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Echec cuisant pour la logique de l’OMC et du G8

Damien Millet - Eric Toussaint

jeudi 27 juillet 2006

Les négociations du cycle de Doha au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) viennent d’échouer. Pour l’OMC, qui vise la libéralisation économique à marche forcée pour le plus grand profit des grandes puissances et de leurs entreprises, « tous les pays sont perdants ». Nous affirmons notre profond désaccord avec cette analyse.

Les grandes puissances (Etats-Unis, Union européenne, Japon, Inde, Brésil, Australie - qui représentait les pays agro-exportateurs) n’ont pas réussi à trouver un accord sur la façon de mettre en coupe réglée l’économie mondiale. Cela signifie que dans la plus pure logique néolibérale, ces grandes puissances ont échoué. Notons que les pays pauvres, notamment les pays africains, n’ont pas réellement participé aux négociations. Malgré les proclamations de l’OMC et l’imposture sémantique concernant ce « cycle du développement », un éventuel accord se serait fait contre eux, incapables de peser dans cette enceinte oppressante. En tout état de cause, les peuples, qu’ils soient du Nord ou du Sud, peuvent se réjouir : ils ont échappé à une nouvelle machine à broyer, encore plus puissante que l’actuelle : libéralisation accrue de l’économie mondiale, ouverture des marchés la plus large possible, dépouillant les Etats d’un maximum de prérogatives au profit des entreprises multinationales. Après les échecs de l’OMC à Seattle en 1999 et Cancun en 2003, c’est un nouveau coup d’arrêt pour une logique moribonde.

Souvenons-nous que le thème de l’OMC avait occupé une part des réflexions lors du dernier sommet des huit pays les plus industrialisés (G8 ), qui s’est tenu mi-juillet à Saint-Pétersbourg (Russie). Le G8, accompagné par les présidents de quelques pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Afrique du Sud, Mexique), avait donné un délai d’un mois pour trouver les bases d’un accord. Une semaine plus tard, le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, devait se résoudre à interrompre les négociations. Dans le même temps, la Russie n’a toujours pas réussi à obtenir le feu vert des Etats-Unis pour l’adhésion à l’OMC.

D’autres thèmes mettent en lumière l’échec d’un sommet du G8 qui se révèle finalement inutile. « Sans avancée notable », ce « G8 sans ampleur » (dixit la presse) est momentanément impuissant et disqualifié. Sur le Proche-Orient, personne ne croit une seconde que les incantations du G8 sur un Liban en proie aux représailles militaires d’Israël seront suivies d’effets. Sur l’énergie, la mise en garde du G8 à l’Iran sur le nucléaire n’a servi à rien et la Russie a refusé de ratifier la Charte européenne de l’énergie, protégeant le monopole de Gazprom. Le G8 s’est inquiété du cours élevé du pétrole, mais le jour de la clôture du G8 a vu le pétrole atteindre son cours le plus haut à Londres...

Quant aux thèmes du développement et de la réduction de la dette, qui avaient fait la une du sommet 2005 du G8, ils ont disparu de l’ordre du jour alors que rien n’est réglé. Seuls 19 pays sont concernés par les mesures annoncées en 2005 et la réduction de leurs remboursements sera inférieure à 50 milliards de dollars sur les 40 prochaines années. C’est peu face aux dépenses militaires mondiales annuelles (1100 milliards de dollars), d’autant que cet allégement est obtenu après un processus de plusieurs années qui permet au FMI et à la Banque mondiale d’imposer des réformes drastiques : libéralisation économique, privatisations, réduction des budgets sociaux, suppression des subventions aux produits de base... Pour les 19 pays concernés, la situation a continué de se dégrader : les allégements consentis n’ont même pas réussi à contrecarrer la hausse du prix du pétrole, durement ressentie par les populations du Sud, même dans certains pays producteurs de pétrole comme le Congo-Brazzaville.

La logique défendue par le G8 et l’OMC vient d’essuyer deux échecs cuisants en une semaine. Pourquoi ? Parce que les rapports de force se sont modifiés. Grâce aux exportations de matières premières dont les cours ont connu une hausse importante ces deux dernières années, les réserves en monnaies fortes (dollars, euros notamment) des pays en développement atteignent des sommets : plus de 2100 milliards de dollars, dont 925 milliards de dollars pour la seule Chine. C’est très supérieur aux réserves de change des Etats-Unis et de l’Union européenne réunies. Constitués pour partie de bons du Trésor des Etats-Unis ou de pays européens, ces réserves peuvent changer durablement la donne. Aujourd’hui, le Sud est prêteur net pour les pays développés et aurait tout à fait la possibilité de rompre avec les diktats du G8. Encore faut-il que les dirigeants du Sud aient la volonté de s’opposer à ces exigences, ce qui est loin d’être le cas. Seule l’action des citoyens du Sud peut mener leurs gouvernants dans la bonne direction.

Posons les bases d’une logique très différente. Les pays en développement devraient quitter le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, les rendant dès lors caduques. Ces pays pourraient mettre en commun la moitié de leurs réserves de change pour construire de nouvelles institutions centrées sur la satisfaction des besoins humains fondamentaux, ce qui n’est pas le cas des institutions actuelles. La dette extérieure des pays en développement est plus élevée que jamais : 2800 milliards de dollars. Elle organise la poursuite d’une domination qui rend impossible toute forme de développement juste et durable. Les citoyens du Sud ont été forcés de rembourser plusieurs fois une dette largement odieuse, contractée par des gouvernements qui ne les ont jamais consultés. Les pays en développement devraient constituer un front pour le non paiement de la dette.

Il faut vite s’engager sur cette autre voie, sinon le G8 finira par reprendre la main. Comment ? Une nouvelle crise de la dette, avec des taux d’intérêt en hausse et des cours des matières premières qui peuvent se retourner brutalement, comme à la fin des années 1970 ? Une dépendance par rapport aux céréales exportées par les pays du Nord ? Les grandes sociétés agro-alimentaires spéculent sur les stocks de céréales pour faire monter les prix. Or, sur recommandation de la Banque mondiale et du FMI, les pays du Sud ont remplacé progressivement leur production céréalière par des productions d’exportation (café, cacao, coton, bananes...). Verra-t-on dans l’avenir des famines programmées à partir du Nord, alors que les remises de dette concédées d’une main par les organismes multilatéraux sont reprises de l’autre par les sociétés agro-exportatrices du Nord ?

Le modèle économique actuel est structurellement générateur de dette, de pauvreté, d’inégalités, de corruption, y compris au Nord. C’est maintenant qu’il faut adresser un carton rouge définitif au G8 et à l’OMC, sans oublier le FMI et la Banque mondiale, momentanément hors du jeu international. Non pour y placer d’autres acteurs oeuvrant dans le même sens, mais pour modifier radicalement la logique qu’ils défendent.