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Climat

Températures en hausse, profits au beau fixe

dimanche 19 décembre 2004

Alors que le protocole de Kyoto doit entrer en vigueur en février prochain, les négociateurs se sont réunis à Buenos Aires jusqu’au 17 décembre. Négociations qui voient s’affronter intérêts contradictoires et marchandages sordides. Sacré décalage avec la gravité des problèmes à résoudre.

Depuis longtemps embourbé dans des négociations sans fin, le protocole de Kyoto, grâce à son adoption par la Russie, entrera sans doute en application en 2005. Il s’agit certes là d’une petite avancée, mais pour qui, pour quoi ? Le protocole enjoint les pays signataires, qui ne sont que des pays industrialisés mais comprennent l’Europe de l’Est, de réduire leurs émissions CO2 de 5,2 % au cours d’une première période 2008-2012. Cet engagement est modulé selon les pays : il est par exemple de 8 % pour l’Union européenne (UE). On peut penser que ce n’est pas la fibre écologiste de Poutine qui lui fait adopter le traité. Comment alors expliquer ce ralliement ? Par ailleurs, est-ce que les Etats-Unis peuvent rester indéfiniment isolés sur cette question ? Enfin, que reste-t-il du protocole après ces années de négociations ? Le protocole de Kyoto crée un marché des droits à polluer (voir encadré), à partir d’un calcul des émissions de CO2 dont l’année de référence est 1990. Or, cette année-là, l’économie à l’Est s’est effondrée, provoquant une réduction des émissions de CO2. Ces pays disposent donc potentiellement d’un fort surplus de droits d’émissions, d’où leur intérêt à ce qu’entre en vigueur le protocole de Kyoto. Mais le doute pèse sur la possibilité de vendre ces droits : soit le protocole s’applique sans les Etats-Unis, et la Russie ne peut alors envisager plus de 20 milliards de dollars de bénéfices. Soit les Etats-Unis participent au marché des droits à polluer, et ce sont 170 milliards qui peuvent entrer dans les caisses russes en cinq ans !1 En effet, les émissions étatsuniennes dépassant de 20 % les objectifs de Kyoto, elles correspondent à peu près à ce que la Russie peut fournir d’excédent de droit à polluer. Après cette signature de la Russie, qui va dans le sens de la volonté européenne, les Etats-Unis sont encore plus isolés. Si on constate une fuite en avant dans l’usage des énergies fossiles, notamment à cause de la place du lobby pétrolier dans l’administration Bush, il n’est pas certain que cela perdure. Déjà quelques États se coordonnent pour réduire les émissions de CO2 et développer des énergies renouvelables. Mais surtout, une course de vitesse est engagée quant au développement de ces énergies propres qui, à court terme, vont devenir des gisements de profits importants2. Quoique limitée, la consommation de ces énergies est de 6 % dans l’UE, 12 % étant prévus en 2010, contre 2 % aux Etats-Unis. Les dirigeants et les économistes libéraux les plus visionnaires, en particulier en Europe, voient à quel point l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto peut modifier les rapports de forces entre UE et USA en matière énergétique, les Européens acquérant plus rapidement que leurs concurrents un savoir faire en matière de gestion des énergies douces ; d’où le soutien de l’UE pour l’entrée de la Russie dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce qui fait dire à The Economist : " En embrassant Kyoto, l’UE pourrait simplement avoir donné à ses entreprises un avantage dans la course vers l’énergie propre. " Mais on voit mal comment une telle situation pourrait s’éterniser. Si les Etats-Unis ratent les premières étapes de l’accroissement de profits liés aux énergies propres, il est peu probable qu’ils ne veuillent pas se mêler des négociations sur le climat, y compris en intégrant Kyoto. C’est là que le calcul russe pourrait s’avérer fructueux. Et le climat dans tout ça ? Il faut bien voir que, derrière ces enjeux boutiquiers, qui engagent tout de même l’avenir du monde, les objectifs initiaux de Kyoto sont très modestes. Ils ne peuvent aboutir, s’ils sont entièrement respectés, qu’à une réduction de 0,1° C de l’augmentation de température d’ici cent ans. Mais les négociations depuis 1994, et celles qui vont se poursuivre, ont déjà vidé le protocole d’une bonne partie de son contenu. Si l’UE a certains atouts dans son jeu, en particulier grâce aux choix de la Russie, elle a adopté les artifices libéraux prônés par les Etats-Unis, qui ne permettent pas une véritable baisse des émissions de CO2 : puits de carbone, marché international des droits d’émissions qui permettent d’externaliser les pollutions vers les pays pauvres... Lorsque les Etats-Unis feront le choix de s’intégrer dans les négociations de Kyoto, ils le feront en position de force, l’UE n’ayant pas la volonté, sur ce dossier comme sur les autres, de s’affronter à la première puissance économique. Il y a fort à craindre que les objectifs chiffrés de réduction, les échéances précises, ou encore le report sur la période suivante en cas d’objectifs de réduction non atteints, ne soient plus alors que des vœux pieux vidés de toute substance. Les choix capitalistes et la rivalité entre puissances se fondent encore aujourd’hui sur les industries fossiles. Mais des changements sont envisageables vers des énergies moins polluantes, si celles-ci sont à même de valoriser le capital. Cependant, cela s’appuie sur une vision techniciste dans laquelle des innovations technologiques peuvent remplacer partiellement des énergies polluantes, sans s’attaquer à la quantité globale d’énergie produite et consommée. Outre que ce n’est pas avant tout le caractère non polluant, mais celui de leur rentabilité, qui sera privilégié en matière d’énergies, la gravité des risques climatiques nécessite aujourd’hui une remise en cause radicale du fonctionnement et des finalités de l’économie. Le remplacement rapide des énergies fossiles par des énergies renouvelables, la priorité donnée au transport par le rail et l’eau doivent donc s’articuler à la limitation drastique des camions, à la reconversion des industries polluantes et à la réduction de l’usage individuel de la voiture. Plus largement, des mesures à hauteur des risques nécessitent une planification démocratique à différentes échelles (par pays, continents et à l’échelle mondiale) afin de dessiner une décroissance énergétique globale, mais pas forcément homogène. Une telle planification, qui n’abandonnerait donc les choix fondamentaux, ni au marché, ni à des régimes autoritaires, se devrait de définir :

