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La phase néolibérale de l’économie-monde

(extraits de La Mondialisation de l’économie : Son histoire et sa situation récente)

dimanche 3 janvier 1999, par Sébastien Bouchard

Depuis la fin des années 1970, on peut constater l’amplification des inégalités entre les pays et dans la plupart des sociétés. Ce recul des conditions de vie de la majorité de la population de la planète prend la forme d’une hausse du chômage et de la pauvreté, d’une précarisation de l’emploi et d’une multiplication des coupures dans les mesures sociales des États. Parallèlement, la valeur des actifs financiers est en hausse rapide et les multinationales, de plus en plus concentrées au fil des fusions, font des profits records. Cette polarisation de la richesse nous est présentée comme inévitable par le discours dominant, qui soutient que le pouvoir politique ne peut plus intervenir à cause du "contexte de mondialisation des marchés". Pourtant, la mondialisation de l’économie n’est pas un phénomène récent mais plutôt une constante, à la base de l’histoire de l’humanité depuis 500 ans, qui a été permise par l’intervention des États. Pour comprendre la situation actuelle de l’économie mondiale, il serait nécessaire de voir comment elle s’insère dans l’histoire et quelles sont ses caractéristiques particulières et les principales étapes de son évolution récente.(...)

La phase néolibérale de l’économie-monde

À partir des années soixante-dix, l’ondes longue ascendante des Trentes Glorieuses se retourne alors que prend forme les débuts d’une nouvelle crise de surproduction. La grande dépression de la fin du XXe siècle, qui marque une nouvelle étape dans l’histoire de l’économie mondiale avec la fin de la période keynésienne, a comme cause et comme conséquence la mondialisation du commerce et de la production, la mondialisation des échanges financiers et l’application de politiques néolibérales. Pour aider à la description de cette courte et récente période, les principes de base de ces trois phénomènes seront décris tout comme certains des événements significatifs qui ont permis leur mise en place.

La mondialisation (ou globalisation) des marchés (ou de l’économie) peut être présentée comme la phase extrème de l’expansion du marché comme régulateur des échanges internationaux. La libéralisation des frontières commerciales, planifiée depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale par le GATT, combinée aux avancées technologiques dans le domaine des transports et des communications, a permis de décupler le commerce mondial : "1/5e de la production mondiale fait aujourd’hui l’objet d’échanges internationaux. Le commerce mondial des biens et services a dépassé pour la première fois en 1995 le seuil des 6000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 24 fois le budget de la France. Il double en volume tous les neuf ans". Cette libéralisation du commerce réduit la capacité d’intervention des États : "Dans une économie fermée, le supplément de revenu injecté par l’État dynamise l’activité, et génère le supplément de recettes qui le finance. Dans une économie ouverte, une large partie du supplément de revenu injecté par l’État sert à l’acquisition de produits importés. L’impact sur l’activité est faible, le déficit se creuse, la balance des paiements courants se détériore, la valeur de la monnaie tend à chuter".

La mondialisation exacerbe aussi la concurrence entre les entreprises qui cherchent à combler la faible demande des marchés locaux par l’exportation. Les plus importantes d’entre elles, les multinationales, délaissent tout ce qui ne constitue pas le noyau dur de leurs activités à des petites entreprises de sous-traitants qui agissent tant en amont (fabrication d’éléments) qu’en aval (commercialisation). Les nouveaux emplois créés par cette sous-traitance se caractérisent par leur précarité et leur faible niveau de salaire. La baisse des coûts de production qui en résulte augmente les profits mais accentue la surcapacité de production (par la baisse de la consommation des travailleuSEs), ce qui explique en bonne partie les gigantesques fusions intrasectorielles des années 80-90.

