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La Chine ébranle le monde

Yvan Lemaitre

vendredi 9 mars 2007

Mardi 27 février, la Bourse de Shanghai chutait de près de 9 % - 80 milliards d’euros partis en fumée -, en même temps que celle de Shenzhen. L’onde de choc a atteint l’ensemble des places boursières de la planète : Wall Street, Hongkong, Tokyo, Paris, Francfort, Buenos Aires, São Paulo, Moscou, Séoul... Simple fausse note dans l’euphorie de la croissance ou signal d’alerte ?

La baisse brutale - la plus importante depuis plus de dix ans - qui a touché la principale Bourse chinoise, mardi 27 février, a été provoquée par des bruits circulant sur la création d’une commission de lutte contre la spéculation, qui entretient la fièvre que connaissent les Bourses chinoises. Elles avaient bondi de plus 130 % en 2006. Le Premier ministre chinois, Wen Jiabo, s’est voulu rassu­rant à la veille de l’ouverture de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire : « La tâche des marchés financiers est d’améliorer et de promouvoir le développement sain des institutions financières. » Certes, mais de toute évidence, le gouvernement est inquiet. La fièvre des affaires avale des investissements à court terme sans garantie, les affairistes prospèrent dans cette ambiance de surchauffe éco­nomique et de corruption généralisée. Le boum immobilier provoqué par l’explosion urbaine est l’un de leurs terrains privilégiés. Les prêts à court terme deviennent souvent autant de mauvaises créances pour les quatre grandes banques chinoises. Ces dernières représenteraient plus du tiers du PIB, certains disent 60 %.

Dans cette ambiance, rien de surprenant que bon nombre de boursicoteurs aient voulu empocher leurs bénéfices en vendant, entraînant la baisse tout en voulant l’anticiper... Plus étonnant sans doute est la baisse « mondia­lisée » qui a suivi. Shanghai avait perdu 8 % dans la semaine, Francfort 5,51 %, Paris 5,28 %, Londres 4,95 %, New York 3,15 %... « Les marges bénéficiaires ont commencé à se stabiliser. C’est un signe avant-coureur qui montre que nous sommes dans les dernières phases d’un cycle », analysait Greenspan, l’ancien président de la Banque fédérale américaine. À l’opposé de son actuel président, Ben Bernanke qui, payé pour donner con­fiance, mise sur l’optimisme pour envisager « une possibilité raisonnable d’un certain renforcement de l’économie au milieu de l’année », Greenspan pointe une récession possible aux USA avant la fin de l’année.

Bulle financière

Et, de fait, c’est l’annonce de mauvais résultats pour l’économie américaine qui a entraîné la chute de Wall Street, puis celle des autres places financières. L’industrie automobile et l’immobilier sont dans le rouge, la courbe ascendante des profits se tasse... La croissance américaine serait de 2,2 %, au lieu des 3,5 % attendus pour le dernier trimestre de 2006. La chute de Shanghai et celle de Wall Street ne sont pas mécaniquement liées, mais ce mini-krach mondialisé témoigne des tensions croissantes qui règnent sur les places financières. Ces tensions sont entretenues par les déplacements incessants de capitaux à la recherche de bénéfices immédiats, dont la masse croît bien plus rapidement que les profits qu’ils se disputent sur le marché. Ces tensions ont déclenché comme une décharge électrique entre deux pôles extrêmes : la Chine, où le boom économique lié à la surexploitation d’un nouveau proléta­riat alimente la débauche spéculative et affairiste associée à la corruption, et les États-Unis, l’empire fragilisé qui draine la majorité des richesses du monde et dont les déséquilibres économiques, financiers et diplomatiques inquiètent.

Ce mini-krach indique à quel point la conjugaison de la surchauffe en Chine et du tassement de la croissance aux États-Unis ainsi que dans les vieilles puissances impérialistes crée une situation à haut risque. La Chine est le deuxième détenteur mondial de réserves en obligations du Trésor américain, et elle possède plus de 20 % des réserves de change du monde. Que la Bourse ou que les banques chinoises s’effondrent sous le poids des spéculations ou des créances douteuses aurait un effet retour immédiat sur les États-Unis, et inversement. Que le ralentissement de la croissance entraîne une chute de Wall Street, et ce sont les capitaux américains qui manqueraient à la Chine... Le mini-krach intervient comme un signe d’alarme dans l’euphorie qu’entretient, chez les financiers, la croissance de l’économie mondiale, plus de cinq ans après le krach de 2001. Ils se croyaient protégés de la constitution d’une nouvelle bulle financière. En fait, bien plus qu’une bulle, c’est l’ensemble de l’économie mondiale qui est aujourd’hui plongée dans une atmosphère spéculative lourde d’orages à venir.

(tiré de Rouge, hebdo de la LCR-France)