 quelles options énergétiques doivent être poursuivies ou abandonnées ;

 quelle organisation des transports et de l’industrie doit être privilégiée ;

 quelles mesures devront être prises pour réparer les dégâts causés par le capitalisme ;

 quels besoins de base doivent être pris en charge collectivement par la société. Pour qu’un autre monde soit possible, d’autres modes énergétiques et de production, d’autres modes de vie sont indispensables.

Vincent Gay


1. Daniel Tanuro, " Kyoto ratifié, course de vitesse aiguisée... ", Inprecor n° 498-499, octobre-novembre 2004. 2. Le marché mondial de l’éco-industrie est estimé à 550 milliards d’euros, avec des taux de croissance attendus de 5 à 8 % dans les pays émergents (D. Tanuro, art. cit.).

Des preuves irréfutables des changements climatiquesEn comparaison avec l’ère préindustrielle, le climat terrestre est en train de changer aussi bien au niveau régional qu’à l’échelle globale. Il existe trois types de preuves indiquant ce réchauffement : la hausse de la température elle-même, les effets de cette augmentation de température sur des variables physiques de notre environnement, comme la hausse du niveau des océans, et enfin les conséquences des changements climatiques sur les populations animales et végétales. Au cours du siècle, la température moyenne de surface a augmenté de 0,6° C et, dans l’hémisphère nord, la décennie 1990-2000 est la plus chaude du millénaire. Cette hausse des températures a d’ores et déjà eu d’importantes conséquences sur l’environnement naturel. Du fait de la fonte des glaces et de la dilatation de l’eau, elle a entraîné, au cours du xxe siècle, une hausse annuelle de 1 à 2 millimètres du niveau des mers. L’étendue et le volume des glaces du Groenland, d’Antarctique ou des glaciers alpins ont diminué. Entre 81° et 90° de latitude-nord, au niveau du méridien de Greenwich, l’épaisseur de la glace sur les océans a chuté de 46 % entre 1976 et 1996. En Arctique, la température a augmenté presque deux fois plus vite que celle du reste de la planète lors des dernières décennies, des espèces animales disparaissent et les eaux montent dangereusement, mettant en danger des villages entiers. La diminution de l’étendue des glaces ou la hausse du niveau de la mer ne sont pas les seules conséquences avérées de ces changements climatiques, une modification du régime des pluies étant aussi observée. En effet, au-dessus des continents, les précipitations ont augmenté de 5 à 10 % dans l’hémisphère nord au cours du xxe siècle. La répartition de ces pluies a été modifiée dans l’espace et dans le temps : une augmentation des fortes précipitations est observée aux Etats-Unis, alors que l’intensité et la fréquence des sécheresses ont augmenté dans certaines régions d’Asie et d’Afrique. Enfin, les événements " El Nino " ont été plus fréquents, plus longs et plus intenses de 1980 à 2000.

Hendrick Davi

(tiré de Rouge)