La mondialisation des échanges ne se limite pas aux secteurs industriel et commercial mais implique encore plus le secteur financier. Ce que l’on peut considérer comme une véritable financiarisation de l’économie est causée par la crise de surcapacité de production : l’investissement dans la production industrielle étant peu rentable à cause de la saturation de la demande, les capitaux se dirigent vers le monde plus profitable de la finance. Cette masse de capitaux instables finance les déficits commerciaux et budgétaires de nombreux pays par l’achat d’obligations. Les gouvernements appliquent alors des politiques d’austérité budgétaire (coupures), pour garantir que les dettes seront remboursés intégralement (principal et intérêt). Ces capitaux financent aussi les grandes entreprises (et leurs fusions) en spéculant sur la bourse, ce qui force les compagnies à couper dans leur personnel et dans leurs investissements pour faire plus de profit à court terme et ainsi augmenter le prix des actions. La spéculation s’effectuent aussi sur les variations de la valeur des monnaies ce qui déstabilise les économies nationales. Pour soutenir la spéculation financière et préserver la valeur du capital, les banques centrales mettent en place des politiques d’austérité monétaire de lutte à l’inflation en haussant les taux d’intérêts, ce qui augmente les dettes publiques et privées.

Résultat et accélérateur de la dépression de la fin du XX siècle, la financiarisation maintient l’économie dans un état de stagnation en engouffrant des sommes astronomiques de capitaux dans la spéculation au lieu d’être utilisé pour la consommation ou l’investissement productif. Ces capitaux sont en majorité l’argent que les petitEs épargnantEs ont déposés dans les banques, les compagnies d’assurances, les fond mutuels et les des fonds de pension, surtout américains, puis Japonais et anglais. Ces pays profitent donc massivement du prélèvement sur la richesse créée dans la production qui est fait par la finance. La financiarisation est amplifiée par l’invention de nouveaux produits financiers ("titrisation" de n’importe quelle donnée économique : dettes, immeuble, terrain, pollution, etc.), par l’expansion des marchés des produits dérivés, à terme et à option, et par les déréglementations dans le domaine financier. La financiarisation des économies et la libéralisation des échanges de capitaux en sont venues à remettre en question la souveraineté des États et l’efficacité des politiques keynésiennes :

"Jadis, les gouvernements surveillaient les marchés, aujourd’hui, ce sont les marchés qui surveillent les gouvernements. La capacité relative d’action des banques centrales a décru au fur et à mesure que les marchés ont pris de l’ampleur, car leurs réserves n’ont pas cru au même rythme que la taille des marchés des changes. La conséquence de ce phénomène est claire : les banques centrales ne peuvent durablement résister à un mouvement spéculatif. Les gouvernements ne peuvent plus guérir à l’aide de l’intervention de leurs banques centrales. Les maux monétaires, ils doivent donc les prévenir, c’est-à-dire contrôler l’inflation et maîtriser les finances publiques".

Vers la fin des années soixante, les déficits commerciaux et budgétaires américains, particulièrement causés par les dépenses militaires liées à la guerre du Viêt-nam, ont créé un bassin de dollars prêtés en dehors des États-Unis, particulièrement à partir de la City de Londres, ce qui a donné naissance aux euro-dollars. Alimenté par ces premiers capitaux libres de toute entrave nationale et causé par le double déficit des États-Unis, l’inconvertibilité du dollar déclarée en 1971 à mis fin au système monétaire établi à Bretton Woods. Confirmée par les Accords de Jamaïque en 1976, la fin de la parité fixe transforme les monnaies en marchandise dont la valeur d’échange est fixée par la loi de l’offre et la demande, ce qui entérine la perte de contrôle des politiques nationales sur les monnaies. La croissance exponentielle du marché des eurodevises a augmenté l’inflation et stimulé le premier choc pétrolier. Déclenché par l’OPEP en 1973, en réaction contre l’offensive israélienne contre les pays arabes, ce choc est le premier de l’économie mondiale qui n’est pas décidé par les pays du Nord. Il est suivi par la récession de 1974-75, la plus forte depuis les années 30. À partir de 1978 se produit " (...) le second choc pétrolier : la Révolution islamique en Iran conduit à une interruption des exportations de pétrole de ce pays pendant quelques mois. Sous le double effet de la spéculation et de la panique, les prix du brut seront multipliés par deux en quelques mois, passant de 16 à 34 dollars le baril, provoquant des effets analogues au premier choc pétrolier : inflation galopante, chute de l’activité, fort accroissement du chômage".

