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Référendum français

Un "NON !" de la gauche

lundi 6 juin 2005, par Murray Smith

À 22h00 dans la nuit de dimanche, à la fermeture des scrutins, le résultat est tombé comme la lame d’une guillotine. Les électeurs français ont voté "Non" au projet de Constitution européenne. Tous les sondages des derniers jours avant le vote prédisaient une victoire du "Non." Or, l’importance de la majorité, de près de 55 %, est absolument sans équivoque.

Ce qui est aussi clair et que les médias presque uniformément partisans du "Oui" ont fini par reconnaître, c‚est que la bataille a été gagnée par le "Non de gauche".

Bien sûr les chefs de l’extrême-droite comme Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers sont apparus à la télévision pour réclamer la victoire. Or, la composition sociologique et politique du vote montre que l’essentiel des "Nons" ne viennent pas de leurs partisan-e-s.

Par catégories sociales, 81 % des travailleurs manuels, 79 % des sans-emploi, 60 % des cols blancs et 56 % des professions intermédiaires ont voté "Non". Les seules catégories où le "Oui" l’emporte sont les professions intellectuelles et de direction (62%) les diplômé-e-s universitaires (57%) et les retraités (56%).

Une analyse du vote par tranche d’âge montre que le "Non" remporte 59 % chez les 18-34 ans et 65 % chez les 35-49 ans. Le "Oui" n’est majoritaire que chez les plus de 65 ans. Politiquement, 67 % des électeurs de gauche ont choisi le "Non", presque unanimement chez les partisans du Parti communiste et de la gauche révolutionnaire, mais aussi 59 % chez les socialistes et 64 % pour les partisans des Verts. De plus, 61 % des sans-parti ont voté "Non". Il n’y a que les partisans des deux principaux partis de droite, l’UMP et l’UDF qui ont voté massivement (76 %) en faveur de la Constitution.

Si nous plaçons l’extrême-droite à 15 % de l’électorat, cela veut dire que les autres 40 % de "Non" viennent des partisans de la Gauche et des rangs des sans-parti.
Questionnés sur les raisons de leur vote, ceux et celles qui ont voté "Non" citent la situation économique et sociale en France, notamment le chômage et la nature trop libérale du traité.

35 % ont exprimé l’espoir que le traité constitutionnel puisse être renégocié. Comme les militants pour un "Non de gauche" répètent depuis des mois, la majorité des partisans du non n’étaient ni chauvins, anti-européens ou autre chose du genre. Ils ont voté contre le néo-libéralisme et ses effets dévastateurs en France et en Europe.

Les effets politiques du vote sont multiples. "Chirac désavoué, l’Europe déstabilisée", disait la manchette de l’édition de lundi de Le Monde. Chirac devrait renvoyer le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, un bouc émissaire commode. Raffarin pourrait être remplacé par Nicolas Sarkozy [1], qui à la télévision, dimanche soir, a produit une analyse quelque peu originale prétendant que le peuple français avait voté "Non" par désir de politiques encore plus néolibérales ... ce que sa nomination leur apporterait. Par contre, Chirac pourrait sentir que la nomination de Sarkozy serait une trop grande provocation.

Le président lui-même se retrouve effectivement désavoué et sérieusement affaibli et il est difficile de voir comment il peut envisager de se présenter à nouveau aux élections présidentielles de 2007. À gauche, seule la LCR [2]a appelé clairement et sans équivoque à la démission de Chirac et pour la dissolution du Parlement.

Bien sûr tous les perdants ne sont pas à droite. La majorité de la direction du Parti socialiste et des Verts a aussi été désavoué par leurs propres partisans et la bataille post-référendum dans les deux s’annonce féroce. Les dirigeants socialistes comme François Hollande, Dominique Strauss-Kahn et Lionel Jospin qui ont mené la campagne du "Oui" ne sont pas susceptibles de remettre de plein gré le parti à ceux comme Laurent Fabius, Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon qui ont défendu le "Non".

Sur le plan européen ce n‚est bien sûr pas "l’Europe" qui est déstabilisée, mais le projet néo-libéral de l’Union européenne. À regarder la succession de dirigeants européens de gauche comme de droite dimanche soir, ils ne semblaient pas tirer de leçon de la défaite. À tour de rôle ils ont réprimandé le Français indiscipliné et que les affaires continues comme à l’habitude.

Bien sûr, la plupart de ceux-ci ont évité l’écueil d’un référendum, et ont préféré faire ratifier le traité par leur parlement. Quoique disent ces défendeurs de la Constitution, le "Non" français risque d’ouvrir le débat sur l’Europe qui n’a pas eu lieu dans la plupart des pays de l’UE. Les adversaires de l’Europe néo-libérale ont une chance de prendre l’offensive, non seulement pour le rejet de cette constitution, mais aussi pour une rupture d’avec le procédé non-démocratique de sa rédaction et pour demander aux peuples de l’Europe d’élire des Assemblées constituantes pour formuler des nouvelles propositions. La LCR a appelé à un Forum social européen pour discuter la voie pour aller de l’avant.

En France, à gauche, la victoire du "Non" a ouvert de nouvelles possibilités pour construire une force anticapitaliste radicale. Les mois de coopération entre les militants de différents partis et des sans-parti, de collaboration avec les syndicalistes et militants des mouvements sociaux, ont créé une réelle dynamique et nourri les attentes. Les discussions ont déjà commencé sur la façon de construire une force de gauche en mesure de briser "l’alternance" française, où les gouvernements de gauche et de droite alternent régulièrement, avec une forte continuité dans leurs politiques néo-libérales.

Ces discussions vont certainement se poursuivre, sans doute sur un fond de résistance sociale continuelle à l’offensive néo-libérale de Chirac et le Premier ministre qu’il nommera. Il est nécessaire de construire une alternative crédible au social-libéralisme incarné par la direction du Parti socialiste. Dans une déclaration au lendemain du référendum, la LCR a proposé que les 1 000 comités pour un "Non de gauche" qui ont poussé comme des champignons au cours des derniers mois, continuent a travailler en vue d’une réunion nationale.

De plus, la LCR a proposé une rencontre des organisations politiques qui ont participé au lancement à l’automne 2004 de "l’Appel des 200", le document fondateur de ces comités. Certains éléments impliqués dans la campagne du Non seraient tentés de participer à une nouvelle union de la Gauche sous l’hégémonie du PS pour préparer une nouvelle alternance pour 2007.

Toutefois, outre la LCR, beaucoup d’autres militants et militantes, notamment ceux du Parti communiste et même certains membres du Parti socialiste, s’opposeront à cette perspective. Effectivement, les perspectives de construction d’une force anticapitaliste radicale en France n’ont jamais été aussi positives. Les prochaines semaines et les prochains mois seront décisifs.

Murray Smith, ancien organisateur international pour le Parti socialiste écossais (SSP), est un militant de la Ligue communiste révolutionnaire.


[1NDLR :Ce texte a été écrit avant l’annonce du remplacement de Jean-Pierre Raffarin par Dominique de Villepin.

[2NDLR : Ligue communiste révolutionnaire, section française de la Quatrième international. Site Web : www.lcr-rouge.org