’un grand nombre de citoyens et citoyennes qui, de tous les coins du monde, à Porto Allegre, Goteberg, Québec, Gênes et ailleurs, ont exprimé leurs profondes préoccupations face aux orientations proposées par les acteurs financiers de cette globalisation. Tout à la fois, nous observons l’émergence de nouvelles formes de citoyenneté mondiale et l’importance d’activités à la base défiant la globalisation.

Nous sommes confrontés à un dilemme, d’un côté, entre les possibilités d’une société éducative vraiment démocratique et durable et, de l’autre, la passivité, la pauvreté, la vulnérabilité et le chaos que cette globalisation économique est en voie de créer partout.(…)

Dans ce contexte, le Conseil international de l’éducation des adultes, avec ses instances régionales, ses associations nationales et ses réseaux, entend soutenir les sans-voix pour que leur parole soit entendue (…) et prise en compte dans l’élaboration des politiques sur le plan mondial. "

Ce qui est en jeu c’est le développement et la mise en valeur de l’intelligence collective. L’intelligence, tel qu’on le croyait encore au vingtième siècle, n’est pas une ressource rare, un don élitiste, et encore moins une faculté qui perdrait son énergie tout au long de la vie, elle est une ressource universelle et, plus que jamais, universellement requise.

L’autre mondialisation, dans tous ses champs d’action, requiert la mise en place des conditions de diffusion et d’exercice de l’intelligence collective. Les actions collectives de promotion du droit d’apprendre et de créer tout au long de nos vies, ne constituent ni un front additionnel, ni un front à part. Le droit d’apprendre et de créer est à la fois la condition et un des buts de notre projet global d’une autre mondialisation.

Paul Bélanger

Président,

Conseil international de l’éducation des adultes,

Montréal, février 2002