Pour assurer la coordination des pays développés dans cette période de crise, Rockfeller crée en 1972 la Commission Trilatérale, qui réunit des hommes d’affaires, des universitaires et des hommes politiques des pays de l’Amérique du Nord, de l’Europe et du Japon pour tenter d’élaborer une vision globale de l’avenir du capitalisme en remettant en question la démocratie, "qui fait primer les intérêts locaux", et l’ordre construit à Bretton Woods. Cette tentative de gestion de l’économie mondiale se combine à une initiative française, le G5, (devenu G7 ensuite) qui tente à ses débuts de :

"développer une attitude active face à un monde économique et financier qui (...) échappait de plus en plus aux responsables politiques : crise de l’énergie, émergence des marchés comme régulateurs économiques et donc sources de "pouvoir" économique -ce qui était assez nouveau dans le monde de cette époque-, nécessité de réduire les risques d’évolution incontrôlée des changes flottants -qui étaient aussi une nouveauté- et nécessité de promouvoir activement la croissance".

Le consensus éclate après le deuxième choc pétrolier, en 1978, qui relance la stagflation (hausse combinée de l’inflation et du chômage), présente depuis le début des années 70. En fait, ce qui cause problème, c’est surtout la chute du taux de profit moyen dans l’ensemble des pays industrialisés et celle des taux d’intérêt réels, qui deviennant même négatifs à cause de la forte inflation. L’inéficacité des politiques keynésiennes pour mettre fin à cette situation pousse alors les dirigeants à délaisser la lutte au chômage, qui est pourtant en forte croissance, pour adopter comme priorité la lutte à l’inflation. C’est dans cette perspective qu’est appliqué, dès 1975, le monétarisme qui prend au États-Unies une forme plus radical à partir de 1979 (augmentation des taux d’intérêts réels à long terme à 15% aux États-Unis), ce qui provoque la plus grande récession depuis les années 30 en 1981-82.

C’est dans ce contexte que l’on assiste à l’entrée en force du néolibéralisme avec les victoires de Thatcher en 1979 et de Reagan en 1980. Cette nouvelle politique économique, qui se diffuse dans les années 80, s’insurge contre la redistribution keynésienne et l’intervention étatique qu’elle suppose en faisant l’apologie du libéralisme économique orthodoxe. Concrètement, la fiscalité a été réajustée à la baisse pour les entreprises et les détenteurs de capitaux (les riches). Le manque à gagner est coupé dans les programmes sociaux, dont la partie rentable est privatisée en partie au profit des entreprises et la partie non-rentable, sur le dos du réseau féminin familial ou communautaire, ce qui touche directement le secteur de la reproduction humaine. Au niveau des relations de travail, le mot d’ordre néolibéral est la flexibilisation. On assiste ainsi à une généralisation des emplois précaires (temps partiel, occasionnel, sur appel) et du travail autonome. Un partie importante de la population est même carrément exclue et confinée à la charité publique et privée. Des déréglementations ont aussi lieu au niveau des normes de sécurité, de l’environnement, du code du travail, des transports aériens, des télécommunications, de la finance...etc. En fait, l’État n’est pas éliminé mais son pouvoir se limite de plus en plus à l’aide aux entreprises et au contrôle des populations (armée, système carcéro-judiciaire et contrôle des frontières). Ces politiques clairement antisociales ont fait qu’aujourd’hui, "la crise est finie pour le capital : les taux de profit des années cinquante et soixante sont rétablis. Qui a payé ? Essentiellement les travailleurs, par une baisse vertigineuse de leur part dans le produit national".

Au niveau extérieur, on assiste à une réorientation du rôle du G7 :

"Dans les années 1980, les choses ont changé. Tout le monde, opinions publiques comme responsables politiques, s’était habitué de plus ou moins bonne grâce, à ce nouvel état du monde et à l’idée qu’il est beaucoup moins sous le contrôle des responsables politiques. La conception dominante est donc devenue que la responsabilité des dirigeants politiques consiste plutôt et d’abord, chacun dans son pays, à "mettre la maison en ordre" (sic) en maîtrisant l’inflation et les finances publiques ; donc, même s’il reste une place pour la coordination internationale, il est d’abord impératif que chacun mène une bonne (sic) politique nationale".

Ainsi, les gouvernements nationaux se transforment en "agences de transmission des exigences de l’économie-monde vers ces mêmes économies nationales", ce qui les pousse à gérer les sociétés qu’ils étaient supposés défendre par des politiques néolibérales exigées par les multinationales et la haute finance.

