Accueil > International > Amérique latine > Venezuela > Entrevue avec Stalin Perez Borges

Entrevue avec Stalin Perez Borges

Syndicaliste venezuelien

dimanche 25 septembre 2005

Stalin Perez Borges, dirigeant syndical et militant trotskyste de longue date, est au cœur du processus révolutionnaire au Venezuela. Il est l’un des quatre « coordonnateurs nationaux » de la nouvelle - et aujourd’hui majoritaire - centrale syndicale, l’UNT. Il est aussi membre du « comité impulseur » du nouveau parti en formation, le Parti de la révolution et du socialisme.

Peux-tu nous donner ton appréciation sur l’étape actuelle du processus au Venezuela ?

Stalin Perez Borges - Le processus révolutionnaire continue, mais les contradictions sont à l’œuvre, la corruption et l’inefficacité le minent. À l’occasion des récentes élections des conseils municipaux et conseils de quartiers, on a vu des affrontements entre les bases des partis chavistes et des secteurs dirigeants qui ont imposé bureaucratiquement leurs candidats. Pour l’instant, l’affrontement au sein du processus révolutionnaire avec ces secteurs conservateurs bureaucratiques gouvernementaux est surtout verbal. Mais nous pensons qu’il peut à l’avenir devenir beaucoup plus aigu et impliquer, surtout si l’affrontement avec l’impérialisme devient plus tendu, un approfondissement considérable de la situation révolutionnaire.

Quelle est la situation au niveau syndical ?

S. Perez Borges - Avec les crises du coup d’État contre Chavez, en avril 2002, le blocage pétrolier patronal de fin 2002-début 2003 et la trahison ouverte de la vieille centrale, la CTV, les travailleurs ont compris la nécessité de prendre eux-mêmes en mains leurs organisations syndicales. C’est sur ce phénomène, à l’échelle de tout le pays, qu’une nouvelle centrale syndicale, l’Union nationale des travailleurs (UNT), s’est constituée. L’UNT s’est considérablement renforcée. C’est maintenant la centrale qui compte la majorité des organisations syndicales dans le pays. Il est difficile de chiffrer sa force réelle pour l’instant, mais nous pouvons estimer que nous sommes au-delà du million d’affiliés et que l’immense majorité des grands syndicats est affiliée à l’UNT. Au sein de la direction de l’UNT, il y a quatre tendances. Nous attendons le prochain congrès pour savoir si le secteur bureaucratique - un courant réformiste avec beaucoup de dirigeants corrompus et incompétents - est majoritaire. Il y existe aussi le courant de la « Force bolivarienne des travailleurs », qui est proche du pouvoir et qui est aussi un courant réformiste. Et puis, il y a le « courant classiste », dont beaucoup de cadres sont à l’origine de la fraîche création du Parti de la révolution et du socialisme (PRS).

Peux-tu nous en dire un peu plus sur le PRS ?

S. Perez Borges - La création du PRS est une conséquence de cette bataille dans l’UNT. Dans la plupart des rencontres organisées dans tout le pays, la majorité des intervenants demandait la création d’une force distincte de celles qui, aujourd’hui, se réclament de Chavez, c’est-à-dire le MVR, le PPT, Podemos, le Parti communiste et quelques autres. Voyant cette nécessité, nous avons décidé de créer le PRS. Nous pensons que, dans la situation actuelle, les travailleurs ont besoin d’une organisation politique qui défende leurs intérêts, qui soit pour l’indépendance de classe et qui ait un projet anti-impérialiste bien défini. Au sein de notre courant syndical, certains nous reprochent ce projet. Il faut accomplir les deux tâches : la construction de l’UNT, comme centrale syndicale indépendante des partis politiques et du gouvernement, et celle d’un parti politique pour les travailleurs. La discussion de la création du PRS est actuellement menée conjointement par cinq groupes politiques distincts. D’autres organisations pourront élargir notre plateforme politique, et nous espérons pouvoir annoncer la création officielle du PRS au début de l’année prochaine. Nous voulons programmer un congrès de fondation. Nous avons déjà un journal, Opcion socialista (« Option socialiste »).

Ce projet nous a amenés à réaliser certains événements : le 9 juillet dernier, nous avons tenu un meeting national qui a rassemblé près de 450 personnes à Caracas. Nous avons fait, et nous allons faire, dans tout le pays d’autres meetings pour proclamer la nécessité d’une nouvelle organisation. Nous avons élaboré une plateforme politique pour servir de base à la discussion1.

Quelle différence y a-t-il entre le PRS et les partis chavistes officiels qui existent actuellement ?

S. Perez Borges - Les organisations aux commandes du processus sont réformistes, staliniennes ou ultragauchistes, et elles ne permettent pas de lutter contre le caractère bureaucratique de l’État. Il est nécessaire d’assurer la transformation que demandent les masses populaires qui exigent une plus grande participation des gens. La population assume - c’est une caractéristique de ce processus - un certain pouvoir. On ne peut plus rien lui imposer, ni les dirigeants, ni les ministres, ni les patrons. Ce combat contre la bureaucratie, contre la corruption et contre le réformisme, commence à donner des résultats significatifs pour l’avenir du pays. Un exemple : la cogestion, c’est-à-dire le contrôle ouvrier et la participation directe des ouvriers dans l’entreprise d’État ou dans une entreprise privée. Des membres du gouvernement pensent que la cogestion est un risque, parce qu’une entreprise stratégique, comme par exemple PDVSA [l’entreprise nationalisée du pétrole, NDLR], doit rester sous le contrôle des dirigeants de l’État.

En réalité, ils ont peur de la participation des gens. Nous travaillons beaucoup sur ces expériences de contrôle ouvrier. Donner le pouvoir aux gens, cela peut être le saut en avant nécessaire à la poursuite du processus révolutionnaire. Chavez dit qu’il faut donner le pouvoir aux gens, eh bien le pouvoir, c’est contrôler son usine, contrôler sa communauté et contrôler ceux que l’on élit. C’est pourquoi nous pensons que le PRS peut avoir une forte influence sur les travailleurs. Nous fondons de grands espoirs sur la construction de notre organisation, afin de permettre au Venezuela de passer rapidement de pures déclarations d’intention à de véritables mesures anti-impérialistes.


Propos recueillis par Fabrice Thomas, Yannick Lacoste

1. De larges extraits de cette déclaration politique seront prochainement publiés dans Inprecor

(tiré du site de Rouge)