La politique commerciale néolibérale soutient la libéralisation des marchés. Les négociations organisées par le G.A.T.T. dans le cadre de l’Uruguay Rond débuté en 1986 ne se termineront qu’en 1994 par la création de l’O.M.C. (Organisation Mondiale du Commerce), dont les arbitrages ne pourront être renversés que par une décision unanime des membres. Lancé sur l’initiative des États-Unis, ces négociations ont comme priorité l’agriculture et les services, deux domaines où ce pays domine, ce qui explique les réticences des autres pays à accepter cet accord.

Facilité par l’expansion du marché des euro-devises, l’endettement augmente dans les années 70 et finit par exploser avec la hausse des taux d’intérêts et le ralentissement de la croissance du début des années 80, liés aux politiques monétaristes des pays du Nord. C’est finalement en août 1982 qu’éclate au Mexique la crise de la dette. Ce pays se retrouve à être le premier de nombreux pays du Tiers-monde à se déclarer incapable de rembourser ses dettes aux banques des pays du Nord, qui leur avaient prêté des pétrodollars. Pour sauver le système financier mondial directement menacé par ce blocage et maintenir un minimum de demande dans le débouché que représente le Tiers-monde, on applique le plan Baker en 1985, remplacé par le plan Brady en 1989, qui rééchelonnement les dettes des principaux pays débiteurs, donnant ainsi l’illusion qu’elles pourront être remboursées. Ces plans prévoient la mise en oeuvre de politiques d’ajustement structurel par le F.M.I. et la Banque Mondiale, qui visent à restreindre la demande intérieure, à libéraliser l’économie (privatisation, déréglementation, coupures dans les services publics, libéralisation du commerce) et à développer les exportations pour rembourser les banques en monnaie forte. "Ces mesures révèlent bien une forme de solidarité financière internationale, les acteurs (banques, États, institutions internationales...) se souvenant des faillites en chaînes des années 1929-1932 et reconnaissant un intérêt commun : que le système économique mondial ne s’écroule pas !" Cette stratégie explique la stagnation de l’Amérique du Sud, de l’Afrique et d’une bonne partie de l’Asie dans les années 80-90. La dépendance de ces régions face au marché mondial se renforcie à cause de la restructuration de leur économie autour de quelques matières premières exportables dans des termes d’échanges toujours plus défavorables, qui sont utilisées à 40% pour payer les intérêts de la dette.

Après avoir touché les pays du Sud, le problème de la dette atteint les pays de l’Ouest et contribue aussi à restructurer les économies en fonction des normes néolibérales. C’est la hausse des taux d’intérêts (liée aux politiques monétaristes), le ralentissement économique, la baisse des impôts des riches et des entreprises et la croissance des dépenses publiques (liée à l’appauvrissement et au chômage), en plus des dépenses militaires pour les États-Unis, qui se sont combinées pour accroître considérablement les déficits du budget.

Parallèlement à ce réenlignement des économies du Sud et de l’Ouest, les pays de l’Est engagent une restructuration qui se transforme rapidement en un effondrement du système communiste, qui avait réussi à industrialiser cette région à l’extérieur du monde capitaliste. Ce fait historique majeur aurait pu constituer un énorme débouché pour l’Occident mais l’idéologie néolibérale au pouvoir n’a pas cru bon d’adopter un "Plan Marchall" pour ces pays. Ces plutôt les plans d’ajustement structurel du F.M.I. qui sont appliqués pour rembourser les nouvelles dettes de ces pays en plein processus de tiermondialisation. Le cas de la Chine est tout à fait opposé. L’État communiste encadre l’industrialisation du pays à partir de zones côtières spécialisées dans la production de biens d’exportation (par des entreprises locales ou étrangères), ce qui a permis de maintenir, pendant les quinze dernières années, une croissance annuelle frôlant les deux chiffres, maintenant compromise par la crise asiatique.

Cette crise est le dernier, et peut-être le plus important, des nombreux problèmes liés à l’instabilité de la crise de la dépression de la fin du XXe siècle. Au niveau directement boursier, cette instabilité se révèle dans le deuxième plus grand krach du XXe siècle, qui a lieu en 1987. Causé par une mauvaise coordination entre les États-Unis et l’Allemagne dans un contexte de croissance continue de la spéculation, le krach est enrayé par un renouveau de la coopération entre pays industrialisés relançant la spéculation boursière qui mène, dix ans après, le Dow Jones à un niveau trois fois et demie plus élevé qu’en 1987. Au niveau bancaire, la crise des caisses d’épargne américaines (Saving and Loan Associations), causée par la déréglementation, a été rescapée par l’injection du montant considérable de 300 milliards de dollars par le gouvernement américain tandis qu’en 1995, la Banque Baring faisait faillite à la suite de spéculations sur le marché asiatique. Les autres marchés ne furent pas épargnés comme nous le rappelle l’épisode des junk bonds américains dans les années 80 et les crises immobilières dans plusieurs pays.

Puis c’est le krach mexicain de 1994, qualifié de première crise du XXIe siècle par le d-g du F.M.I., qui se produit avec des conséquences autrement plus douloureuses. Après avoir effectué l’ensemble des mesures antisociales imposées par le F.M.I. qui lui ont même permis d’intégrer l’O.C.D.E., le Mexique a vu son économie s’effondrer par un vaste mouvement spéculatif causé par une rumeur de dévaluation. La même situation s’est reproduite à une échelle encore plus grande dans la seule région du globe qui était en croissance depuis les vingt dernières années : l’Asie du Sud-Est. Produite en 1998, cette débâcle a débuté chez les "4 tigres" (Thaïlande, Malaisie, Indonésie et Philippine) pour ensuite s’étendre aux "4 dragons" (Taiwan, Corée du sud, Hong Kong et Singapour), considérés comme des nouveaux pays industrialisés, situation rendue possible par l’interventionnisme étatique. Finalement, la Chine et surtout le Japon sont touchés par cette crise, le système financier de ce dernier (7 des 10 plus grandes banques au monde) étant sur le bord de la faillite. Cette situation menace directement l’ensemble de l’économie mondiale, qui avait cette région comme seul débouché possible à moyen terme, la spéculation ne pouvant par définition gonfler indéfiniment.

Finalement, du côté des pays industrialisés, la solution qui semble vouloir s’installer pour palier à la relative impuissance des divers organismes internationaux formés pour gérer les désordres est la formation d’ensembles économiques régionaux. "Assimilée par la critique libérale à un protectionnisme déguisé, cette production de normes techniques, fiscales, financières et réglementaires s’apparente bien davantage en réalité à un travail de reconstruction au niveau supranational d’une souveraineté étatique en passe d’être vidée de sa substance par la puissance du processus de mondialisation". Le modèle le plus achevé de cette tendance est la CEE, en voie d’établir une monnaie commune qui permettrait d’éliminer les effets d’une concurrence monétaire entre économies fortement intégrées tout en constituant une monnaie capable de concurrencer le dollar comme valeur refuge mondiale, mais qui force les pays qui veulent s’intégrer à mener de fortes politiques d’austérité. Face à l’Europe, l’ALENA, essentiellement économique, prend forme en Amérique du Nord et potentiellement du Sud, ou le MERCOSUR unifie les pays du cône sud du continent. En Asie, un marché s’établit entre les pays du Sud-Est mais son institutionnalisation n’est pas encore mise en marche.

La dépression de la fin du XXe siècle a remis en question le compromis qui s’était établi pendant la période keynésienne en le remplaçant par trois tendances interdépendantes qui remodèlent actuellement le monde. La mondialisation financière a menée à la création d’une masse de capitaux instables qui sont transférés d’un bout à l’autre du globe à la recherche d’achats spéculatifs (actions, monnaies, obligations ou autre). La mondialisation du commerce et de la production réduit les entraves qui limitent le commerce en exacerbant la compétition et en permettant les délocalisations. Le néolibéralisme restructure l’État en réduisant ses interventions sociales, en lui faisant appliquer des politiques d’austérité monétaire, budgétaire et salariale et en l’orientant vers la défense des entreprises.

L’instabilité croissante qui résulte de cette logique est peu diminuée par les instruments internationaux de régulation et de coordination politique et économique qui ont été réformés ou inventés, et qui appliquent leurs politiques parfois autoritaires, surtout face aux pays du Sud et de l’Est. Cette mondialisation trouve sont comble dans le projet d’Accord multilatéral sur l’Investissement (AMI), négocié à partir de l’O.C.D.E. depuis 1995, qui vise à donner le droit aux "investisseurs" de contester les lois sociales et environnementals.

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